Dans
la dernière semaine d’octobre
1936
la majorité des journalistes et des observateurs présents en
Espagne estime que la prise de Madrid par les forces nationalistes
est une question de jours, voire de semaines
et qu’aucun miracle ne pourrait venir
sauver la capitale de l’Espagne républicaine. Depuis trois mois,
en
effet,
les forces loyalistes n’ont pas connu un seul succès en rase
campagne contre les troupes
nationalistes à
l’exception
du
coup
d’arrêt
porté dans la Sierra de Guaderrama aux troupes de Mola venant du
nord. Mais
le danger principal vient du sud où la
rapidité de la progression de l’armée commandée par Franco
laisse croire à une fin rapide de la guerre civile en faveur des
rebelles.
Le
camp républicain doute et nombreux sont ceux qui en son sein pensent
que Madrid ne pourra être conservé. La décision du gouvernement de
quitter la capitale laisse penser que cette opinion est aussi
partagée à la tête de l’État. Les nationalistes sont quant à
eux optimistes et ils estiment qu’ils défileront bientôt au cœur
de la capitale. Certains de leur victoire prochaine, ils désignent
déjà les nouvelles autorités qu’ils vont installer à Madrid,
préparent des orchestres, instaurent huit conseils de guerre et font
venir de Navarre des autels portatifs pour célébrer les premières
messes dans la ville libérée. Ils attendent beaucoup de la prise de
capitale, notamment le statut de puissance belligérante et une
reconnaissance internationale mais surtout la fin de la guerre à
leur avantage.
Mais
Madrid, en novembre 1936, va être le témoin d’un épisode
militaire inattendu. Démentant les pronostics les plus avertis, la
ville va résister militairement aux rebelles et les frustrer d’une
victoire qu’ils pensaient déjà acquise. La capitale espagnole
devient alors le symbole de la résistance au fascisme tandis que
l’échec nationaliste change le cours du conflit pour le
transformer en une véritable guerre civile, une guerre longue. C’est
là également que se forge une nouvelle armée, que naît le mythe
puissant des Brigades internationales et que meurent les certitudes
et les mauvais jugements sur la nature du conflit espagnol.
Comment
néanmoins expliquer la résistance de la capitale espagnole alors
que la situation semblait perdue ? La réponse est multiple et
la défense de Madrid peut être analysés sous divers angles mais
sans jamais oublier la portée de cet événement.
David FRANCOIS
La
marche sur Madrid
La
guerre civile en Espagne éclate le 17 juillet, au cœur du Maroc
espagnol où les troupes de l’armée se soulèvent contre le
gouvernement de Front populaire qui dirige la République depuis les
élections de février. La rébellion se propage alors en quelques
heures dans les garnisons des Îles Canaries ainsi qu’à Cadix où
arrivent des bataillons de troupes indigènes marocaines et un
régiment de la Légion étrangère. Le 18, ce soulèvement, qui
s’inscrit dans une tradition de pronunciamento propre à l’armée
espagnole, touche l’ensemble du pays et les militaires sont dans la
rue pour proclamer l’état de guerre.
Le
général Mola, le cerveau de la conspiration militaire, a fixé
comme objectif principal du coup d’État, le contrôle de Madrid.
Dans la capitale, il existe dès le 18 juillet un certain désordre
quand des hommes armés, favorables aux rebelles, essayent de
répandre la terreur dans les rues afin de fournir un prétexte pour
que les militaires sortent des casernes. Deux jours après le début
du soulèvement au Maroc, le général Fanjul, un de ses principaux
dirigeants, s’introduit, en civil, dans la caserne de la Montaña
pour prendre la tête des troupes et s’emparer des points vitaux de
la ville. Mais au lieu de cela, les soldats, hésitants, préfèrent
se retrancher dans la caserne tandis que Fanjul proclame l’état de
guerre. Dans les rues, la population fidèle à la République
manifeste en masse et réclame des armes que le gouvernement refuse
de lui donner. La caserne de la Montaña
est finalement prise d’assaut par des gardes d’assaut loyalistes
et des civils le 20 juillet. Si Madrid reste donc fidèle à la
République comme la plupart des régions industrielles et des
grandes villes comme Barcelone, Valence ou Bilbao, l’Espagne est
néanmoins, dès ce moment-là, divisée en deux camps.
L'assaut contre la caserne de la Montana |
Les
nationalistes ne perdent pas de vue l’objectif majeur que
représente pour eux Madrid. Mola qui a réussi à prendre le
contrôle de la Navarre, met sur pied trois colonnes motorisées à
Valladolid, Burgos et Pampelune qui se mettent en route entre le 20
et le 22 juillet. Mais rapidement, elles se retrouvent bloquées sur
les pentes septentrionales de la sierra de Guadarrama. Début août
la situation est dans une impasse dans cette partie du front, signant
l’échec du plan élaboré par Mola et laissant aux troupes de
l’armée d’Afrique qui arrive du sud la mission de prendre
Madrid.
Les
troupes rebelles d’Afrique se rassemblent dans le sud de l’Espagne
et entament le 2 août leur marche sur la capitale. Leur avance
rapide doit permettre d’atteindre la ville le plus tôt possible
afin de renverser le gouvernement républicain et de briser
définitivement la résistance populaire. Sur leur route, elles font
montre d’une extrême brutalité. Le 12 août, elles atteignent
Badajoz, défendu par deux bataillons républicains. L’aviation
bombarde la cité tandis que l’artillerie parvient à abattre les
fortifications du 18e siècle permettant à l’infanterie
de pénétrer dans une ville brisée. Commence alors un effroyable
massacre avec l’exécution de centaines de militants de gauche.
