lundi 6 février 2017

La première bataille d’Elephant Pass ; juillet-août 1991


Entre approximativement le milieu des années 70 et 2009, le Sri Lanka fut déchiré par une guerre civile qui opposa le gouvernement central aux indépendantistes tamouls. A bien des égards, la première bataille d’Elephant Pass en 1991 peut être considérée comme un des tournants de ce long conflit.

Adrien Fontanellaz 



Après plusieurs décennies de montée des tensions politiques marquées par la montée en puissance d’une mouvance ethno-nationaliste singhalaise, la minorité tamoule du pays vit émerger en son sein des groupuscules indépendantistes, dont certains optèrent pour la lutte armée durant les années 70. Le conflit resta limité jusqu’en 1983, année durant laquelle une vague de pogroms anti-tamouls éclata dans le pays à la suite d’une embuscade contre une patrouille de l’armée menée par un des groupuscules tamouls ; les Liberation Tigers of Tamil Elaam (LTTE).

Les pogroms poussèrent des milliers de jeunes tamouls à rallier l’insurrection, et suscitèrent aussi une implication accrue de New Dehli qui offrit son soutien aux principaux groupes insurgés. Ceux-ci bénéficièrent ainsi durant plusieurs années d’un accès à des bases d’entraînement sur le sol indien, de formations prodiguées par des instructeurs du RAW (Research And Analysis Wing), ainsi que de livraisons d’armes légères. L’association entre ces deux facteurs aboutit à une croissance démesurée des cinq principaux groupes armés tamouls. Outre le LTTE, on y comptait le PLOT (People’s Liberation Organisation of Tamil Elaam), issu d’une scission du LTTE, le TELO (Tamil Elaam Liberation Organisation), l’EPRLF (Eelam People’s Revolutionary Liberation Front) et l’EROS (Eelam Revolutionary Organisation).

La première guerre de l’Elaam

Dans le Nord et l’Est du pays, et en particulier dans la péninsule de Jaffna, cœur historique du royaume tamoul du même nom, une féroce guérilla fit bientôt rage contre des forces gouvernementales sous-dimensionnées et mal préparées à ce type de conflit. Dans le même temps, des combats intervinrent sporadiquement entre groupes insurgés rivaux. Dans ce contexte, le LTTE se démarqua rapidement grâce à sa plus grande efficacité militaire, la motivation quasi-fanatique de ses militants, mais aussi par sa violence. Il élimina notamment le TELO d’un seul coup le 29 avril 1986 en attaquant simultanément une vingtaine de ses bases, avant d’exécuter nombre de ses membres dans les jours suivants. 

Velupillai Prabhakaran, troisième depuis la gauche, dans un camp d'entraînement en Inde (via www.southdreamz.com)
L’immixtion indienne dans le conflit sri-lankais, motivée par l’impact de ce dernier dans le Tamil Nadu, s’accentua encore par la suite. New Delhi fit pression sur le gouvernement sri-lankais et les insurgés tamouls afin de parvenir à un accord de paix, qui fut finalement signé en juillet 1987. Ce dernier prévoyait le déploiement de troupes indiennes au Sri Lanka, et les premiers soldats du contingent de l’Indian Peace Keeping Force (IPKF) arrivèrent dans le pays peu après l’accord. L’IPKF, dont la mission était d’accompagner la mise en place des dispositions prévues dans l’accord et donc acceptées par les belligérants, allait pourtant rapidement se retrouver dans une situation extrêmement inconfortable. D’une part, si Colombo n’avait eu d’autre choix que de plier face aux pressions de la superpuissance régionale, l’intervention indienne restait largement perçue comme une ingérence malvenue dans les affaires intérieures du pays, alors que d’autre part, le LTTE se démarqua bientôt des autres mouvements insurgés tamouls par une mauvaise volonté évidente à appliquer les dispositions stipulées dans l’accord, notamment en refusant de remettre ses stocks d’armes.

L’intervention indienne

En effet, le LTTE resta toujours fidèle à son but ultime, l’avènement d’un Tamil Eelam indépendant, et considéra que ce n’est que contraints et forcés que ses dirigeants souscrivirent à l’accord de paix de juillet car les dispositions mentionnées dans ce dernier restaient bien en deçà de ses revendications. Bien qu’il ait bénéficié des largeurs indiennes comme les autres mouvements insurgés, il prit garde de développer ses propres réseaux d’approvisionnement et de financement afin de conserver son indépendance. Après plusieurs mois d’antagonisme croissant entre le LTTE et l’IPKF, le suicide de 17 militants capturés par la marine sri-lankaise juste avant leur transfert à Colombo mit le feu aux poudres. En effet, les prisonniers étaient sous la garde des forces sri-lankaises dans une base entourées de troupes indiennes, et le LTTE considéra que ces dernières étaient responsables d’avoir accepté le transfert de ses militants à Colombo, et organisa donc le suicide de ces derniers afin de l’éviter. 


