samedi 16 septembre 2017

Tempête sur les Maldives ; l’opération Cactus


Le territoire de la république insulaire des Maldives s’étend sur 107'484 km2. Les 298 km2 de terre se répartissent entre 1'200 îles réparties entre 27 atolls. La taille de l’immense majorité de ces îles est minuscule, avec une moyenne de un à deux km2, et aucune de celles-ci n’est longue de plus de huit kilomètres. La présence de routes maritimes passant à proximité depuis des siècles donne aux Maldives leur importance stratégique. La population du pays atteignait 157'000 habitants en 1983. Celle-ci se répartissait sur 202 îles, et seules 19 de ces dernières comptaient plus de 1'000 habitants. Environ le cinquième de la population totale était concentré à Malé, la capitale. 

Adrien Fontanellaz




La population locale, jusqu’alors bouddhiste, s’est convertie à l’Islam au 12e siècle. Les îles Maldives sont demeurées un sultanat indépendant au cours des siècles suivants, malgré plusieurs incursions étrangères, notamment portugaises, jusqu’en 1887 où elles sont passées sous protectorat britannique. Le Sultan resta cependant totalement libre de gérer ses affaires intérieures à son entière discrétion. Le Sultanat retrouva son indépendance en 1965. En 1968, il devint une République à la suite d’un référendum populaire dont découla l’accession au pouvoir d’Ibrahim Nasir, qui devint Président après avoir été Premier Ministre. Selon le système constitutionnel en vigueur, le Président était élu directement par le Majlis, un parlement monocaméral composé de 48 membres, dont huit étaient désignés par le Président. Les autres députés étaient élus à raisons de deux par circonscription électorales. La République ne comptant pas de partis politiques, l’ensemble des candidats se présentaient à titre individuel.


A compter de l’indépendance, le pays entra dans une période de modernisation relative, notamment grâce aux soutiens prodigués par plusieurs pays occidentaux et moyen-orientaux. La petite nation se vit ainsi dotée d’un nouvel aéroport international construit sur l’île de Hulule, à environ 15 minutes en bateau de Malé alors que l’industrie du tourisme prenait son envol. Dans le même temps, les Britanniques se retirèrent de l’île de Gan, où ils y disposaient d’une base aéroportuaire, en 1976. 

Maumoon Abdul Gayoom, Président de la République des Maldives (Wikicommons)
Le 11 novembre 1978, Maumoon Abdul Gayoom, un ancien diplomate, accédait à la présidence, alors qu’ Ibrahim Nasir quittait le pays, pour ensuite être accusé de corruption, et surtout d’avoir comploté un retour au pouvoir à deux reprises, en 1980 et 1983. Maumoon Abdul Gayoom comptait aussi d’autres opposants plus ou moins actifs, parmi lesquels figuraient un ancien Ministre des affaires étrangères sous le gouvernement d’Ibrahim Nasir devenu homme d’affaires expatrié, Abdullah Luthufi. Abdullah Luthufi était actif au Sri Lanka et au milieu des années 80 entra bientôt en contact avec le leadership d’un mouvement indépendantiste tamoul ; le PLOT.

Grandeur et déclin d’un mouvement marxiste

Le PLOT (People’s Liberation Organization of Tamil Eelam, Organisation Populaire de Libération de l’Eleam Tamoul) était l’un de cinq grands mouvements armés  indépendantistes tamouls actifs au Sri Lanka, et naquit d’une scission avec le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelm, Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul), bien plus connu. En effet, Uma Maheshwaran, le dirigeant et fondateur du PLOT était entré dans les rangs du LTTE peu après sa création en 1976, et en devint le principal chef politique, alors que Velupillai Pirabakharan, qui était à l’origine de la création du LTTE, et de son prédécesseur, les Tamil New Tigers (TNT ; Nouveaux Tigres Tamouls), nés en 1972, en était le chef militaire.


