jeudi 1 septembre 2016

Madrid 1936, tombeau du fascisme ?

Dans la dernière semaine d’octobre 1936 la majorité des journalistes et des observateurs présents en Espagne estime que la prise de Madrid par les forces nationalistes est une question de jours, voire de semaines et qu’aucun miracle ne pourrait venir sauver la capitale de l’Espagne républicaine. Depuis trois mois, en effet, les forces loyalistes n’ont pas connu un seul succès en rase campagne contre les troupes nationalistes à l’exception du coup d’arrêt porté dans la Sierra de Guaderrama aux troupes de Mola venant du nord. Mais le danger principal vient du sud où la rapidité de la progression de l’armée commandée par Franco laisse croire à une fin rapide de la guerre civile en faveur des rebelles.

Le camp républicain doute et nombreux sont ceux qui en son sein pensent que Madrid ne pourra être conservé. La décision du gouvernement de quitter la capitale laisse penser que cette opinion est aussi partagée à la tête de l’État. Les nationalistes sont quant à eux optimistes et ils estiment qu’ils défileront bientôt au cœur de la capitale. Certains de leur victoire prochaine, ils désignent déjà les nouvelles autorités qu’ils vont installer à Madrid, préparent des orchestres, instaurent huit conseils de guerre et font venir de Navarre des autels portatifs pour célébrer les premières messes dans la ville libérée. Ils attendent beaucoup de la prise de capitale, notamment le statut de puissance belligérante et une reconnaissance internationale mais surtout la fin de la guerre à leur avantage.

Mais Madrid, en novembre 1936, va être le témoin d’un épisode militaire inattendu. Démentant les pronostics les plus avertis, la ville va résister militairement aux rebelles et les frustrer d’une victoire qu’ils pensaient déjà acquise. La capitale espagnole devient alors le symbole de la résistance au fascisme tandis que l’échec nationaliste change le cours du conflit pour le transformer en une véritable guerre civile, une guerre longue. C’est là également que se forge une nouvelle armée, que naît le mythe puissant des Brigades internationales et que meurent les certitudes et les mauvais jugements sur la nature du conflit espagnol.

Comment néanmoins expliquer la résistance de la capitale espagnole alors que la situation semblait perdue ? La réponse est multiple et la défense de Madrid peut être analysés sous divers angles mais sans jamais oublier la portée de cet événement.

David FRANCOIS



La marche sur Madrid
La guerre civile en Espagne éclate le 17 juillet, au cœur du Maroc espagnol où les troupes de l’armée se soulèvent contre le gouvernement de Front populaire qui dirige la République depuis les élections de février. La rébellion se propage alors en quelques heures dans les garnisons des Îles Canaries ainsi qu’à Cadix où arrivent des bataillons de troupes indigènes marocaines et un régiment de la Légion étrangère. Le 18, ce soulèvement, qui s’inscrit dans une tradition de pronunciamento propre à l’armée espagnole, touche l’ensemble du pays et les militaires sont dans la rue pour proclamer l’état de guerre.

Le général Mola, le cerveau de la conspiration militaire, a fixé comme objectif principal du coup d’État, le contrôle de Madrid. Dans la capitale, il existe dès le 18 juillet un certain désordre quand des hommes armés, favorables aux rebelles, essayent de répandre la terreur dans les rues afin de fournir un prétexte pour que les militaires sortent des casernes. Deux jours après le début du soulèvement au Maroc, le général Fanjul, un de ses principaux dirigeants, s’introduit, en civil, dans la caserne de la Montaña pour prendre la tête des troupes et s’emparer des points vitaux de la ville. Mais au lieu de cela, les soldats, hésitants, préfèrent se retrancher dans la caserne tandis que Fanjul proclame l’état de guerre. Dans les rues, la population fidèle à la République manifeste en masse et réclame des armes que le gouvernement refuse de lui donner. La caserne de la Montaña est finalement prise d’assaut par des gardes d’assaut loyalistes et des civils le 20 juillet. Si Madrid reste donc fidèle à la République comme la plupart des régions industrielles et des grandes villes comme Barcelone, Valence ou Bilbao, l’Espagne est néanmoins, dès ce moment-là, divisée en deux camps.

