A partir
de 1929, la situation générale de l'Allemagne connaît un profond
changement à la suite du krach boursier américain. La crise
économique qui frappe le pays se manifeste par une hausse importante
du chômage. Elle entraîne également un processus de radicalisation
politique qui se traduit au quotidien par la montée de la violence
politique, surtout entre communistes et nazis. L'un des enjeux
majeurs de cette lutte est le contrôle de la capitale du Reich,
Berlin. Pour les communistes, la ville rouge, est un bastion qui doit
faire rayonner le communisme sur toute l'Allemagne. Pour les
nationaux-socialistes, dont le mouvement est alors essentiellement
bavarois, s'imposer à Berlin est indispensable pour apparaître
comme une véritable force nationale.
Berlin
devient un champ de bataille entre deux
mouvements pour qui l'usage de la force est jugé comme
légitime dans le cadre de la compétition politique. Cette
guerre de rue dure jusqu'en 1933 et le moment où les nazis
s'emparent du pouvoir pour utiliser la violence d'État afin
d'écraser impitoyablement leurs adversaires.
Il ne
s'agit pas ici de faire le récit de quelques rixes mais de montrer
les phases d'un conflit urbain de basse intensité. De mai 1930 à
novembre 1931 ce ne sont pas moins de 31 personnes qui trouvent la
mort dans des combats de rue à Berlin. Le nombre des blessés est
infiniment plus élevé et cela dans la capitale d'une démocratie
parlementaire en temps de paix.
David FRANCOIS
Les nazis s'implantent
à Berlin.
Le 7 novembre 1926,
un homme de 29 ans descend du train à la gare de Berlin-Anhalter
avec pour mission de conquérir Berlin. Il s'agit de Joseph Goebbels
qui vient d’être nommé Gauleiter, c'est à dire chef régional,
du Parti nazi à Berlin. La mission qui lui est confiée semble à
priori difficile voire même impossible.
Quand
Goebbels arrive à Berlin, le Parti nazi ne compte que 49 000 membres
dans toute l'Allemagne et seulement une centaine dans la capitale du
Reich. L'organisation nazie dans la ville est inexistante. Le siège
du mouvement se trouve dans une cave sombre et enfumée de la
Potsdamerstrasse. Avant la fin de l'année Goebbels loue un nouveau
local plus présentable sur la Lützowstrasse et expulse les bons à
rien et les fauteurs de troubles pour mobiliser le reste des
militants. Moins d'une semaine après son arrivée,
il organise une marche dans le quartier ouvrier de Neukölln, bastion
communiste, qui dégénère rapidement en bagarres de rue.
Goebbels en 1926 (source alphahistory.com)
Dans les
années 1920, Berlin est selon les mots mêmes de Goebbels, « la
ville plus rouge d'Europe en dehors de Moscou ». Les partis
marxistes, c'est à dire le Parti social-démocrate (SPD) et le Parti
communiste (KPD) remportent plus de 52% des suffrages aux élections
municipales de 1925. La tache que se fixe le nouveau Gauleiter de
Berlin est à la fois simple et improbable: ravir la suprématie sur
la capitale par le biais d'une attaque frontale contre ses principaux
opposants, les communistes et les sociaux-démocrates.
Pour
symboliser cette ligne Goebbels organise une réunion à la
Pharussäle, une salle de meeting dans le quartier ouvrier de Wedding
et souvent utilisée par le Parti communiste. Cette intrusion dans un
fief rouge est bien entendue considérée comme une provocation et la
réunion qui se tient le 11 février 1927 se transforme en
affrontement violent où les verres de bières et les chaises servent
de projectiles. Mais Goebbels marque des points puisque les quelque
200 communistes présents ont été chassés de la salle.
L'instrument
de la stratégie nazie à Berlin est la SA (Sturm Abteilung) et ses
chemises brunes. La SA est née en 1921 en Bavière et pendant
longtemps elle reste une organisation essentiellement régionale,
principalement en Bavière. A Berlin, elle est issue des restes du
corps-franc Rossbach et ne fait sa vraie apparition qu'au printemps
1926 avec moins de 200 membres sous la direction de Kurt Daluege.
Recrutés principalement parmi les chômeurs, les apprentis et
les employés, les SA sont des « soldats politiques »
dont la tache essentielle réside dans la conquête de la rue. Il
s'agit d'attiser les tensions dans la capitale jusqu'au point de
rupture.
