La
série télévisée Les Têtes Brûlées1
a fait de l'escadrille VMF-214, opérant dans le Pacifique sud sur
Corsair, un groupe de bagarreurs et de voyous ayant échappé
à la cour martiale, menant une guerre presque paradisiaque, sous les
palmiers, en compagnie de jolies infirmières, et de temps en temps,
des Japonais. On s'en doute, la réalité est un peu moins
romantique. En réalité, la postérité de la VMF-214 se confond
surtout avec celle d'un de ses commandants, le légendaire Gregory
« Pappy » Boyington, dont l'autobiographie écrite
après la guerre est truffée d'approximations et de quelques
mensonges, et qui a servi de manière assez lâche de source
d'inspiration pour la série télévisée. Les pilotes de Marines
ont en fait opéré sur une machine formidable mais difficile à
manipuler, le F4U Corsair. Le Pacifique sud, bien que
paradisiaque par certains côtés, n'en est pas moins un milieu
hostile, où les bactéries et les insectes provoquent parfois plus
de pertes que la guerre, et où les pilotes abattus peuvent mourir de
soif ou d'insolation dans leur canot de sauvetage perdu dans les
immensités de l'océan. En outre, l'histoire de la VMF-214, comme on
va le voir, ne se résume pas qu'à la période de commandement de
« Pappy » Boyington : elle opère sur un
théâtre d'opérations et durant une période qui restent, toutes
proportions gardées, moins connus que l'offensive américaine menée
par Nimitz dans le Pacifique central à partir de novembre 1943.
Retour sur une escadrille de légende de l'US Marine Corps
pendant la guerre du Pacifique.
Stéphane Mantoux
Un
avion : le F4U Corsair...
En
1938, l'US Navy ouvre une compétition pour un projet de
chasseur à haute vitesse, capable d'évoluer à haute altitude. Elle
accepte le choix d'un moteur radial, à condition qu'il soit puissant
et monté sur un appareil suffisamment petit pour être embarqué sur
porte-avions. Vought-Sikorsky Aircraft remporte la compétition
avec son VB-166 (dessiné par le chef ingénieur de Vought, Rex
Biesel) muni d'un moteur si puissant que l'hélice tripale est, elle
aussi, de grande dimension. Or cela nécessite un train
d'atterrissage très élevé qui va à l'encontre des atterrissages
sur porte-avions. D'où l'aile en mouette pour obtenir un train plus
court. Monoplace, le nouveau chasseur, grâce à son moteur Pratt &
Whitney, est l'un des plus rapides de sa catégorie. Le surnom de
Corsair lui est attribué dans la tradition de Vought, qui a
déjà baptisé au moins deux appareils précédents de ce surnom.
L'innovation la plus importante est cependant le dessin d'aile de
mouette. L'US Navy, séduite par le prototype, accepte le
chasseur dès février 1939. Au départ, le XF4U-1 est armé de deux
mitrailleuses cal. 30 dans le nez et de deux mitrailleuses de cal. 50
dans les ailes. Conçu pour être embarqué sur porte-avions, le
Corsair est aussi armé de bombes sous les ailes et le
fuselage central pour les larguer sur des formations de bombardiers,
en visant par une vitre disposée sur le plancher du cockpit !
![]() |
Le prototype du Corsair, le XF4U-1, dont on remarque le cockpit très avancé-Source : Wikipédia. |
L'appareil
effectue son premier vol le 29 mai 1940 et donne satisfaction. Le
XF4U-1 atteint déjà les 650 km/h. Il faut cependant améliorer la
visibilité du pilote en modifiant la verrière et corriger une
tendance à pencher à gauche à l'atterrissage. Son taux de roulis
et sa vitesse en font pourtant un des meilleurs chasseurs au monde.
Le Corsair comprend déjà des ailes repliables, des
réservoirs de carburant dans les ailes et des flotteurs intégrés
en cas d'amerissage forcé. Pour compenser la tendance à virer à
gauche à l'atterrissage, un petit triangle de poids supplémentaire
est finalement installé au bout de l'aile droite. Finalement, 584
XF4U-1 sont commandés. Le poste de pilotage est décalé un peu en
arrière et le Corsair embarque désormais 3 mitrailleuses de
cal.50 dans chaque aile, un armement qui va lui permettre de réaliser
un ratio de victoires de 11 contre 1. Le siège du pilote et la
verrière sont renforcés par des plaques de blindage.
