Entre approximativement
le milieu des années 70 et 2009, le Sri Lanka fut déchiré par une guerre civile
qui opposa le gouvernement central aux indépendantistes tamouls. A bien des
égards, la première bataille d’Elephant Pass en 1991 peut être considérée comme
un des tournants de ce long conflit.
Après
plusieurs décennies de montée des tensions politiques marquées par la montée en
puissance d’une mouvance ethno-nationaliste singhalaise, la minorité tamoule du
pays vit émerger en son sein des groupuscules indépendantistes, dont certains
optèrent pour la lutte armée durant les années 70. Le conflit resta limité
jusqu’en 1983, année durant laquelle une vague de pogroms anti-tamouls éclata
dans le pays à la suite d’une embuscade contre une patrouille de l’armée menée
par un des groupuscules tamouls ; les Liberation
Tigers of Tamil Elaam (LTTE).
Les
pogroms poussèrent des milliers de jeunes tamouls à rallier l’insurrection, et suscitèrent
aussi une implication accrue de New Dehli qui offrit son soutien aux principaux
groupes insurgés. Ceux-ci bénéficièrent ainsi durant plusieurs années d’un
accès à des bases d’entraînement sur le sol indien, de formations prodiguées
par des instructeurs du RAW (Research And
Analysis Wing), ainsi que de livraisons d’armes légères. L’association
entre ces deux facteurs aboutit à une croissance démesurée des cinq principaux
groupes armés tamouls. Outre le LTTE, on y comptait le PLOT (People’s Liberation Organisation of Tamil
Elaam), issu d’une scission du LTTE, le TELO (Tamil Elaam Liberation Organisation), l’EPRLF (Eelam People’s Revolutionary Liberation Front) et l’EROS (Eelam Revolutionary Organisation).
La première guerre de
l’Elaam
Dans
le Nord et l’Est du pays, et en particulier dans la péninsule de Jaffna, cœur
historique du royaume tamoul du même nom, une féroce guérilla fit bientôt rage
contre des forces gouvernementales sous-dimensionnées et mal préparées à ce
type de conflit. Dans le même temps, des combats intervinrent sporadiquement
entre groupes insurgés rivaux. Dans ce contexte, le LTTE se démarqua rapidement
grâce à sa plus grande efficacité militaire, la motivation quasi-fanatique de
ses militants, mais aussi par sa violence. Il élimina notamment le TELO d’un
seul coup le 29 avril 1986 en attaquant simultanément une vingtaine de ses
bases, avant d’exécuter nombre de ses membres dans les jours suivants.
![]() |
Velupillai Prabhakaran, troisième depuis la gauche, dans un camp d'entraînement en Inde (via www.southdreamz.com) |
L’immixtion
indienne dans le conflit sri-lankais, motivée par l’impact de ce dernier dans
le Tamil Nadu, s’accentua encore par la suite. New Delhi fit pression sur le
gouvernement sri-lankais et les insurgés tamouls afin de parvenir à un accord de
paix, qui fut finalement signé en juillet 1987. Ce dernier prévoyait le
déploiement de troupes indiennes au Sri Lanka, et les premiers soldats du
contingent de l’Indian Peace Keeping
Force (IPKF) arrivèrent dans le pays peu après l’accord. L’IPKF, dont la
mission était d’accompagner la mise en place des dispositions prévues dans
l’accord et donc acceptées par les belligérants, allait pourtant rapidement se
retrouver dans une situation extrêmement inconfortable. D’une part, si Colombo
n’avait eu d’autre choix que de plier face aux pressions de la superpuissance
régionale, l’intervention indienne restait largement perçue comme une ingérence
malvenue dans les affaires intérieures du pays, alors que d’autre part, le LTTE
se démarqua bientôt des autres mouvements insurgés tamouls par une mauvaise
volonté évidente à appliquer les dispositions stipulées dans l’accord,
notamment en refusant de remettre ses stocks d’armes.
L’intervention indienne
En
effet, le LTTE resta toujours fidèle à son but ultime, l’avènement d’un Tamil
Eelam indépendant, et considéra que ce n’est que contraints et forcés que ses dirigeants
souscrivirent à l’accord de paix de juillet car les dispositions mentionnées
dans ce dernier restaient bien en deçà de ses revendications. Bien qu’il ait
bénéficié des largeurs indiennes comme les autres mouvements insurgés, il prit
garde de développer ses propres réseaux d’approvisionnement et de financement
afin de conserver son indépendance. Après plusieurs mois d’antagonisme
croissant entre le LTTE et l’IPKF, le suicide de 17 militants capturés par la
marine sri-lankaise juste avant leur transfert à Colombo mit le feu aux
poudres. En effet, les prisonniers étaient sous la garde des forces
sri-lankaises dans une base entourées de troupes indiennes, et le LTTE
considéra que ces dernières étaient responsables d’avoir accepté le transfert
de ses militants à Colombo, et organisa donc le suicide de ces derniers afin de
l’éviter.
A
la suite de plusieurs incidents ayant opposé ses forces aux Tigres tamouls,
l’IPKF lança l’opération Pawan le 9 octobre 1987, soit une avance suivant
plusieurs axes convergeant vers la ville de Jaffna, alors contrôlée par le
LTTE. Les insurgés surprirent les Indiens, qui avaient sous-estimés leurs
capacités, en opposant une résistance déterminée. Dès lors, il fallut à l’IPKF
trois semaines de violents combats en milieux semi-urbain et urbain afin de
s’emparer de la ville. Si les troupes indiennes, pourtant appuyées par des
tanks T-72 et des véhicules de combat d’infanterie BMP-1, perdirent près de 300
hommes dans les combats, les pertes furent aussi très lourdes pour le LTTE, qui
dut se résoudre à abandonner sa stratégie de résistance frontale ainsi que sa
capitale, et d’ordonner à ses militants de se replier dans les jungles du Wanni
dans le Nord du pays. Durant les trois années suivantes, les insurgés menèrent
avec succès une guerre de guérilla contre les troupes indiennes depuis leurs
sanctuaires du Wanni, alors que le conflit devenait de plus en plus impopulaire
en Inde, et ce tout particulièrement dans le Tamil Nadu. De plus, le
gouvernement sri-lankais, qui affronta lui aussi une sanglante insurrection
lancée par le Janatha Vimukht Peramuna (JVP ; Front Populaire de Libération)
entre 1987 et 1989, signa un accord de cessez-le-feu avec le LTTE en juin 1989,
avant de livrer des armes au LTTE afin d’accroître les difficultés indiennes. In
fine, l’Inde décida de s’extirper du bourbier sri-lankais et l’IPKF entama
un processus de retrait graduel. Les dernières troupes indiennes quittèrent
l’île en mars 1990.
