samedi 1 octobre 2016

Histoire militaire suisse - interview de Pierre Streit


Pierre Streit est historien et travaille pour le Département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports. Il a été le directeur scientifique du Centre d'histoire et de prospective militaire à Lausanne pendant 10 ans. Auteur de nombreux articles sur l'histoire militaire et la polémologie, il a déjà plusieurs ouvrages à son actif, portant sur l’histoire militaire suisse ou encore l’armée romaine. Il a notamment publié Morat(1476), l’indépendance des cantons suisses dans la collection Campagnes & stratégies des éditions Economica en mars 2009, ou, plus récemment, une étude sur la bataille d’Arnhem. Pierre Streit vient de publier aux éditions Infolio une seconde version, considérablement enrichie, de son Histoire militaire suisse, et a accepté de répondre à nos questions y relatives.
Propos recueillis par Adrien Fontanellaz   

A partir de quand peut-on faire débuter l’histoire militaire suisse ?

A partir du moment où des hommes peuplent le territoire suisse actuel. D’où le titre de la deuxième édition de mon livre qui inclut un chapitre sur la Préhistoire et un sur l’Antiquité.  

Pourriez-vous nous décrire le rôle que joue la géographie dans cette dernière ?
Dans la plus grande partie de la Suisse, le terrain est naturellement fort : les collines, les montagnes, les cours d’eau, les lacs créent de nombreux obstacles qui obligent tout au long de l’histoire militaire suisse, aussi bien l’attaquant que le défenseur, à effectuer de longs détours ou à être dépendants d’autant de passages obligés. Ces lignes de barrage naturelles présentent pourtant des discontinuités; il faut alors fermer les cluses, rendre infranchissables les terrains-clés, voire en renforcer la valeur de retardement. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le commandement du Pacte de Varsovie considérait l’ensemble du territoire suisse comme une zone où devaient s’appliquer les principes du combat en montagne.

Quant apparaît le principe de neutralité suisse et pourquoi prend-il une telle place dans la construction identitaire du pays ?
La sanglante défaite des Suisses face aux Français à Marignan marque la fin de la période d‘expansion territoriale de la Confédération. Elle est suivie de la conclusion d‘un traité de paix perpétuelle avec la France (1516) et intervient surtout au moment où la Réforme commence à prendre son essor en Suisse (Zurich, puis Berne, les deux principaux cantons). Si la Suisse a donc cessé de jouer un rôle actif dans la politique européenne, c'est avant tout à cause des divisions religieuses qui, à partir de 1518 (prédication de Zwingli à Zurich), paralysent la Confédération, et non à la suite de la seule défaite de Marignan. Néanmoins, cette bataille a un écho considérable. Sur les 20’000 fantassins suisses qui affrontent durant 2 jours près de 30’000 Français et Vénitiens, 14’000 restent sur le champ de bataille. C‘est enfin le début d‘une pratique: la neutralité. Il ne s‘agit pas d‘une politique, mais la neutralité est le fruit d‘une prise de conscience collective, ne pas se mêler des affaires européennes pour mieux gérer les affaires intérieures, particulièrement compliquées (clivage confessionnel, 5 guerres civiles y compris celle du Sonderbund en 1847).

Pourriez-vous revenir sur les origines, les développements et enfin la configuration actuelle du système de milice suisse ?

Le système de milice renvoie en réalité à un mode de vie collectif, basé sur le bénévolat et le sens civique des citoyens, qui date du Moyen-Age et trouve ses fondements dans l’Antiquité gréco-romaine. Malgré les turbulences qu’il a traversées et peut-être à cause de celles-ci, ce système n’a jamais été remis en cause, même pas en 1798. En 2013, il a même été plébiscité par le peuple. Celui-ci a en effet estimé que le service militaire obligatoire en était encore le fondement militaire et qu’on ne pouvait donc parler de « milice volontaire ».

La défaite bernoise de 1798 face aux troupes françaises est généralement peu évoquée, pourriez-nous nous en dire plus sur cette campagne ?

A la veille de 1798, les milices cantonales se trouvent dans un état d‘impréparation presque générale. Le jugement suivant est tiré d‘un rapport sur l‘état militaire de la Confédération suisse vers 1789: à Lucerne, la cavalerie « n‘a pas – en un mot – la première idée de l‘équitation ni d‘aucune manœuvre de cavalerie. L‘artillerie est pour le moins aussi mal en ordre et aussi ignorante dans son art ». Dans ce contexte, 1798 est l‘ « annus horribilis » de l‘histoire militaire suisse. Les Français occupent le pays; la principale puissance militaire de la Confédération, Berne, est vaincue après 5 jours de combats. Au-delà du débat quant à savoir si la Confédération suisse a été envahie ou libérée, c‘est la première fois où le Plateau suisse est occupé par une armée étrangère. Depuis les tentatives de Charles le Téméraire au XVe siècle et les débordements de la guerre de Trente ans au XVIIe siècle, le pays n’a pas connu de menace militaire directe. L‘occupation française conduit à la création d‘une République helvétique, « une et indivisible », sur le modèle français. La région de Delémont, les républiques de Genève et du Valais sont annexés à la Grande Nation. La principauté de Neuchâtel est satellisée. En 1799, la Suisse est un champ de bataille où trois Etats s‘affrontent: la France, l‘Autriche, la Russie. Devant le chaos et les risques de guerre civile entre républicains et fédéralistes, Napoléon Bonaparte intervient: c‘est l‘Acte de Médiation en 1803. C’est cette situation qui dure jusqu’en 1817 et le premier règlement militaire confédéral, milite pour la mise sur pied d’une armée fédérale crédible.

Quelle est la place occupée par l’histoire militaire suisse actuellement et comment celle-ci évolue-t-elle ?

L’histoire militaire ne constitue pas une priorité de recherche dans les universités. Peu d’articles lui sont consacrés dans les revues spécialisées, comme la Revue suisse d’histoire. Il existe toutefois des exceptions. C’est ainsi que le thème du « service étranger », central à l’époque moderne, suscite un intérêt nouveau. Il en va de même avec la pensée militaire, même si on devrait là parler, selon les époques, plutôt de pensées militaires cantonales.


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