A la suite de plusieurs incidents ayant opposé ses forces aux Tigres tamouls, l’IPKF lança l’opération Pawan le 9 octobre 1987, soit une avance suivant plusieurs axes convergeant vers la ville de Jaffna, alors contrôlée par le LTTE. Les insurgés surprirent les Indiens, qui avaient sous-estimés leurs capacités, en opposant une résistance déterminée. Dès lors, il fallut à l’IPKF trois semaines de violents combats en milieux semi-urbain et urbain afin de s’emparer de la ville. Si les troupes indiennes, pourtant appuyées par des tanks T-72 et des véhicules de combat d’infanterie BMP-1, perdirent près de 300 hommes dans les combats, les pertes furent aussi très lourdes pour le LTTE, qui dut se résoudre à abandonner sa stratégie de résistance frontale ainsi que sa capitale, et d’ordonner à ses militants de se replier dans les jungles du Wanni dans le Nord du pays. Durant les trois années suivantes, les insurgés menèrent avec succès une guerre de guérilla contre les troupes indiennes depuis leurs sanctuaires du Wanni, alors que le conflit devenait de plus en plus impopulaire en Inde, et ce tout particulièrement dans le Tamil Nadu. De plus, le gouvernement sri-lankais, qui affronta lui aussi une sanglante insurrection lancée par le Janatha Vimukht Peramuna (JVP ; Front Populaire de Libération) entre 1987 et 1989, signa un accord de cessez-le-feu avec le LTTE en juin 1989, avant de livrer des armes au LTTE afin d’accroître les difficultés indiennes. In fine, l’Inde décida de s’extirper du bourbier sri-lankais et l’IPKF entama un processus de retrait graduel. Les dernières troupes indiennes quittèrent l’île en mars 1990. 

Soldats de l'IPKF embarquant dans un hélicoptère Mi-8 de l'Indian Air Force (via dailynews.lk)
Le retrait indien sonna aussi le glas de la conjonction d’intérêts entre Colombo et le LTTE. Ce dernier en particulier considérait avoir vaincu seul une superpuissance et avait pris le contrôle des territoires progressivement abandonnés par l’IPKF durant les différentes phases de son retrait. Les Indiens avaient certes entraînés et armées une force supplétive, la TNA (Tamil National Army) mais celle-ci s’avéra incapable de faire face au LTTE, qui en vint facilement à bout, faisant ainsi main basse sur les importants stocks d’armes légères et de munitions fournis par l’Inde à la TNA.

Guerre dans le Nord

A la mi-juin 1990, le LTTE reprit les hostilités en attaquant simultanément un grand nombre de postes de police et de petites positions de l’armée dans le Nord et l’Est du pays. Les insurgés capturèrent, puis exécutèrent sommairement, des centaines de policiers en quelques jours. Dans la péninsule de Jaffna, les Tigres assiégèrent rapidement les principales garnisons de l’armée, soit la base de Palali et le fort de Jaffna, toutes deux très isolées mais bien trop fortes pour être prises par un assaut frontal. Finalement, les forces gouvernementales durent lancer une opération interarmes de grande ampleur en septembre 1990 afin d’évacuer la garnison du fort.

En revanche, le LTTE lança plusieurs assauts en règle contre des positions de l’armée dans le Nord, visant tout particulièrement celles situées sur le tronçon de la route A9 reliant Kandy à Jaffna proche de ses sanctuaires. A la mi-juillet 1990, les insurgés submergèrent le petit poste de Kokavil, forçant l’armée à évacuer la garnison de  Kilinochchi, alors même que cette dernière était parvenue à repousser une attaque des Tigres les 14 et 15 juin 1990. Le 22 décembre 1990, le fort de Mankulam devenait la cible d’une attaque de grande ampleur. Après trois jours de violents combats, les 312 défenseurs du 3rd Gajaba Regiment (NOTE 1) durent abandonner le fort - grâce à une voie de repli laissée ouverte à dessin par le LTTE - mais seulement 117 d’entre eux parvinrent à rejoindre des positions amies, notamment grâce aux extractions menées par la petite flotte d’hélicoptères de la Sri Lanka Air Force (SLAF). En revanche, un détachement de l’armée retranché à  Silvathurai résista avec succès à une attaque majeure du LTTE en mars 1991. Fin août 1990, les forces gouvernementales étaient déjà parvenues à secourir la garnison de Mullaithivu durant l’opération Sea Breeze, durant laquelle un renfort de deux bataillons avait  été acheminé par la Sri Lanka Navy (SLN) depuis le port de Trincomalee.

Entre avril et juin 1991, l’armée sri-lankaise mena dans le Nord plusieurs incursions multi-bataillonnaires dans le but d’attirer et de détruire un maximum d’éléments ennemis. Les opérations Tiger Chase, qui mobilisa un état-major de brigade chapeautant cinq bataillons d’infanterie, Wanni Wickrema I, impliquant les brigades Vikum et Kanthaka, fortes de deux bataillons chacune, et enfin Wanni Wickrema II, avec quatre bataillons attachés à la brigade Vikum, se succédèrent sans pour autant amener de résultats notables. Si de nombreux camps insurgés purent être temporairement occupés, les Tigres se contentèrent de se replier en refusant un affrontement frontal, puis de réoccuper les zones perdues après le retrait des troupes gouvernementales.

Le LTTE ;  une guérilla engagée dans l’apprentissage des opérations conventionnelles

Le LTTE fut fondé durant la seconde moitié des années 70 par Velupillai Prabhakaran, qui resta son leader incontesté jusqu’à sa mort en mai 2009. Le mouvement ne comptait que quelques dizaines de militants actifs jusqu’en 1983, année durant laquelle il entra, comme les autres groupes indépendantistes tamouls, dans une phase d’expansion massive. Pourtant, le LTTE se démarqua de ses rivaux sur plusieurs points cruciaux. Dans un premier temps, sa priorité absolue resta toujours la lutte armée, et il est possible de considérer, à l’instar de Mirabeau pour la Prusse, que le LTTE était une armée avec un mouvement et non pas un mouvement avec un branche armée.