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Soldats de l'IPKF embarquant dans un hélicoptère Mi-8 de l'Indian Air Force (via dailynews.lk) |
Le retrait indien sonna aussi le glas de la
conjonction d’intérêts entre Colombo et le LTTE. Ce dernier en particulier
considérait avoir vaincu seul une superpuissance et avait pris le contrôle des
territoires progressivement abandonnés par l’IPKF durant les différentes phases
de son retrait. Les Indiens avaient certes entraînés et armées une force
supplétive, la TNA (Tamil National Army) mais celle-ci s’avéra incapable
de faire face au LTTE, qui en vint facilement à bout, faisant ainsi main basse
sur les importants stocks d’armes légères et de munitions fournis par l’Inde à
la TNA.
Guerre dans le Nord
A la mi-juin 1990, le LTTE reprit les
hostilités en attaquant simultanément un grand nombre de postes de police et de
petites positions de l’armée dans le Nord et l’Est du pays. Les insurgés
capturèrent, puis exécutèrent sommairement, des centaines de policiers en
quelques jours. Dans la péninsule de Jaffna, les Tigres assiégèrent rapidement
les principales garnisons de l’armée, soit la base de Palali et le fort de Jaffna,
toutes deux très isolées mais bien trop fortes pour être prises par un assaut
frontal. Finalement, les forces gouvernementales durent lancer une opération
interarmes de grande ampleur en septembre 1990 afin d’évacuer la garnison du
fort.
En revanche, le LTTE lança plusieurs assauts
en règle contre des positions de l’armée dans le Nord, visant tout
particulièrement celles situées sur le tronçon de la route A9 reliant Kandy à
Jaffna proche de ses sanctuaires. A la mi-juillet 1990, les insurgés
submergèrent le petit poste de Kokavil, forçant l’armée à évacuer la garnison
de Kilinochchi, alors même
que cette dernière était parvenue à repousser une attaque des Tigres les 14 et
15 juin 1990. Le 22 décembre 1990, le fort de Mankulam devenait la cible d’une
attaque de grande ampleur. Après trois jours de violents combats, les 312
défenseurs du 3rd Gajaba Regiment (NOTE 1) durent abandonner le fort -
grâce à une voie de repli laissée ouverte à dessin par le LTTE - mais seulement
117 d’entre eux parvinrent à rejoindre des positions amies, notamment grâce aux
extractions menées par la petite flotte d’hélicoptères de la Sri Lanka Air
Force (SLAF). En revanche, un détachement de l’armée retranché à Silvathurai résista avec succès à une attaque majeure du LTTE en mars
1991. Fin août 1990, les forces gouvernementales étaient déjà parvenues à
secourir la garnison de Mullaithivu
durant l’opération Sea Breeze, durant laquelle un renfort de deux bataillons
avait été acheminé par la Sri Lanka Navy (SLN) depuis le port de
Trincomalee.
Entre avril et juin 1991, l’armée sri-lankaise mena dans le Nord
plusieurs incursions multi-bataillonnaires dans le but d’attirer et de détruire
un maximum d’éléments ennemis. Les opérations Tiger Chase, qui mobilisa un état-major de brigade chapeautant cinq
bataillons d’infanterie, Wanni Wickrema I,
impliquant les brigades Vikum et Kanthaka, fortes de deux bataillons
chacune, et enfin Wanni Wickrema II,
avec quatre bataillons attachés à la brigade Vikum, se succédèrent sans pour autant amener de résultats
notables. Si de nombreux camps insurgés purent être temporairement occupés, les
Tigres se contentèrent de se replier en refusant un affrontement frontal, puis
de réoccuper les zones perdues après le retrait des troupes gouvernementales.
Le LTTE ;
une guérilla engagée dans
l’apprentissage des opérations conventionnelles
Le LTTE fut fondé durant la seconde moitié des années 70 par Velupillai
Prabhakaran, qui resta son leader incontesté jusqu’à sa mort en mai 2009. Le
mouvement ne comptait que quelques dizaines de militants actifs jusqu’en 1983,
année durant laquelle il entra, comme les autres groupes indépendantistes
tamouls, dans une phase d’expansion massive. Pourtant, le LTTE se démarqua de
ses rivaux sur plusieurs points cruciaux. Dans un premier temps, sa priorité
absolue resta toujours la lutte armée, et il est possible de considérer, à
l’instar de Mirabeau pour la Prusse, que le LTTE était une armée avec un
mouvement et non pas un mouvement avec un branche armée.
Dans un second temps, le mouvement privilégia tout au long des années 80
la qualité sur la quantité. Il opta ainsi délibérément à partir de 1983 pour
une croissance plus lente que ses rivaux insurgés en se montrant très sélectif
dans le recrutement de ses membres, qu’il soumettait à une période de probation
avant de les intégrer dans ses rangs à titre définitif. Une fois intégrés, ces
derniers faisaient l’objet d’un entraînement soigné, généralement d’une durée
de trois mois. Dans le même temps, la motivation des militants devait être
absolue ; dès 1984, ceux-ci recevaient une fiole de cyanure à l’occasion
de la cérémonie marquant leur acceptation dans le mouvement, afin de pouvoir se
donner la mort s’ils risquaient d’être capturés. La discipline était
draconienne et le recours aux châtiments corporels fréquents.