L'assaut contre la caserne de la Montana


Les nationalistes ne perdent pas de vue l’objectif majeur que représente pour eux Madrid. Mola qui a réussi à prendre le contrôle de la Navarre, met sur pied trois colonnes motorisées à Valladolid, Burgos et Pampelune qui se mettent en route entre le 20 et le 22 juillet. Mais rapidement, elles se retrouvent bloquées sur les pentes septentrionales de la sierra de Guadarrama. Début août la situation est dans une impasse dans cette partie du front, signant l’échec du plan élaboré par Mola et laissant aux troupes de l’armée d’Afrique qui arrive du sud la mission de prendre Madrid.

Les troupes rebelles d’Afrique se rassemblent dans le sud de l’Espagne et entament le 2 août leur marche sur la capitale. Leur avance rapide doit permettre d’atteindre la ville le plus tôt possible afin de renverser le gouvernement républicain et de briser définitivement la résistance populaire. Sur leur route, elles font montre d’une extrême brutalité. Le 12 août, elles atteignent Badajoz, défendu par deux bataillons républicains. L’aviation bombarde la cité tandis que l’artillerie parvient à abattre les fortifications du 18e siècle permettant à l’infanterie de pénétrer dans une ville brisée. Commence alors un effroyable massacre avec l’exécution de centaines de militants de gauche. Quand un journaliste américain demande au général Yagüe les raisons de ces fusillades de masse, ce dernier répond qu’il ne peut à la fois s’encombrer de prisonniers et les laisser derrière lui au risque de laisser la ville redevenir républicaine.

La progression des forces nationalistes en 1936


À la suite de la prise de Badajoz, l’armée d’Afrique, prenant désormais le nom d’armée du Tage, suit le cours du fleuve en direction de Madrid. Face à cette armée organisée, disposant d’infanterie, d’artillerie, d’une cavalerie et d’une aviation, abondamment armée et dont certains combattants possèdent de 10 à 15 ans d’expérience militaire, les républicains ne disposent que de milices de volontaires formées à la hâte, sans expériences des combats, en infériorité numérique et équipées d’un armement de fortune avec peu de munitions. Ainsi, lors de chaque affrontement, les miliciens sont surpris par l’agressivité des rebelles, sur un terrain découvert où ils ne savent pas manœuvrer. Ils sont alors contraints de reculer le long du Tage en direction de Madrid.

La rapide avancée et surtout l’annonce des exactions nationalistes en Estrémadure enflamment rapidement les sentiments et instillent la panique chez les Madrilènes. La psychose que Madrid ne devienne un nouveau Badajoz s’empare des esprits dans une ville qui semble déjà promises aux nationalistes. Il est vrai qu’en à peine trois mois, ces derniers se sont emparés de l’ensemble de l’Estrémadure pour atteindre la Casa de Campo, le grand parc public qui borde Madrid à l’ouest.

Un Tabor marocain en route pour Madrid



La République en danger.
Durant les premiers jours du soulèvement, la République ne connaît pas exactement les forces sur lesquelles elle peut compter. Si des unités de l’armée restent fidèles au gouvernement, dans de nombreuses localités c’est la population civile qui se mobilise, de manière spontanée et mal équipée en armes, pour défendre les villes et les villages. La résistance aux nationalistes se fait donc dans l’improvisation ce qui nuit à l’efficacité d’autant que de nombreuses unités manquent de moyens matériels.

Afin de remédier à ces problèmes le gouvernement républicain de Largo Caballero décide, le 10 octobre, de former une Armée populaire républicaine. Cette dernière amalgame du mieux qu’elle peut, les militaires restés fidèles à la République et les différentes milices mises sur pied de manières spontanées par les organisations politiques et syndicales et les place sous un commandement unique et professionnel. Concernant le matériel de guerre, les républicains comptent sur l’aide de l’URSS qui a décidé de rompre l’isolement diplomatique de la République espagnole en envoyant un ambassadeur à Madrid, premier pas avant la livraison d’armes et l’arrivée de conseillers. Ainsi, le 15 octobre, le cargo « Komsomol » arrive à Carthagène avec à son bord des conseillers militaires et 50 chars T26. Dès le 19, ce matériel est envoyé sur le front de Madrid. Une autre décision prise en URSS, cette fois-ci par l’Internationale communiste, avec évidemment l’accord de Staline, est la création d’une force de volontaires, les Brigades internationales, destinée à renforcer le camp républicain.