Goebbels
prend aussi pour cible les autorités sociales-démocrates
de la ville, notamment le chef adjoint de la police Bernhard Weiss
qui devient la cible principale d'une campagne antisémite. Goebbels
l'affuble du sobriquet d'Isidore et ne rate aucune occasion de
tourner les policiers en ridicule. Les SA prennent également plaisir
à défiler en chantant des chansons satiriques ou ordurières sur
Isidore. Cette impertinence s'accompagne aussi de chahut. Ainsi lors
de la projection le 5 décembre 1930 du film pacifiste « A
l'ouest rien de nouveau », les SA lâchent des souris dans la
salle du cinéma Mozart qui font hurler les femmes présentes et
nécessitent l'interruption de la
projection. Mais l'essentiel de l'activité de la SA reste la
bataille de rue, là où se forge un sentiment d'unité et de
camaraderie.
Cinq
jours après que Hitler ait tenu son premier discours à Berlin le
1er mai 1927, la police fait interdire le parti nazi dans la
capitale. C'est à ce moment que Goebbels fait la preuve de son génie
dans cette guerre civile insidieuse qui mine la République de
Weimar. Pour cela il s'inspire des mémoires d'un des fondateurs du
Parti social-démocrate, August Bebel, dont le parti a dû affronter
les affres de l'illégalité après l'adoption par Bismarck des lois
anti-socialistes dans les années 1880. Les nazis créent alors
différents groupes et associations: équipes de bowlings, cercles
d'épargnants ou encore clubs de
natation pour continuer à se réunir. Goebbels lance aussi en
juillet 1927 le journal Der Angriff (L'Attaque) pour disposer
d'un moyen de propagande supplémentaire à Berlin.
Les
succès sont d'abord modestes. Lors des élections législatives de mai 1928, seul 1,6% de Berlinois donnent leurs voix
aux candidats nazis. Mais la campagne électorale permet de lever
provisoirement l'interdiction du NSDAP à Berlin et autorise ainsi Goebbels à faire partie des 12 élus nazis au Reichstag. Cette
élection n’entraîne pas l'abandon de la stratégie d'opposition
extraparlementaire menée jusque là, alors que
les nazis continuent à créer des sections dans les quartiers et les
entreprises. En 1928 un premier rassemblement au Sportspalast réunit
plusieurs milliers d'auditeurs. En 1929, au moment des élections
municipales, le NSDAP rassemble près de
6% de suffrages et envoie 13 représentants au parlement de la ville.
La
riposte communiste.
A la fin
des années 1920, les communistes sont les principaux adversaires des
nazis dans la conquête de Berlin. Dirigés par Walter Ulbricht, le
communisme berlinois contrôle les quartiers ouvriers de Neukölln ou
Wedding et peut s'appuyer pour cela sur une organisation
paramilitaire fondée en 1924, le Rot Frontkämpferbund.
Le RFB
est officiellement une organisation d'anciens combattants mais elle
est fondée en 1924 essentiellement pour regrouper les anciens des
Centuries prolétariennes après l'échec de l'insurrection d'octobre
1923. Les militants, dont la moitié ne sont pas membres du KPD,
portent l'uniforme, prêtent un serment de fidélité et défilent au
pas en rang serré. L'organisation compte rapidement des dizaines de
milliers de membres et se dote d'une branche jeune le Rote Jungfront.
Le destin du RFB se joue en 1929 avec le tournant « classe
contre classe »
initié par le Komintern. Ce
dernier se traduit par la
dénonciation de la social-démocratie qui devient dans le
vocabulaire communiste le social-fascisme. Pour Moscou l'Allemagne
entre dans une période d'intensification de la lutte de classe où
l'adversaire le plus dangereux est le SPD
considéré comme l'ultime défenseur du capitalisme. La
confrontation est particulièrement rude à Berlin capitale du Land
de Prusse, gouvernée par les
sociaux-démocrates. Le 1er mai 1929, les combats entre manifestants
communistes et policiers font 33 morts dans la capitale. Peu après
les autorités interdisent le RFB mais ce dernier continue à exister
de manière clandestine et sans uniforme.