 Les relations entre les deux têtes du LTTE s’aggravèrent soudainement à la suite de la découverte d’une relation amoureuse entretenue par Uma Maheshwaran avec une militante, relation que le code de conduite du mouvement interdisait. Si certains autres cadres du groupe prônèrent une certaine tolérance, Velupillai Pirabakharan se fit l’avocat d’une approche très rigoriste, et, après des mois de tension croissante, Uma Maheshwaran se vit signifier son exclusion.


Uma Maheshwaran comptait pourtant un petit nombre de fidèles qui le suivirent et avec lesquels il fonda quelques mois plus tard, en 1980, le PLOT. A la fin de cette année, le groupe commettait sa première action armée sur le territoire sri-lankais en assassinant un député tamoul rallié au pouvoir en place. L’année suivante, il lança une série d’attaques contre les forces de police, ainsi qu’une banque dans le but de se financer, tuant ce faisant un total de quatre policiers et un soldat. Le mouvement fut ensuite affaibli par l’assassinat de son chef militaire par le LTTE puis par l’arrestation de son leader après que celui-ci ait échangé des coups de revolvers avec son alter ego du LTTE dans le bazar de Madras le 19 mai 1982. Le groupe fut ensuite décimé par une vague d’arrestations menées par les forces de sécurité sri-lankaises.

Uma Maheshwaran, fondateur et leader du PLOT, jusqu'à son assassinat en 1989 (via wikicommons)


 A la fin du mois de juillet, une vague d’émeutes anti-tamoules toucha la plupart des grandes villes du pays, faisant des centaines de victimes. Des dizaines de milliers de tamouls sri-lankais quittèrent le pays et nombre d’entre eux transitèrent ou trouvèrent refuge dans le Tamil Nadu indien. L’afflux de réfugiés et l’indignation qui l’accompagnait fut l’une des raisons qui poussèrent le pouvoir central indien à intervenir dans le conflit sri-lankais. New Delhi décida notamment de fournir son soutien aux groupes insurgés tamouls actifs au Sri Lanka, alors que dans le même temps, les autorités du Tamil Nadu en firent de même, les laissant libre d’utiliser l’Etat comme base arrière, notamment en y implantant des camps d’entraînement. A l’image des autres principaux groupes insurgés, dont même les plus puissants ne comptaient jusqu’alors que quelques dizaines de militants, le PLOT profita immensément de cette nouvelle conjoncture.


De fait, les effectifs du mouvement crûrent de manière exponentielle durant les années suivantes, pour atteindre entre 5'000 et 8'000 militants selon les estimations, ce qui en fit le groupe numériquement le plus important au sein de la mouvance insurgée tamoule. En revanche, le PLOTE se montra bien moins actif militairement que d’autres groupes comme le TELO (Tamil Eelam Liberation Organisation ; Organisation pour la libération de l’Eelam Tamoul) et le LTTE. Ceci tenait à l’idéologie du mouvement qui adoptat une approche maoïste visant à construire des bases populaires avant d’intensifier la lutte armée, avec pour conséquence que les gros de ses militants restèrent dans leurs camps du Tamil Nadu. De plus, si entraîner des militants en nombre était une chose, les armer en était une autre. En effet, les Indiens ne livraient que des quantités réduites d’armes et de munitions afin de garder la bride sur le coup des groupes insurgés qu’ils soutenaient.


L’emprise d’Uma Maheshwaran sur le mouvement qu’il avait fondé se fit de plus en plus autoritaire alors que dans le même temps, celui-ci se brouillait avec les personnalités les plus puissantes du Tamil Nadu ainsi qu’avec les services de renseignement indiens. Les conséquences ces faux-pas ne tardèrent pas à se faire sentir. Au début de 1985, une cargaison d’armes acquise à grands frais par le mouvement fut saisie dans le port de Madras par les autorités indiennes, qui refusèrent de la restituer à ses destinataires malgré leurs appels désespérés. Pire encore, nombre de militants commencèrent à se plaindre de leur inactivité forcée dans les camps du Tamil Nadu, ce qui déclencha en retour plusieurs vagues de purges et d’exécutions sommaires. Du fait de ces facteurs, le mouvement était déjà largement sur le déclin dès le début de 1986. 