Quand un journaliste américain demande au général Yagüe les
raisons de ces fusillades de masse, ce dernier répond qu’il ne
peut à la fois s’encombrer de prisonniers et les laisser derrière
lui au risque de laisser la ville redevenir républicaine.
La progression des forces nationalistes en 1936 |
À
la suite de la prise de Badajoz, l’armée d’Afrique, prenant
désormais le nom d’armée du Tage, suit le cours du fleuve en
direction de Madrid. Face à cette armée organisée, disposant
d’infanterie, d’artillerie, d’une cavalerie et d’une
aviation, abondamment armée et dont certains combattants possèdent
de 10 à 15 ans d’expérience militaire, les républicains ne
disposent que de milices de volontaires formées à la hâte, sans
expériences des combats, en infériorité numérique et équipées
d’un armement de fortune avec peu de munitions. Ainsi, lors de
chaque affrontement, les miliciens sont surpris par l’agressivité
des rebelles, sur un terrain découvert où ils ne savent pas
manœuvrer. Ils sont alors contraints de reculer le long du Tage en
direction de Madrid.
La
rapide avancée et surtout l’annonce des exactions nationalistes en
Estrémadure enflamment rapidement les sentiments et instillent la
panique chez les Madrilènes. La psychose que Madrid ne devienne un
nouveau Badajoz s’empare des esprits dans une ville qui semble déjà
promises aux nationalistes. Il est vrai qu’en à peine trois mois,
ces derniers se sont emparés de l’ensemble de l’Estrémadure
pour atteindre la Casa de Campo, le grand parc public qui borde
Madrid à l’ouest.
Un Tabor marocain en route pour Madrid |
La
République en danger.
Durant
les premiers jours du soulèvement, la République ne connaît pas
exactement les forces sur lesquelles elle peut compter. Si des unités
de l’armée restent fidèles au gouvernement, dans de nombreuses
localités c’est la population civile qui se mobilise, de manière
spontanée et mal équipée en armes,
pour défendre les villes et les villages. La
résistance aux nationalistes se fait donc dans l’improvisation ce
qui nuit à l’efficacité d’autant que de nombreuses unités
manquent de moyens matériels.
Afin
de remédier à ces problèmes le gouvernement républicain de Largo
Caballero décide, le 10 octobre, de former une Armée populaire
républicaine. Cette dernière amalgame
du mieux qu’elle peut, les militaires restés fidèles à la
République et les différentes milices mises
sur pied de manières spontanées par les organisations politiques et
syndicales
et les place sous
un commandement unique et professionnel. Concernant
le matériel de guerre, les
républicains comptent sur l’aide de l’URSS qui a décidé
de rompre l’isolement diplomatique de la République espagnole en
envoyant un ambassadeur à Madrid, premier pas avant la livraison
d’armes et l’arrivée de conseillers. Ainsi, le 15 octobre, le
cargo « Komsomol » arrive à Carthagène avec à son bord
des conseillers militaires et 50 chars T26. Dès le 19, ce matériel
est envoyé sur le front de Madrid. Une autre décision prise en
URSS, cette fois-ci par l’Internationale communiste, avec
évidemment l’accord de Staline, est la création d’une force de
volontaires, les Brigades internationales, destinée à renforcer le
camp républicain.
Au
fur et à mesure de l’avancée nationaliste depuis le sud du pays,
s’impose de
plus en plus
la nécessité d’un plan pour défendre la capitale. Mais il
apparaît que le gouvernement républicain est incapable d’affronter
le problème avec la cohésion nécessaire. Si les déclarations
officielles ne laissent pas de doute sur la volonté de défendre la
ville, des hésitations apparaissent sur la nécessité d’une
défense à outrance. À
la mi-septembre, certains dirigeants
républicains, dont Caballero, se posent
déjà
la question du bien-fondé de tenir Madrid qui ne représente pour
eux
aucun intérêt stratégique ou économique. En octobre, la
question de
la nécessité pour
le gouvernement de
rester
dans
la ville
s’exprime ouvertement
quand
le
président Azaña,
Caballero, Prieto et d’autres ministres se
montrent
de plus en plus favorables
à cette mesure. S’il n’est pas
dans leur intention de ne pas défendre la capitale, ce
départ correspond à un
choix stratégique qui est loin de faire l’unanimité.
En
octobre, les perspectives de défense de Madrid se résument à deux
alternatives : essayer de contenir l’ennemi à distance en
l’affrontant dans la vallée du Tage puisque la capitale est pour
beaucoup impossible à défendre militairement, soit défendre le
noyau urbain en utilisant tous
les moyens de la guerre de positions
et
en ne s’exposant pas dans des combats en terrain découvert.
Caballero soutient la première alternative sous l’influence du
général José Torrado tandis que la seconde est défendue par les
communistes qui ne font qu’exprimer la position des conseillers
soviétiques récemment arrivés. C’est aussi celle qui est
soutenue par les anarchistes laissant donc
augurer
des
divergences profondes.