Dans un second temps, le mouvement privilégia tout au long des années 80 la qualité sur la quantité. Il opta ainsi délibérément à partir de 1983 pour une croissance plus lente que ses rivaux insurgés en se montrant très sélectif dans le recrutement de ses membres, qu’il soumettait à une période de probation avant de les intégrer dans ses rangs à titre définitif. Une fois intégrés, ces derniers faisaient l’objet d’un entraînement soigné, généralement d’une durée de trois mois. Dans le même temps, la motivation des militants devait être absolue ; dès 1984, ceux-ci recevaient une fiole de cyanure à l’occasion de la cérémonie marquant leur acceptation dans le mouvement, afin de pouvoir se donner la mort s’ils risquaient d’être capturés. La discipline était draconienne et le recours aux châtiments corporels fréquents.

Le LTTE pratiqua avec succès une politique de promotion de ses cadres au mérite, et il était attendu d’eux qu’ils commandent de l’avant, tout en étant soumis à l’obligation de reporter très précisément le résultat de leurs opérations ainsi que les pertes subies à leurs supérieures. Au besoin, les Tigres disposaient de leur propre service de renseignement, dont l’une des missions consistait à surveiller l’appareil politico-militaire du mouvement et de s’assurer de la véracité des rapports transmis tout au long de la chaîne hiérarchique, avec des conséquences potentiellement très sévères pour les cadres coupables de dissimulation ou d’exagération. 
Enfin, le LTTE s’efforça de garder sa liberté d’action. Bien qu’il il bénéficia d’un important soutien de New Delhi entre 1983 et 1987, sous la forme de sanctuaires en territoire indien, de livraisons d’armes légères, et d’un entraînement prodigué à plusieurs centaines de ses militants directement par le Research and Analysis Wing indien - un petit nombre d’entre eux reçut même une formation de nageurs de combat alors qu’une dizaine d’autres furent initiés au maniement de missiles sol-air portables SAM-7, dont le LTTE n’était pourtant pas équipé - Velupillai Prabhakaran ordonna pourtant la mise en place d’un réseau de soutien financier dans les communautés tamoules sri-lankaises expatriées ainsi que d’un réseau de fourniture d’armes autonomes. Un premier navire marchant fut même acquis en 1984 afin de se prémunir contre une éventuelle fermeture du sanctuaire indien, aisément accessible par la voie maritime depuis la péninsule de Jaffna. Enfin, le mouvement mit progressivement sur pieds un réseau d’ateliers artisanaux qui lui permirent de fabriquer plusieurs modèles de mortiers primitifs et d’engins explosifs improvisés, et continua à développer des camps d’entraînement sur le sol sri-lankais.

Malgré les très lourdes pertes subies durant ses trois années d’affrontement contre l’IPKF, les Tigres comptaient, selon cette dernière, 10'000 hommes et femmes en 1990, contre 4'000 en 1987. Pour atteindre cet effectif, le LTTE avait cependant procédé au recrutement de nombreux jeunes adolescents. Depuis ses débuts, le mouvement avait mis sur pieds plusieurs régions militaires, dont les commandants répondaient directement à Velupillai Prabhakaran. A leur tour, ceux-ci chapeautaient des zones, dont les chefs étaient chargés de la coordination des unités de combats, constituées en sections d’une quinzaine de combattants. Ces sections pouvaient être déplacées d’une zone à une autre en fonction de besoins, et la coordination du tout était rendue possible par l’existence d’un réseau radio performant. Cependant, du fait de l’accroissement de ses effectifs ainsi que de la nécessité de lancer des opérations de plus grande ampleur, le LTTE mit sur pieds des pelotons, puis des compagnies, qui restaient cependant contrôlées par les commandants de zone et de région. Enfin, le 10 avril 1991, les Tigres levèrent la brigade Charles Anthony, un gros bataillon de 1'500 hommes chapeautant plusieurs compagnies.

Une colonne de combattants du LTTE, à une date indéterminées. On y reconnaît les tenus de camouflage propres aux Tigres tamouls et qui apparaissent au début des années 90. (capture d'écran via Youtube)

En revanche, le LTTE restait avant tout une force de guérilla et d’infanterie légère. Il était abondamment pourvu en armes individuelles et collectives de petits calibres, mais ne disposait que de très peu d’armes lourdes. La DCA était équipée de mitrailleuses lourdes de 12.7mm, le plus souvent montées sur pick-up. En 1991, les Tigres parvinrent à se doter d’au moins une pièce de 20mm. L’appui-feu était prodigué par les mortiers développés dans ses ateliers, et dont le calibre pouvait atteindre jusqu’à 155mm, mais dont la portée restait faible. Ainsi, le Pasilan 2000, introduit en 1990, pouvait projeter une charge de 30 kilos sur un seul kilomètre.

Le LTTE expérimenta plusieurs moyens afin de surmonter la difficulté présentée par la prise d’assaut de positions ennemies alors qu’il ne disposait que d’une puissance de feu réduite. Une solution imparfaite fut trouvée avec l’usage de kamikazes chargés de lancer un camion bourré d’explosifs contre un point vulnérable de la position ennemie. La première opération de ce type intervint le 5 juillet 1987 contre une garnison de l’armée dans la périphérie de Jaffna, lorsque le Capitaine Miller, qui devint ainsi le premier Black Tiger – du nom donné par la suite aux kamikazes du mouvement -  fit exploser son camion afin de faciliter un assaut en règle par une cinquantaine de militants. Le même modus operandi fut reproduit durant les attaques contre le poste de Kokavil et le camp de Mankalum. Cependant, le procédé était loin de représenter une solution idéale puisque l’axe d’approche des véhicules-suicide était facile à déterminer pour les défenseurs. Le LTTE se dota aussi de blindés rudimentaires en recouvrant des bulldozers avec des plaques d’acier afin de soutenir ses attaques frontales contre les retranchements ennemis. La petite branche navale du mouvement, essentiellement dévolue aux missions logistiques, mena également une attaque-suicide le 10 juillet 1990, lorsque l’équipage d’un petit navire de pêche chargé d’explosif se fit exploser à proximité du navire de surveillance SLNS Edithara au large de Valvettithurai, ne lui infligeant cependant que des dégâts légers.