Le
premier squadron à recevoir le Corsair est la VF-12 en
Californie, puis la VF-17 à Norfolk. Les Marines équipent
quant à eux le VMF-124 avec le nouvel appareil. Malheureusement, le
F4U-1 se montre problématique pour l'emploi sur porte-avions, en
raison des problèmes d'équilibre et de visibilité, et l'US Navy
le rejette pour ses escadrilles embarquées. Le chasseur est donc
récupéré par les Marines ou sert dans des escadrilles de
l'US Navy basées à terre. Les Marines, comme les
pilotes de l'aéronavale, sont enthousiasmés par les performances du
Corsair comparées à celles du F4F Wildcat : la
VF-17 « Jolly Rogers » écume ainsi le Pacifique
Sud contre les Zéros. L'appareil étant très demandé, il sera
construit par plusieurs fabricants durant la guerre : Vought (4
699 exemplaires), Goodyear (4 006 exemplaires) et Brewster (735
exemplaires). Le premier F4U-1 de série prend l'air le 25 juin 1942.
Le F4U-1 comprend un énorme réservoir auto-obturant placé dans le
fuselage, devant le cockpit, faisant reculer celui-ci, et provoquant
la suppression des réservoirs d'aile, tandis que le fuselage est
allongé. Le F4U-1A est amélioré avec une verrière en « bulle »
et une capacité d'emport d'un réservoir de carburant sous le
fuselage. Une version plus spécifiquement dédiée à l'attaque au
sol, le F4U-1D, est également conçue, avec des pylônes d'emport
sous les ailes, pour des roquettes notamment. Les F4U-1D ou FG-U1D
pour Goodyear, version ultime du Corsair, sont produits
respectivement à 1 685 et 1 997 exemplaires.
A
partir de décembre 1944, les Corsairs sont finalement
embarqués sur les porte-avions de l'US Navy : VMF-124 et
213 sur l'USS Essex, bientôt rejointes par d'autres sur les
porte-avions restants, remplaçant progressivement le F6F Hellcat.
Une version de chasse de nuit équipée d'un radar, le F4U-2, équipe
trois squadrons, les VMF(N)-532, VF(N)-75 et VF(N)-101, utilisés
depuis des bases au sol ou depuis les porte-avions. Le F4U-4, qui
vole pour la première fois en septembre 1944, est accepté dès
octobre par la Navy et entre en service en avril 1945. Vought
en construit 2 357 exemplaires. Le F4U-4B, armé de deux canons de 20
mm dans chaque aile, arrive trop tard pour servir dans le Pacifique
mais est employé en Corée dans l'appui au sol, l'un des appareils
de la VMF-312 abattant même un MiG-15 nord-coréen.
![]() |
Juin 1945 : un Corsair tire une salve de roquettes contre des positions japonaises sur Okinawa.-Source : Wikipédia. |
Trois
escadrilles en une : les VMF-214...
L'offensive
américaine contre les positions japonaises dans le Pacifique
sud-ouest commence, en fait, dès le printemps 1942. Le plan de
l'amiral King est alors d'avancer depuis Efate, dans les
Nouvelles-Hébrides, jusqu'à Espiritu Santo. A partir de ces bases,
l'offensive pourrait alors poursuivre vers les Salomons et les îles
Bismarck. Le 4 avril, le front du Pacifique est divisé en deux :
le général MacArthur obtient le commandement du Pacifique sud-ouest
alors que l'amiral Nimitz a la charge du Pacifique central. Nimitz
doit avancer pour ainsi dire d'île en île, ce qui ne sera vraiment
possible qu'à partir de novembre 1943 avec l'assaut sur les Gilbert,
tandis que MacArthur remontera vers le nord via les Salomons, la
Nouvelle-Guinée et les Philippines.
La
clé de l'offensive américaine dans les Salomons réside dans la
capture, le 7 août 1942, de l'aérodrome japonais en construction
sur Guadalcanal, juste après le débarquement des Marines.
Les Américains achèvent l'aérodrome le 12 août et le baptisent
Henderson Field2
quelques jours plus tard. Bientôt, la Cactus Air Force3
opère à partir d'Henderson Field et des terrains satellites
environnants. Les Japonais vont réagir violemment à l'intrusion
américaine dans les Salomons : en effet, si Henderson Field
reste aux mains des Américains, Rabaul, la principale place forte
japonaise dans le Pacifique sud-ouest, serait menacée. Les unités
aériennes de la marine impériale et de l'aviation de l'armée de
terre vont donc sacrifier de nombreux éléments expérimentés dans
la défense des Salomons.
