jeudi 1 juin 2017

Guerre dans l’Himalaya : le conflit sino-indien de 1962

L’année 1962 est marquée par la crise des missiles de Cuba, ces quelques semaines où le monde fut au bord de la Troisième Guerre mondiale. Si les États-Unis et l’URSS ne s’engagèrent pas dans un conflit nucléaire, cette année fut néanmoins celle où s’affrontèrent deux pays parmi les plus peuplés de ce que l’on appelait alors le Tiers-monde, l’Inde et la Chine populaire. La guerre fut courte et victorieuse pour les Chinois. Si elle ne bouleversa pas profondément les équilibres de la région elle continue toujours à assombrir les relations sino-indiennes alors que New-Delhi et Pékin sont dorénavant devenus des puissances mondiales.

David FRANCOIS




Aux origines du conflit.
Au cœur des massifs de l’Himalaya, l’Inde et la Chine partagent plus de 2 000 km de frontières communes. Elles sont dessinées au cours du 19e siècle sous la pression des Britanniques qui ont fait de l’Inde, le joyau de leur Empire mondial. Des années d’expéditions militaires et de diplomaties ne permettant pas de résoudre la question de leurs tracés, Londres fixe comme frontière la ligne MacMahon qui ne sera jamais reconnue par les pouvoirs qui dirigent la Chine durant le 20e siècle. Pire, cette ligne incorpore à l’Inde britannique, des territoires que Pékin considère comme chinois depuis toujours.






Les zones disputées entre la Chine et l'Inde






Deux zones de tensions existent entre l’Inde et la Chine, la première se trouve au Cachemire, une région de montages, de bassins versants et de vallées dont la position est stratégique, aux confins de l’Inde, de la Chine, de l’Afghanistan et de la Russie. Pékin ne revendique pas la souveraineté sur l’ensemble de cette région mais sur l’Aksai Chin un territoire au nord-ouest du plateau tibétain grand comme la Suisse. La seconde zone de tensions est celle de l’Arunachal Pradesh au nord-est de l’Inde, une région qui s’étend entre le Bhoutan et la Birmanie.

Si la faiblesse de la Chine durant la première moitié du 20e siècle ne permet pas à Pékin de faire valoir ses droits face aux Britanniques, les années 1940 sont marquées par de profonds changements dans la région. Au sud de l’Himalaya, en 1947, Londres accorde l’indépendance à sa colonie indienne qui se divise en deux nouveaux États, l’Inde et le Pakistan, chacun revendiquant sa souveraineté sur le Cachemire. Au nord, en 1949, les communistes, dirigés par Mao Tse-toung, prennent le pouvoir en Chine. Le gouvernement de New-Delhi est parmi les premiers à reconnaître les nouvelles autorités chinoises.

L’Inde accorde peu d’attention en 1947 aux problèmes de ses frontières avec la Chine. Elle est alors absorbée dans un conflit avec le Pakistan concernant le Cachemire où des combats éclatent en 1947 et durent jusqu’à la fin de 1948. L’intervention des Nations Unies met fin au conflit et fixe la frontière entre les deux pays, frontière qui sera encore l’objet de combat en 1965 et 1971. L’Inde ne commence véritablement à s’inquiéter des agissements de son voisin chinois qu’en octobre 1950 au moment où l’Armée populaire de libération (APL) avance vers Chamdo, une ville à 500 kilomètres à l’est de Lhassa, et défait les troupes tibétaines. Le gouvernement indien proteste contre cet usage de la force mais Nehru accepte néanmoins la mainmise chinoise sur le Tibet. En mai 1951, alors qu’un traité sino-tibétain place Lhassa sous la dépendance de Pékin, les Indiens, en réaction, envoient une expédition militaire dans les territoires disputés de l’Arunachal Pradesh.

En dépit des agissements chinois au Tibet, au début des années 1950, les relations sino-indiennes demeurent bonnes. L’Inde fournit ainsi des approvisionnements à l’armée chinoise et accepte l’envoi de travailleurs indiens pour mettre en valeur le Tibet. En septembre 1951, en pleine guerre de Corée, Chou En-lai, ministre des Affaires étrangères de Pékin, soucieux de sécuriser le flanc sud de son pays, propose à New-Delhi des négociations afin de régler la question des frontières communes et reçoit une réponse favorable de l’Inde. Les discussions ne débutent pourtant qu’en 1954 et aboutissent à la signature d’un accord d’amitié et de non-agression mais sans que soit réglée la question des frontières.

Mao et ses militaires.