A  la mi-1987, la guerre civile sri-lankaise connut un tournant majeur lorsque les Indiens imposèrent un accord de paix à la fois au gouvernement de Colombo et aux groupes indépendantistes tamouls. Ce dernier ne satisfaisait ni les uns ni les autres, puisque celui-ci garantissait l’intégrité territoriale du pays – un anathème pour des mouvements farouchement indépendantistes comme le LTTE - tout en prévoyant l’octroi d’une certaine autonomie aux régions à fort peuplement tamoul – ce qui, aux yeux de courants d’opinions très influents dans la population singhalaise, présentait le risque qu’une telle autonomie ne présente qu’une étape avant une sécession en bonne et due forme. L’accord prévoyait aussi le déploiement d’une force indienne de maintien de la paix, l’IPKF (Indian Peace Keeping Force). Si l’ensemble des groupes tamouls les plus importants, y compris le PLOT, étaient signataires de l’accord, les tensions crûrent rapidement entre les Indiens et le LTTE et débouchèrent sur une guerre ouverte en octobre 1987. Les affrontements allaient perdurer jusqu’au retrait de l’IPKF en mars 1990.


Les « Denard » tamouls


Uma Maheshwaran et Abdullah Luthufi s’accordèrent afin d’associer les ressources en combattants entraînés de l’un et les appuis locaux de l’autre afin de renverser le président Maumoon Abdul Gayoom. Les motivations du second étaient évidentes puisqu’il n’avait pas les ressources nécessaires pour s’emparer seul du pouvoir, tandis qu’Uma Maheshwaran, qui avait tenu le Poliburo et le Comité central du PLOT à l’écart, invoqua le devoir internationaliste de solidarité entre opprimés pour justifier sa décision. Surtout, une fois Abdullah Luthufi arrivé au pouvoir, les Maldives devaient mettre à disposition du PLOT une île inhabitée qui devait lui servir de base arrière, et notamment de se faire livrer en toute sécurité d’éventuelles cargaisons d’armes, qui seraient ensuite réacheminées vers le Sri Lanka au moyen de petites embarcations. L’exécution de l’opération fut confiée à deux cadres expérimentés du mouvement, dont les alias étaient Vasanthi et Farook, placés à la tête d’un groupe de quatre-vingts militants.

Emblème du PLOT
L’emploi d’une force d’attaque aussi réduite était rendue possible par la faiblesse de l’appareil sécuritaire maldivien. Le National Securiy Service (NSS), chargé de la défense du pays aussi bien que de la sécurité intérieure, ne comptait en tout et pour tout en 1983 que 700 hommes, au demeurant mal équipés. Le NSS comprenait une composante aérienne alignant deux avions, des garde-côtes et les douanes. Les préparatifs de l’opération allèrent bon train, et durant des mois, des militants s’infiltrèrent aux Maldives afin de reconnaître les emplacements stratégiques de la capitale.  Dans le même temps, des militants du PLOT basés en France s’efforcèrent d’acquérir un navire qui devrait permettre d’acheminer le groupe d’attaque à proximité de Malé en toute discrétion. Qui plus est, le bâtiment aurait pu ensuite être utilisé pour transporter des cargaisons d’armes, à l’image de ce qu’avait déjà entrepris le LTTE quelques années auparavant. Le projet avorta cependant car le navire fut saisi par les autorités françaises à la suite du non-paiement de primes d’assurance.