Alors
que dès la fin septembre apparaît dans la presse un slogan promit à
un grand avenir « Madrid doit être le tombeau du fascisme »,
il existe différents avis sur les moyens de creuser cette tombe. Les
journaux socialistes et républicains insistent sur la nécessité
d’éloigner les nationalistes de Madrid tandis que la presse
communiste et anarchiste appelle à la construction de fortifications
et à la mobilisation des moyens humains et matériels pour défendre
la capitale.
Sur
le terrain militaire chaque camp prend alors des décisions
importantes. Coté nationaliste, le général Mola décide le 7
octobre qu’une fois réalisé la liaison entre les troupes rebelles
du nord et du sud, l’assaut sur Madrid devra être lancé. Largo
Caballero, de son côté, prend le contrôle direct de l’armée et
forme un commissariat de guerre. Le 22 octobre, une série de décrets
réorganise le commandement de l’armée républicaine. Sebastian
Pozas devient le chef de l’armée du front du Centre tandis que
José Miaja, un général peu connu, prend la direction de la
première division organique c’est-à-dire celle de Madrid. Il
existe alors un plan sommaire de défense de la capitale qui s’appuie
sur les lignes concentriques fortifiées déjà construites mais qui
se révèlent pour la plupart d’une réalisation médiocre. En
octobre, Caballero expose donc la nécessité de bâtir des
fortifications plus efficaces mais les réalisations effectuées ne
dépassent pas le stade du creusement de modestes fossés. Plus tard
les communistes ne manqueront d’ailleurs pas de reprocher à
Caballero l’absence d’un solide plan de défense. Il est vrai que
le chef du gouvernement n’est pas partisan d’une défense à
outrance et ne considère pas la perte de la capitale comme un fait
irréparable ainsi qu’il le confiera à la presse, le 15 novembre,
en pleine bataille provoquant l’indignation de Miaja.
Début
novembre, les projets militaires qu’ambitionnent Caballero,
c’est-à-dire stopper les nationalistes à l’extérieur de
Madrid, nécessitent que la capitale résiste. Mais sans certitude
sur l’efficacité de cette défense et alors que les rebelles
approchent de Carabanchel, il impose le départ du gouvernement de la
ville.
Le
matin du 6 novembre, le Conseil des ministres prend donc la décision
de quitter Madrid pour Valence tandis que le général Miaja, assisté
par le général Vicente Rojo comme chef d’état-major, se voit
confier la mission de défendre la ville assistée par une Junte de
défense. Dans la mémoire populaire se fixe alors l’image d’une
ville qui s’apprête à se défendre et à résister malgré, voire
contre, ses propres gouvernants, bien que la nécessité du départ
du gouvernement de la ligne de front reçoivent l’accord de toutes
les forces de gauche y compris des anarchistes. Ce qui irrite le plus
la population c’est un départ subreptice presque clandestin sans
aucune déclaration, ni justification préalable pour l’expliquer.
Les généraux Miaja et Rojo, les chefs militaires de la défense de Madrid |
Avec
le départ du gouvernement, la seule autorité qui reste à Madrid
est la Junte de défense qui assure désormais l’essentiel des
attributions gouvernementales dans la ville. Cette Junte, dont les
membres sont en majorité jeune, rassemble l’ensemble des forces
politiques et syndicales qui participent à la défense. Elle
travaille en étroite collaboration avec les militaires et se charge
de l’ensemble des taches politiques nécessaires à l’effort de
guerre sans jamais intervenir dans les décisions militaires. Elle
joue donc un rôle essentiel dans la défense de la capitale pour
maintenir l’ordre public, faire fonctionner l’industrie de
guerre, animer la propagande ou évacuer la population civile.
Dans
les premiers jours de novembre, les troupes nationalistes se
détournent de leur marche sur Madrid pour aller au secours des
assiégés de l’Alcazar de Tolède. Afin de maintenir la pression
sur la capitale et de développer le sentiment de terreur parmi les
habitants et les défenseurs, les nationalistes organisent les
premiers bombardements sur la ville tandis que le général Mola
parle à un journaliste de la présence dans Madrid d’une cinquième
colonne. Ces propos sont repris dans la presse internationale et
entretiennent la paranoïa dans la ville.
De Tolède, les troupes nationalistes commencent peu à peu
l’investissement de Madrid, s’emparant le 6 novembre du village
de Villaverde dont ils font une base de départ, au même titre que
Carabanchel et Cuatro Vientos. Ils ne sont alors qu’à sept
kilomètres de la Puerta del Sol.
Les
camps en présence.
Le
général Enrique Varela, qui commande les troupes nationalistes,
dispose de huit colonnes plus une de cavalerie pour s’emparer de
Madrid. Il s’agit là d’unités qui ne cessent de se battre
depuis le début de leur progression vers le nord depuis Séville et
dans lesquelles se retrouvent l’élite de l’armée d’Afrique :
tabors des forces indigènes marocaines et banderas de la Légion
étrangère. Contrairement aux républicains, Varela ne dispose de
presque aucune unité de volontaires civils et en principe aucune
n’est engagée dans les colonnes principales qui vont lancer
l’assaut. Ce sont ainsi prés de 30 000 hommes qui s’apprêtent à
attaquer Madrid.