À la fin de 1954, la pression du gouvernement chinois au Tibet accroît le mécontentement dans le pays et provoque une rébellion. Au début de 1955, les actions armées des rebelles mettent en danger les lignes de communication chinoises conduisant l’APL à débuter la construction d’une nouvelle route d’approvisionnement au Tibet. C’est en mars 1956 que les travaux commencent pour relier l’ouest du Xinjiang et l’ouest du Tibet à travers le plateau de l’Aksai-Chin. Les 1 200 km de la route militaire chinoise sont finalement achevés en octobre 1957. Le gouvernement indien, qui porte alors peu d’intérêt à cette région, n’en apprend l’existence qu’en septembre 1957 avant de découvrir en juillet 1958 qu’elle est tracée sur les cartes chinoises, cartes qui montrent que l’Aksai Chin est intégré au territoire chinois. New-Delhi envoie alors à Pékin une note de protestation tandis que deux patrouilles de l’armée indienne sont envoyées en reconnaissance examiner la route chinoise. Les militaires indiens sont arrêtés par les Chinois et gardés en détention pendant un mois.

En décembre 1958, Nehru écrit à Chou En-lai pour lui rappeler que l’Aksai-Chin fait partie de l’Inde. Le ministre chinois lui répond poliment que le tracé de la frontière entre les deux pays n’a jamais fait l’objet d’un accord formel et que les revendications indiennes s’appuient sur l’héritage de l’impérialisme britannique. Il propose néanmoins d’engager des discussions et, en attendant un accord, de maintenir le statu-quo. Dans sa réponse en mars 1959, Nehru ne montre aucune volonté de trouver un compromis sur ce qu’il considère comme les frontières historiques de l’Inde.

En mars 1959, les désordres et les combats s’accroissent au Tibet tandis que le Dalaï Lama quitte le pays et reçoit asile en Inde. La Chine, qui soupçonne depuis longtemps les Indiens de soutenir les rebelles tibétains, de nombreux insurgés traversant effectivement la frontière pour s’approvisionner en armes au Népal et en Inde avant de retourner au Tibet, souhaite fermer la frontière avec l’Inde et fait pression pour que la question soit réglée. Nehru accepte de discuter sur des changements de détails concernant le tracé des frontières mais seulement si les Chinois se retirent et renoncent à leurs prétentions sur l’Aksai Chin. Chou En-lai de son côté refuse les demandes indiennes et propose que les négociations prennent pour point de départ les positions actuelles de chaque pays sur le terrain. La situation est dès lors bloquée et les tensions ne vont cesser de s’envenimer.

Soldats indiens dans l'Himalaya


Les Indiens, qui se montrent beaucoup plus sensibles aux agissements chinois dans la région frontalière, commencent à établir des postes de contrôle dans les zones disputées et à envoyer des patrouilles jusqu’à la frontière tibétaine. Cela débouche sur deux escarmouches. La première a lieu dans l’Arunachal Pradesh quand les Indiens tentent de s’emparer d’un hameau dans une zone contestée. Des coups de feu sont échangés avant que la patrouille indienne se retire vers le sud. La seconde, beaucoup plus sérieuse, se déroule dans le col de Konga à l’ouest du Tibet. Là aussi des coups de feu sont échangés mais cette fois-ci avec des pertes dans chaque camp et la capture de la patrouille indienne.

Ces combats provoquent un tollé dans chaque pays tandis que des lettres de protestation sont échangées. En septembre 1959, Chou En-lai maintient la position chinoise et justifie la présence de troupes par la nécessité d’empêcher les rebelles tibétains de franchir la frontière. Il ajoute que l’attitude de l’Inde est provocatrice. Nehru de son côté reste inflexible et répond qu’il ne peut y avoir d’accord tant que les Chinois n’auront pas évacué les territoires contestés. C’est à ce moment que le président américain Eisenhower annonce sa prochaine visite à New-Delhi tandis que Krouchtchev, lors d’un entretien avec Mao, soutient Nehru ce qui fait craindre à Pékin la naissance d’un axe qui lui serait hostile.

A New-Delhi, la politique de Nehru est néanmoins l’objet de critiques de la part des militaires. Pour ces derniers, l’envoi de patrouilles et la construction de postes dans les zones disputées représentent un risque réel car l’armée indienne ne possède ni la préparation militaire, ni la logistique nécessaire pour affronter les forces chinoises à la frontière. Nehru ne l’entend pas ainsi et fait remplacer les officiers critiques par d’autres plus dociles. Outre l’erreur de ne pas écouter les militaires, il fait le pari que les Chinois ne se dresseront pas contre une Inde soutenue par l’URSS et les États-Unis, qu’ils ne s’opposeront donc pas aux patrouilles et à l’installation de postes et qu’ils se retireront finalement des zones contestées sous la pression indienne.