Faute de mieux, les militants du PLOT durent se résoudre à capturer deux chalutiers au large du port de Kalpitiya au Sri Lanka, avant de mettre le cap sur les Maldives avec une quarantaine de militants à bord de chaque embarcation. Le premier groupe était dirigé par Vasanthi et devait s’emparer de l’unique base militaire de Malé. Il incluait une équipe, dirigée par Babu, dont la mission consistait à s’emparer de la station radio de l’île ainsi que de son central téléphonique. Le second groupe, commandé par Farook, devait s’emparer du Président et du Ministre de la Défense. Les militants du PLOT devaient être rejoints dès leur arrivée par des Mauriciens fidèles à Abdullah Luthufi. Les deux chalutiers débutèrent leur voyage le 30 octobre 1988, mais furent retardés par une météo exécrable et n’atteignirent les Maldives qu’au petit matin du 3 novembre.

Le détachement de Vasanthi accumula les déboires. L’unique radio du groupe fut perdue lors de l’accostage, rendant aussitôt toute communication avec le second détachement impossible. Les militants croisèrent ensuite des policiers durant leur progression vers la base du NSS, suscitant un échange de coups de feu qui alertèrent le camp. Arrivés devant leur objectif, les militants furent accueillis par les tirs de la garnison, qui tuèrent Vasanthi et les forcèrent à se limiter à assiéger la base au lieu de l’investir. Le groupe dirigé par Babu fut tout autant malchanceux. S’il parvint sans encombre devant le bâtiment abritant la radio et le central téléphonique, il ne put pas à y pénétrer faute de disposer de charges explosives suffisamment puissantes pour forcer la porte d’acier permettant d’y entrer, avec des conséquences qui allaient s’avérer fatales pour l’ensemble de l’opération.


Les tirs découlant de l’action du détachement Vasanthi alertèrent les gardes du corps du président Maumoon Abdul Gayoom, qui l’évacuèrent aussitôt dans une maison anonyme, et ce avant que le groupe dirigé par Farook ne soit parvenu devant la résidence présidentielle. Les militants se lancèrent aussitôt dans une recherche désespérée de leur cible, mais en vain. A 7h00 du matin, mettant à profit le fait que les communications entre l’île et le reste du monde restaient ouvertes, le Président lança des appels au secours à l’ensemble des puissances amies susceptibles de lui prêter secours, soit les USA, la Grande-Bretagne, la Malaisie, le Pakistan, le Sri Lanka et l’Inde.


New Delhi à la rescousse


Le Pakistan, la Grande-Bretagne et la Malaisie n’étaient pas en mesure d’intervenir pour des raisons politiques ou capacitaires. En revanche, les Etats-Unis disposaient de moyens conséquents situés à proximité, soit sur la base de Diego Garcia, et un de leurs avions aurait survolé Malé peu après.


A New Delhi, l’arrivée de la demande du Président maldivien vers 6h00 du matin fit l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière. Une réunion de crise impliquant les personnages les plus importants du gouvernement et des forces armées, Premier Ministre Rajiv Gandhi inclus, se tint dans la matinée. Au cours, de celle-ci, décision fut prise de refuser une proposition de Colombo consistant à acheminer des troupes sri-lankaises au moyen d’appareils de transport de l’Indian Air Force (IAF). Dans le même temps, Rajiv Gandhi ordonna une intervention militaire indienne dans les plus brefs délais. En effet, les Maldives étaient considérées comme partie de la zone influence naturelle de New Delhi et il était de ce fait capital de préempter toute intervention d’une puissance tierce dans celle-ci.  La mission fut confiée à la 50 Parachute Brigade, la seule unité de ce type de l’armée indienne, car seule une opération aéroportée était susceptible de prendre place suffisamment rapidement. 

Carte de l'opération Cactus (capture d'écran via youtube)


La brigade, basée à Agra et commandée par le Brigadier Farooq Bulsara, fut aussitôt alertée. Celle-ci se trouvait en mauvaise posture puisque aucun de ses trois bataillons n’était intégralement disponible.  Une compagnie du 3 Para était à Lucknow pour des missions de garde, deux compagnies du 6 Para étaient employées à la protection de l’Arsenal d’Agra alors que l’ensemble du 7 Para était engagé dans un exercice. Si les deux compagnies du 6 Para furent immédiatement rappelées, à la fureur des responsables de l’arsenal puisque aucune relève n’avait pu être organisée, il fut décidé, au vu des contraintes de temps, que le premier échelon de l’opération contre les Maldives serait constitué de deux compagnies renforcées, l’une issue du 3 Para et l’autre du 6 Para, soit un total de 400 hommes. Les deux éléments seraient suivis par le reste du 6 Para puis par le reste de la brigade. 