Ernst Thälmann dirige une manifestation du RFB en 1927 (source: Wikipedia)
Pendant
que l'activisme communiste a pour cible principale la
social-démocratie, la SA recrute discrètement dans les quartiers
populaires grâce à une propagande qui
insiste sur les éléments antibourgeois du programme nazi.
L'organisation des chemises brunes se développe ainsi
quasi-clandestinement entre mai 1927 et la fin de 1928 où elle
entame la lutte pour les tavernes. Ces lieux sont d'une importance
capitale dans la socialisation populaire. C'est en effet dans les
tavernes que les ouvriers se retrouvent et surtout se politisent. Le
22 août 1929 deux tavernes communistes sont ainsi attaquées
par le SA-Sturm n°5 que dirige le jeune
Horst Wessel. Les attaques se multiplient en septembre puis les mois
suivants. La tension monte progressivement à Berlin et les
affrontements de rue prennent de l'ampleur pour connaître un pic en
février 1930.
La
direction du KPD ne commence à prendre au sérieux la menace
fasciste à Berlin qu'en 1929 et cherche à adapter son organisation
pour lutter contre les nazis. L'attitude des communistes envers la
violence est alors équivoque. Ils ne condamnent pas son utilisation
comme moyen politique mais cherchent à lui donner un caractère de
masse afin de mobiliser l'ensemble du prolétariat dans des actions
de grandes ampleurs contrôlées et maîtrisées par les cadres de la
direction. Mais cette stratégie s'avère inefficace localement et
elle laisse la place à une violence plus individuelle et diffuse qui
repose sur l'existence de bandes réduites.
L'éparpillement
de la violence communiste qui s'opère alors prend aussi sa source
dans la crise économique. Si la violence de masse préconisée par
la direction centrale communiste suppose de mobiliser les ouvriers
rassemblés sur leurs lieux de travail, le développement du chômage
transforme rapidement le KPD berlinois en un parti de sans-emplois.
Le centre de gravité du Parti se déplace alors des usines aux
quartiers ouvriers qui sont déjà la cible de l'activisme nazi. Dans
ces quartiers, l'action de la SA tend à
ébranler les fondements de la domination communiste et menace
également la vie des militants. La violence prolétarienne devient
l'apanage de bandes de jeunes chômeurs qui engagent une guerre des
rues avec les nazis. Souvent d'initiatives locales,
ces combats naissent parfois de manière spontanée sans le contrôle
du parti qui ne peut alors ni désavouer, ni appuyer ces groupes.
Mais cette lutte est vouée à l'échec en raison des conditions où
elle est menée comme le montre l'affaire Wessel.
La
mort de Horst Wessel.
Horst
Wessel est un militant type du parti nazi berlinois de la fin des
années 1920. Né en 1907, ce fils de pasteur échoue lors de ces
études universitaires. Victime de déclassement, il devient
chauffeur et ouvrier et, malgré ses opinions nationalistes, se
déclare socialiste. Il rejoint le Parti nazi en 1926 et s'engage
dans la SA dans le quartier de Bötzow. Le jeune Wessel se fait
rapidement remarquer pour son ardeur et sa motivation, notamment par
Goebbels qu'il rencontre à plusieurs reprises. En 1928, Wessel est
affecté à l'équipe de la SA de l'Alexanderplatz et en 1929 il
prend la direction de la SA-Sturm 5 qui agit dans le quartier ouvrier
de Friedrichshain. Cette équipe se fait remarquer par sa brutalité
mais également pour son prosélytisme parmi les ouvriers, notamment
communistes. Wessel organise ainsi une clique musicale, sur le modèle
de celles dirigées par les communistes, pour animer les
manifestations nazies et qui rencontre un certain succès.
Wessel
fait rapidement parler de lui autour de l'Alexanderplatz, le quartier
de la prostitution et du crime qui est aussi un quartier prolétaire
dominé par les communistes. Pour s'implanter Wessel n'hésite pas à
hanter les tavernes et les bars louches pour faire de la propagande,
recruter des voyous ou retourner des militants du PC. Il devient vite
une figure détestée par les militants communistes. C'est dans l'un
de ses bars qu'il s'entiche d'une prostituée. Pour vivre cette
romance il quitte le domicile parental pour sous-louer une chambre
chez une certaine Elisabeth Salm. Quand Wessel décide que son amie
vivra dorénavant avec lui, les relations avec sa logeuse se tendent
en raison de différents concernant le loyer. Au début de 1930
Élisabeth Salm veut expulser Wessel de l'appartement mais cette
veuve ne sait comment y parvenir. Elle décide de se tourner vers les
anciens camarades de son défunt mari, lui même membre du KPD et du
Rot Frontkämpferbund. Les militants qu'elle rencontre l'écoutent
poliment jusqu'au moment où elle donne le nom de son locataire
indésirable. Wessel possède alors une solide réputation de nazi
accrocheur et persuasif. L'occasion de lui donner une leçon semble
trouvée.