Le LTTE pratiqua avec succès une politique de promotion de ses cadres au
mérite, et il était attendu d’eux qu’ils commandent de l’avant, tout en étant
soumis à l’obligation de reporter très précisément le résultat de leurs
opérations ainsi que les pertes subies à leurs supérieures. Au besoin, les
Tigres disposaient de leur propre service de renseignement, dont l’une des
missions consistait à surveiller l’appareil politico-militaire du mouvement et
de s’assurer de la véracité des rapports transmis tout au long de la chaîne
hiérarchique, avec des conséquences potentiellement très sévères pour les
cadres coupables de dissimulation ou d’exagération.
Enfin, le LTTE s’efforça de garder sa liberté d’action. Bien qu’il il
bénéficia d’un important soutien de New Delhi entre 1983 et 1987, sous la forme
de sanctuaires en territoire indien, de livraisons d’armes légères, et d’un
entraînement prodigué à plusieurs centaines de ses militants directement par le
Research and Analysis Wing indien -
un petit nombre d’entre eux reçut même une formation de nageurs de combat alors
qu’une dizaine d’autres furent initiés au maniement de missiles sol-air
portables SAM-7, dont le LTTE n’était pourtant pas équipé - Velupillai
Prabhakaran ordonna pourtant la mise en place d’un réseau de soutien financier
dans les communautés tamoules sri-lankaises expatriées ainsi que d’un réseau de
fourniture d’armes autonomes. Un premier navire marchant fut même acquis en
1984 afin de se prémunir contre une éventuelle fermeture du sanctuaire indien,
aisément accessible par la voie maritime depuis la péninsule de Jaffna. Enfin,
le mouvement mit progressivement sur pieds un réseau d’ateliers artisanaux qui
lui permirent de fabriquer plusieurs modèles de mortiers primitifs et d’engins
explosifs improvisés, et continua à développer des camps d’entraînement sur le sol
sri-lankais.
Malgré les très lourdes pertes subies durant ses trois années
d’affrontement contre l’IPKF, les Tigres comptaient, selon cette dernière,
10'000 hommes et femmes en 1990, contre 4'000 en 1987. Pour atteindre cet
effectif, le LTTE avait cependant procédé au recrutement de nombreux jeunes
adolescents. Depuis ses débuts, le mouvement avait mis sur pieds plusieurs
régions militaires, dont les commandants répondaient directement à Velupillai
Prabhakaran. A leur tour, ceux-ci chapeautaient des zones, dont les chefs
étaient chargés de la coordination des unités de combats, constituées en
sections d’une quinzaine de combattants. Ces sections pouvaient être déplacées
d’une zone à une autre en fonction de besoins, et la coordination du tout était
rendue possible par l’existence d’un réseau radio performant. Cependant, du
fait de l’accroissement de ses effectifs ainsi que de la nécessité de lancer
des opérations de plus grande ampleur, le LTTE mit sur pieds des pelotons, puis
des compagnies, qui restaient cependant contrôlées par les commandants de zone
et de région. Enfin, le 10 avril 1991, les Tigres levèrent la brigade Charles Anthony, un gros bataillon de
1'500 hommes chapeautant plusieurs compagnies.
En revanche, le LTTE restait avant tout une force de guérilla et
d’infanterie légère. Il était abondamment pourvu en armes individuelles et
collectives de petits calibres, mais ne disposait que de très peu d’armes
lourdes. La DCA était équipée de mitrailleuses lourdes de 12.7mm, le plus
souvent montées sur pick-up. En 1991, les Tigres parvinrent à se doter d’au
moins une pièce de 20mm. L’appui-feu était prodigué par les mortiers développés
dans ses ateliers, et dont le calibre pouvait atteindre jusqu’à 155mm, mais
dont la portée restait faible. Ainsi, le Pasilan 2000, introduit en 1990,
pouvait projeter une charge de 30 kilos sur un seul kilomètre.
Le LTTE expérimenta plusieurs moyens afin de surmonter la difficulté
présentée par la prise d’assaut de positions ennemies alors qu’il ne disposait
que d’une puissance de feu réduite. Une solution imparfaite fut trouvée avec
l’usage de kamikazes chargés de lancer un camion bourré d’explosifs contre un
point vulnérable de la position ennemie. La première opération de ce type
intervint le 5 juillet 1987 contre une garnison de l’armée dans la périphérie
de Jaffna, lorsque le Capitaine Miller, qui devint ainsi le premier Black Tiger – du nom donné par la suite
aux kamikazes du mouvement - fit
exploser son camion afin de faciliter un assaut en règle par une cinquantaine
de militants. Le même modus operandi
fut reproduit durant les attaques contre le poste de Kokavil et le camp de
Mankalum. Cependant, le procédé était loin de représenter une solution idéale
puisque l’axe d’approche des véhicules-suicide était facile à déterminer pour
les défenseurs. Le LTTE se dota aussi de blindés rudimentaires en recouvrant
des bulldozers avec des plaques d’acier afin de soutenir ses attaques frontales
contre les retranchements ennemis. La petite branche navale du mouvement,
essentiellement dévolue aux missions logistiques, mena également une
attaque-suicide le 10 juillet 1990, lorsque l’équipage d’un petit navire de
pêche chargé d’explosif se fit exploser à proximité du navire de surveillance
SLNS Edithara au large de
Valvettithurai, ne lui infligeant cependant que des dégâts légers.