L’année 1961 renforce Nehru dans l’idée que son pari peut réussir. Cette année-là, l’armée indienne reçoit des équipements militaires de l’URSS et des États-Unis qui lui permettent de s’emparer, en décembre 1961, de Goa, un confetti de l’Empire colonial portugais. Le soutien militaire des grandes puissances encourage effectivement New-Delhi à poursuivre une politique agressive dans l’Aksaï Chin. L’Inde reçoit ainsi 8 transporteurs Antonov, 28 Iliouchine-14 et des hélicoptères Mil-4 capables de transporter des hommes et du matériel jusqu’à 5 000 mètres d’altitude. En 1962, elle achète également deux escadrons de chasseurs Mig. Ce renforcement des capacités militaires indiennes et l’annexion par la force de Goa renforcent Pékin dans sa crainte des visées expansionnistes indiennes.

À la fin de 1961, Nehru envoie dans l’Aksai Chin assez de troupes pour établir 43 postes. Certains se trouvent à moins de 150 km de la route militaire chinoise tandis que prés du col de Konga, trois postes indiens se trouvent à proximité d’une seconde route chinoise. Pékin proteste contre ce qu’elle considère comme une intrusion en territoire chinois. Les escarmouches entre soldats chinois et indiens se multiplient et en novembre, lorsque l’APL est obligée de se retirer de la vallée du Chip Chap, Nehru se voit conforter dans sa politique de confrontation. Malgré les protestations des militaires qui préféreraient construire une force cohérente et organiser des lignes de ravitaillement avant d’aller plus en avant, Nehru ordonne de poursuivre la pression dans l’Aksai Chin. Au début de 1962, les dirigeants chinois sont de plus en plus persuadés que les Indiens se préparent à lancer un assaut massif contre les troupes chinoises et à régler la question des frontières par les armes.


L’escalade vers la guerre.
En 1962, si l’APL paraît puissante avec ses 3 millions de combattants, elle connaît néanmoins de grandes difficultés. Le désastre économique du Grand Bond en avant impose en effet de sévères contraintes sur le budget militaire. Les Soviétiques ont bien fourni des équipements dans les années 1950 mais la détérioration des relations sino-soviétiques met fin à ces fournitures en 1960. En 1962, l’armée chinoise manque donc cruellement d’équipements, de munitions et de carburants comme le montre la crise du détroit de Taïwan cette même année.

Malgré ces restrictions, l’APL est bien préparée pour une guerre de montagnes dans l’Himalaya. Elle a d’abord appris à se battre sur ce terrain particulier pendant la guerre de Corée dont certains vétérans servent toujours dans l’armée en 1962. Les militaires chinois connaissent également bien la région frontalière avec l’Inde depuis l’invasion du Tibet en 1950. Ils se sont acclimatés au climat, à l’altitude, ils ont construit des postes et des routes et ont accru leur mobilité en utilisant les services de guides tibétains. Ils sont également bien entraînés, habitués à passer des cols et à franchir des crêtes et équipés avec des uniformes chauds et des rations suffisantes. Ils peuvent aussi compter sur le soutien d’une artillerie légère mobile.

La tension ne cesse de croître entre la Chine et l'Inde


Coté indien, au moment de l’indépendance en 1947, les unités indiennes de l’armée britannique ont été divisées entre l’Inde et le Pakistan. Les premières années de la République indienne sont marquées par une forme de défiance envers l’armée, souvenir du rôle joué par les militaires dans la guerre civile qui précède l’indépendance mais surtout produit par le sentiment que le pays n’est soumis à aucune menace extérieure, Nehru déclarant que l’Himalaya constitue une barrière suffisante contre la Chine. Ainsi peu d’efforts sont faits dans les années 1950 dans le domaine militaire. Le budget consacré à la défense est minime et l’armée ne compte au milieu des années 1950 que 350 000 hommes, un nombre qui progressera peu jusqu’en 1962. La puissance de feu indienne est faible puisque l’artillerie est réduite et souffre d’un manque d’approvisionnements. L’entraînement des troupes est limité et presque inexistant pour le combat en montagne. Le problème majeur que rencontre l’armée indienne concerne la logistique. Malgré l’aide soviétique, l’Inde manque d’équipements et de ravitaillements pour ses troupes, notamment pour des opérations dans l’Himalaya. Les soldats n’ont en effet que des uniformes d’été, les rations sont insuffisantes laissant la troupe affamée et il n’y a de tentes que pour abriter la moitié des hommes. Le transport du ravitaillement aussi est défectueux et ne parvient aux troupes qu’après un long trajet à dos de bêtes.

