Pierre Streit est historien et travaille pour le Département
fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports. Il a
été le directeur scientifique du Centre d'histoire et de prospective militaire
à Lausanne pendant 10 ans. Auteur de nombreux articles sur l'histoire militaire
et la polémologie, il a déjà plusieurs ouvrages à son actif, portant sur
l’histoire militaire suisse ou encore l’armée romaine. Il a notamment publié Morat(1476), l’indépendance des cantons suisses dans la collection Campagnes &
stratégies des éditions Economica en mars 2009, ou, plus récemment, une étude
sur la bataille d’Arnhem. Pierre Streit vient de publier aux éditions Infolio
une seconde version, considérablement enrichie, de son Histoire militaire suisse,
et a accepté de répondre à nos questions y relatives.
Propos recueillis par Adrien Fontanellaz
A partir de quand peut-on faire débuter l’histoire militaire suisse ?
A partir du moment où des hommes peuplent le territoire suisse actuel. D’où le titre de la deuxième édition de mon livre qui inclut un chapitre sur la Préhistoire et un sur l’Antiquité.
Pourriez-vous nous décrire le rôle que joue la géographie dans
cette dernière ?
Dans la plus grande partie de la
Suisse, le terrain est naturellement fort : les collines, les montagnes,
les cours d’eau, les lacs créent de nombreux obstacles qui obligent tout au
long de l’histoire militaire suisse, aussi bien l’attaquant que le défenseur, à
effectuer de longs détours ou à être dépendants d’autant de passages obligés.
Ces lignes de barrage naturelles présentent pourtant des discontinuités; il
faut alors fermer les cluses, rendre infranchissables les terrains-clés, voire
en renforcer la valeur de retardement. Dans ces conditions, il n’est pas
étonnant que le commandement du Pacte de Varsovie considérait l’ensemble du
territoire suisse comme une zone où devaient s’appliquer les principes du
combat en montagne.
Quant apparaît le principe de neutralité suisse et pourquoi
prend-il une telle place dans la construction identitaire du pays ?
La sanglante défaite des Suisses face
aux Français à Marignan marque la fin de la période d‘expansion territoriale de
la Confédération. Elle est suivie de la conclusion d‘un traité de paix
perpétuelle avec la France (1516) et intervient surtout au moment où la Réforme
commence à prendre son essor en Suisse (Zurich, puis Berne, les deux principaux
cantons). Si la Suisse a donc cessé de jouer un rôle actif dans la politique
européenne, c'est avant tout à cause des divisions religieuses qui, à partir de
1518 (prédication de Zwingli à Zurich), paralysent la Confédération, et non à
la suite de la seule défaite de Marignan. Néanmoins, cette bataille a un écho
considérable. Sur les 20’000 fantassins suisses qui affrontent durant 2 jours
près de 30’000 Français et Vénitiens, 14’000 restent sur le champ de bataille. C‘est enfin le début d‘une
pratique: la neutralité. Il ne s‘agit pas d‘une politique, mais la neutralité
est le fruit d‘une prise de conscience collective, ne pas se mêler des affaires
européennes pour mieux gérer les affaires intérieures, particulièrement
compliquées (clivage confessionnel, 5 guerres civiles y compris celle du
Sonderbund en 1847).
Pourriez-vous revenir sur les origines, les développements et
enfin la configuration actuelle du système de milice suisse ?
Le système de milice renvoie en réalité
à un mode de vie collectif, basé sur le bénévolat et le sens civique des
citoyens, qui date du Moyen-Age et trouve ses fondements dans l’Antiquité
gréco-romaine. Malgré les turbulences qu’il a traversées et peut-être à cause
de celles-ci, ce système n’a jamais été remis en cause, même pas en 1798. En
2013, il a même été plébiscité par le peuple. Celui-ci a en effet estimé que le
service militaire obligatoire en était encore le fondement militaire et qu’on
ne pouvait donc parler de « milice volontaire ».
La défaite bernoise de 1798 face aux troupes françaises est
généralement peu évoquée, pourriez-nous nous en dire plus sur cette
campagne ?
A la veille de
1798, les milices cantonales se trouvent dans un état d‘impréparation presque
générale. Le jugement suivant
est tiré d‘un rapport sur l‘état militaire de la Confédération suisse vers
1789: à Lucerne, la cavalerie « n‘a pas – en un mot – la première idée de
l‘équitation ni d‘aucune manœuvre de cavalerie. L‘artillerie est pour le moins
aussi mal en ordre et aussi ignorante dans son art ». Dans ce contexte, 1798
est l‘ « annus horribilis » de l‘histoire militaire suisse. Les Français
occupent le pays; la principale puissance militaire de la Confédération, Berne,
est vaincue après 5 jours de combats. Au-delà du débat quant à savoir si la
Confédération suisse a été envahie ou libérée, c‘est la première fois où le
Plateau suisse est occupé par une armée étrangère. Depuis les tentatives de
Charles le Téméraire au XVe siècle et les débordements de la guerre de Trente ans
au XVIIe siècle, le pays n’a pas connu de menace militaire directe.
L‘occupation française conduit à la création d‘une République helvétique, « une
et indivisible », sur le modèle français. La région de Delémont, les
républiques de Genève et du Valais sont annexés à la Grande Nation. La
principauté de Neuchâtel est satellisée. En 1799, la Suisse est un champ de
bataille où trois Etats s‘affrontent: la France, l‘Autriche, la Russie. Devant
le chaos et les risques de guerre civile entre républicains et fédéralistes,
Napoléon Bonaparte intervient: c‘est l‘Acte de Médiation en 1803. C’est cette
situation qui dure jusqu’en 1817 et le premier règlement militaire confédéral,
milite pour la mise sur pied d’une armée fédérale crédible.
Quelle est la place occupée par l’histoire militaire suisse
actuellement et comment celle-ci évolue-t-elle ?
L’histoire militaire ne constitue pas
une priorité de recherche dans les universités. Peu d’articles lui sont
consacrés dans les revues spécialisées, comme la Revue suisse d’histoire. Il
existe toutefois des exceptions. C’est ainsi que le thème du « service
étranger », central à l’époque moderne, suscite un intérêt nouveau. Il en
va de même avec la pensée militaire, même si on devrait là parler, selon les époques,
plutôt de pensées militaires cantonales.
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