Les forces armées gouvernementales

Durant les décennies qui suivirent l’indépendance du pays, l’armée ceylanaise, puis sri-lankaise, resta avant tout une petite force d’infanterie mal équipée construite sur le modèle britannique. Colombo n’avait alors aucune raison de ponctionner ses ressources budgétaires limitées pour développer ses forces armées puisque aucune menace extérieure sérieuse ne pesait sur le pays, tandis que la situation intérieure restait relativement calme. De plus, et malgré leurs faiblesses, l’armée et les forces de police parvinrent à venir à bout relativement rapidement de l’insurrection du JVP de 1971. Cette situation changea radicalement à l’orée des années 80, et tout particulièrement à partir de 1983, année qui marqua une escalade majeure de la guerre contre les insurgés tamouls. Concomitamment, les effectifs de la Sri Lanka Army (SLA) passèrent de 11'000 hommes en 1983 à 50'000 hommes en 1990.

Au moment de la reprise des hostilités, la SLA comprenait une trentaine de bataillons d’infanterie issus de six régiments, un régiment de commandos chapeautant un unique bataillon, une brigade blindée et deux bataillons d’artillerie. En sus, l’armée leva en 1988 trois divisions chargées de la coordination des forces présentes dans un espace géographique donné. Au besoin, les opérations étaient menées par des brigades ad hoc auxquelles étaient rattachées un nombre variable de bataillons. Outre l’armement des fantassins, largement constitué d’armes d’origine chinoises, l’arsenal de la SLA était relativement limité. En 1989, celui-ci consistait en près de 200 véhicules blindés légers à roue, de reconnaissance ou de transport de troupe, largement composé de Ferret, Saracen et Saladin d’’origine britannique alors que le parc d’artillerie se limitait à 46 pièces. A partir de 1990, le SLA se tourna vers la Chine et la Tchécoslovaquie afin d’acquérir des tanks T-55 et T-59 ainsi que des pièces d’artillerie à longue portée.


Régiments d’infanterie de la SLA, 1990

Sri Lanka Light Infantry Regiment
Sinha Infantry Regiment
Gemunu Watch Infantry Regiment
Gajaba Infantry Regiment
Vijayabahu Infantry Regiment
Sri Lanka National Guard Regiment



La SLA pouvait s’appuyer sur la Special Task Force, une unité de la police spécialisée dans les opérations de contre-insurrection. Cette dernière avait été entraînée durant les années 80 par des vétérans du SAS britanniques employés par une société privée, KMS Services, qui avait également fourni des instructeurs à la Sri Lanka Air Force. De même, le régiment commando avait été levé à la fin des années septante avec l’aide de spécialistes israéliens. Malgré l’expérience chèrement acquise durant les années 80, la SLA était relativement mal préparée à la reprise du conflit, et ce d’autant que sa montée en puissance avait eu des effets négatifs, notamment de par la réduction du temps d’entraînement octroyé aux recrues. De plus, le manque de moyens financiers, induit par les limites inhérentes à l’économie nationale, représentait une entrave toujours présente.  

Un des F-7 livrés au début de 1991, armé de bombes de 250 kg.
La force aérienne sri-lankaise (Sri Lanka Air Force, SLAF) joua rapidement un rôle critique dans le conflit, notamment parce que seuls ses hélicoptères pouvaient ravitailler nombre de postes isolés dans la péninsule de Jaffna dès le milieu des années 80. A l’image des autres armes, elle connut une forte expansion durant cette période, de 2'968 hommes au 31 décembre 1983 à 6'606 hommes au 31 décembre 1987. Elle était organisée en 1991 en un groupe d’entraînement, un groupe de transport et deux escadrons dédiés à la reconnaissance maritime et à la mise en œuvre des hélicoptères. Sa flotte comprenait 73 aéronefs opérationnels, dont 23 voilures tournantes, soit sept Bell 206, douze Bell 212 et quatre Bell 412. La flotte d’avions de transport incluait des Y-8 et Y-12 chinois et des Avro HS748 britanniques. Ses capacités d’appui reposaient sur sept Siai-Marchetti SF.260TP aptes à la lutte antiguérilla, ainsi que sur sa flotte d’hélicoptères, dont une partie du parc était grée en gunships, y compris des Bell 206, pourtant mal adaptés à ce rôle. En outre, il n’était pas rare que les deux Y-8 et les neuf Y-12 de transport fussent grées en bombardiers de fortune afin de larguer des fûts remplis d’explosifs et de plastic à basse altitude. Le 1er février 1991, la SLAF activa une nouvelle unité, le 5 Jet Squadron, équipée de quatre chasseurs F-7BS, d’un unique FT-7 dédié à la conversion des pilotes, et de deux FT-5 d’entraînement. Ces appareils peu couteux d’origine chinoise permirent à la force aérienne de renouer avec l’emploi de jets – une capacité qu’elle avait perdu plus d’une décennie auparavant faute d’avoir eu les moyens financiers pour mettre en œuvre la poignée de MiG-17 livrés par l’URSS en 1973. Bien que dédiés à la chasse, le quatuor de F-7 pouvait être utilisé dans des missions d’appui, armé de bombes ou de paniers lance-roquettes qui s’ajoutaient à ses deux canons de 30mm.