Les services de renseignements indiens sont également défaillants, ignorant tout à la fois la topographie et le climat de l’Himalaya mais surtout les tactiques, la mobilité et la puissance des forces chinoises dans la région. Au final, l’armée indienne cumule les handicaps : sa puissance de feu, son organisation logistique, sa préparation à la guerre de montagne et ses effectifs sont inférieurs à ceux de l’armée chinoise. Dans ces circonstances, concentrer des unités dans l’Himalaya, comme l’ordonne Nehru, est une erreur tragique car elle condamne les troupes à une attrition constante face au froid, aux maladies et à la faim. La politique d’intimidation de New-Delhi est donc militairement absurde mais le dirigeant indien croit fermement à l’invincibilité de son armée face à la Chine.

En 1962, Nehru, ignorant les avertissements des militaires et convaincu que la Chine reculera, poursuit donc sa politique agressive d’installation de postes frontières et de patrouilles qui doivent peu à peu grignoter les territoires sous contrôle chinois et que revendiquent l’Inde. Au début de l’année, cette stratégie se traduit par des opérations qui visent, en contournant les postes chinois, à couper ces derniers de leur ligne de ravitaillements afin d’obliger l’APL à les abandonner.

Pendant ce temps, les discussions diplomatiques continuent. En février, Pékin propose que chaque camp fasse reculer ses troupes de 20 kilomètres pour éviter les accrochages mais New-Delhi reste intransigeante. Peu à peu les relations entre les deux pays se dégradent. Dans les premiers mois de 1962, la Chine est confrontée aux problèmes de la crise du détroit de Taïwan et ne veut à aucun prix d’un conflit avec l’Inde. Elle continue néanmoins à revendiquer l’Aksai Chin et augmente le nombre de ses patrouilles à la frontière à mesure que les Indiens se montrent de plus en plus audacieux. En juin, quand la crise du détroit de Taïwan s’apaise, l’attention de Pékin se focalise à nouveau sur l’Himalaya.

La crise entre l’Inde et la Chine dure alors depuis trois ans et s’il y eut des escarmouches, le nombre de victimes est resté minime. Cette situation change en juillet. Alors que précédemment, les militaires indiens n’avaient le droit d’ouvrir le feu que pour se défendre, les commandants des postes reçoivent l’ordre de tirer sur les forces chinoises s’ils sentent leurs positions menacées. Des combats ont lieu au début du mois dans la vallée de Galwan puis le 21 dans la vallée de Chip Chap où deux soldats indiens sont blessés. Pendant ce temps, l’APL se prépare au combat et stocke des munitions, de l’essence et des vivres le long de la frontière.

En juin, les militaires indiens établissent un poste à Dhola dans le district de Tawang dans une zone que l’Inde elle-même reconnaît comme chinoise. Pékin dénonce une nouvelle agression contre son territoire et renforce ses capacités militaires au Tibet et au Xinjiang. Le 11 septembre, Nehru décide que les patrouilles ont désormais le droit d’ouvrir le feu sur les Chinois présents sur le territoire indien. Les incidents se multiplient durant les mois d’août et septembre et le 20 septembre un affrontement plus sérieux a lieu à Chedong à la jonction des frontières entre l’Inde, la Chine et le Bhoutan. Des combats sporadiques se poursuivent dans cette région démontrant que l’Inde est déterminée à faire reculer la Chine.

Le 26 septembre, le général indien Kaul prend le commandement du 33e corps dont les troupes sont dispersés, peu armées, sans vêtements d’hiver et mal ravitaillés. Il n’y a alors que deux divisions dans les régions contestées Le 5 octobre, Kaul devient le commandant de toutes les forces frontalières et se prépare déjà à repousser les Chinois de l’Arunachal Pradesh. Le 9 octobre, il donne l’ordre au général Dalvi de s’emparer du col de Yumtso La et envoie une patrouille de 50 hommes s’emparer de Tseng Jong. Au matin du 10, cette patrouille voit surgir face à elle un bataillon chinois. Les positions indiennes sont bombardées par des mortiers mais les Indiens repoussent l’attaque en provoquant de lourdes pertes coté chinois. Finalement, les troupes de New-Delhi se retirent vers le sud. Le 12, Nehru donne l’ordre de chasser les unités chinoises du territoire indien tandis que le 18, devant l’accumulation de troupes et de matériel, il est évident que les Chinois se préparent à une attaque d’ampleur.