La planification de l’opération s’avéra immédiatement hasardeuse, puisque les officiers en charge ne purent s’appuyer que sur des cartes touristiques et des albums-photos pour élaborer leurs plans. Qui plus est, les renseignements disponibles sur l’ennemi étaient extrêmement imprécis, puisque les estimations quant à son effectif variaient entre 150 et 400 hommes. Les militaires indiens avaient au demeurant appris à ne pas sous-estimer le danger représenté par les indépendantistes sri-lankais car une année auparavant, le LTTE avait infligé de très lourdes pertes aux troupes indiennes engagées au Sri Lanka. Pour aggraver le tout, une incertitude demeurait quant à l’aéroport international desservant Malé, puisque la possibilité que l’ennemi en prenne le contrôle avant l’arrivée des soldats indiens, et ce même si il était encore en mains mauriciennes au moment de leur départ. Dans un tel cas, le seul moyen d’en reprendre le contrôle eut été un largage de parachutistes, qui avait toutes les chances de tourner au désastre. D’une part, la brigade ne disposait à cet instant que de 60 parachutes immédiatement utilisables alors que d’autre part, la superficie de l’île de Hulule est si réduite qu’il était pratiquement inévitable qu’un nombre important de parachutistes ne terminent leur saut dans la mer au lieu de la terre ferme, et ne s’y noient, et ce d’autant plus que la force du vent y atteignait 20 km/h. Le taux de survie en cas de largage sur Hulule était estimé à 70 %, mais, faute d’alternatives, les Indiens décidèrent de prendre le risque. Une fois l’aéroport sécurisé, les parachutistes devaient s’emparer d’embarcations avant de traverser les 15 kilomètres séparant les îles de Hulule et de Malé.


 L’opération Cactus


L’opération, baptisée Cactus, débuta le 3 novembre peu avant 17h00 avec le décollage de la première vague d’attaque de l’aéroport d’ Agra à bord de Friendly One et Friendly Two -  l’indicatif radio des deux Il-76 du 44th Squadron de l’IAF chargés du transport des deux compagnies renforcées. Le vol se déroula sans encombre, et peu avant leur arrivée à destination, les radios de l’Il-76 de tête captèrent une transmission des NSS confirmant qu’elles tenaient toujours l’aéroport, au grand soulagement du Brigadier Bulsura, qui put enfin écarter l’option d’un largage suicidaire de ses 60 parachutistes. Sa décision fut confortée lors de l’approche finale lorsque les lumières de la piste s’allumèrent dix secondes avant de s’éteindre, ce qui correspondait au code convenu avec le NSS. Peu avant 22h00, la paire d’Iliouchine avait atterri, après un vol de 4 heures et 44 minutes, et les parachutistes se précipitèrent afin de sécuriser le terminal, puis l’ensemble de l’île, sans rencontrer d’opposition sérieuse. Le seul incident étant un échange de tirs avec un petit groupe de militants du PLOT qui tentèrent de débarquer sur Hulule au même moment.

Les parachutistes indiens à Hulélé, avec en arrière-plan un An-12 de l'IAF (capture d'écran via youtube)


Après avoir mis la main sur plusieurs Dhonis amarrés le long de l’île, les Indiens lancèrent aussitôt l’attaque sur Malé. Il fallait en effet faire vite car les appels au secours du président maldivien se faisaient de plus en plus pressants ; des militants tamouls étaient en train de fouiller le quartier  où se situait sa cachette.