Les
Corsairs n'interviennent sur ce théâtre des opérations qu'à
partir du 12 février 1943, lorsque la VMF-124 du major Gise se pose
à Guadalcanal avec ses Corsairs. Le F4U, successeur du F4F
Wildcat, doit permettre de frapper plus loin les positions
japonaises du secteur, d'escorter les bombardiers et d'attaquer les
aérodromes du nord et du centre des Salomons. Parmi les pilotes de
la VMF-124, le lieutenant Kenneth A. Walsh qui deviendra le premier
as sur Corsair. Après la VMF-124, les VMF-213, 121, 112, 221,
122 et 214 arrivent également dans les Salomons. Début juillet
1943, la VMF-123, convertie sur Corsair, est la dernière
unité à recevoir le nouvel appareil. Toutes ces escadrilles, qui
vont combattre les Japonais dans les airs, vont engendrer de nombreux
as.
L'escadrille
la plus célèbre du corps des Marines pendant la Seconde
Guerre mondiale, la VMF-214, souvent associée avec son deuxième
commandant, Pappy Boyington, a eu en fait trois vies différentes,
trois unités qui ont porté le même numéro. La première VMF-214,
les « Swashbucklers », combat dans les îles
Salomons au milieu de l'année 1943 sous les ordres du major George
Britt. Elle vole d'abord sur F4F Wildcat puis sur Corsair,
revendiquant 20 victoires aériennes et produisant deux as. La
deuxième VMF-214 est celle des « Black Sheeps »,
qui combat au-dessus du nord de l'archipel des Salomons et de Rabaul,
entre août 1943 et janvier 1944. Elle abat 94 avions japonais et
comprend 8 as en plus de Boyington. La troisième et dernière
VMF-214 est basée sur le porte-avions USS Franklin (CV-13) et
opère contre le Japon en 1944-1945.
La
VMF-214 est formée en juillet 1942, dans le cadre du renforcement de
l'US Marine Air Corps qui survient après l'attaque sur Pearl
Harbor. Basé à Ewa, sur l'île d'Oahu, le major Britt prend la tête
d'un squadron en cours de formation et qui ne reçoit ses premiers
appareils, 11 F4F-3 Wildcats et 1 SNJ-4 d'entraînement, qu'en
octobre. Les pilotes arrivent progressivement au cours de l'été et
de l'automne. Parmi eux, Henry Miller, qui a servi dans la RCAF puis
dans la VMF-211 avec Britt. Les pilotes s'entraînent de manière
intense, en particulier au tir, et plusieurs accidents entraînent la
perte de quelques Wildcats. Avec l'arrivée de 8 F4F-4 en
décembre 1942, le squadron dispose de 14 appareils
opérationnels. Certains pilotes préfèrent le F4F-3, qui compte
deux mitrailleuses de moins, mais qui a plus de munitions et qui est
moins lourd et plus manœuvrable que le F4F-4.
![]() |
Carte de la campagne des îles Salomons, en 1943-Source : Wikipédia. |
La
VMF-214 embarque pour les Salomons en février 1943 à bord du
porte-avions d'escorte USS Nassau
(CVE-16). Le 3 mars, au large de l'île de la Pentecôte dans
les Nouvelles-Hébrides, le Nassau catapulte les Wildcats
en direction de leur nouvelle base -la piste de Turtle Bay, à
Espiritu Santo. Dès le 14 mars, la VMF-214 déménage sur Henderson
Field, à Guadacalanal, située à 4 heures de vol. Le temps est
déplorable et 9 TBF Avenger de la VMSB-143, qui accompagnent
les Wildcats, sont perdus. Henry Ellis doit abandonner son F4F
et passe plusieurs jours en mer avant d'être secouru. Jim Taylor
crashe son Wildcat sur le sud de Guadalcanal. La maladie est
un adversaire aussi redoutable que les Japonais : le major Britt
attrape rapidement la dysenterie et tous les pilotes doivent prendre
des comprimés d'atabrine contre la malaria. Fin mars, la VMF-214
s'exerce en effectuant des vols de routine au-dessus de Guadalcanal
et en escortant des SBD Dauntless et TBF Avenger lors
de raids contre les bases japonaises de Vila et Munda en
Nouvelle-Géorgie.