Le 6 octobre, les dirigeants chinois se réunissent et entendent le maréchal Lin Biao leur annoncer que l’Inde se prépare à passer à l’offensive. Ils décident donc de lancer une attaque à grande échelle pour stopper les Indiens. Le plan chinois prévoie une offensive principale dans l’Arunachal Pradesh coordonnée avec une action d’envergure plus modeste dans l’Aksai Chin. Une fois les Indiens expulsés des territoires contestés, un cessez-le-feu doit être proclamé suivi d’un retour à la table des négociations. Le 8 octobre, des divisions expérimentées et des troupes d’élite reçoivent l’ordre de rejoindre le Tibet depuis les régions militaires de Chengdu et Luzhou. Le 18 octobre, le bureau politique du PC chinois approuve le plan proposé par les militaires pour une attaque le 20 octobre.
Ce jour-là l’APL lance deux offensives à 1 000 km de distance. Au Cachemire, l’objectif est de chasser les Indiens de la vallée de Chip Chap tandis que dans l’Arunachal Pradesh, elle cherche à s’emparer des deux rives de la Namka Chu.


Les premiers succès chinois.
Dans la nuit du 19 au 20, trois régiments chinois se préparent à partir à l’assaut de la 7e brigade indienne qui tient la zone de la rivière Namka Chu. Les Indiens se battent vaillamment contre un ennemi supérieur en nombre mais leurs positions sont peu à peu débordées. Les Chinois prennent rapidement le contrôle de la rivière tandis que la 7e brigade perd sa cohésion et doit battre en retraite.

Le plan chinois est alors de s’emparer de Tsangdhar et Hathung La pour couper toute voie de retraite et d’approvisionnement aux Indiens. Il est parfaitement conçu pour une armée qui bénéficie de la supériorité à la fois en hommes et en puissance de feu. Les survivants des troupes indiennes battent en retraite sur Tawang tandis que la 7e brigade cesse d’exister comme force combattante. Les troupes qui restent en état de combattre, soit deux bataillons d’infanterie et d’artillerie, reçoivent l’ordre de tenir Tawang à tout prix.

L'artillerie chinoise en action


Immédiatement après le succès sur la Namka Chu, les Chinois développent des attaques dans trois directions qui convergent sur Tawang. La ville est peu propice à la défense et les Indiens décident de l’évacuer le 23 octobre. Le lendemain, les Chinois s’en emparent tandis que les troupes indiennes se réfugient à Se La avec l’intention de se renforcer et de se défendre. Pendant ce temps dans toute la région de Tawang, l’APL s’empare des postes indiens. Les 24 et 25, dans l’est de la région, les Chinois attaquent Walong mais dès le 25, le front de l’Arunachal Pradesh connaît une accalmie, les forces chinoises n’avançant pas au-delà de Tawang qui se trouve à 15 kilomètres au sud de la zone qu’ils revendiquent.

Dans le même temps des combats importants se déroulent dans l’Aksaï Chin. Le 20 octobre, simultanément à l’attaque dans l’Arunachal Pradesh, les Chinois partent à l’assaut des postes indiens dans les vallées de Chip Chap et de Galwan et prés du lac Pangong. Le poste de Galwan est pris le 20 octobre tandis que d’autres, plus petits, sont submergés, les garnisons capturées ou tuées. Devant l’ampleur de l’attaque, le commandement indien demande aux troupes qui tiennent les postes de la région de se retirer vers le sud-ouest. Le 21, après de violents combats, l’APL a capturé l’ensemble des postes sur la rive nord du lac Pangong. De nombreux postes indiens ont été évacués mais ne sont néanmoins pas occupés par les Chinois car ils se trouvent trop au sud des territoires qu’ils revendiquent. Après le retrait de ses troupes, le général Daulat Singh organise rapidement ses unités pour faire face à de nouvelles attaques. Début novembre, trois brigades comprenant quatre bataillons d’infanterie se tiennent prêtes.

L'armée indienne sur la défensive


Après ses victoires d’octobre, l’APL marque une pause permettant la reprise de l’activité diplomatique. Le 24 octobre, Chou En-lai demande d’ouvrir des négociations mais Nehru lui répond en proposant un retour aux positions tenues le 8 septembre. Pékin va alors jusqu’à proposer de reconnaître les revendications indiennes dans l’Arunachal Pradesh en échange de l’Aksai Chin.

Sur le plan international, l’URSS, le principal soutien de l’Inde depuis les années 1950, approuve les propositions de paix chinoises, d’autant qu’avec la crise des missiles à Cuba, Moscou porte peu d’attention au conflit sino-indien. Sans le soutien soviétique, New-Delhi se tourne vers Londres et Washington qui envoient des fournitures militaires début novembre tandis que les Américains étudient la possibilité d’envoyer des navires dans le golfe du Bengale.