Ordre de bataille, SLAF 1991

Unité
Base d’attache
Type d’ aéronefs mis en oeuvre
No 1 Flying Training Wing
Anuradhapura AB
Cessna 337,  SF.260W, SF.260TP,
No 2 Transport Wing
Ratmalana AB
Avro HS748, Y-8, Y-12
No 3 Maritime Squadron
China Bay AB
Cessna 337, 1 Bell 212
No 4 Helicopter Squadron
Katunayake AB
Bell 206, Bell 212, Bell 412
No 5 Jet squadron
Katunayake AB
F-7BS, FT-7, FT-5


La Sri Lanka Navy (SLN) restait une marine essentiellement côtière et ne disposait pratiquement pas de capacités hauturières. Elle alignait des dizaines de patrouilleurs, ses moyens offensifs reposant sur des canonnières rapides de type Shanghai II chinoises et des patrouilleurs d’attaque Dvora d’origine israélienne. Ses missions consistaient principalement à contrôler le trafic maritime côtier afin d’isoler le LTTE de l’extérieur, et à soutenir les opérations de l’armée en fournissant un appui-feu et surtout grâce à sa petite flotte de vieux navires de transport amphibies.


Elephant Pass

Elephant Pass constitue la seule voie terrestre reliant la péninsule de Jaffna au reste du Sri Lanka et constitue donc un point stratégique. Son contrôle était un but majeur pour les deux belligérants puisque il aurait permis au LTTE de considérablement simplifier les liaisons entre ses bastions de Jaffna et du Wanni et que pour la même raison, il était vital pour les forces gouvernementales d’empêcher les insurgés d’en bénéficier. Aussi, la passe était protégée par un camp de l’armée couvrant les approches Nord et Sud de la passe. Ce dernier incluait plusieurs postes avancés, le tout représentant un diamètre d’environ 5 kilomètres. L’ensemble des positions étaient couvertes par des champs de mines et des barbelés, alors que des champs de tir avaient également été dégagés. 

Carte d'Elephant Pass et de ses environs.
Dès le mois de juin 1990, le LTTE avait ceinturé le camp avec ses propres forces afin de confiner la garnison dans le camp. Le 27 avril 1991, cette dernière lança l’opération King Prawn afin d’étendre son périmètre, mais l’attaque fut rapidement repoussée par les Tigres. En juillet 1991, la base était tenue par les 800 hommes du 6th Sinha regiment commandés par le Major Sanath Karunarathne.

A la mi-1991, les dirigeants du LTTE décidèrent d’investir le camp. Au début du mois de juillet, ils mirent en batterie des mitrailleuses lourdes à proximité afin d’empêcher les hélicoptères ennemis de ravitailler la base. De plus, les insurgés déployèrent pour la première fois au moins une pièce anti-aérienne d’un calibre de 20mm, d’une portée de 1'000 mètres. Par sa seule présence,  cette arme devait compliquer encore plus la tâche des pilotes de la SLAF, contraints de voler plus haut, avec pour effet de réduire la précision de leurs passes de tir ou encore de leurs largages de ravitaillement. Dans le même temps, les Tigres massèrent environ 3'000 combattants – y compris plusieurs centaines de femmes - à proximité de leur objectif. Ceux-ci étaient répartis en deux forces. La première, chargée d’attaquer depuis le Nord, était commandée par Bhanu, un des meilleurs commandants du mouvement. 

Balraj, photographié durant la bataille, en 1991 (via Tamilnet)
La seconde force était placée sous les ordres de Balraj, le nom de guerre de Kandiah Balasegaran. Celui-ci était alors un des cadres les plus prometteurs du LTTE, qu’il avait rallié en 1983, après une brève période durant laquelle il avait appartenu au PLOT, ce lui valut de devoir surmonter une certaine méfiance au sein des Tigres. Il servit initialement comme guide, puis fut envoyé en Inde afin d’y être entraîné. A son retour, il se fit rapidement remarquer pour son efficacité, notamment en endommageant un blindé indien par un tir de RPG durant la bataille de Jaffna en octobre 1987, et devint commandant de secteur en 1988, puis commandant en charge du Wanni en 1990. Son prestige ne fit que grandir lorsqu’il se démarqua par ses qualités de commandant lors des attaques contre Kokavil et Mankulam. En 1991, il devint le premier commandant de la brigade Charles Anthony, à la tête de laquelle il participa à la bataille d’Elephant Pass.

Tharai – Kadal – Aahayam

Alors que ses forces se massaient autour d’Elephant pass, des centaines de civils étaient mobilisés afin de creuser une série de retranchements destinés à faciliter l’assaut. Le camp ennemi fut ainsi entouré par une circonvallation consistant en deux lignes de tranchées et de bunkers. La première, située parfois à deux cents mètres des lignes ennemies, abritait des postes d’observation, alors que la seconde ligne permettait de masser les troupes d’assaut. En outre, nombre de bunkers, dont certains étaient renforcés par des rails ou du béton, et d’emplacements de tir destinés abriter les mortiers ou les mitrailleuses lourdes furent également construits. L’ensemble de ces positions furent reliés par un réseau de tranchées de communication. Dans le même temps, des positions factices moins bien camouflées étaient également aménagées afin d’attirer les feux de la SLAF.

L’attaque contre Elephant Pass, nommée opération Tharai – Kadal – Aahayam (Terre-Mer-Air) débuta au petit matin du 10 juillet 1991. Vers 4 heures, et à la suite d’un violent barrage de mortier qui s’abattit sur les positions avancées sri-lankaises, les Tigres s’élancèrent à l’assaut du camp, couverts par des bulldozers blindés qui précédaient les colonnes d’infanterie. La combinaison entre blindés improvisés, mortiers et vagues d’infanterie ne parvint cependant pas à emporter la décision et l’attaque fut repoussée. Les Tigres lancèrent deux autres assauts dans la soirée et parvinrent à détruire plusieurs bunkers, mais sans réussir à surmonter la féroce résistance opposée par les hommes du 6th Sinha Regiment. Les pertes subies par les assaillants s’avérèrent suffisamment lourdes pour qu’aucune attaque de grande envergure n’intervienne dans la journée du 11 juillet, alors que la SLAF intervenait en force sur le champ de bataille et détruisait plusieurs tracteurs ennemis.