A
la même époque, les Japonais rassemblent une force aérienne
conséquente à Bougainville, et transfèrent en particulier
au sol des unités embarquées. Cette contre-offensive aérienne
nippone au-dessus des Salomons et de la Nouvelle-Guinée est baptisée
opération I-Go. Le 7 avril, les Japonais lancent 67
bombardiers en piqué Aichi D3A2 Val contre les bases
américaines autour de Guadalcanal, escortés par 110 Zéros.
La VMF-214 participe à la mêlée avec trois vagues de 4 appareils,
menées par Vince Carpenter, Henry Miller et « Smiley »
Burnett. Al Jensen prend la tête d'une quatrième vague ad hoc.
Le Cactus Fighter Command oriente les pilotes vers des intrus
repérés au-dessus du cap Espérance, de l'île de Savo et de
Tulagi. La vague de Jensen tombe dans un piège classique des
Japonais : celui-ci poursuit un Zéro solitaire servant d'appât,
le descend pour voir les autres tomber sur sa formation. « Vic »
Scarborough parvient à abattre un autre Zéro mais son F4F est haché
menu par les canons de 20 mm d'un de ses camarades. Al Jensen abat le
poursuivant mais l'appareil de Scarborough est bon pour le pilon. Ce
jour-là, les Américains revendiquent 58 victoires, dont 10 pour la
VMF-214 -le plus haut fait d'armes des Swashbucklers durant
leurs deux tours d'opération. Les victoires américaines, comme
souvent exagérées, sont difficiles à confirmer dans l'autre camp
car les archives japonaises ont fréquemment été perdues pendant la
guerre. C'est la dernière fois qu'un F4F des Marines remporte
une victoire en combat aérien : les squadrons de chasse
entament la conversion sur Corsair.
Durant
les trois semaines suivantes, la VMF-214 effectue des missions CAP
(Combat Air Patrol) au-dessus de Guadalcanal. Le 18 avril
1943, Tom Lanphier, frère du pilote de l'escadrille Charles
Lanphier, participe en tant que pilote de P-38 du 339th
Fighter Squadron à l'interception qui voit la mort de l'amiral
Yamamoto. L'affaire, supposée être secrète, est rapidement
ébruitée dans le Cactus Fighter Command. Les Japonais
répliquent par un spectaculaire raid nocturne. En mai, l'activité
est également très réduite. Le 15, la VMF-214 atteint la date de
son temps de R&R (Rest and Recreation) : 10 jours à
Espirutu Santo puis une semaine en Australie.
La
VMF-214 « Swashbucklers » entame son deuxième
tour d'opérations en juillet 1943 sur Corsair, et connaît
ses premières pertes. Le major Britt est remplacé, conformément à
la politique en vigueur, par le major William O'Neill, qui reste très
peu de temps. Plusieurs autres pilotes de l'escadrille assument
temporairement la fonction. Dès leur retour à Turtle Bay, à la
mi-juin, les pilotes ont su qu'ils vont être reconvertis sur
Corsair. L'amiral Halsey souhaite entamer la reconquête de la
Nouvelle-Géorgie et a besoin de tout l'appui aérien disponible. La
VMF-214 apprend donc à manipuler sa nouvelle monture, en particulier
à l'atterrissage. Mais la maintenance est un véritable casse-tête,
d'autant plus que les Corsairs présentent une sérieuse
tendance aux fuites d'huile. Trouver les appareils est aussi un
problème : seuls 3 Corsairs sont disponibles le 23 juin.
D'autres arrivent heureusement en juillet. Au soir du 17 juillet,
Jack Petit, Dick Sigel et Mac McCall sont envoyés protéger le
transporteur d'hydravions Chincoteague, endommagé et remorqué
par le destroyer Thornton. Ils interceptent 3 Mitsubishi G3M
Nell et les abattent en flammes. Une bonne entrée en matière
pour le Corsair !
Quelques
jours plus tard, la VMF-214 s'installe dans les îles Russell sur la
piste de Banika, beaucoup plus proche des positions japonaises. Fin
juillet, l'escadrille escorte de nombreux raids de B-24 sur le
bastion de Kahili. Lors d'un engagement au-dessus des Salomons le 4
août, la VMF-214 revendique 3 Ki-61 Tony abattus, pendant un
combat où les pilotes américains ont cru avoir à faire, un moment,
à des P-40 de la RNZAF. Deux jours plus tard, les Corsairs
escortent un F-5A (version du P-38 de reconnaissance photo) au-dessus
des îles Shortland. Près de l'île de Morgusaisai et de Kulitanai
Bay, ils tombent sur une force aérienne japonaise mixte comprenant
des Zéros et des hydravions A6M2-N Rufe. Al Jensen abat trois
appareils et devient un as. Scarborough et Smiley Burnett remporte
aussi des victoires. Mais Bill Blakeslee est abattu et Tony Eisele
doit crasher son Corsair sur les flots en raison de problèmes
de moteur. Le lendemain, Bill Pace, qui assume le commandement de
l'escadrille, se tue également sur accident. Smiley Burnett, qui
n'est pas parvenu à gagner la confiance de tous les pilotes, devient
le nouveau commandant.