Au fur et à mesure de l’avancée nationaliste depuis le sud du pays, s’impose de plus en plus la nécessité d’un plan pour défendre la capitale. Mais il apparaît que le gouvernement républicain est incapable d’affronter le problème avec la cohésion nécessaire. Si les déclarations officielles ne laissent pas de doute sur la volonté de défendre la ville, des hésitations apparaissent sur la nécessité d’une défense à outrance. À la mi-septembre, certains dirigeants républicains, dont Caballero, se posent déjà la question du bien-fondé de tenir Madrid qui ne représente pour eux aucun intérêt stratégique ou économique. En octobre, la question de la nécessité pour le gouvernement de rester dans la ville s’exprime ouvertement quand le président Azaña, Caballero, Prieto et d’autres ministres se montrent de plus en plus favorables à cette mesure. S’il n’est pas dans leur intention de ne pas défendre la capitale, ce départ correspond à un choix stratégique qui est loin de faire l’unanimité.
 

En octobre, les perspectives de défense de Madrid se résument à deux alternatives : essayer de contenir l’ennemi à distance en l’affrontant dans la vallée du Tage puisque la capitale est pour beaucoup impossible à défendre militairement, soit défendre le noyau urbain en utilisant tous les moyens de la guerre de positions et en ne s’exposant pas dans des combats en terrain découvert. Caballero soutient la première alternative sous l’influence du général José Torrado tandis que la seconde est défendue par les communistes qui ne font qu’exprimer la position des conseillers soviétiques récemment arrivés. C’est aussi celle qui est soutenue par les anarchistes laissant donc augurer des divergences profondes.

 
Soldats nationalistes

Alors que dès la fin septembre apparaît dans la presse un slogan promit à un grand avenir « Madrid doit être le tombeau du fascisme », il existe différents avis sur les moyens de creuser cette tombe. Les journaux socialistes et républicains insistent sur la nécessité d’éloigner les nationalistes de Madrid tandis que la presse communiste et anarchiste appelle à la construction de fortifications et à la mobilisation des moyens humains et matériels pour défendre la capitale.

Sur le terrain militaire chaque camp prend alors des décisions importantes. Coté nationaliste, le général Mola décide le 7 octobre qu’une fois réalisé la liaison entre les troupes rebelles du nord et du sud, l’assaut sur Madrid devra être lancé. Largo Caballero, de son côté, prend le contrôle direct de l’armée et forme un commissariat de guerre. Le 22 octobre, une série de décrets réorganise le commandement de l’armée républicaine. Sebastian Pozas devient le chef de l’armée du front du Centre tandis que José Miaja, un général peu connu, prend la direction de la première division organique c’est-à-dire celle de Madrid. Il existe alors un plan sommaire de défense de la capitale qui s’appuie sur les lignes concentriques fortifiées déjà construites mais qui se révèlent pour la plupart d’une réalisation médiocre. En octobre, Caballero expose donc la nécessité de bâtir des fortifications plus efficaces mais les réalisations effectuées ne dépassent pas le stade du creusement de modestes fossés. Plus tard les communistes ne manqueront d’ailleurs pas de reprocher à Caballero l’absence d’un solide plan de défense. Il est vrai que le chef du gouvernement n’est pas partisan d’une défense à outrance et ne considère pas la perte de la capitale comme un fait irréparable ainsi qu’il le confiera à la presse, le 15 novembre, en pleine bataille provoquant l’indignation de Miaja.

Début novembre, les projets militaires qu’ambitionnent Caballero, c’est-à-dire stopper les nationalistes à l’extérieur de Madrid, nécessitent que la capitale résiste. Mais sans certitude sur l’efficacité de cette défense et alors que les rebelles approchent de Carabanchel, il impose le départ du gouvernement de la ville.