Les forces armées
gouvernementales
Durant les décennies qui suivirent l’indépendance du pays, l’armée
ceylanaise, puis sri-lankaise, resta avant tout une petite force d’infanterie
mal équipée construite sur le modèle britannique. Colombo n’avait alors aucune
raison de ponctionner ses ressources budgétaires limitées pour développer ses
forces armées puisque aucune menace extérieure sérieuse ne pesait sur le pays, tandis
que la situation intérieure restait relativement calme. De plus, et malgré
leurs faiblesses, l’armée et les forces de police parvinrent à venir à bout
relativement rapidement de l’insurrection du JVP de 1971. Cette situation
changea radicalement à l’orée des années 80, et tout particulièrement à partir
de 1983, année qui marqua une escalade majeure de la guerre contre les insurgés
tamouls. Concomitamment, les effectifs de la Sri Lanka Army (SLA) passèrent de 11'000 hommes en 1983 à 50'000
hommes en 1990.
Au moment de la reprise des hostilités, la SLA comprenait une trentaine
de bataillons d’infanterie issus de six régiments, un régiment de commandos
chapeautant un unique bataillon, une brigade blindée et deux bataillons
d’artillerie. En sus, l’armée leva en 1988 trois divisions chargées de la
coordination des forces présentes dans un espace géographique donné. Au besoin,
les opérations étaient menées par des brigades ad hoc auxquelles étaient rattachées un nombre variable de
bataillons. Outre l’armement des fantassins, largement constitué d’armes
d’origine chinoises, l’arsenal de la SLA était relativement limité. En 1989,
celui-ci consistait en près de 200 véhicules blindés légers à roue, de
reconnaissance ou de transport de troupe, largement composé de Ferret, Saracen
et Saladin d’’origine britannique alors que le parc d’artillerie se limitait à
46 pièces. A partir de 1990, le SLA se tourna vers la Chine et la
Tchécoslovaquie afin d’acquérir des tanks T-55 et T-59 ainsi que des pièces
d’artillerie à longue portée.
Régiments
d’infanterie de la SLA, 1990
Sri Lanka
Light Infantry Regiment
|
Sinha
Infantry Regiment
|
Gemunu Watch
Infantry Regiment
|
Gajaba
Infantry Regiment
|
Vijayabahu Infantry Regiment
|
Sri Lanka National Guard Regiment
|
La SLA pouvait s’appuyer sur la Special
Task Force, une unité de la police spécialisée dans les opérations de
contre-insurrection. Cette dernière avait été entraînée durant les années 80
par des vétérans du SAS britanniques employés par une société privée, KMS Services,
qui avait également fourni des instructeurs à la Sri Lanka Air Force. De même, le régiment commando avait été levé à
la fin des années septante avec l’aide de spécialistes israéliens. Malgré l’expérience
chèrement acquise durant les années 80, la SLA était relativement mal préparée
à la reprise du conflit, et ce d’autant que sa montée en puissance avait eu des
effets négatifs, notamment de par la réduction du temps d’entraînement octroyé
aux recrues. De plus, le manque de moyens financiers, induit par les limites
inhérentes à l’économie nationale, représentait une entrave toujours
présente.
![]() |
Un des F-7 livrés au début de 1991, armé de bombes de 250 kg. |
La force aérienne sri-lankaise (Sri
Lanka Air Force, SLAF) joua rapidement un rôle critique dans le conflit,
notamment parce que seuls ses hélicoptères pouvaient ravitailler nombre de
postes isolés dans la péninsule de Jaffna dès le milieu des années 80. A
l’image des autres armes, elle connut une forte expansion durant cette période,
de 2'968 hommes au 31 décembre 1983 à 6'606 hommes au 31 décembre 1987. Elle
était organisée en 1991 en un groupe d’entraînement, un groupe de transport et
deux escadrons dédiés à la reconnaissance maritime et à la mise en œuvre des
hélicoptères. Sa flotte comprenait 73 aéronefs opérationnels, dont 23 voilures
tournantes, soit sept Bell 206, douze Bell 212 et quatre Bell 412. La flotte
d’avions de transport incluait des Y-8 et Y-12 chinois et des Avro HS748
britanniques. Ses capacités d’appui reposaient sur sept Siai-Marchetti SF.260TP
aptes à la lutte antiguérilla, ainsi que sur sa flotte d’hélicoptères, dont une
partie du parc était grée en gunships, y compris des Bell 206, pourtant mal
adaptés à ce rôle. En outre, il n’était pas rare que les deux Y-8 et les neuf
Y-12 de transport fussent grées en bombardiers de fortune afin de larguer des
fûts remplis d’explosifs et de plastic à basse altitude. Le 1er février 1991,
la SLAF activa une nouvelle unité, le 5
Jet Squadron, équipée de quatre chasseurs F-7BS, d’un unique FT-7 dédié à
la conversion des pilotes, et de deux FT-5 d’entraînement. Ces appareils peu
couteux d’origine chinoise permirent à la force aérienne de renouer avec
l’emploi de jets – une capacité qu’elle avait perdu plus d’une décennie
auparavant faute d’avoir eu les moyens financiers pour mettre en œuvre la
poignée de MiG-17 livrés par l’URSS en 1973. Bien que dédiés à la chasse, le
quatuor de F-7 pouvait être utilisé dans des missions d’appui, armé de bombes
ou de paniers lance-roquettes qui s’ajoutaient à ses deux canons de 30mm.