Horst Wessel à la tête de sa section d'assaut défile à Nuremberg en 1929 (source: Bundesarchiv)
Le 14
janvier 1930 un groupe de militants et sympathisants communistes se
rend donc à l'appartement d'Elisabeth Salm. Craignant que Wessel ne
soit armé, ils ont demandé à deux
militants, qui sont également connus pour être des membres du
Milieu, Erwin Rückert et Albrecht Höhler, de les accompagner avec
des armes. Le groupe frappe à la porte de la chambre de Wessel qui
s'y trouve avec sa compagne et une amie. Attendant la visite d'un
camarade de la SA, Wessel ouvre. Höhler lui tire alors une balle en
plein visage. Le jeune SA grièvement blessé est transporté à
l'hôpital où il meurt cinq semaines plus tard le 23 février.
Le KPD se
retrouve alors dans une position difficile car il ne peut assumer ce
meurtre qui a peu à voir avec de la légitime défense. La situation
est d'autant plus délicate que si la violence politique dans les
lieux publics est devenue chose banale et acceptée, l'attaque contre
Wessel est la première du genre à se dérouler dans un lieu privé.
Cela apparaît d'autant plus intolérable à la population que
souvent, communistes et nazis sont voisins de paliers et qu'une trêve
tacite sanctuarise les habitations. Le désavouer publiquement
signifierait à contrario que le Parti ne contrôle pas les
initiatives militantes de sa base. La direction communiste berlinoise
réunit le commando qui a réalisé l'attaque pour le prévenir
qu'elle fera abattre celui qui voudrait parler de l'affaire. La
presse communiste affirme qu'il ne s'agit que
d'un règlement de comptes entre souteneurs et fait pression
sur Höhler pour qu'il témoigne en ce sens.
La mort
de Horst Wessel, dont les funérailles sont l'occasion d'une
formidable démonstration nazie organisée par Goebbels, n'entrave
pas le développement du national-socialisme dans la capitale du
Reich. Il attire au contraire de nouveaux adhérents pour qui Wessel
apparaît comme un martyr. Le nombre de tavernes berlinoises
contrôlées par les nazis, qui sont autant de bases de départ que l'enjeu d'une lutte féroce avec les
communistes, quintuple entre 1928 et 1931. La SA dirigée par Walter
Stennes compte près de 3 000 membres
dans la capitale. Le 10 septembre 1930, 100 000 personnes se trouvent
réunies à l'extérieur du Palais des Sports dans l'espoir
d'entendre le discours que fait Hitler. Quatre jours plus tard, le
Parti nazi, avec 18% des voix aux élections législatives, devient
le troisième parti de la capitale après les communistes et les
sociaux-démocrates. Il rassemble surtout dix fois plus que voix
qu'en 1928.
Les
communistes ne tirent aucun avantage de la mort de Wessel puisque le
KP refuse d'endosser sa responsabilité et de faire des tueurs des
héros antifascistes. Les autorités prennent au contraire prétexte
de la mort de Wessel pour redoubler la répression contre les
organisations communistes dont le RFB qui continue à fonctionner de
manière clandestine comme une élite militaire. De nouvelles
formations naissent également pour encadrer militairement les
militants comme l'Antifaschistische Junge Garde fondée en juillet
1929 mais qui se trouve rapidement décimée par la répression
policière.
La
bataille des tavernes
A partir
d'avril 1931, les communistes lancent une campagne contre le réseau
des tavernes qui s'infiltrent de plus en
plus profondément dans les quartiers ouvriers. Les patrons de ces
tavernes ont toujours mis leurs établissements à la disposition des
réunions communistes ou social-démocrates. Les auditoires sont
autant de consommateurs mais avec la crise les clients se font plus
rares et ceux qui viennent aux réunions politiques dépensent moins.