Munda
a été capturée le 5 août et les Seabees4
remettent rapidement la piste aérienne en état. L'escadrille
commence à y opérer dès la mi-août mais les conditions sont
exécrables : l'hygiène est infecte, les moustiques
omniprésents, des corps en décomposition finissent de pourrir près
de la piste, qui est en plus pilonnée par l'artillerie japonaise. La
VMF-214 conduit une série de straffings contre les aérodromes
de Kahili le 15 août. 8 Corsairs s'en prennent aux avions,
aux camions de ravitaillement en carburant et aux soldats japonais.
Pour le reste du mois, l'escadrille reprend les missions de chasse
libre et d'escorte de bombardiers. Le 26 août est encore une journée
bien remplie : « Vic » Scarborough devient à
son tour un as en descendant 3 Japonais. Bob Hanson remporte
également une victoire de même que Jensen, avec une seule de ses
mitrailleuses en état de marche ! Il obtient d'ailleurs la Navy
Cross deux jours plus tard. Le 28 août en effet, lors d'un
straffing conjoint avec la VMF-215 sur Kahili qui capote en
raison du mauvais temps, Jensen, isolé, mitraille l'aérodrome de
Tonolei Harbor. Les photos prises ultérieurement montrent 24
appareils japonais détruits sur la piste. Charles Lanphier, qui a
peut-être contribué au mitraillage, est abattu et capturé par les
Japonais ; il meurt en détention en mai 1944. Début septembre,
les Swashbucklers jouissent d'un autre R&R à Sydney,
avant que l'escadrille ne soit démantelée.
A
l'été 1943, la marine américaine souhaite disposer de davantage de
Corsairs en l'air. Mais les pilotes expérimentés et les
appareils sont alors dispersés dans tout le Pacifique sud. Greg
Boyington reçoit la mission de rassembler pilotes et avions pour
former un squadron ad hoc. A l'origine, ce groupe constitue
l'échelon arrière de la VMF-124, avant d'être activé en tant que
nouvelle escadrille VMF-214. En août 1943, on trouve ainsi 26
pilotes qui vont former les fameuses « Black Sheeps » :
8 ont déjà volé avec Boyington dans la VMF-122 ; 3 ont volé
avec la RCAF ; 2 viennent d'autres squadrons des Marines ;
4 sont des instructeurs appelés au front ; 9 sont des
lieutenants sans expérience du combat. Boyington entraîne les
pilotes à Turtle Bay, sur Espiritu Santo, en particulier ceux qui
doivent prendre en main le Corsair pour la première fois. Le
major Stan Bailey devient commandant en second, Frank Walton, ancien
policier de Los Angeles, est l'officier de renseignements. Jim Reames
est le médecin de l'escadrille.
![]() |
Le Corsair du lieutenant Rinabarger à Espiritu Santo, en septembre 1943.-Source : Wikipédia. |
Début
septembre 1943, la nouvelle VMF-214 atterrit dans sa base avancée
des Russell, via Henderson Field, et entreprend sa première
mission de combat le 14. Chaque mission implique en moyenne 8
appareils et les pilotes volent deux jours sur trois. Le 16
septembre, lors d'une mission d'escorte de Dauntless au-dessus
de Ballale, la VMF-214 revendique 11 appareils abattus (dont 5 pour
Boyington) et 8 probables pour une perte. En octobre, la VMF-214
s'installe à Munda, pour frapper au plus près le prochain objectif
américain, Bougainville. Le 17 octobre, l'escadrille revendique
encore 12 victoires lors d'une mission de chasse libre. Le premier
tour d'opérations s'achève deux jours plus tard et les pilotes
partent en R&R en Australie.