Ordre de bataille, SLAF 1991
Unité
|
Base
d’attache
|
Type d’ aéronefs mis en oeuvre
|
No 1 Flying
Training Wing
|
Anuradhapura AB
|
Cessna
337, SF.260W, SF.260TP,
|
No 2
Transport Wing
|
Ratmalana AB
|
Avro HS748,
Y-8, Y-12
|
No 3 Maritime
Squadron
|
China Bay AB
|
Cessna 337, 1
Bell 212
|
No 4 Helicopter Squadron
|
Katunayake AB
|
Bell 206, Bell 212, Bell 412
|
No 5 Jet squadron
|
Katunayake AB
|
F-7BS, FT-7, FT-5
|
La Sri Lanka Navy (SLN)
restait une marine essentiellement côtière et ne disposait pratiquement pas de
capacités hauturières. Elle alignait des dizaines de patrouilleurs, ses moyens
offensifs reposant sur des canonnières rapides de type Shanghai II chinoises et
des patrouilleurs d’attaque Dvora d’origine israélienne. Ses missions
consistaient principalement à contrôler le trafic maritime côtier afin d’isoler
le LTTE de l’extérieur, et à soutenir les opérations de l’armée en fournissant
un appui-feu et surtout grâce à sa petite flotte de vieux navires de transport
amphibies.
Elephant Pass
Elephant Pass constitue la seule voie terrestre reliant la péninsule de
Jaffna au reste du Sri Lanka et constitue donc un point stratégique. Son
contrôle était un but majeur pour les deux belligérants puisque il aurait
permis au LTTE de considérablement simplifier les liaisons entre ses bastions
de Jaffna et du Wanni et que pour la même raison, il était vital pour les
forces gouvernementales d’empêcher les insurgés d’en bénéficier. Aussi, la
passe était protégée par un camp de l’armée couvrant les approches Nord et Sud de
la passe. Ce dernier incluait plusieurs postes avancés, le tout représentant un
diamètre d’environ 5 kilomètres. L’ensemble des positions étaient couvertes par
des champs de mines et des barbelés, alors que des champs de tir avaient
également été dégagés.
![]() |
Carte d'Elephant Pass et de ses environs. |
Dès
le mois de juin 1990, le LTTE avait ceinturé le camp avec ses propres forces
afin de confiner la garnison dans le camp. Le 27 avril 1991, cette dernière
lança l’opération King Prawn afin d’étendre son périmètre, mais l’attaque fut
rapidement repoussée par les Tigres. En juillet 1991, la base était tenue par les 800 hommes du 6th Sinha regiment commandés par le
Major Sanath Karunarathne.
A
la mi-1991, les dirigeants du LTTE décidèrent d’investir le camp. Au début du
mois de juillet, ils mirent en batterie des mitrailleuses lourdes à proximité
afin d’empêcher les hélicoptères ennemis de ravitailler la base. De plus, les
insurgés déployèrent pour la première fois au moins une pièce anti-aérienne
d’un calibre de 20mm, d’une portée de 1'000 mètres. Par sa seule présence, cette arme devait compliquer encore plus la
tâche des pilotes de la SLAF, contraints de voler plus haut, avec pour effet de
réduire la précision de leurs passes de tir ou encore de leurs largages de
ravitaillement. Dans le même temps, les Tigres massèrent environ 3'000
combattants – y compris plusieurs centaines de femmes - à proximité de leur
objectif. Ceux-ci étaient répartis en deux forces. La première, chargée
d’attaquer depuis le Nord, était commandée par Bhanu, un des meilleurs commandants du mouvement.
![]() |
Balraj, photographié durant la bataille, en 1991 (via Tamilnet) |
La seconde force était placée sous les ordres de Balraj, le nom de guerre de Kandiah
Balasegaran. Celui-ci était alors un des cadres les plus prometteurs du LTTE,
qu’il avait rallié en 1983, après une brève période durant laquelle il avait
appartenu au PLOT, ce lui valut de devoir surmonter une certaine méfiance au
sein des Tigres. Il servit initialement comme guide, puis fut envoyé en Inde
afin d’y être entraîné. A son retour, il se fit rapidement remarquer pour son
efficacité, notamment en endommageant un blindé indien par un tir de RPG durant
la bataille de Jaffna en octobre 1987, et devint commandant de secteur en 1988,
puis commandant en charge du Wanni en 1990. Son prestige ne fit que grandir lorsqu’il
se démarqua par ses qualités de commandant lors des attaques contre Kokavil et Mankulam. En 1991, il devint le
premier commandant de la brigade Charles Anthony, à la tête de laquelle il
participa à la bataille d’Elephant Pass.
Tharai – Kadal – Aahayam
Alors
que ses forces se massaient autour d’Elephant pass, des centaines de civils
étaient mobilisés afin de creuser une série de retranchements destinés à
faciliter l’assaut. Le camp ennemi fut ainsi entouré par une circonvallation
consistant en deux lignes de tranchées et de bunkers. La première, située
parfois à deux cents mètres des lignes ennemies, abritait des postes
d’observation, alors que la seconde ligne permettait de masser les troupes
d’assaut. En outre, nombre de bunkers, dont certains étaient renforcés par des
rails ou du béton, et d’emplacements de tir destinés abriter les mortiers ou
les mitrailleuses lourdes furent également construits. L’ensemble de ces
positions furent reliés par un réseau de tranchées de communication. Dans le
même temps, des positions factices moins bien camouflées étaient également
aménagées afin d’attirer les feux de la SLAF.
L’attaque
contre Elephant Pass, nommée opération Tharai
– Kadal – Aahayam (Terre-Mer-Air) débuta
au petit matin du 10 juillet 1991. Vers 4 heures, et à la suite d’un violent
barrage de mortier qui s’abattit sur les positions avancées sri-lankaises, les
Tigres s’élancèrent à l’assaut du camp, couverts par des bulldozers blindés qui
précédaient les colonnes d’infanterie. La combinaison entre blindés improvisés,
mortiers et vagues d’infanterie ne parvint cependant pas à emporter la décision
et l’attaque fut repoussée. Les Tigres lancèrent deux autres assauts dans la
soirée et parvinrent à détruire plusieurs bunkers, mais sans réussir à
surmonter la féroce résistance opposée par les hommes du 6th Sinha Regiment. Les pertes subies par les assaillants s’avérèrent suffisamment lourdes
pour qu’aucune attaque de grande envergure n’intervienne dans la journée du 11
juillet, alors que la SLAF intervenait en force sur le champ de bataille et
détruisait plusieurs tracteurs ennemis.