Le matin du 6 novembre, le Conseil des ministres prend donc la décision de quitter Madrid pour Valence tandis que le général Miaja, assisté par le général Vicente Rojo comme chef d’état-major, se voit confier la mission de défendre la ville assistée par une Junte de défense. Dans la mémoire populaire se fixe alors l’image d’une ville qui s’apprête à se défendre et à résister malgré, voire contre, ses propres gouvernants, bien que la nécessité du départ du gouvernement de la ligne de front reçoivent l’accord de toutes les forces de gauche y compris des anarchistes. Ce qui irrite le plus la population c’est un départ subreptice presque clandestin sans aucune déclaration, ni justification préalable pour l’expliquer.

Les généraux Miaja et Rojo, les chefs militaires de la défense de Madrid


Avec le départ du gouvernement, la seule autorité qui reste à Madrid est la Junte de défense qui assure désormais l’essentiel des attributions gouvernementales dans la ville. Cette Junte, dont les membres sont en majorité jeune, rassemble l’ensemble des forces politiques et syndicales qui participent à la défense. Elle travaille en étroite collaboration avec les militaires et se charge de l’ensemble des taches politiques nécessaires à l’effort de guerre sans jamais intervenir dans les décisions militaires. Elle joue donc un rôle essentiel dans la défense de la capitale pour maintenir l’ordre public, faire fonctionner l’industrie de guerre, animer la propagande ou évacuer la population civile.

Dans les premiers jours de novembre, les troupes nationalistes se détournent de leur marche sur Madrid pour aller au secours des assiégés de l’Alcazar de Tolède. Afin de maintenir la pression sur la capitale et de développer le sentiment de terreur parmi les habitants et les défenseurs, les nationalistes organisent les premiers bombardements sur la ville tandis que le général Mola parle à un journaliste de la présence dans Madrid d’une cinquième colonne. Ces propos sont repris dans la presse internationale et entretiennent la paranoïa dans la ville. 
 
De Tolède, les troupes nationalistes commencent peu à peu l’investissement de Madrid, s’emparant le 6 novembre du village de Villaverde dont ils font une base de départ, au même titre que Carabanchel et Cuatro Vientos. Ils ne sont alors qu’à sept kilomètres de la Puerta del Sol.


Les camps en présence.
Le général Enrique Varela, qui commande les troupes nationalistes, dispose de huit colonnes plus une de cavalerie pour s’emparer de Madrid. Il s’agit là d’unités qui ne cessent de se battre depuis le début de leur progression vers le nord depuis Séville et dans lesquelles se retrouvent l’élite de l’armée d’Afrique : tabors des forces indigènes marocaines et banderas de la Légion étrangère. Contrairement aux républicains, Varela ne dispose de presque aucune unité de volontaires civils et en principe aucune n’est engagée dans les colonnes principales qui vont lancer l’assaut. Ce sont ainsi prés de 30 000 hommes qui s’apprêtent à attaquer Madrid.

Coté républicain, la situation est plus confuse. En l’absence d’évaluation fiable, il semble que Miaja dispose dans les premiers jours de novembre d’environ 25 000 combattants avant que l’arrivée de renforts, notamment des Brigades internationales, permette aux défenseurs d’atteindre le chiffre de 40 000 combattants. Miaja ne connaît pas en effet, au moment où il prend son commandement, le nombre d’hommes dont il dispose et n’a également qu’une vague idée des positions qu’ils occupent. Ces unités, qui appartenaient jusque-là au front du Centre, sont pour la plupart désorganisées, le moral y est bas et le commandement n’y exerce pas toujours une autorité absolue.

Volontaires des Brigades internationales


Le 7 novembre, les combats débutent sur un front de 20 kilomètres. Les lignes républicaines résistent. Depuis Pozuelo-Humera, les forces loyalistes de Barcelo et Galan initient un timide mouvement sur le flanc des attaquants avec l’emploi de blindés ce qui surprend et arrête l’avance nationaliste. Durant ces combats, les troupes gouvernementales capturent un blindé ennemi à l’intérieur duquel ils mettent la main sur les ordres d’opération pour la prise de Madrid diffusées par Varela la veille. Le document est transmis à Miaja qui s’étonne à la fois de la maladresse et de l’audace de ses adversaires.