Alors que le Parlement indien adopte une résolution qui appelle à chasser les Chinois du territoire indien, Pékin veut toujours une solution diplomatique à la crise et laisse donc ses troupes l’arme aux pieds durant les deux premières semaines de novembre. Face à l’intransigeance indienne, le 14 novembre, les combats reprennent.


La déroute indienne.
Dans l’est de l’Arunachal Pradesh, après la chute de Tawang, le plan de retraite indien prévoyait un repli sur Bomdila, le point le plus au nord où il était possible d’organiser une logistique efficace. Mais les ordres finaux ordonnent un retrait sur Se La qui apparaît comme une position défensive idéale. Le col de Se La contrôle en effet la route qui va à Bomdila et domine celle qui conduit à Tawang. De plus de chaque côté du col, les pics dominent la région. Mais Se La se trouve en altitude avec un climat rude tandis que la position est loin de Bomdila d’où parvient le ravitaillement. La décision de tenir cette position étend aussi considérablement la zone à défendre dans une région d’altitude où les routes sont mauvaises.

Soucieux de reprendre l’initiative, le commandement indien envoie la 11e brigade de la 2e division dans le secteur de Walong à l’ouest de l’Aurnachal Pradesh le 31 octobre. Ce détachement qui comprend trois bataillons d’infanterie ne se prépare pas à défendre le secteur mais à passer à l’attaque contre les Chinois, le 14 novembre, jour de l’anniversaire de Nehru. Ce jour-là, deux compagnies indiennes soutenues par des mortiers et de l’artillerie se lancent à l’assaut d’une colline tenue par une compagnie chinoise. Mais les Indiens sont repoussés tandis que l’APL lance une contre-attaque. Les Indiens battent en retraite et sont poursuivis par les Chinois qui débordent les défenses adverses. L’ordre est alors donné aux soldats indiens de se retirer mais de nombreuses unités ne le reçoivent pas et se font tuer sur place. Les restes de la brigade indienne se réfugient alors dans la vallée de Lohit, l’APL préférant ne pas les poursuivre.

La capture de soldats indiens par l'APL


Quelques heures après la défaite de Walong, les combats reprennent dans l’Aksai Chin et à Se La. Dans le Cachemire, le commandement indien concentre des troupes notamment autour de Chushul, une région où certaines des positions sont à des altitudes d’environ 4 500 mètres et où il n’y a aucune forêt pour permettre de construire des défenses ou même se réchauffer. Les forces qui se trouvent à l’est de cette bourgade se retrouvent dans le territoire revendiqué par Pékin. Tous les autres postes indiens dans l’Aksai Chin ont été évacués ou sont tombés. Chushul devient alors pour les Indiens un point-clef afin de bloquer une attaque chinoise sur la ville de Leh.

Le 17 novembre, une puissante force chinoise marche depuis l’ouest sur Chushul et dans les premières heures du 18, l’artillerie de l’APL ouvre le feu sur les positions indiennes. Les soldats chinois se lancent à l’assaut frontalement mais sont repoussés. Ils contournent donc les positions indiennes qu’ils prennent de flancs après de durs combats. Les pertes indiennes sont sévères, ainsi il ne reste plus que trois survivants d’une compagnie entière. Cinq heures après le début de l’attaque, les Indiens sont chassés des zones revendiquées par la Chine. Ils se regroupent alors pour défendre Chushul que les Chinois pourtant n’attaqueront pas. La guerre dans le Cachemire est terminée alors que l’ensemble de l’Aksai Chin est désormais sous contrôle chinois.

Dans la région de l’Arunachal Pradesh, les forces indiennes continuent de se renforcer dans le secteur de Se La-Bomdila. Elles regroupent 10 bataillons d’infanterie appuyés par des mortiers, de l’artillerie et une douzaine de blindés. Si ces forces avaient été concentrées, elles auraient représenté une puissante force défensive, mais elles se retrouvent éparpillées sur une centaine de kilomètres sur la route entre Se La et Bomdila. Cinq bataillons sont à Se La, trois à Bomdila et deux à Dirang Dzong entre Se La et Bomdila. Le village de Dirang Dzong, où s’installe le commandement indien de la région, est pourtant peu adapté à la défense d’autant qu’il est accessible par de nombreux sentiers de montagne. Les Indiens sont conscients qu’en empruntant ces derniers, les Chinois peuvent déboucher à Thembang entre Dirang Dzong et Bomdila. Pour éviter cette éventualité une compagnie tient donc Phutong et une autre Poshing La.

Le 15 novembre, un bataillon chinois attaque la compagnie indienne qui tient Poshing La et l’anéantit. Le commandement indien, qui ne veut pas croire qu’un bataillon a pu emprunter les sentiers de montagne, envoie un second bataillon de Bomdila en direction de Poshing La. Une troisième compagnie quitte également Bomdila pour renforcer les positions à Dirang Dzong.