Cependant, à minuit et sur le flanc Sud, les troupes de Balraj
attaquèrent un des points forts avancés de la base, « le camp de la Guest
House ». Une colonne d’attaque composée de combattantes (NOTE 2) précédée
d’un bulldozer parvint à s’approcher suffisamment pour que certaines insurgées
parviennent à créer une brèche à travers le champ de mines et les barbelés
ceinturant la position ennemie, permettant ainsi à leurs sœurs d’armes de
l’assaillir, puis de la prendre à l’issue de deux heures de combats. Onze
combattantes furent tuées et 24 autres blessées dans l’assaut.
![]() |
Le caporal caporal Gamini Kularahne, (via sundayobserver.lk) |
Les échanges de tir se succédèrent le 12 juillet, jour où les pertes de
la garnison atteignirent 10 tués, parmi lesquels le Major Lalith Buddhadasa, le
commandant en second du bataillon, ainsi que 30 blessés, que les hélicoptères
de la SLAF ne parvenaient pas à évacuer du fait des tirs des batteries
anti-aériennes insurgées. Le 13 juillet, le LTTE lança un nouvel assaut de
grande envergure soutenu par ses mortiers et trois bulldozers blindés, mais
sans succès, bien que les défenseurs aient encore perdu trois tués, trois
disparus et 24 blessés durant les affrontements. Une nouvelle tentative, tout
aussi vaine, suivit le 14 juillet, durant laquelle le caporal Gamini Kularahne
acquit le statut de héros national après avoir neutralisé un bulldozer blindé à
coup de grenades, et ce juste avant de tomber sous les tirs ennemis. Après
cette série d’échecs, les Tigres suspendirent leurs coûteuses attaques à grande
échelle, pariant sur le temps et la faim pour réduire la garnison complètement
coupée de l’extérieur.
Opération Balavegaya
De fait, le commandement sri-lankais était conscient du fait que la
chute d’Elephant Pass n’était qu’une question temps et débuta la mise sur pieds
d’une opération de secours, baptisée Balavegaya, dès les premières attaques du LTTE.
Un contingent de la SLA devait être débarqué par la marine à proximité de la
passe puis avancer en direction de cette dernière afin de faire la jonction
avec les assiégés. Le contre-amiral Frank
Wickramarathne était en charge des opérations navales alors que le commandement
de la Task Force terrestre incomba au Brigadier Vijaya Wimalarathne. De son côté, la SLAF attribua une
partie importante de ses moyens afin de soutenir l’opération, soit six
SF.260TP, quatre Y-12, un Cessna 337 pour la reconnaissance, ainsi que quatre
Bell 212 grées en gunships et deux hélicoptères dédiés au transport. Ces
appareils furent déployés sur la base Palali, sise dans la péninsule de Jaffna.
Aussi, et malgré leur nombre dans l’absolu réduit, leur puissance était
démultipliée par le fait qu’ils se trouvaient à quelques minutes de vol du
champ de bataille et de ce fait en mesure de multiplier leurs sorties.
Le 14 juillet peu après midi, la flotte sri-lankaise se présenta au
large des plages de Vettilakerni,
elles-mêmes situées à une distance de 10 kilomètres d’Elephant Pass. Celle-ci
transportait une force d’assaut composée de quatre bataillons
d’infanterie ; le 3rd Sri Lanka
Light Infantry Regiment, les 1st and
3rd Gajaba Infantry regiment et le 1st
Sinha Infantry Regiment. Ces fantassins avaient été embarqués sur les LCS (Landing Craft Support) SLNS Kandula et SLNS Pabbatha ainsi que les navires de support (NOTE 3) SLNS Edithara et SLNS Wickrema. Enfin, un bâtiment de transport, le SLNS Lihiniya, avait été aménagé en navire-hôpital et stationnait au
large. De plus, la SLN avait aussi mobilisé quatre canonnières rapides de type
Shanghai, les SLNS Sooraya, SLNS Ranakamee, SLNS Rakshaka et SLNS Weeraya
et trois vedettes de type Dvora, les P454, P456 et P457, pour escorter le
convoi et surtout fournir un appui-feu durant le débarquement.
A
14h00, après que les Shanghai et la SLAF aient bombardés le secteur, une vague
d’assaut de 300 soldats à bord de 24 embarcations approcha de la plage, avant
d’être accueillie par un feu ennemi intense qui la força à rebrousser chemin à
75 mètres du rivage, alors que dans le même temps, les insurgés brouillaient
les fréquences radio sri-lankaises. En
effet, le LTTE avait anticipé l’envoi d’une opération amphibie de secours, et
identifié Vettilakerni comme un des points de débarquement les plus probables,
et avait disposé un rideau de troupes en conséquence. Après une nouvelle série
de bombardements préparatoires, une seconde vague se dirigea vers la plage à la
tombée du jour, vers 18h00 et débarqua cette fois avec succès. Les fantassins
sri-lankais parvinrent à consolider une tête de pont, malgré les tirs de
mortiers et de sniper embusqués dans les arbres, ainsi que la présence en
nombre de mines et de pièges.