Coté
républicain, la situation est plus confuse. En l’absence
d’évaluation fiable, il semble que Miaja dispose dans les premiers
jours de novembre d’environ 25 000 combattants avant que l’arrivée
de renforts, notamment des Brigades internationales, permette aux
défenseurs d’atteindre le chiffre de 40 000 combattants. Miaja ne
connaît pas en effet, au moment où il prend son commandement, le
nombre d’hommes dont il dispose et n’a également qu’une vague
idée des positions qu’ils occupent. Ces unités, qui appartenaient
jusque-là au front du Centre, sont pour la plupart désorganisées,
le moral y est bas et le commandement n’y exerce pas toujours une
autorité absolue.
Volontaires des Brigades internationales |
Le
7 novembre, les combats débutent sur un front de 20 kilomètres. Les
lignes républicaines résistent. Depuis Pozuelo-Humera, les forces
loyalistes de Barcelo et Galan initient un timide mouvement sur le
flanc des attaquants avec l’emploi de blindés ce qui surprend et
arrête l’avance nationaliste. Durant ces combats, les troupes
gouvernementales capturent un blindé ennemi à l’intérieur duquel
ils mettent la main sur les ordres d’opération pour la prise de
Madrid diffusées par Varela la veille. Le document est transmis à
Miaja qui s’étonne à la fois de la maladresse et de l’audace de
ses adversaires.
Le
commandant nationaliste prévoit en effet d’attaquer par la Casa de
Campo avec deux colonnes puis de traverser le rio Manzanares,
barrière naturelle qui protège Madrid à l’ouest, pour pénétrer
dans la Cité universitaire et le parc d'Oriente entre le pont des
Français et le pont San Fernando. À partir de là, les unités
devront s’emparer des divers quartiers de la ville. Simultanément,
deux colonnes doivent marcher sur les villages et les faubourgs du
sud de la capitale, avancer en direction des ponts de Ségovie, de
Toléde et de Legazpi pour attirer des forces républicaines et ainsi
fragiliser les défenses dans la zone principale de l’attaque. Deux
colonnes doivent se maintenir sur les flancs et en arrière-garde et
deux autres restent en réserve à la disposition du commandement
ainsi que la cavalerie. L’ensemble de l’opération ne doit pas
durer plus d’une journée.
Face
au dispositif nationaliste, Rojo établit dans la nuit du 7 au 8 un
plan efficace. Ses unités au centre du dispositif de défense et à
la Casa de Campo doivent résister tandis que des contre-attaques
seront lancées sur chaque flanc de l’adversaire pour à la fois
perturber son avance principale et le prendre en tenaille. Il change
donc son dispositif pour résister dans la Casa de Campo tout en
intensifiant les attaques sur les flancs. Des unités sont alors
transférées depuis la zone de Vicalvaro-Vallecas vers le nord de
Casa de Campo, à la limite de la Cité universitaire. Clairac se
trouve au sud de la Casa de Campo tandis que se déploie à
l’intérieur de celle-ci les colonnes d’Enciso et de Cavada. Les
unités d’Escobar, Mena, Rovira et Prada se trouvent sur la rive
droite du fleuve pour défendre les ponts. Lister et Bueno tiennent
le flanc droit républicain. Rojo compte alors sur deux facteurs pour
l’emporter : l’effet de surprise et la faiblesse du flanc
gauche ennemi, vulnérable à une attaque.
Le
déroulement de l’ensemble de la bataille pour Madrid va se
dérouler suivant ces deux plans opposés, celui de Varela du 6 et
celui de Miaja et Rojo du 8. Avec des corrections et des directives
plus précises, Varela va en effet s’obstiner dans son plan sans
lui apporter de changements importants. Il en est de même dans le
camp républicain avec cette particularité que là deux autorités
se font concurrence. La superposition de deux commandements, celui
organique de l’armée du Centre et l’autre, de circonstance, qui
dirige la défense de Madrid, complique la situation puisque chaque
commandant a élaboré un plan stratégique différent. En résumé,
si Madrid pense d’abord à sa défense, Valence prépare un plan de
campagne concurrent.
La bataille de la Casa de Campo |
Les
combats à la Casa de Campo.
Le
dimanche 8 est celui du grand choc dont les résultats sont décisifs
pour les défenseurs. Les nationalistes commencent par avancer depuis
la Casa de Campo en direction du Manzanares tandis que depuis le sud
marchent des troupes qui doivent appuyer l’effort principal à
l’ouest. La résistance des milices sous les ordres de commandants
comme Lister, Barcelo ou Galan ralentit considérablement l’avance
ennemie de telle sorte que les combats à la Casa de Campo se
prolongent le 9 et le 10 novembre. Les nationalistes n’arrivent pas
à atteindre le Manzanares et progressent peu à Carabanchel et dans
les quartiers voisins. Ils parviennent néanmoins à neutraliser les
attaques qui sont lancées contre leurs flancs.
Les
soldats de Franco ne cessent d’attaquer dans la Casa de Campo mais
Varela progresse lentement dans ce secteur ainsi qu’à Carabanchel.
Les défenseurs cèdent en effet peu de terrain et reçoivent des
renforts. De la Sierra arrive deux colonnes plus le bataillon
communiste de Vega tandis que la colonne catalane Libertad et un
bataillon de la CNT font leur entrée dans la capitale. Surtout, le
9, alors que les combats croissent en intensité, les premières
unités des Brigades internationales, la 11e brigade en
l’occurrence, arrive à Madrid sous les ordres de Manfred Stern
plus connu en Espagne sous le nom d’Emilio Kleber. Ces troupes
défilent sur la Gran Via devant une foule qui hurle « Vive les
Russes » avant de rejoindre la Cité universitaire. Kleber
installe alors son quartier général dans la Faculté des lettres et
de philosophie et prépare ses positions autour du Manzanares et du
pont des Français là où se trouve la voie de chemin de fer qui
relie la capitale à la Sierra de Guadarrama et au nord du pays.