Le commandant nationaliste prévoit en effet d’attaquer par la Casa de Campo avec deux colonnes puis de traverser le rio Manzanares, barrière naturelle qui protège Madrid à l’ouest, pour pénétrer dans la Cité universitaire et le parc d'Oriente entre le pont des Français et le pont San Fernando. À partir de là, les unités devront s’emparer des divers quartiers de la ville. Simultanément, deux colonnes doivent marcher sur les villages et les faubourgs du sud de la capitale, avancer en direction des ponts de Ségovie, de Toléde et de Legazpi pour attirer des forces républicaines et ainsi fragiliser les défenses dans la zone principale de l’attaque. Deux colonnes doivent se maintenir sur les flancs et en arrière-garde et deux autres restent en réserve à la disposition du commandement ainsi que la cavalerie. L’ensemble de l’opération ne doit pas durer plus d’une journée.

Face au dispositif nationaliste, Rojo établit dans la nuit du 7 au 8 un plan efficace. Ses unités au centre du dispositif de défense et à la Casa de Campo doivent résister tandis que des contre-attaques seront lancées sur chaque flanc de l’adversaire pour à la fois perturber son avance principale et le prendre en tenaille. Il change donc son dispositif pour résister dans la Casa de Campo tout en intensifiant les attaques sur les flancs. Des unités sont alors transférées depuis la zone de Vicalvaro-Vallecas vers le nord de Casa de Campo, à la limite de la Cité universitaire. Clairac se trouve au sud de la Casa de Campo tandis que se déploie à l’intérieur de celle-ci les colonnes d’Enciso et de Cavada. Les unités d’Escobar, Mena, Rovira et Prada se trouvent sur la rive droite du fleuve pour défendre les ponts. Lister et Bueno tiennent le flanc droit républicain. Rojo compte alors sur deux facteurs pour l’emporter : l’effet de surprise et la faiblesse du flanc gauche ennemi, vulnérable à une attaque.

Le déroulement de l’ensemble de la bataille pour Madrid va se dérouler suivant ces deux plans opposés, celui de Varela du 6 et celui de Miaja et Rojo du 8. Avec des corrections et des directives plus précises, Varela va en effet s’obstiner dans son plan sans lui apporter de changements importants. Il en est de même dans le camp républicain avec cette particularité que là deux autorités se font concurrence. La superposition de deux commandements, celui organique de l’armée du Centre et l’autre, de circonstance, qui dirige la défense de Madrid, complique la situation puisque chaque commandant a élaboré un plan stratégique différent. En résumé, si Madrid pense d’abord à sa défense, Valence prépare un plan de campagne concurrent.

La bataille de la Casa de Campo



Les combats à la Casa de Campo.
Le dimanche 8 est celui du grand choc dont les résultats sont décisifs pour les défenseurs. Les nationalistes commencent par avancer depuis la Casa de Campo en direction du Manzanares tandis que depuis le sud marchent des troupes qui doivent appuyer l’effort principal à l’ouest. La résistance des milices sous les ordres de commandants comme Lister, Barcelo ou Galan ralentit considérablement l’avance ennemie de telle sorte que les combats à la Casa de Campo se prolongent le 9 et le 10 novembre. Les nationalistes n’arrivent pas à atteindre le Manzanares et progressent peu à Carabanchel et dans les quartiers voisins. Ils parviennent néanmoins à neutraliser les attaques qui sont lancées contre leurs flancs.

Les soldats de Franco ne cessent d’attaquer dans la Casa de Campo mais Varela progresse lentement dans ce secteur ainsi qu’à Carabanchel. Les défenseurs cèdent en effet peu de terrain et reçoivent des renforts. De la Sierra arrive deux colonnes plus le bataillon communiste de Vega tandis que la colonne catalane Libertad et un bataillon de la CNT font leur entrée dans la capitale. Surtout, le 9, alors que les combats croissent en intensité, les premières unités des Brigades internationales, la 11e brigade en l’occurrence, arrive à Madrid sous les ordres de Manfred Stern plus connu en Espagne sous le nom d’Emilio Kleber. Ces troupes défilent sur la Gran Via devant une foule qui hurle « Vive les Russes » avant de rejoindre la Cité universitaire. Kleber installe alors son quartier général dans la Faculté des lettres et de philosophie et prépare ses positions autour du Manzanares et du pont des Français là où se trouve la voie de chemin de fer qui relie la capitale à la Sierra de Guadarrama et au nord du pays.