Les
Américains s'emparent finalement d'une tête de pont à l'ouest de
Bougainville, dans la baie de l'Impératrice Augusta. La VMF-214
retourne à Espiritu Santo début novembre. Le 28, elle s'installe
sur l'île de Vella Lavella, à Barakoma, sa base d'opérations pour
son second tour. A partir de ce jour-là, les Corsairs mènent
des missions de routine baptisées « Cherry Blossom »
au-dessus de Bougainville, sans rencontrer beaucoup d'opposition,
l'aviation japonaise étant absente du ciel. Le 8 décembre, quelques
Corsairs se posent sur une piste à Torokina Point, dans la
baie de l'Impératrice Augusta. Cette piste est surtout réservée
aux atterrissages d'urgence et au ravitaillement en carburant, et
d'autres escadrilles, comme la VF-17 « Jolly Rogers »,
l'utilisent également.
Une
mission importante de chasse libre est mise en oeuvre au-dessus de
Rabaul, avec 80 appareils des Marines, de la Navy et de
la RNZAF. L'objectif est d'attirer en l'air les avions japonais pour
les éliminer en nombre. La mission est répétée plusieurs fois et
la VMF-214 perd pas moins de 8 pilotes entre le 23 décembre 1943 et
le 3 janvier 1944 -dont Boyington. Henry Miller remplace Boyington
comme commandant d'escadrille et quelques jours plus tard, les
« Black Sheeps » volent une dernière fois avant
d'être démantelées, tout comme le furent les
« Swashbucklers ».
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Le fameux écusson de la VMF-214 "Black Sheeps"-Source : Acepilots.com |
L'histoire
des « Black Sheeps » ne s'arrête cependant pas
avec la capture de Boyington. La troisième escadrille VMF-214,
volant toujours sur Corsair, est finalement basée sur
porte-avions, en l’occurrence, le CV-13 USS Franklin, de la
classe Essex. Formée en Californie au début 1944,
l'escadrille conserve le surnom de « Black Sheeps »
et les insignes correspondants. Stan Bailey, ancien commandant de
l'escadrille, prend la tête de cette nouvelle VMF-214. Les pilotes
doivent opérer désormais à partir de porte-avions : le besoin
d'escadrilles basées au sol diminue et la menace des kamikazes
conduit à renforcer la chasse embarquée. La VMF-214 opère sur le
Franklin à partir du 4 février 1945. Le 19 mars 1945, la
VMF-214 est à bord du Franklin quand celui-ci est touché au
large du Japon par deux bombes larguées par un bombardier nippon :
724 hommes sont tués, dont plusieurs membres du personnel de
l'escadrille. Le Franklin est sauvé tant bien que mal et
retourne aux Etats-Unis, ce qui met fin à la carrière des Black
Sheeps pendant le conflit.
… et
un homme à l'origine du mythe : Gregory « Pappy »
Boyington
Le
major Gregory « Pappy » Boyington est l'un des as
les plus hauts en couleur de l'US Marine Air Corps. Né le 4
décembre 1912, il vit une enfance difficile : des parents
divorcés, un beau-père alcoolique (dont il ignore jusqu'à son
engagement qu'il n'est pas son vrai père) et de nombreux
déplacements à travers les Etats-Unis. Il grandit dans une petite
ville de l'Idaho et a l'occasion de voler dès l'âge de six ans. La
famille s'installe à Tacoma, dans l'état de Washington, en 1926.
Boyington pratique la lutte à l'école, puis entre à l'université
de Washington en 1930. Il y rencontre sa femme, Helen. Ils se marient
peu après sa remise de diplôme, en 1934. Après une année passée
chez Boeing, Boyington entre dans les Marines. C'est
alors qu'il apprend la vérité sur son beau-père. Il s'entraîne au
pilotage à la base de Pensacola en janvier 1936 : comme
d'autres futurs as, l'entraînement n'est pas forcément des plus
aisés pour Boyington. C'est aussi à Pensacola que Boyington se
prend de passion pour la boisson, et pour la bagarre où il utilise
ses talents de lutteur, obtenant une réputation qui perdurera dans
tout le corps des Marines. Il rencontre aussi sa némésis,
Joe Smoak, qui deviendra le colonel Lard5
dans la série télévisée Les Têtes Brûlées. Boyington
obtient ses ailes de pilote en mars 1937.