Après
quatre jours de durs combats, l’intensité des affrontements
décroît en raison de l’épuisement des hommes. Mais le 13, un
événement extérieur bouscule la situation. C’est ce jour-là que
doit commencer la contre-offensive préparée par l’état-major de
Caballero et dont Miaja n’a été mis au courant que le 9. Ce plan,
qui réorganise l’encadrement et la disposition des forces
républicaines, prévoit une attaque latérale au sud de Madrid
depuis la vallée de la Jarama en direction de l’ouest pour
atteindre le Tage dans un grand mouvement enveloppant. Cette manœuvre
de grande ampleur vise à couper les forces de Varela de ses bases
sur le Tage et ainsi de sa liaison avec le sud. Elle prévoit
également que les troupes de Madrid lancent une attaque de front et
une autre de flanc.
Ce
plan irrite Miaja et Rojo puisqu’il mobilise leurs meilleures
forces, trois brigades mixtes et la 12e Brigade
internationale pour une opération dont ils estiment qu’elle
fragilise la défense de Madrid. La Junte de défense est également
de cet avis et dès le 10 un conflit éclate avec le général Pozas
chef de l’armée du Centre. Le ministre Alvarez del Vayo doit se
rendre dans la capitale le 11 pour apaiser les tensions. L’offensive
prévue se réalise mais elle est si ambitieuse qu’elle échoue
piteusement ne permettant même pas de desserrer l’étau autour de
la ville.
Des tranchées sont creusées devant Madrid |
Le
11 et le 12, les forces nationalistes obtiennent quant à elles
quelques petits succès. Le 13, rejointe par la colonne de Barron à
la Casa de Campo, elles progressent jusqu’à occuper la colline de
Garabitas, une position en hauteur, et de là, à s’approcher du
Manzanares sur un front de 400 mètres entre le pont des Français et
le pont San Fernando. À partir de ce moment, le pont des Français
devient un enjeu majeur puisqu’il est la clef pour le passage du
fleuve par les troupes de Varela. Ce même jour, la 12e
Brigade internationale, commandée par le général Lukacz, connaît
son baptême du feu sur la colline de Los Angeles et son premier
échec lors de l’offensive organisée par Pozas. Le 13 est donc une
journée noire pour les républicains, mais celle du 15 sera pire
encore.
Le
14, Rojo, prépare une contre-attaque le long du Manzanares avec pour
objectif de reprendre la colline de Garabitas, là où l’adversaire
s’est le plus approché du fleuve. Mais le 15, l’attaque
républicaine s’avère un désastre. Le front est enfoncé et
débute la bataille de la Cité universitaire où les troupes de
Varela sont parvenues à pénétrer. Alors que la défense de la
ville entre dans une phase critique, la lutte pour Madrid ne se
déroule pas seulement dans la périphérie de la ville, elle se joue
dans l’ensemble de la capitale.
Une attaque des troupes nationaliste |
Une
ville en guerre.
Madrid
est l’une des premières villes d’Europe à subir les affres
d’une guerre totale. La population ne dispose en effet d’aucune
marge pour se maintenir à l’écart de la bataille. Les
nationalistes sont persuadés que le moral de la population madrilène
va s’effondrer devant la perspective d’une bataille qui
l’affectera de manière directe.
Les
républicains sont conscients que le soutien de la population est
indispensable pour tenir. La défense de Madrid devient alors le
moment d’une intense propagande pour mobiliser les habitants. La
presse, la radio, les tracts, les affiches, le cinéma sont
mobilisés. Cette campagne commence avant le début de la bataille et
montre en particulier l’efficacité de l’appareil communiste
tandis que les anarchistes, avec moins de moyens, sont les plus
virulents. Ainsi, le 7 novembre, les cinémas de Madrid projettent le
film « Les marins de Kronstadt ». Des compagnies
théâtrales improvisées jouent dans les différents quartiers une
pièce intitulée « Quatre bataillons de choc ! ».
Les leaders politiques utilisent la radio tandis que la presse publie
tous les messages de soutien à la capitale espagnole. À cette
propagande intense qui fonctionne à merveille s’ajoutent aussi les
erreurs commises par les nationalistes. Les bombardements de la ville
au lieu de ruiner le moral des habitants, vont au contraire le
galvaniser.
Dans
la nuit du 27 au 28 août, Madrid connaît son premier bombardement
par des Junkers 52 qui frappent le ministère de la Guerre et la gare
du Nord, causant un mort et plusieurs blessés. La ville n’est
alors évidemment pas prête à subir ce type d’attaque obligeant
le gouvernement à trouver des abris et à faire connaître à la
population les moyens de se protéger.
Pendant les bombardements, les Madrilènes trouvent refuge dans le métro |
Alors
que les colonnes nationalistes approchent de Madrid, les
bombardements s’intensifient. A Getafe, le 30 octobre, ils causent
la mort de 60 enfants. Début novembre, ils deviennent quotidiens
dans le secteur de la Casa de Campo. La première attaque massive sur
la capitale a lieu le 4 novembre. Durant ce mois, une campagne
méthodique de bombardements commence. Le but est de démoraliser la
population et de forcer la reddition de la ville. Mais cette
politique d’intimidation a les résultats inverses, accroissant la
volonté de résistance des habitants, dont beaucoup étaient encore
indifférents au début de la bataille.