Après quatre jours de durs combats, l’intensité des affrontements décroît en raison de l’épuisement des hommes. Mais le 13, un événement extérieur bouscule la situation. C’est ce jour-là que doit commencer la contre-offensive préparée par l’état-major de Caballero et dont Miaja n’a été mis au courant que le 9. Ce plan, qui réorganise l’encadrement et la disposition des forces républicaines, prévoit une attaque latérale au sud de Madrid depuis la vallée de la Jarama en direction de l’ouest pour atteindre le Tage dans un grand mouvement enveloppant. Cette manœuvre de grande ampleur vise à couper les forces de Varela de ses bases sur le Tage et ainsi de sa liaison avec le sud. Elle prévoit également que les troupes de Madrid lancent une attaque de front et une autre de flanc.

Ce plan irrite Miaja et Rojo puisqu’il mobilise leurs meilleures forces, trois brigades mixtes et la 12e Brigade internationale pour une opération dont ils estiment qu’elle fragilise la défense de Madrid. La Junte de défense est également de cet avis et dès le 10 un conflit éclate avec le général Pozas chef de l’armée du Centre. Le ministre Alvarez del Vayo doit se rendre dans la capitale le 11 pour apaiser les tensions. L’offensive prévue se réalise mais elle est si ambitieuse qu’elle échoue piteusement ne permettant même pas de desserrer l’étau autour de la ville.

Des tranchées sont creusées devant Madrid


Le 11 et le 12, les forces nationalistes obtiennent quant à elles quelques petits succès. Le 13, rejointe par la colonne de Barron à la Casa de Campo, elles progressent jusqu’à occuper la colline de Garabitas, une position en hauteur, et de là, à s’approcher du Manzanares sur un front de 400 mètres entre le pont des Français et le pont San Fernando. À partir de ce moment, le pont des Français devient un enjeu majeur puisqu’il est la clef pour le passage du fleuve par les troupes de Varela. Ce même jour, la 12e Brigade internationale, commandée par le général Lukacz, connaît son baptême du feu sur la colline de Los Angeles et son premier échec lors de l’offensive organisée par Pozas. Le 13 est donc une journée noire pour les républicains, mais celle du 15 sera pire encore.

Le 14, Rojo, prépare une contre-attaque le long du Manzanares avec pour objectif de reprendre la colline de Garabitas, là où l’adversaire s’est le plus approché du fleuve. Mais le 15, l’attaque républicaine s’avère un désastre. Le front est enfoncé et débute la bataille de la Cité universitaire où les troupes de Varela sont parvenues à pénétrer. Alors que la défense de la ville entre dans une phase critique, la lutte pour Madrid ne se déroule pas seulement dans la périphérie de la ville, elle se joue dans l’ensemble de la capitale.

Une attaque des troupes nationaliste



Une ville en guerre.
Madrid est l’une des premières villes d’Europe à subir les affres d’une guerre totale. La population ne dispose en effet d’aucune marge pour se maintenir à l’écart de la bataille. Les nationalistes sont persuadés que le moral de la population madrilène va s’effondrer devant la perspective d’une bataille qui l’affectera de manière directe.

Les républicains sont conscients que le soutien de la population est indispensable pour tenir. La défense de Madrid devient alors le moment d’une intense propagande pour mobiliser les habitants. La presse, la radio, les tracts, les affiches, le cinéma sont mobilisés. Cette campagne commence avant le début de la bataille et montre en particulier l’efficacité de l’appareil communiste tandis que les anarchistes, avec moins de moyens, sont les plus virulents. Ainsi, le 7 novembre, les cinémas de Madrid projettent le film « Les marins de Kronstadt ». Des compagnies théâtrales improvisées jouent dans les différents quartiers une pièce intitulée « Quatre bataillons de choc ! ». Les leaders politiques utilisent la radio tandis que la presse publie tous les messages de soutien à la capitale espagnole. À cette propagande intense qui fonctionne à merveille s’ajoutent aussi les erreurs commises par les nationalistes. Les bombardements de la ville au lieu de ruiner le moral des habitants, vont au contraire le galvaniser.