![]() |
Gregory "Pappy" Boyington, qui dirige 5 mois la deuxième escadrille VMF-214 et qui la fait passer au rang du mythe après la guerre.-Source : Wikipédia. |
Avant
de rejoindre la VMF-1 à Quantico, Boyington doit se réconcilier
avec son épouse, enceinte de leur deuxième enfant. Il doit cacher
sa famille car les pilotes des Marines se doivent alors d'être
célibataires. Boyington poursuit l'entraînement sur de nouveaux
appareils. En juillet 1938, à Philadelphie, il s'ennuie, boit, et
s'endette de plus en plus. Les problèmes empirant alors qu'il
stationne avec la VMF-2 à San Diego, en 1939-1940. C'est pourtant
durant ce séjour qu'il commence à se faire remarquer comme un
excellent pilote, en particulier dans le combat aérien. De retour à
Pensacola en janvier 1941, Boyington connaît à nouveau des
difficultés en raison de la boisson et des rixes que l'abus de
celle-ci entraîne, et sa carrière de pilote est sur le déclin. Il
est sauvé par son engagement dans la CAMCO (Central Aircraft
Manufacturing Company), une couverture utilisée par le
gouvernement américain afin de recruter des pilotes pour soutenir la
Chine nationaliste contre le Japon. Attiré par l'argent, Boyington
intègre donc l'American Volunteer Group ; ses supérieurs
sont contents de se débarrasser de lui et prévoit d'ailleurs,
contrairement aux autres pilotes engagés, de ne pas le réintégrer
après la fin de l'expérience.
Arrivés
à Rangoon par bateau, les pilotes américains rejoignent leur base
de Toungoo le 13 novembre 1941. Boyington participe à plusieurs
missions pour la défense de la Birmanie, puis rallie Kunming en
Chine jusqu'à ce que les Tigres Volants intègrent officiellement
l'USAAF. Il se brouille avec Claire Chennault, le chef des Tigres
Volants, et les quitte en avril 1942, avec un avis défavorable de
son supérieur. Boyington rentre alors aux Etats-Unis. Il revendique
6 victoires aériennes, ce qui ferait de lui l'un des premiers as
américains de la guerre. Ces victoires sont reconnues d'emblée par
le corps de Marines. En fait, Boyington n'a probablement
remporté que 2 victoires en l'air et 3,75 victoires au sol lors de
straffings, un total qu'il arrondit généreusement en 6
victoires en combat aérien. Ce mensonge lui permet de gonfler
artificiellement son palmarès.
Boyington
a aussi eu deux liaisons qui mettent sérieusement à mal son
mariage. Cependant, avec l'entrée en guerre des Etats-Unis, le corps
des Marines le réintègre dès novembre 1942 pour disposer
d'un pilote expérimenté, au rang de major. En janvier 1943, le
navire Lurline le conduit en Nouvelle-Calédonie, où il passe
quelques temps à l'état-major du Marine Air Group 11, dont
Joe Smoak, un lieutenant-colonel très attaché au règlement, est
officier opérations. C'est là qu'il aperçoit pour la première
fois un Corsair. Devenu officier en second de la VMF-122, il y
effectue un tour d'opérations. Comme d'habitude, il se fâche avec
son supérieur, le major Elmer Brackett. Finalement, Boyington
remplace Brackett à la tête de l'escadrille, mais l'activité est
des plus réduites. Fin mai, Smoak le relève de son commandement :
Boyington, une jambe cassée, se retrouve à l'hôpital.
On
a vu comment Boyington, ensuite, contribue à la formation de la
deuxième escadrille VMF-214. Âgé de plus de 30 ans,
Boyington mène au combat des pilotes qui n'en souvent que 20 ou un
peu plus. Ceux-ci l'appellent « Gramps » et non
« Pappy », un surnom que lui donnera la presse
seulement après qu'il ait été abattu. En septembre 1943, la
VMF-214 opère à partir des îles Russell. En 84 jours, elle cumule
le score impressionnant de 197 victoires revendiquées, sans compter
les navires coulés et les installations au sol détruites. Le 16
septembre, lors de la troisième mission de l'escadrille, Boyington
réclame 5 appareils abattus, son meilleur score en une journée.
Jusqu'en janvier 1944, il abat 22 avions japonais, ce qui le
rapproche du record de l'as de la Première Guerre mondiale Eddie
Rickenbacker (26 victoires). Mais il y a les 6 « victoires »
obtenues avec les Tigres Volants... le 3 janvier, Boyington est
pourtant abattu lors d'un grand combat aérien au-dessus de Rabaul,
et tombe entre les mains des Japonais.