Des patrons répondent donc favorablement aux sollicitations des
nazis qui, en échange d'une clientèle régulière et solvable car
appointée par le parti, demandent d'utiliser les tavernes comme des
casernes pour les SA, des bases brunes en territoire rouge. Pour les
communistes la fermeture de ces tavernes devient un objectif tactique
essentiel. Le 9 septembre à Kreuzberg une attaque coûte la vie à
une sentinelle nazie mais c'est au mois d'octobre que les communistes
lancent une vaste offensive sur le quartier de Neukölln contre les
tavernes tenues par les nazis.
Ces
attaques sont bien préparées et perpétrées par de petits groupes
qui agissent comme des commandos. Elles se déroulent selon un schéma
que résume bien l'action organisée le 15 octobre 1931 contre une
taverne de la Richardstrasse. Les militants des organisations
antifascistes dirigées par les communistes convoquent une
manifestation de masse à environ un kilomètre de la taverne dans le
but de détourner l'attention de la police. Durant ce temps un petit
groupe armé dirigé par un dirigeant local du KPD se dirige vers la
taverne. Dans la rue entre 30 et 50 personnes s'approchent de la
taverne et crient « A bas le fascisme » et chantent
l'Internationale. Quand le patron de la taverne et les SA sortent
dans la rue, le cortège s'arrête et un coup de feu est tiré.
Quatre à cinq hommes tirent alors une vingtaine de coups de feu
tandis que la foule de manifestants se disperse et que les tireurs
prennent la fuite.
Le raid
est apparemment un succès puisque le patron a été tué et la
taverne fermée. En octobre et novembre 1931 ces attaques coûtent la
vie à 14 nazis contre six communistes ce dont se félicitent les
dirigeants communistes berlinois. Mais trois mois après sa
fermeture, la taverne de la
Richardstrasse ouvre à nouveau ses portes tandis que la police a
arrêté 22 personnes impliquées dans son attaque. Les
manifestations du KPD contre ces tavernes sont aussi de plus en plus
soigneusement attaquées par les SA et la police. Les communistes
sont alors en infériorité tandis que les tavernes nazies
prospèrent. Les actions des combattants rouges ne font pas non plus
l'unanimité au sein de la direction du KPD et leur utilité ainsi
que les méthodes de lutte employées
font l'objet de vifs débats.
Défilé communiste dans le quartier de Wedding (source: Berlin.de)
La
résolution de novembre 1931.
A l'été
1931 la situation du Parti communiste est des plus précaires
puisqu'à la limite de la légalité, surtout
après le meurtre de deux responsables de la police berlinoise dans
le cadre de la campagne pour le référendum demandant la dissolution
du gouvernement prussien social-démocrate. La police porte alors des
coups de plus en plus rudes au KPD et l'activisme antinazi ne peut
qu'inciter un peu plus le gouvernement à jeter les communistes dans
une illégalité que refuse la direction. A la suite de rencontres à
Moscou entre les dirigeants allemands et ceux du Komintern, la
Centrale du KPD adopte la résolution du 31 novembre 1931 qui fait la
distinction dans la lutte contre les nazis entre les actions de masse
encouragée et la terreur individuelle qui est fortement condamnée.
La direction craint en effet que la spontanéité qu’entraîne
cette dernière ne finisse par nuire à la discipline militante.
La
résolution provoque une rupture au sein du mouvement communiste et
déjà au sein de la direction. Heinz Neumann y est hostile. Pour lui
les actions des groupes locaux n'ont pas besoin de recevoir l'accord
des organes centraux pour être efficaces. Un système de commandement
trop centralisé ne peut en outre que freiner les actions défensives
dans les quartiers ouvriers contre les attaques nazies. Neumann est
néanmoins mis en minorité et sera bientôt évincé de la
direction. Mais plus grave est
la rupture qui se produit avec les militants de base qui affrontent
les SA dans la rue et qui accusent de lâcheté et de trahisons les
dirigeants. Surtout la résolution ne met pas fin aux actes
d'indiscipline et les groupes de combats locaux posent dorénavant un
problème politique délicat. Pris dans l'engrenage de la logique œil
pour œil contre les nazis ils développent des comportements proches
de ceux des gangs, basés sur la défense d'un territoire par la
violence. Le KPD en vient donc, contrairement au marxisme orthodoxe,
à exercer son hégémonie, non sur les usines, mais sur les marges
des quartiers populaires. A coté du militant modèle, le jeune
ouvrier politisé, gravite dans les organisations communistes un
lumpenprolétariat qui flirte avec la délinquance. Des bandes de
jeunes existent depuis longtemps dans les grandes villes allemandes
mais avec la crise de 1929 ils tendent à se politiser et rejoignent
en particulier des formations paramilitaires, nazies ou communistes.