Deux éléments embarquèrent donc dans les bateaux saisis et mirent le cap sur l’île-capitale. Une compagnie du 6 Para établit bientôt une tête de pont au Sud-Est de Malé, tandis qu’un peloton embarqué sur deux Dhonis avait fait diversion en avançant vers la jetée principale de l’île, faisant mine de vouloir y débarquer et échangeant ce faisant des tirs nourris avec des membres du PLOT. Pendant ce temps, la compagnie, qui avait débarqué sans opposition, dépêcha des éléments qui s’infiltrèrent dans la ville et rejoignirent le Président à 2h10 du matin le 4 novembre, avant de l’exfiltrer malgré les réticences initiales de ses gardes du corps.

A l’aube, une noria d’An-12 et 32 et d’Il-76 de l’IAF avaient transporté à Hulule le reste des 3 et 6 Para ainsi que l’Etat-Major de la brigade et plusieurs hélicoptères Mi-8, qui furent utilisés pour acheminer des troupes dans la capitale. Malé fut rapidement sécurisée sans difficulté. Les Indiens capturèrent une trentaine de militants et d’opposants locaux, tandis que des Mirage 2000 survolaient la ville. Quatre militants tentèrent de s’échapper à bord d’une embarcation, mais furent capturés après un bref échange de tirs par une section du 6 Para qui patrouillait les eaux entourant l’île à bord d’un bateau. 


A la poursuite du MV Progress Light


L’aisance avec laquelle les parachutistes indiens reprirent le contrôle de Malé s’explique aussi par le fait qu’au moment de leur atterrissage à Hulule, une partie des militants du PLOT, parmi lesquels se trouvait Abdullah Luthufi, avait déjà conclu à l’échec de leur opération et avaient décidé de s’exfiltrer. Le groupe s’empara d’un navire marchant mouillé dans le port de Malé, le MV Progress Light, s’assura de la coopération de son équipage, et captura sept autres otages – y compris un ministre maldivien et sa belle-mère de nationalité suisse – avant de prendre la fuite. Le MV Progress Light appareilla le 4 novembre à 00h10 avant de passer à proximité de Hulule puis d’accéder à la pleine mer. Les soldats indiens postés sur Hululé aperçurent le navire et tirèrent plusieurs roquettes de Karl Gustav contre celui-ci, mais sans parvenir à prévenir sa fuite.

Après plusieurs heures, des avions de patrouille maritime de l’Indian Navy furent dépêchés à la poursuite des fuyards. Un Il-38 repéra le MV Progress Light alors qu’il était encore à une quarantaine de miles de Malé. Ce dernier mit cap au Nord après avoir aperçu le quadrimoteur indien, dans l’espoir de rallier les côtes sri lankaises et d’échapper à ses poursuivants. Les Il-38 et Tu-142M des Indian Naval Air Squadron (INAS) 312 « Albatross » et 315 « Wing Stallions » se succédèrent ensuite afin de surveiller en permanence le cargo.  Surtout, la frégate INS Godavari, qui revenait d’une visite en Australie et en Nouvelle Zélande, ainsi que la frégate-école INS Betwa, reçurent l’ordre de se lancer à la poursuite du MV Progress Light et l’interceptèrent durant l’après-midi du 5 novembre.

La frégate INS Godavari (via wikicommons)

L’INS Godavari, commandée par le Captain S.V Gopalachari, établit un contact radio avec les fuyards mais ceux-ci sommèrent les marins indiens de rester à une distance de six miles, faute de quoi ils exécuteraient des otages. Bien que craignant que les militants tamouls ne cherchent à gagner du temps afin de pouvoir s’échapper en hors-bords, les Indiens se plièrent dans un premier temps à cet ultimatum et se contentèrent de suivre le cargo à bonne distance durant plusieurs heures. Les événements se précipitèrent lorsque les services de renseignements indiens firent état de l’appareillage de bâtiments de la Sri Lanka Navy du port de Colombo, avec ordre de couler le MV Progress Light si celui-ci arrivait à moins de 100 miles des côtes Sri-Lankaises. L’INS Godavari reçut alors l’ordre de stopper le cargo et, aux alentours de minuit, se rapprocha rapidement de celui-ci.  Les militants mirent leur menace à exécution et firent monter deux de leurs otages sur le pont avant de les exécuter puis de jeter leurs corps à la mer après les avoir attachés à des bouées de sauvetage.
  