Gravement
blessé, mitraillé par les chasseurs japonais, Boyington parvient à
se hisser dans son radeau avant d'être pris par un sous-marin
nippon. Transporté à Rabaul, il est durement interrogé. Six
semaines plus tard, on l'expédie à Truk, où il voit du sol le raid
américain mené par les appareils des porte-avions de l'US Navy.
Boyington est enfermé dans une cellule en bois, conçue pour une
personne, mais où il côtoie 6 autres prisonniers américains.
Finalement, il échoue dans le camp de prisonniers d'Ofuna, près de
Yokohama. Les conditions de vie sont difficile, les gardiens brutaux,
mais Boyington a la chance de pouvoir travailler aux cuisines et
d'améliorer l'ordinaire. Il assiste encore une fois aux premières
loges au premier raid des B-29 sur la base navale de Yokohama. Rentré
aux Etats-Unis en septembre 1945, après la capitulation japonaise,
Boyington voit son score porté à 26 victoires et reçoit la Navy
Cross et la Medal of Honor. Pour dépasser l'as des as des
Marines, Joe Foss, qui cumule lui aussi 26 victoires,
Boyington prétend avoir descendu 2 avions de plus lors de son
dernier combat (un lui a déjà été confirmé précédemment) :
et c'est ainsi qu'il arrive à 28 victoires en combat aérien. Les
historiens actuels penchent plutôt pour 22 victoires authentiques :
20 avec les Têtes Brûlées et 2 avec les Tigres Volants.
Après
la guerre, Boyington traverse de nombreuses épreuves liées à ses
vieux démons : divorce, remariages, boisson, soucis financiers.
Dès sa tournée pour encourager l'achat de bons de guerre, en 1945,
il fait scandale en étant fréquemment ivre lors des interventions
en public. Le corps des Marines le met à la retraite, dès
1947, officiellement pour raison médicale. Il enchaîne les emplois
sans parvenir à en conserver un très longtemps. Il affronte
finalement son problème d'alcool à partir de 1956 et, deux ans plus
tard, sa situation s'améliore après le succès commercial de son
autobiographie, Baa Baa Black Sheep. Les années 1960 marquent
à nouveau un reflux, avant le regain de célébrité grâce à la
série Les Têtes Brûlées, inspirée très superficiellement
de son autobiographie. Consultant pendant le tournage, Boyington se
lie d'amitié avec Robert Conrad qui l'incarne dans la série. Mais
celle-ci, en présentant les pilotes de la VMF-214 comme un ramassis
d'ivrognes et de rebuts bons pour la cour martiale, détruit l'amitié
entre Boyington et les vétérans de l'unité, et en particulier
Frank Walton, qui écrira d'ailleurs son propre ouvrage sur les Black
Sheeps6
pour contrecarrer la version de Boyington. Celui-ci, atteint d'un
cancer, meurt le 11 janvier 1988. Avec son autobiographie et la série
Les Têtes Brûlées, Boyington a cependant réussi à faire
passer son commandement de la VMF-214 durant 5 mois seulement au rang
du mythe.
Pour
en savoir plus :
GAMBLE,
Bruce, The Black Sheep. The Definitive Account of Marine Fighting
Squadron 214 in World War II, Presidio Press, 1998.
-
Black Sheep One : The Life of Gregory "Pappy" Boyington
, Presidio Press, 2003.
PAUTIGNY,
Bruno, Corsair. Trente ans de flibuste 1940-1970, Paris,
Histoire et Collections, 2003.
STYLING,
Mark, Corsair Aces of World War 2, Aircraft of the Aces 8,
Londres, Osprey, 1995.
SULLIVAN,
Jim, F4U Corsair in Action, Aircraft Number 145,
Squadron/Signal Publications, 1994.
1Baa
Baa Black Sheep puis Black Sheep Squadron en VO, diffusée
entre 1976 et 1978 sur NBC.
2Du
nom de Lofton R.Henderson, major qui conduit la VMSB-241 sur
Dauntless et qui périt lors d'un assaut sur le porte-avions
japonais Hiryu le 4 juin 1942 pendant la bataille de Midway.
3La
composante aérienne américaine basée à Guadalcanal : Cactus
est le nom de code de l'île pour les Américains. En décembre 1942
elle devient la Commander, Aircraft, Solomons, mais l'ancien
terme reste toujours employé.
4Surnom
des Construction Battalions, le génie de l'US Navy.
5Incarné
par l'acteur Dana Elcar.
6Once
They Were Eagles: The Men of the Black Sheep Squadron, The
University Press of Kentucky, 1996.
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