Cependant, à minuit et sur le flanc Sud, les troupes de Balraj attaquèrent un des points forts avancés de la base, « le camp de la Guest House ». Une colonne d’attaque composée de combattantes (NOTE 2) précédée d’un bulldozer parvint à s’approcher suffisamment pour que certaines insurgées parviennent à créer une brèche à travers le champ de mines et les barbelés ceinturant la position ennemie, permettant ainsi à leurs sœurs d’armes de l’assaillir, puis de la prendre à l’issue de deux heures de combats. Onze combattantes furent tuées et 24 autres blessées dans l’assaut. 

Le caporal caporal Gamini Kularahne, (via sundayobserver.lk)
Les échanges de tir se succédèrent le 12 juillet, jour où les pertes de la garnison atteignirent 10 tués, parmi lesquels le Major Lalith Buddhadasa, le commandant en second du bataillon, ainsi que 30 blessés, que les hélicoptères de la SLAF ne parvenaient pas à évacuer du fait des tirs des batteries anti-aériennes insurgées. Le 13 juillet, le LTTE lança un nouvel assaut de grande envergure soutenu par ses mortiers et trois bulldozers blindés, mais sans succès, bien que les défenseurs aient encore perdu trois tués, trois disparus et 24 blessés durant les affrontements. Une nouvelle tentative, tout aussi vaine, suivit le 14 juillet, durant laquelle le caporal Gamini Kularahne acquit le statut de héros national après avoir neutralisé un bulldozer blindé à coup de grenades, et ce juste avant de tomber sous les tirs ennemis. Après cette série d’échecs, les Tigres suspendirent leurs coûteuses attaques à grande échelle, pariant sur le temps et la faim pour réduire la garnison complètement coupée de l’extérieur.

Opération Balavegaya

De fait, le commandement sri-lankais était conscient du fait que la chute d’Elephant Pass n’était qu’une question temps et débuta la mise sur pieds d’une opération de secours, baptisée Balavegaya, dès les premières attaques du LTTE. Un contingent de la SLA devait être débarqué par la marine à proximité de la passe puis avancer en direction de cette dernière afin de faire la jonction avec les assiégés. Le contre-amiral Frank Wickramarathne était en charge des opérations navales alors que le commandement de la Task Force terrestre incomba au Brigadier Vijaya Wimalarathne. De son côté, la SLAF attribua une partie importante de ses moyens afin de soutenir l’opération, soit six SF.260TP, quatre Y-12, un Cessna 337 pour la reconnaissance, ainsi que quatre Bell 212 grées en gunships et deux hélicoptères dédiés au transport. Ces appareils furent déployés sur la base Palali, sise dans la péninsule de Jaffna. Aussi, et malgré leur nombre dans l’absolu réduit, leur puissance était démultipliée par le fait qu’ils se trouvaient à quelques minutes de vol du champ de bataille et de ce fait en mesure de multiplier leurs sorties.

Le 14 juillet peu après midi, la flotte sri-lankaise se présenta au large des plages de Vettilakerni, elles-mêmes situées à une distance de 10 kilomètres d’Elephant Pass. Celle-ci transportait une force d’assaut composée de quatre bataillons d’infanterie ; le 3rd Sri Lanka Light Infantry Regiment, les 1st and 3rd Gajaba Infantry regiment et le 1st Sinha Infantry Regiment. Ces fantassins avaient été embarqués sur les LCS (Landing Craft Support) SLNS Kandula et SLNS Pabbatha ainsi que les navires de support (NOTE 3) SLNS Edithara et SLNS Wickrema. Enfin, un bâtiment de transport, le SLNS Lihiniya, avait été aménagé en navire-hôpital et stationnait au large. De plus, la SLN avait aussi mobilisé quatre canonnières rapides de type Shanghai, les SLNS Sooraya, SLNS Ranakamee, SLNS Rakshaka et SLNS Weeraya et trois vedettes de type Dvora, les P454, P456 et P457, pour escorter le convoi et surtout fournir un appui-feu durant le débarquement.



A 14h00, après que les Shanghai et la SLAF aient bombardés le secteur, une vague d’assaut de 300 soldats à bord de 24 embarcations approcha de la plage, avant d’être accueillie par un feu ennemi intense qui la força à rebrousser chemin à 75 mètres du rivage, alors que dans le même temps, les insurgés brouillaient les fréquences radio sri-lankaises.  En effet, le LTTE avait anticipé l’envoi d’une opération amphibie de secours, et identifié Vettilakerni comme un des points de débarquement les plus probables, et avait disposé un rideau de troupes en conséquence. Après une nouvelle série de bombardements préparatoires, une seconde vague se dirigea vers la plage à la tombée du jour, vers 18h00 et débarqua cette fois avec succès. Les fantassins sri-lankais parvinrent à consolider une tête de pont, malgré les tirs de mortiers et de sniper embusqués dans les arbres, ainsi que la présence en nombre de mines et de pièges.  