La
plupart des bombardements sont le fait de JU-52 volant par escadrille
de trois appareils que les Madrilènes
surnomment « les trois veuves ». Le 16 novembre, des
bombes incendiaires touchent le musée du Prado. Si le feu est
rapidement éteint, cette attaque
provoque un scandale international
et pousse le gouvernement à transférer des chefs d’œuvres
à Valence. À
partir de ce jour, les bombardements nocturnes se généralisent. Les
18 et 19 novembre, ils
sont si intenses, coûtant
la vie à environ
130
civils, que le corps diplomatique encore
présent à Madrid
rend public une note de protestation. En avril 1937, les
autorités républicaines donnent
un premier bilan des dégâts
causés par les bombardements sur la capitale depuis le début des
hostilités : 980 bâtiments,
dont 14 écoles, 8 églises, 4 hôpitaux
et 2 musées ont été endommagés partiellement ou totalement. Il y
a eu 907 morts, 2 800 blessés et 430 portés disparus. En ajoutant
les victimes dans les localités qui entourent Madrid comme Puente de
Vallecas, on obtient le chiffre de 1 491 victimes.
La
majorité de ces bombardements ne vise pas d’objectifs militaires
mais cherche sciemment à briser le moral des défenseurs. Les
nationalistes prennent donc
soin de les
cibler, épargnant
ainsi le
quartier de Salamanque, un quartier bourgeois où ils
comptent de nombreux sympathisants. Au contraire le centre de la
ville et le quartier d’Argüelles, proche de la Cité universitaire
sont parmi
les plus
touchés.
Si
au début de la guerre civile, l’aviation nationaliste dispose
d’une écrasante supériorité, courant novembre, elle se voit
disputer le ciel de Madrid par les chasseurs soviétiques Polikarpov
I-15 et I-16 que les combattants républicains surnomment les Chatos
ou les Moscas. La première rencontre a lieu le 4 novembre quand un
Chato disperse des Fiat CR-32 escortant des JU 52 en route vers
Madrid. L’apparition de ces appareils mais aussi l’arrivée des
Brigades internationales enthousiasme la population madrilène tandis
que le slogan « No Pasaran » se répand laissant augurer
que la résistance républicaine sera farouche.
Un Polikarpov I-16 |
Pendant
ce temps, la Junte de défense gère le quotidien d’une ville qui
compte plus d’un million d’habitants à laquelle s’agrège des
réfugiés venus des zones alentour mais aussi une population
flottante de miliciens. Afin de faire face aux problèmes de
ravitaillements, elle réussit à établir un rationnement efficace
mais se montre moins heureuse concernant le problème de l’évacuation
de la population.
Si
la résilience, voire l’héroïsme, caractérisent en grande partie
la capitale espagnole agressée, la bataille de Madrid possède aussi
sa face sombre, la répression des dissidents, des suspects et des
ennemis réels. Si la Junte de défense s’efforce de maintenir
l’ordre et de contrôler la répression sur les prisonniers, elle
n’y parvient pas toujours. Ainsi, en novembre, les prisons sont
encore pleines de prisonniers et la décision est prise de les
transférer vers des lieux de détention plus éloignées du front.
C’est alors que, dans une vague de folie vengeresse, certaines
milices républicaines exécutent environ 2 000 de ces prisonniers à
Paracuellos dans la banlieue de Madrid à la fin novembre et au début
décembre sans qu’il soit possible de savoir exactement qui en a
donné l’ordre. Il faut plusieurs jours pour que la Junte parvienne
à maîtriser la situation et mette fin à l’une des pages les plus
noires de l’histoire de la République.
Madrid bombardée |
La
lutte dans la Cité universitaire.
Sur
le front, le 15 novembre, chaque camp lance une attaque et cela dans
un même secteur de moins d’un kilomètre de long. Le choc est
brutal et les unités républicaines, moins préparées, ne peuvent
résister. La traversée du Manzanares par les forces de Varela est
une manœuvre brillante. Le commandant nationaliste parvient à
échelonner parfaitement ses troupes en profondeur pour donner à son
attaque l’effet d’un coup de bélier.
Précédé
par une intense préparation d’artillerie et des bombardements
aériens, les colonnes franquistes essayent à de nombreuses reprises
de s’emparer du pont des Français qui durant toute la bataille est
âprement défendu par le commandant Romero jusqu’au moment où il
est décidé de le faire sauter. Les nationalistes essayent alors de
passer le Manzanares à gué. Asensio tente ainsi de faire traverser
18 blindés mais ces derniers restent bloqués dans le lit de la
rivière.
La bataille dans le Cité universitaire |
La
lutte est acharnée durant toute la journée et provoque de
nombreuses victimes chez les nationalistes. Les soldats d’Asensio
essayent donc à trois reprises d’atteindre et de traverser la
rivière. À chaque fois, la puissance de feu des défenseurs empêche
les assaillants d’avancer. Chaque attaque des nationalistes est
suivie de fortes contre-attaques des défenseurs républicains. Ce
n’est seulement qu’en début d’après-midi que les soldats du
3e tabors de Tétouan parviennent à atteindre la rive
opposée. La brèche ouverte dans le front républicain n’est que
de quelques mètres en amont du pont des Français.