Le mélange explosif né de cette rencontre est condamnée par la
direction communiste d'autant qu'elle cherche alors à séduire les
ouvriers acquis au nazisme.
La police observe un défilé de la SA à Berlin (source: art.com)
Les
dirigeants communistes sont en effet conscients que les nazis ont
brisé le monopole de la contestation ouvrière qu'ils possédaient
jusqu'alors. Là où la violence ne donne pas de résultats probants
le KPD change donc de tactique et Berlin devient un champ
d'application privilégié. Le 1er novembre 1931, la
direction communiste de la région de Berlin-Brandebourg salue les
« travailleurs nationaux-socialistes » et les partisans
ouvriers des nazis qui combattent honnêtement le capitalisme. Les
communistes reconnaissent ainsi que les nazis ont réussi à
s'implanter dans la classe ouvrière berlinoise contestant leur
monopole sur ce terrain. La SA ouvre en effet des soupes populaires
et à Noël les militants nazis au chômage sont invités à passer
les fêtes chez les militants ayant un emploi.
En 1932,
le parti nazi fait une percée décisive à Berlin puisqu'il compte
près de 40 000 membres. En mars,
il réussit à réunir 80 000 personnes dans le parc du Lustgarten.
Le 4 avril, 200 000 personnes assistent à un meeting en plein air
d'Hitler. L'influence des nazis progresse y compris dans les
entreprises. En novembre 1932, ils organisent avec les communistes
une grève contre la réduction des salaires des employés des
transports publics berlinois. Des piquets de grève communs voient
même le jour. Cette action renforce l'implantation nazie dans les
quartiers ouvriers de la capitale. Cette année,
la SA sous les ordres de Heinrich von Helldorff regroupe à Berlin
plus de 16 000 membres. Après une interdiction d'avril à juillet,
la SA, sûre d'elle-même, installe la violence dans les rues,
contribuant à l'aggravation de la crise politique que vit
l'Allemagne à l'hiver 1932-1933.
Malgré
les détours et tournants de la ligne officielle, largement dictée
par Moscou, les militants communistes continuent à vouloir tenir,
par la force, la rue. Ils organisent pour cela des formations
militaires de tailles variables. Les Rote Betriebswehren ont pour
domaine privilégié les entreprises tandis que la rue est celui du
Kampfbund gegen der faschismus où se retrouvent d'ailleurs des
anciens du RFB. Cette organisation qui connait son apogée au début
de 1931 décline par la suite et le flambeau est repris par
l'Antifaschistiche Aktion qui nait à Berlin le 12 juillet 1932.
Ces
groupes poursuivent le combat jusqu'en janvier 1933. Quand les SA
fêtent l'arrivée d'Hitler à la Chancellerie par des défilés aux
flambeaux, les groupes communistes mènent la résistance notamment
dans les quartiers ouvriers. Une fusillade à Charlottenburg cause la
mort d'un policier et d'un SA. Mais ce ne sont là que
des actes isolés. Le degré de violence de la persécution
nazie à travers les arrestations arbitraires et l'ouverture des
camps de concentration entraînent rapidement la disparition des
résidus des groupes de combat communistes.
Bibliographie.
James
M. Diehl, Paramilitary Politics in Weimar Germany, Indiana
University Press, 1977.
Eve
Rosenhaft, Beating
the Fascists ? The German Communists and Political Violence,
1929-1939,
Cambridge University Press, Cambridge, 1983.
Dirk
Schumann, Political
Violence in the Weimar Republic, 1918-1933: Fight for the Streets and
Fear of Civil War, Berghahn
Books, 2009 (ce livre est initialement paru en allemand en 2001).
Daniel
Siemens, The
Making of Nazi Hero. The murder and myth of Horst Wessel, I.B.Tauris, 2013, (ce livre est paru initialement en allemand en 2009).
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