![]() |
Les assiégés; fantassins du 6th Sinha Regiment sur la ligne de défense avancée du camp d'Elephant Pass. (Sinha Regiment) |
A
partir du 15 juillet, et malgré l’appui prodigué par l’aviation et les blindés,
les soldats gouvernementaux butèrent contre les positions ennemies et surtout
la résistance fanatique opposée par leurs défenseurs. Le commandement du LTTE,
déterminé à stopper l’avance de la force de secours, avait entrepris de
dépêcher des renforts prélevés du contingent assiégeant Elephant Pass ainsi que
d’autres secteurs. Ce faisant, il condamnait les Tigres à subir des lourdes
pertes car le terrain favorisait l’armée sri-lankaise. En effet, la zone
séparant Vettilakerni et Elephant Pass est plate et couverte de sable. Les seuls
obstacles sont des dunes, que les blindés sri-lankais mettaient d’ailleurs à
profit pour manœuvrer à couvert. Le sol sableux rendait difficile la mise en
place de tranchées, pourtant indispensables à la survie des insurgés, car
celles-ci se comblaient rapidement. Enfin, les voies d’accès au champ de
bataille étaient réduites en nombre, facilitant d’autant les attaques
d’interdiction nocturnes de la SLAF, dont les appareils parvinrent à détruire
nombre de véhicules de ravitaillement ennemis. Dans un secteur dépourvu de
sources d’eau potable, nombreux furent les insurgés à souffrir de la soif. La
résistance acharnée des Tigres ne faiblit cependant pas et le 16 juillet, les
gouvernementaux, après s’être emparé d’un vieux fort français qui servait de
point d’appui au LTTE, et résisté à une contre-attaque menée par plusieurs
centaines de combattants ennemis, n’avaient avancé que d’un peu moins de deux
kilomètres depuis leur point de débarquement.
Le
16 juillet également, un autre groupement de l’armée, commandé par le Brigadier
Janaka Perera, lança l’opération Ashaka
Sena plus au Sud, dans le secteur de Mullaithivu. La Task Force, composée
du 1st Commando Regiment, du 1st Sri Lanka Engineers Regiment et du 1st Special Force Regiment, entrepris
d’avancer dans la jungle du triangle Weli-Oya-Padaviya et d’y détruire les
infrastructures du LTTE, ceci afin d’empêcher les Tigres de dépêcher d’autres
renforts à Elephant Pass, mais n’infligea que des pertes réduites à
l’adversaire, qui refusa de se confronter frontalement aux forces spéciales et
au commandos.
Ordre de bataille ;
opération Balavegaya fin juillet 1991
Unité
|
Commandants
ou bataillons rattachés
|
Task
Force
|
Brigadier Vijaya
Wimalarathne
|
1st
Brigade
|
Colonel Sarath Fonseka
|
1st
Sinha
|
|
1st
Gajaba
|
|
4th Sri
Lanka Light Infantry
|
|
3rd
Brigade
|
Colonel Anton
Wijendra
|
4th Sinha
|
|
3rd Sri Lanka Light Infantry
|
|
3rd Gajaba
|
|
5th Gemunu Watch
|
|
7th
Brigade
|
Colonel
Gamini Angammana
|
1st
Sri Lanka Light Infantry
|
|
6th
Sri Lanka Light Infantry
|
|
1st
Vijayaba
|
|
7th
Sinha
|
|
Holding Brigade
|
Colonel Devinda
Kalupahana
|
6th
Gemunu Watch
|
|
4th
Gajaba
|
|
Unités de
Soutien
|
4th
Artillery Regiment
|
7th
Artillery Regiment
|
|
1st
Sri Lanka Armoured Corps
|
|
3rd
Sri Lanka Armoured Corps
|
Malgré
cette diversion, la bataille resta aussi acharnée sur le long de l’axe
Vettilakerni – Elephant Pass. Grâce à sa supériorité en effectifs et en
puissance de feu, la SLA parvint à accélérer sa progression, qui atteignit deux
kilomètres le 17 juillet. Le 20 juillet, la force de secours ne se trouvait
plus qu’à deux kilomètres du camp assiégé, après avoir fait sauter le verrou de
Mulliyan, une zone couverte de bunkers, de tunnels et de tranchées, et où les
combats avaient parfois eu lieu au corps-à-corps. Cependant, épuisé, le
groupement sri-lankais dût s’arrêter afin de se réorganiser et de relever
certaines de ses unités. A ce stade, et suite à un afflux constant de renforts,
le Brigadier Vijaya Wimalarathne avait près de 8'000 hommes sous ses ordres, répartis
en trois brigades chapeautant onze bataillons d’infanterie, auxquelles
s’ajoutait une brigade à deux bataillons chargée de la sécurisation des
arrières de la Task Force. L’appui-feu était fourni par les canons d’origine
chinoise type 56 de 85mm du 4th Artillery
Regiment et les mortiers de 120mm du 7th
Artillery Regiment. Les blindés
Saracen, Saladin et Buffalo détachés par le Sri
Lanka Armoured Corps appuyaient également les fantassins, non sans subir de
pertes puisque deux blindés furent détruits par des mines.
La fin de la bataille
Alors
que la Task Force continuait à avancer pas-à-pas face à la défense acharnée des
insurgés, maintenant aidés par la présence de bambous qui les aidait à se
dissimuler, les dirigeants du LTTE décidèrent de tenter le tout pour le tout en
lançant de nouvelles attaques contre le camp d’Elephant Pass. Un premier assaut
impliquant l’équivalent d’une compagnie d’infanterie fut ainsi lancé dans la
soirée du 27 juillet, mais fut repoussé par la garnison, qui perdit 10 tués dans
les combats. D’autres tentatives prirent place durant les deux jours suivants
mais sans plus de succès face à la résistance déterminée des soldats du 6th Sinha Regiment et aux frappes de la SLAF. A
une occasion, les Tigres tentèrent de créer une brèche au moyen d’un bulldozer
blindé rempli d’explosifs appuyés par deux jeeps armées de mitrailleuses
lourdes, mais les trois véhicules furent rapidement détruits.