Dans la nuit du 27 au 28 août, Madrid connaît son premier bombardement par des Junkers 52 qui frappent le ministère de la Guerre et la gare du Nord, causant un mort et plusieurs blessés. La ville n’est alors évidemment pas prête à subir ce type d’attaque obligeant le gouvernement à trouver des abris et à faire connaître à la population les moyens de se protéger.

Pendant les bombardements, les Madrilènes trouvent refuge dans le métro


Alors que les colonnes nationalistes approchent de Madrid, les bombardements s’intensifient. A Getafe, le 30 octobre, ils causent la mort de 60 enfants. Début novembre, ils deviennent quotidiens dans le secteur de la Casa de Campo. La première attaque massive sur la capitale a lieu le 4 novembre. Durant ce mois, une campagne méthodique de bombardements commence. Le but est de démoraliser la population et de forcer la reddition de la ville. Mais cette politique d’intimidation a les résultats inverses, accroissant la volonté de résistance des habitants, dont beaucoup étaient encore indifférents au début de la bataille.

La plupart des bombardements sont le fait de JU-52 volant par escadrille de trois appareils que les Madrilènes surnomment « les trois veuves ». Le 16 novembre, des bombes incendiaires touchent le musée du Prado. Si le feu est rapidement éteint, cette attaque provoque un scandale international et pousse le gouvernement à transférer des chefs d’œuvres à Valence. À partir de ce jour, les bombardements nocturnes se généralisent. Les 18 et 19 novembre, ils sont si intenses, coûtant la vie à environ 130 civils, que le corps diplomatique encore présent à Madrid rend public une note de protestation. En avril 1937, les autorités républicaines donnent un premier bilan des dégâts causés par les bombardements sur la capitale depuis le début des hostilités : 980 bâtiments, dont 14 écoles, 8 églises, 4 hôpitaux et 2 musées ont été endommagés partiellement ou totalement. Il y a eu 907 morts, 2 800 blessés et 430 portés disparus. En ajoutant les victimes dans les localités qui entourent Madrid comme Puente de Vallecas, on obtient le chiffre de 1 491 victimes.

La majorité de ces bombardements ne vise pas d’objectifs militaires mais cherche sciemment à briser le moral des défenseurs. Les nationalistes prennent donc soin de les cibler, épargnant ainsi le quartier de Salamanque, un quartier bourgeois où ils comptent de nombreux sympathisants. Au contraire le centre de la ville et le quartier d’Argüelles, proche de la Cité universitaire sont parmi les plus touchés.
Si au début de la guerre civile, l’aviation nationaliste dispose d’une écrasante supériorité, courant novembre, elle se voit disputer le ciel de Madrid par les chasseurs soviétiques Polikarpov I-15 et I-16 que les combattants républicains surnomment les Chatos ou les Moscas. La première rencontre a lieu le 4 novembre quand un Chato disperse des Fiat CR-32 escortant des JU 52 en route vers Madrid. L’apparition de ces appareils mais aussi l’arrivée des Brigades internationales enthousiasme la population madrilène tandis que le slogan « No Pasaran » se répand laissant augurer que la résistance républicaine sera farouche.

Un Polikarpov I-16


Pendant ce temps, la Junte de défense gère le quotidien d’une ville qui compte plus d’un million d’habitants à laquelle s’agrège des réfugiés venus des zones alentour mais aussi une population flottante de miliciens. Afin de faire face aux problèmes de ravitaillements, elle réussit à établir un rationnement efficace mais se montre moins heureuse concernant le problème de l’évacuation de la population.