Les assiégés;  fantassins du 6th Sinha Regiment sur la ligne de défense avancée du camp d'Elephant Pass. (Sinha Regiment)

A partir du 15 juillet, et malgré l’appui prodigué par l’aviation et les blindés, les soldats gouvernementaux butèrent contre les positions ennemies et surtout la résistance fanatique opposée par leurs défenseurs. Le commandement du LTTE, déterminé à stopper l’avance de la force de secours, avait entrepris de dépêcher des renforts prélevés du contingent assiégeant Elephant Pass ainsi que d’autres secteurs. Ce faisant, il condamnait les Tigres à subir des lourdes pertes car le terrain favorisait l’armée sri-lankaise. En effet, la zone séparant Vettilakerni et Elephant Pass est plate et couverte de sable. Les seuls obstacles sont des dunes, que les blindés sri-lankais mettaient d’ailleurs à profit pour manœuvrer à couvert. Le sol sableux rendait difficile la mise en place de tranchées, pourtant indispensables à la survie des insurgés, car celles-ci se comblaient rapidement. Enfin, les voies d’accès au champ de bataille étaient réduites en nombre, facilitant d’autant les attaques d’interdiction nocturnes de la SLAF, dont les appareils parvinrent à détruire nombre de véhicules de ravitaillement ennemis. Dans un secteur dépourvu de sources d’eau potable, nombreux furent les insurgés à souffrir de la soif. La résistance acharnée des Tigres ne faiblit cependant pas et le 16 juillet, les gouvernementaux, après s’être emparé d’un vieux fort français qui servait de point d’appui au LTTE, et résisté à une contre-attaque menée par plusieurs centaines de combattants ennemis, n’avaient avancé que d’un peu moins de deux kilomètres depuis leur point de débarquement.

Le 16 juillet également, un autre groupement de l’armée, commandé par le Brigadier Janaka Perera, lança l’opération Ashaka Sena plus au Sud, dans le secteur de Mullaithivu. La Task Force, composée du 1st Commando Regiment, du 1st Sri Lanka Engineers Regiment et du 1st Special Force Regiment, entrepris d’avancer dans la jungle du triangle Weli-Oya-Padaviya et d’y détruire les infrastructures du LTTE, ceci afin d’empêcher les Tigres de dépêcher d’autres renforts à Elephant Pass, mais n’infligea que des pertes réduites à l’adversaire, qui refusa de se confronter frontalement aux forces spéciales et au commandos.


Ordre de bataille ; opération Balavegaya fin juillet 1991

Unité
Commandants ou bataillons rattachés
Task Force
Brigadier Vijaya Wimalarathne
1st Brigade
Colonel Sarath Fonseka
1st Sinha
1st Gajaba
4th Sri Lanka Light Infantry
3rd Brigade
Colonel Anton Wijendra
4th Sinha
3rd Sri Lanka Light Infantry
3rd Gajaba
5th Gemunu Watch
7th Brigade
Colonel Gamini Angammana
1st Sri Lanka Light Infantry
6th Sri Lanka Light Infantry
1st Vijayaba
7th Sinha
Holding Brigade
Colonel Devinda Kalupahana
6th Gemunu Watch
4th Gajaba
Unités de Soutien
4th Artillery Regiment
7th Artillery Regiment
1st Sri Lanka Armoured Corps
3rd Sri Lanka Armoured Corps



Malgré cette diversion, la bataille resta aussi acharnée sur le long de l’axe Vettilakerni – Elephant Pass. Grâce à sa supériorité en effectifs et en puissance de feu, la SLA parvint à accélérer sa progression, qui atteignit deux kilomètres le 17 juillet. Le 20 juillet, la force de secours ne se trouvait plus qu’à deux kilomètres du camp assiégé, après avoir fait sauter le verrou de Mulliyan, une zone couverte de bunkers, de tunnels et de tranchées, et où les combats avaient parfois eu lieu au corps-à-corps. Cependant, épuisé, le groupement sri-lankais dût s’arrêter afin de se réorganiser et de relever certaines de ses unités. A ce stade, et suite à un afflux constant de renforts, le Brigadier Vijaya Wimalarathne avait près de 8'000 hommes sous ses ordres, répartis en trois brigades chapeautant onze bataillons d’infanterie, auxquelles s’ajoutait une brigade à deux bataillons chargée de la sécurisation des arrières de la Task Force. L’appui-feu était fourni par les canons d’origine chinoise type 56 de 85mm du 4th Artillery Regiment et les mortiers de 120mm du 7th Artillery Regiment. Les blindés Saracen, Saladin et Buffalo détachés par le Sri Lanka Armoured Corps appuyaient également les fantassins, non sans subir de pertes puisque deux blindés furent détruits par des mines.


La fin de la bataille


Alors que la Task Force continuait à avancer pas-à-pas face à la défense acharnée des insurgés, maintenant aidés par la présence de bambous qui les aidait à se dissimuler, les dirigeants du LTTE décidèrent de tenter le tout pour le tout en lançant de nouvelles attaques contre le camp d’Elephant Pass. Un premier assaut impliquant l’équivalent d’une compagnie d’infanterie fut ainsi lancé dans la soirée du 27 juillet, mais fut repoussé par la garnison, qui perdit 10 tués dans les combats. D’autres tentatives prirent place durant les deux jours suivants mais sans plus de succès face à la résistance déterminée des soldats du 6th Sinha Regiment et aux frappes de la SLAF. A une occasion, les Tigres tentèrent de créer une brèche au moyen d’un bulldozer blindé rempli d’explosifs appuyés par deux jeeps armées de mitrailleuses lourdes, mais les trois véhicules furent rapidement détruits. 