![]() |
Arrière d'un bulldozer blindé du LTTE détruit durant la bataille. Il s'agit de celui neutralisé par le caporal Gamini Kularahne, (via sundayobserver.lk) |
Tandis
que les insurgés s’épuisaient dans de vaines attaques, la force de secours
continua sa progression et, en début de soirée le 1er août, ses éléments
avancés n’étaient plus qu’à 600 mètres du camp. A ce stade, et à la suite des
lourdes pertes qu’ils avaient subies, les Tigres commencèrent à se replier
faute de pouvoir continuer à affronter frontalement l’armée sri-lankaise, dont
la victoire était devenue inévitable. Deux jours plus tard, le siège fut levé
avec la jonction entre les hommes de la Task force et la garnison épuisée par
plus de trois semaines de combats. L’opération Balavegaya se poursuivit ensuite
jusqu’au 14 août afin d’étendre le périmètre du camp et de prendre puis
détruire les infrastructures mises en place par le LTTE au Sud d’Elephant Pass.
Conclusion
Elephant
Pass fut la plus violente bataille ayant jamais eu lieu entre le LTTE et les
forces armées sri-lankaises au moment où elle intervint. Les insurgés
démontrèrent à cette occasion qu’ils n’avaient rien perdu de la pugnacité dont
ils avaient déjà fait preuve en octobre 1987 face à l’IPKF, comme le démontre
amplement le fait qu’il fallut 18 jours à la force de secours pour parcourir la
dizaine de kilomètres séparant Vettilakerni du camp assiégé. Les pertes furent
très lourdes des deux côtés ; le LTTE reconnut la mort de 573 combattants,
y compris 123 femmes, durant la bataille alors que la SLA annonça par la suite
que 202 soldats étaient morts au combats. Le nombre de blessés dans les deux
camps reste inconnu, mais dans le cas de l’armée, il se montait déjà à 482
hommes le 25 juillet. De plus, les deux belligérants peuvent avoir cherché à
minimiser l’étendue de leurs pertes, et ont dans tous les cas annoncé avoir
infligé à leur ennemi des dommages très probablement supérieures à la réalité.
Les troupes gouvernementales annoncèrent ainsi avoir tué près de 2'500
insurgés, alors que déterminer les pertes totales subies par le LTTE était dans
tous les cas rendus difficile par le fait que les Tigres s’efforçaient de pas
laisser les cadavres de leurs combattants tomber aux mains de l’ennemi.
![]() |
Photo prise le 4 août 1991, avec plusieurs officiers commandant l'opération Balavegaya, célébrant le jonction entre assiégés et la force de secours (via sundayobserver.lk) |
La
bataille fut aussi un symptôme de la transformation du conflit en guerre
conventionnelle, du moins dans le Nord du pays, car dans l’Est, le LTTE
continua à utiliser des modes opératoires propres à une guérilla. Cependant,
les capacités du mouvement à attaquer du fort au fort restaient réduites et il
n’en était qu’au début de son processus de conventionnalisation qui allait
l’amener, durant la même décennie, à constituer d’autres unités d’infanterie
régulière ainsi que des unités d’artillerie lourde, de mortiers, de lutte
anti-aérienne ou encore blindée et anti-char. Une des enseignements majeurs que
tira le LTTE de la première bataille d’Elephant Pass était que pour mener de
nouvelles opérations de ce type avec succès, il lui faudrait donner à sa
branche maritime la capacité de s’opposer aux opérations amphibies de la SLN.
Cette prise de conscience allait déboucher sur une expansion drastique des Sea Tiger, qui allaient bientôt se
montrer capables d’affronter la SLN pratiquement d’égal à égal. Un peu moins de
dix ans plus tard, l’ensemble de ces
moyens allaient permettre au mouvement de prendre Elephant Pass pourtant
défendue par une division entière de la SLA, lors de la seconde bataille
éponyme.
Paradoxalement,
les conclusions ne furent guère différentes du côté gouvernemental, puisque
dans les années qui suivirent, les différents services constitutifs des forces
armées sri-lankaises accrurent, dans la mesure des modestes moyens financiers
du pays, massivement leur puissance de feu et leurs effectifs. Bref, tout se
mit en place pour que l’intensité des opérations conventionnelles dans le Nord
ne fasse que s’accroître, et que la violence du conflit continue à s’intensifier.
Bibliographie
Thomas A., Marks,
Maoist People's War in Post-Vietnam Asia (White Lotus Press, 2007)
Adele Balasingham, Women Fighters of Liberation
Tigers (Thasan Printers, 1993) online version http://tamilnation.co/books/Eelam/adeleann.htm
L.M.H Mendis, Assignment
Peace in the name of the Motherland (Author publication, 2009)
Channa
Wickremesekera,, The Tamil Separatist War in Sri Lanka (Routledge, 2016)
Jagath P.
Senaratne, The Sri Lanka Air Force; A
historical retrospect, 1985-1997 (Volume II), Sri Lanka Air Force, 1998
Ferdinando Shamindra, The Island, A debilitating setback, via http://slwaronterror.blogspot.ch/2013/03/a-debilitating-setback.html
K.T Rajasingham, Sri
Lanka : The Untold Story. Chapter 50 : death of a military hero. http://www.atimes.com/atimes/South_Asia/DG27Df02.html
D.B.S Jeyaraj, “Brigadier
Balraj” : Legendary commander of the LTTE. Parties 1 et 2 http://dbsjeyaraj.com/dbsj/archives/2177
NOTE
1 : L’armée sri-lankaise est structurée selon le modèle régimentaire
britannique. Un régiment n’est donc pas une formation tactique mais une entité
administrative qui peut chapeauter un nombre variable de bataillons, qui sont
eux des unités tactiques et peuvent être rattachés à des formations tactiques
et opératives de plus grande taille, comme les brigades, les Task Force ou les
divisions. Le 3rd Gajaba Regiment se réfère donc au 3e bataillon du
régiment Gajaba.
NOTE 2 : le LTTE regroupait ses femmes combattantes dans des
unités distinctes.
NOTE 3 : des
cargos civils acquis par la SLN quelques années plus tôt et reconvertit en
navires de soutien et de commandement dans le but de soutenir les opérations de
ses nombreux patrouilleurs.
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