Les difficultés de la logistique indienne


La compagnie envoyée sur Poshing La creuse des tranchées à Tembang le matin du 17 novembre. Peu avant midi, elle est attaquée par 1 500 soldats chinois. Les Indiens résistent pendant 3 heures mais, en raison de la logistique défaillante, ils manquent rapidement de munitions. Avec la nuit tombante, ils commencent donc à se retirer mais dans l’obscurité et la végétation épaisse cette retraite se transforme vite en débâcle. Aucun des soldats ne parvient à rejoindre Bomdila et quelques-uns seront retrouvés, des semaines plus tard, errant dans les plaines au sud. Encore une fois la supériorité chinoise et les problèmes logistiques indiens conduisent à une nouvelle défaite pour New-Delhi. Surtout les Chinois tiennent maintenant solidement la route entre Bomdila et Dirang Dzong, isolant 10 000 Indiens qui se trouvent au nord-est vers Se La et Dirang Dzong.

Toujours le 17 novembre, l’APL lance cinq assauts contre Se La mais la ville est bien défendue et chaque attaque chinoise est repoussée. Avec cinq bataillons et de l’artillerie, les forces qui tiennent Se La sont importantes mais leur ligne de ravitaillement est coupée quand les Chinois prennent Tembang. Les unités indiennes qui tiennent Dirang Dzong essayent quant à elles de se frayer un chemin en direction de Bomdila. Les embuscades chinoises mettent fin à cette tentative tandis que quelques survivants réussissent néanmoins à atteindre les plaines du sud. Les troupes qui tiennent Se La se retirent également, d’abord en bon ordre en repoussant les premières unités chinoises qu’elles rencontrent. Mais la colonne indienne se retrouve rapidement sous le feu de mitrailleuses lourdes. Les différentes tentatives pour briser l’encerclement chinois échouent et la route vers le sud est définitivement fermée. Finalement, toujours sous le feu chinois, les troupes en retraite parviennent à atteindre les plaines après avoir subi de nombreuses pertes.

Le 18 novembre, la 48e brigade indienne, soit six compagnies d’infanterie, reste la seule force à défendre Bomdila. Les soldats construisent des positions défensives et positionnent leurs mortiers et leur artillerie en attendant des renforts. L’impéritie du commandement et des communications indiennes va alors à nouveau frapper. Le général Kaul, ignorant que Dirang Dzong a été évacué, ordonne à deux compagnies d’infanterie, de l’artillerie et les blindés de quitter de Bomdila pour aller renforcer les unités à Dirang Dzong.

Seulement 10 minutes après le départ de la colonne indienne, les forces chinoises passent à l’attaque. Les fantassins de la colonne essayent de retourner sur leur position de départ mais celles-ci sont déjà occupées par les Chinois laissant les Indiens à découvert. Un second assaut chinois submerge finalement les positions indiennes. Les tentatives de contre-attaques débouchent sur des échecs obligeant le général Singh à ordonner la retraite sur Rupa.

Le retour des prisonniers indiens


À Rupa, la 48e brigade organise la défense, mais elle reçoit rapidement l’ordre de battre en retraite jusqu’à la limite des plaines. Après son départ de la ville, Singh reçoit l’ordre de Kaul de faire demi-tour mais quand il arrive à Rupa, c’est pour constater que les Chinois tiennent les positions autour de la bourgade rendant impossible la défense de la localité. La 48e brigade, harcelée par les forces chinoises, prend alors la route pour Chaku qu’elle réussit à atteindre. Elle n’a plus alors que la taille d’un bataillon. C’est à ce moment que les Chinois attaquent de trois côtés décimant les restes de la brigade dont des groupes éparpillés fuient vers le sud.

Avec la disparition de la 48e brigade, il n’y a plus aucune force militaire organisée indienne dans l’Arunachal Pradesh, ni dans l’Aksai Chin. Militairement, la victoire chinoise est complète. Face au désastre, le 20 novembre, Nehru lance un appel aux Américains pour qu’ils interviennent militairement contre les Chinois en lançant des raids aériens contre l’APL. Mais Pékin décide unilatéralement d’un cessez-le-feu le 22 novembre.


Conclusion.
Le 20 novembre, l’APL a éliminé toutes les forces indiennes qui se trouvent dans les territoires frontaliers revendiqués par la Chine. Pékin préfère alors mettre fin au conflit et ne cherche pas à profiter de son avantage. Au contraire, si la Chine veut conserver l’Aksai Chin, elle accepte de laisser à l’Inde les territoires disputés dans l’Arunachal Pradesh. Au total, Pékin propose de laisser 68 % des territoires contestés à l’Inde et n’en conserve que 32 %, essentiellement dans l’Aksai Chin qui représente pour elle un territoire stratégique avec sa route militaire. Nehru accepte le cessez-le-feu chinois et les conditions posées par Pékin. À partir de décembre, la Chine commence donc à relâcher les Indiens fait prisonniers lors des combats.