Les
unités nationalistes qui franchissent le Manzanares contournent les
combattants envoyés par Durruti et parviennent à s’emparer de
l’École d’Architecture. Ils se retranchent dans le bâtiment et
durant la nuit le reste de la colonne d’Asensio franchit à son
tour la rivière. Exploitant ce succès, les colonnes de Delgado et
de Barron rejoignent celle d’Asensio dans la Cité universitaire.
Le
16, Miaja et Rojo planifient une grande contre-attaque. Durruti doit
lancer un assaut frontal depuis l’asile Maria-Cristina jusqu’au
fleuve tandis que de l’autre côté de la brèche ouverte par les
rebelles, les interbrigadistes de Kleber et la 4e brigade
mixte feront pression sur l’adversaire. La mission des républicains
est de rejeter les nationalistes sur l’autre rive du Manzanares.
Combattants républicains dans la Cité universitaire |
Le
plan républicain ne reçoit pas le début d’un commencement
puisque au moment où il doit être déclenché, les forces d’Asensio
élargissent leur tête de pont en s’emparant de la Casa de
Velasquez puis, en traversant la route centrale, de l’École des
ingénieurs agronomes. Des centaines de combattants dans chaque camp,
notamment parmi les interbrigadistes de la 11e Brigade
internationale trouvent la mort dans les combats à la Casa Velasquez
et en luttant pour élargir ou au contraire fermer la brèche
nationaliste sur le Manzanares. La contre-attaque menée par Durruti
se trouve complètement paralysée par la vigueur de l’avance
ennemie depuis les Facultés jusqu’à l’hôpital-clinique. Avec
ses miliciens il défend avec acharnement l’asile Santa Cristina
mais, le 17, il doit abandonner cette position pour reculer jusqu’à
l’hôpital-clinique. C’est le jour le plus difficile pour les
défenseurs. Miaja et Rojo doivent se rendre sur le champ de bataille
pour arrêter les fuyards alors que les tirs d’artillerie et les
bombardements aériens sur la ville redoublent. Les nationalistes
semblent prés de l’emporter tandis que quelques patrouilles de
Tabors font irruption sur la place d’Espagne provoquant la panique
dans les rues de Madrid. Mais cette incursion est facilement
repoussée par les miliciens qui renforcent le secteur.
À
ce moment de la bataille, les soldats nationalistes sont épuisés et
surtout ils ne sont plus, dans la Cité universitaire, que 2 000 face
à 11 000 défenseurs. Afin de combler cette faiblesse, les attaques
du 17 sont combinées avec d’intenses bombardements aériens pour
briser la résistance républicaine. Peu avant le crépuscule, prés
de 2 000 bombes atteignent ainsi le centre de la ville. Au départ
quelques bombes incendiaires tombent sur les quartiers ouvriers.
L’emploi de bombes incendiaires est systématique, les assaillants
estiment que le feu est le moyen le plus efficace pour provoquer la
panique. Quelques instants après, des bombardiers, par vagues de 10
ou 12, guidés par les premiers incendies, libèrent des chapelets de
bombes. Madrid manque alors à la fois d’abris et de défenses
antiaériennes. Des hôpitaux et des bouches de métro sont touchés
tandis que les terrains découverts, comme la place d’Espagne, sont
mitraillés.
Les interbrigadistes défendent Madrid |
La
journée du 18 est encore marquée par de durs combats. Les hommes
s’affrontent pour la prise de bâtiments en ruine, ils se battent
d’un étage à l’autre, s’insultent à travers les murs,
lancent des grandes par les fenêtres et dans les escaliers. La
confusion est telle que personne ne sait exactement où se trouve le
front et qui sont les attaquants ou les défenseurs. Les 11e
et 12e Brigades internationales, très éprouvées, sont
refondues et placées sous les ordres de Kleber qui devient de fait
le responsable de tous le secteur ouest de la Cité universitaire.
Les ordres restent les mêmes que les jours précédents et de
nouveaux les troupes de Varela résistent avec ténacité dans leurs
positions. Sans parvenir à élargir sa tête de pont, ce dernier
parvient à tenir solidement une ligne qui va en direction de l’est
de l’École d’Architecture à l’hôpital-clinique en passant
par la Casa de Velázquez, l’École d’ingénieurs agronomes et
l’asile Santa-Cristina. Mais il ne parvient pas à élargir ses
positions en direction de l’ouest vers la Moncloa et les facultés
de Médecine et de Philosophie. L’hôpital-clinique, le lieu de
durs combats dans les jours suivant, marque le point extrême de
l’avance nationaliste.
Le
19, Durruti est de retour pour diriger les combats dans
l’hôpital-clinique. C’est là qu’il va trouver la mort dans
des circonstances non élucidées. Dans l’hôpital, les combats
sont acharnés, étage par étage, et cela pendant encore quatre
jours. Depuis les facultés de Philosophie et de Médecine, les
républicains lancent une nouvelle attaque qui débouche sur de
violents combats dans le palais de la Moncloa et de nouveau pour la
Casa Velázquez. Malgré le courage des interbrigadistes, le 20, la
Moncloa est toujours aux mains de Varela.