La réaction indienne ne se fit pas attendre et l’une de batteries anti-aériennes AK-230 de 30mm de la frégate ouvrit le feu, touchant le mât de charge du cargo et faisant tomber le hors-bord soutenu par celui-ci dans la mer et avec lui, la dernier espoir des militants de s’échapper. Les deux bâtiments indiens poursuivirent ensuite leurs tirs, ceinturant délibérément le MV Progress Light de geysers. L’hélicoptère Sea King de la frégate se joignit à la démonstration de force en larguant des grenades anti-sous-marines à proximité du navire marchand, dont les détonations le secouèrent de bout en bout et ce tandis que des Alizés du INAS 310 survolaient à leur tour les lieux à basse altitude. Même si les tirs indiens ne le visaient pas directement, le cargo fut touché par une pluie d’éclats d’obus qui tuèrent quatre autres otages tandis que certains militants du PLOT paniquèrent. Trois d’entre eux sautèrent par-dessus bord avait qu’Abdullah Luthufi et ses hommes ne décident de se rendre. Les Indiens leur ordonnèrent de se regrouper sur le pont à l’écart des otages survivants, puis leurs commandos abordèrent le bâtiment, concluant ainsi l’opération avec succès. Les gros de la 50 Parachute Brigade avaient été rapatriés le 16 novembre, ne laissant qu’un contingent limité de 300 hommes qui resta sur place durant une année.

Le pari réussi de New Delhi


En tout et pour tout, un seul membre des forces armées indiennes fut blessé durant l’opération Cactus. Cette dernière fut saluée dans le monde entier et largement perçue comme symptomatique de l’accession de l’Inde au rang de grande puissance.  De fait, la réaction extrêmement rapide de New Delhi lui permit d’atteindre son objectif stratégique majeur consistant à éviter l’intrusion de puissances tierces dans sa zone d’influence. Il s’en était d’ailleurs fallu de peu puisque selon les sources indiennes, une Task Force américaine forte de trois croiseurs, d’un porte-hélicoptères et accompagnée par un destroyer britannique, avait signalé sa présence à quatre heures de navigation de Malé é 8 heures du matin le 5 novembre avant de se voir refuser la permission d’accoster. 

Pourtant, ce succès correspondait à une prise de risque énorme, ce dont les dirigeants indiens avaient conscience. En effet, une année auparavant, une opération de  commandos visant à capturer les dirigeants du LTTE  avait tourné à la catastrophe, avec notamment l’anéantissement d’un peloton entier d’infanterie indienne. Hors, les deux compagnies para déployées en premier à Hulule étaient exposées de facto au même sort puisque les Indiens ignoraient alors  l’effectif réel et le groupe d’appartenance des combattants  tamouls alors actifs à Malé.




Bibliographie

Sushant Singh, Mission Overseas: Daring Operations by the Indian Military, Juggernaut Publication, 2017

Group Captain (Retd) A.G Bewoor, Code word Hudia, SP’S Aviation, issue 10, 2008

Shirley Candappa, How the PLOTE led by Umamaheswaran Tried to Overthrow Govt of Maldivian President Gayoom in 1988, Daily Mirror, via http://dbsjeyaraj.com/dbsj/archives/43795
, consulté le 30 août 2017

http://countrystudies.us/maldives/2.htm , consulté 28 août 2017


http://thecommonwealth.org/our-member-countries/maldives/history  consulté 28 août 2017


Nilova Roy, Maldives Rebel: Political Ambition Led To Coup Attempt, Associated Press, Nov. 7, 1988 


Directorate of Intelligence 16 February 1983, Maldives : Small but Strategic real estate


Shekhar Gupta, India Today, 30 novembre 1988

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