Nehru a fait le pari dangereux que la Chine ne ferait pas la guerre pour les zones contestées et qu’elle s’en retirerait même si l’Inde faisait suffisamment pression sur elle. Mais pour que ce pari réussisse, il fallait qu’il soit validé par une évaluation exacte des forces en présence. Or Nehru ignore délibérément les avertissements de ses officiers qui l’ont mis en garde contre l’impréparation de l’armée indienne. Les dirigeants indiens ignorent également que les troupes chinoises sont incroyablement supérieures en nombre le long de la frontière, bien préparées à la guerre de montagne et disposent d’une bonne logistique.

La préparation logistique est en effet vitale pour n’importe quelle opération militaire. Dans ce domaine, l’Inde est largement déficiente. En de nombreuses occasions, les troupes indiennes manquent de munitions et de nombreux soldats mourront de froids tandis que les Chinois ont accumulé des stocks au Tibet. Les troupes indiennes sont également mal préparées à la guerre de montagne. Le commandement indien est également défaillant. Si dans l’Aksai Chin, il reste bien organisé, dans l’Arunachal Pradesh la confusion règne, notamment en raison des nombreux changements de cadres. Ainsi des unités sont envoyées sur des positions déjà occupées par les Chinois. Le général Kaul quant à lui ignore souvent les avis de ses subordonnés, se montre indécis, changeant ses ordres après les avoir donnés. Immédiatement après le cessez-le-feu, il sera relevé de ses fonctions puis limogé.

Soldats chinois et indiens en 2012


Bien que vaincue, l’Inde tire des avantages du conflit. D’abord le pays se trouve uni comme jamais avant tandis que l’influence du Parti communiste indien s’effondre. Surtout, l’Inde prend conscience de ses faiblesses militaires. Elle va doubler ses effectifs dans les deux années suivantes et améliorer considérablement l’entraînement de ses hommes et son organisation logistique. La guerre joue également un rôle important dans ses relations avec le Pakistan. Constatant à cette occasion la faiblesse militaire de son voisin, Islamabad se croit en position favorable pour régler la question du Cachemire ce qui débouche sur la guerre de 1965.

La guerre des frontières change profondément le climat militaire et politique en Asie du sud-est. La victoire chinoise scelle au profit de Pékin le sort du Tibet, source de tension avec l’Inde. Surtout la question des frontières n’a pas été réglé à l’issue de la guerre de 1962. L’Inde continue à revendiquer l’Aksai Chin tandis que Pékin appelle toujours l’Arunachal Pradesh le Tibet du sud ce qui provoque de nombreux incidents. Ces disputes territoriales conduisent à une forte militarisation de la région. Chaque camp a construit des infrastructures de communication, des bases aériennes, des avant-postes tout en déployant de nombreuses troupes, l’Inde utilisant des unités paramilitaires tibétaines pour des opérations de renseignements. Les escarmouches sont fréquentes et les risques d’une escalade vers un conflit ouvert toujours d’actualité.

La guerre de 1962 est aussi à l’origine d’une forte méfiance et d’une rivalité entre la Chine et l’Inde. Pékin soupçonne toujours New-Delhi d’essayer de saper son autorité sur le Tibet avec l’aide des États-Unis tandis que l’Inde voit son voisin du nord comme une puissance nationaliste et agressive qui cherche à dominer l’Asie. Chaque camp a développé un système d’alliance pour faire contrepoids à celui de son rival, la Chine avec le Pakistan et l’Inde avec l’URSS tandis qu’une lutte d’influence entre les deux pays s’exerce au Népal et en Birmanie. New-Delhi est ainsi devenue particulièrement méfiante devant ce qu’elle considère comme des intrusions chinoises dans l’Asie du Sud alors que Pékin voie d’un mauvais œil l’implication indienne croissante dans les affaires de l’Asie du sud-est et plus particulièrement dans la mer de Chine méridionale.


Bibliographie :
Eric Margolis, War at the Top of the World : The Struggle for Afghanistan, Kashmir and Tibet, Routledge, 2002.
Steven A. Hoffmann, India and the China crisis, University of California Press, 1990.
Neville Maxwell, India's China War, Pantheon Books, 1971.
Xiaobing Li, A History of the Modern Chinese Army, The University Press of Kentucky, 2007.

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