Arrière d'un bulldozer blindé du LTTE détruit durant la bataille. Il s'agit de celui neutralisé par le caporal Gamini Kularahne, (via sundayobserver.lk)
Tandis que les insurgés s’épuisaient dans de vaines attaques, la force de secours continua sa progression et, en début de soirée le 1er août, ses éléments avancés n’étaient plus qu’à 600 mètres du camp. A ce stade, et à la suite des lourdes pertes qu’ils avaient subies, les Tigres commencèrent à se replier faute de pouvoir continuer à affronter frontalement l’armée sri-lankaise, dont la victoire était devenue inévitable. Deux jours plus tard, le siège fut levé avec la jonction entre les hommes de la Task force et la garnison épuisée par plus de trois semaines de combats. L’opération Balavegaya se poursuivit ensuite jusqu’au 14 août afin d’étendre le périmètre du camp et de prendre puis détruire les infrastructures mises en place par le LTTE au Sud d’Elephant Pass.

Conclusion

Elephant Pass fut la plus violente bataille ayant jamais eu lieu entre le LTTE et les forces armées sri-lankaises au moment où elle intervint. Les insurgés démontrèrent à cette occasion qu’ils n’avaient rien perdu de la pugnacité dont ils avaient déjà fait preuve en octobre 1987 face à l’IPKF, comme le démontre amplement le fait qu’il fallut 18 jours à la force de secours pour parcourir la dizaine de kilomètres séparant Vettilakerni du camp assiégé. Les pertes furent très lourdes des deux côtés ; le LTTE reconnut la mort de 573 combattants, y compris 123 femmes, durant la bataille alors que la SLA annonça par la suite que 202 soldats étaient morts au combats. Le nombre de blessés dans les deux camps reste inconnu, mais dans le cas de l’armée, il se montait déjà à 482 hommes le 25 juillet. De plus, les deux belligérants peuvent avoir cherché à minimiser l’étendue de leurs pertes, et ont dans tous les cas annoncé avoir infligé à leur ennemi des dommages très probablement supérieures à la réalité. Les troupes gouvernementales annoncèrent ainsi avoir tué près de 2'500 insurgés, alors que déterminer les pertes totales subies par le LTTE était dans tous les cas rendus difficile par le fait que les Tigres s’efforçaient de pas laisser les cadavres de leurs combattants tomber aux mains de l’ennemi.

Photo prise le 4 août 1991, avec plusieurs officiers commandant l'opération Balavegaya, célébrant le jonction entre assiégés et la force de secours (via sundayobserver.lk)

La bataille fut aussi un symptôme de la transformation du conflit en guerre conventionnelle, du moins dans le Nord du pays, car dans l’Est, le LTTE continua à utiliser des modes opératoires propres à une guérilla. Cependant, les capacités du mouvement à attaquer du fort au fort restaient réduites et il n’en était qu’au début de son processus de conventionnalisation qui allait l’amener, durant la même décennie, à constituer d’autres unités d’infanterie régulière ainsi que des unités d’artillerie lourde, de mortiers, de lutte anti-aérienne ou encore blindée et anti-char. Une des enseignements majeurs que tira le LTTE de la première bataille d’Elephant Pass était que pour mener de nouvelles opérations de ce type avec succès, il lui faudrait donner à sa branche maritime la capacité de s’opposer aux opérations amphibies de la SLN. Cette prise de conscience allait déboucher sur une expansion drastique des Sea Tiger, qui allaient bientôt se montrer capables d’affronter la SLN pratiquement d’égal à égal. Un peu moins de dix ans plus tard,  l’ensemble de ces moyens allaient permettre au mouvement de prendre Elephant Pass pourtant défendue par une division entière de la SLA, lors de la seconde bataille éponyme.

Paradoxalement, les conclusions ne furent guère différentes du côté gouvernemental, puisque dans les années qui suivirent, les différents services constitutifs des forces armées sri-lankaises accrurent, dans la mesure des modestes moyens financiers du pays, massivement leur puissance de feu et leurs effectifs. Bref, tout se mit en place pour que l’intensité des opérations conventionnelles dans le Nord ne fasse que s’accroître, et que la violence du conflit continue à s’intensifier.


Bibliographie


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Adele Balasingham, Women Fighters of Liberation Tigers (Thasan Printers, 1993) online version http://tamilnation.co/books/Eelam/adeleann.htm


L.M.H Mendis, Assignment Peace in the name of the Motherland (Author publication, 2009)


Channa Wickremesekera,, The Tamil Separatist War in Sri Lanka (Routledge, 2016)


Jagath P. Senaratne, The Sri Lanka Air Force; A historical retrospect, 1985-1997 (Volume II), Sri Lanka Air Force, 1998


Ferdinando Shamindra, The Island, A debilitating setback, via http://slwaronterror.blogspot.ch/2013/03/a-debilitating-setback.html


K.T Rajasingham, Sri Lanka : The Untold Story. Chapter 50 : death of a military hero. http://www.atimes.com/atimes/South_Asia/DG27Df02.html


D.B.S Jeyaraj, “Brigadier Balraj” : Legendary commander of the LTTE. Parties 1 et 2 http://dbsjeyaraj.com/dbsj/archives/2177


NOTE 1 : L’armée sri-lankaise est structurée selon le modèle régimentaire britannique. Un régiment n’est donc pas une formation tactique mais une entité administrative qui peut chapeauter un nombre variable de bataillons, qui sont eux des unités tactiques et peuvent être rattachés à des formations tactiques et opératives de plus grande taille, comme les brigades, les Task Force ou les divisions. Le 3rd Gajaba Regiment se réfère donc au 3e bataillon du régiment Gajaba.


NOTE 2 : le LTTE regroupait ses femmes combattantes dans des unités distinctes.


NOTE 3 : des cargos civils acquis par la SLN quelques années plus tôt et reconvertit en navires de soutien et de commandement dans le but de soutenir les opérations de ses nombreux patrouilleurs.

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