La Casa de Velasquez à l'issue des combats |
Entre
le 20 et le 22, l’intensité des combats ne faiblit pas. Le 20, les
nationalistes ont prés de 3 000 hommes dans la Cité universitaire,
répartis entre les différents bâtiments. La lutte est si intense
que certaines unités sont décimées. Rojo, devant la Junte de
défense, se plaint de manquer de munitions alors que le Casa
Velázquez est en flamme et que l’hôpital-clinique est à nouveau
reprise. À ce moment, prés des trois quarts de la Cité
universitaire est aux mains des nationalistes. La confusion est telle
qu’une ligne de front est impossible à tracer. Les escarmouches
s’épuisent peu à peu sur l’ensemble des zones de combat. Le 22,
Rojo expose devant la Junte de défense qu’il craint une nouvelle
attaque ennemie. S’il est vrai que la colonne de Barron avance dans
le parc d’Oriente, elle est néanmoins rapidement contenue.
Les
forces dans les deux camps sont épuisées. Franco, Mola, Varela et
d’autres généraux nationalistes se réunissent le 23 à Leganes
et décident de cesser les attaques frontales contre Madrid. Pour une
raison de prestige, Franco ordonne néanmoins de maintenir ses
troupes sur les points déjà conquis dans la ville. Mais le centre
de gravité du conflit dont la capitale reste l’enjeu se déplace
vers le nord-ouest. Les nationalistes veulent désormais l’isoler
et l’asphyxier par un vaste mouvement enveloppant qui débouche
successivement sur la bataille autour de la route de La Corogne en
décembre, puis sur la bataille de la Jarama en février 1937 et
finalement par une dernière tentative lors de la bataille de
Guadalajara en mars 1937.
Madrid
va encore tenir de long mois de siège malgré la dégradation des
conditions de vie de la population réduite à un rationnement de
plus en plus sévère et des bombardements qui ne font qu’aggraver
cette situation. Les républicains essayeront, sans succès, lors de
l’offensive de Brunete, en juillet 1937, de desserrer l’étau
autour de la ville. Finalement, le 28 mars 1939, à la suite du
putsch du général Casado, les troupes franquistes entrent à Madrid
sans rencontrer de résistance, mettant un point final à la guerre
civile espagnole.
Conclusion
Les
17 jours que durent la bataille de Madrid, soit du 7 au 23 novembre
1936, se déroulent les combats les plus acharnés depuis le début
du conflit, des combats qui consument implacablement effectifs et
matériels dans chaque camp qui se dispute chaque mètre carré de
terrain. Madrid voit alors tomber des héros comme Durruti tandis
qu’émerge la figure de Vicente Rojo. Elle voit aussi les
volontaires internationaux donner abondamment leur sang pour la
défense de la République. Surtout, elle offre le surprenant
spectacle de miliciens indisciplinés et mal instruits mettant en
échec de véritables soldats encadrés dans d’authentiques unités
militaires. Comment expliquer ce phénomène qui déjoue les
pronostics les plus avisés sur l’issue de la bataille ?
La
principale raison de l’échec nationaliste tient dans la démesure
de l’objectif poursuivi par rapport aux moyens médiocres engagés.
Franco se propose en effet de conquérir avec seulement 30 000 hommes
une ville de plus d’un million d’habitants disposée à se
défendre. Il sait, bien entendu, que militairement cet objectif est
hors de portée mais il estime dans le même temps que les
républicains, face aux différentes options qui se présentent à
eux, c’est-à-dire la reddition, la défense périphérique ou la
défense à outrance, ne choisiront pas cette dernière. Dans ces
conditions il ne croit pas nécessaire de prendre le risque d’engager
plus de force dans une opération qui, si elle échoue, peut
compromettre sérieusement ses chances ultérieures de gagner la
guerre. Ainsi quand il se rend compte que la résistance républicaine
est plus sérieuse qu’il ne l’avait prévu, il abandonne la
partie.
Si
les nationalistes n’ont finalement pas pris Madrid en raison de
l’insuffisance des moyens engagés c’est avant tout car ils se
sont retrouvés face à une armée qui ne mène plus une guerre de
mouvement mais de résistance avec un plan clair et un commandement
efficace. Et cette armée se sent soutenu au niveau international
tant en hommes qu’en matériel. Elle sait aussi qu’elle défend
plus un symbole qu’une ville. Entrainés par le seul sentiment de
loyauté envers la démocratie, les soldats républicains ont réussi
à relever le défi lancé par les rebelles. Pour ces volontaires
« Madrid sera le tombeau du fascisme » et par leur action
ils ont démontré la volonté du peuple, indépendamment de la
puissance et de la cruauté de ses adversaires, de se défendre
contre un ennemi qui souhaite leur ravir leur liberté. Un message
toujours d’actualité.
Bibliographie.
-Hugh
Thomas, La Guerre d’Espagne, Robert Laffont, 1961.
-Anthony
Beevor, La Guerre d’Espagne, Calmann-Lévy, 2006.
-Jorge
Martinez Reverte, La Batalla de Madrid, Editorial Critica,
2004.
-Pablo
Sagarra, Oscar Gonzalez, Lucas Molina, Grandes Batallas de la
Guerre Civil española,
1936-1939, La Esfera, 2016.
-Gabriel
Cardo, Historia militar de une guerra civil, Flor del Viento
Ediciones, 2006.
jours terribles de 1936...au delà des "légendes", l'acharnement des 2 camps est notable au travers de ce récit précis et bien argumenté : merci à son auteur
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