Si la résilience, voire l’héroïsme, caractérisent en grande partie la capitale espagnole agressée, la bataille de Madrid possède aussi sa face sombre, la répression des dissidents, des suspects et des ennemis réels. Si la Junte de défense s’efforce de maintenir l’ordre et de contrôler la répression sur les prisonniers, elle n’y parvient pas toujours. Ainsi, en novembre, les prisons sont encore pleines de prisonniers et la décision est prise de les transférer vers des lieux de détention plus éloignées du front. C’est alors que, dans une vague de folie vengeresse, certaines milices républicaines exécutent environ 2 000 de ces prisonniers à Paracuellos dans la banlieue de Madrid à la fin novembre et au début décembre sans qu’il soit possible de savoir exactement qui en a donné l’ordre. Il faut plusieurs jours pour que la Junte parvienne à maîtriser la situation et mette fin à l’une des pages les plus noires de l’histoire de la République.

Madrid bombardée




La lutte dans la Cité universitaire.
Sur le front, le 15 novembre, chaque camp lance une attaque et cela dans un même secteur de moins d’un kilomètre de long. Le choc est brutal et les unités républicaines, moins préparées, ne peuvent résister. La traversée du Manzanares par les forces de Varela est une manœuvre brillante. Le commandant nationaliste parvient à échelonner parfaitement ses troupes en profondeur pour donner à son attaque l’effet d’un coup de bélier. 
 
Précédé par une intense préparation d’artillerie et des bombardements aériens, les colonnes franquistes essayent à de nombreuses reprises de s’emparer du pont des Français qui durant toute la bataille est âprement défendu par le commandant Romero jusqu’au moment où il est décidé de le faire sauter. Les nationalistes essayent alors de passer le Manzanares à gué. Asensio tente ainsi de faire traverser 18 blindés mais ces derniers restent bloqués dans le lit de la rivière. 

La bataille dans le Cité universitaire

 
La lutte est acharnée durant toute la journée et provoque de nombreuses victimes chez les nationalistes. Les soldats d’Asensio essayent donc à trois reprises d’atteindre et de traverser la rivière. À chaque fois, la puissance de feu des défenseurs empêche les assaillants d’avancer. Chaque attaque des nationalistes est suivie de fortes contre-attaques des défenseurs républicains. Ce n’est seulement qu’en début d’après-midi que les soldats du 3e tabors de Tétouan parviennent à atteindre la rive opposée. La brèche ouverte dans le front républicain n’est que de quelques mètres en amont du pont des Français.

Les unités nationalistes qui franchissent le Manzanares contournent les combattants envoyés par Durruti et parviennent à s’emparer de l’École d’Architecture. Ils se retranchent dans le bâtiment et durant la nuit le reste de la colonne d’Asensio franchit à son tour la rivière. Exploitant ce succès, les colonnes de Delgado et de Barron rejoignent celle d’Asensio dans la Cité universitaire.

Le 16, Miaja et Rojo planifient une grande contre-attaque. Durruti doit lancer un assaut frontal depuis l’asile Maria-Cristina jusqu’au fleuve tandis que de l’autre côté de la brèche ouverte par les rebelles, les interbrigadistes de Kleber et la 4e brigade mixte feront pression sur l’adversaire. La mission des républicains est de rejeter les nationalistes sur l’autre rive du Manzanares.

Combattants républicains dans la Cité universitaire


Le plan républicain ne reçoit pas le début d’un commencement puisque au moment où il doit être déclenché, les forces d’Asensio élargissent leur tête de pont en s’emparant de la Casa de Velasquez puis, en traversant la route centrale, de l’École des ingénieurs agronomes. Des centaines de combattants dans chaque camp, notamment parmi les interbrigadistes de la 11e Brigade internationale trouvent la mort dans les combats à la Casa Velasquez et en luttant pour élargir ou au contraire fermer la brèche nationaliste sur le Manzanares. La contre-attaque menée par Durruti se trouve complètement paralysée par la vigueur de l’avance ennemie depuis les Facultés jusqu’à l’hôpital-clinique. Avec ses miliciens il défend avec acharnement l’asile Santa Cristina mais, le 17, il doit abandonner cette position pour reculer jusqu’à l’hôpital-clinique. C’est le jour le plus difficile pour les défenseurs. Miaja et Rojo doivent se rendre sur le champ de bataille pour arrêter les fuyards alors que les tirs d’artillerie et les bombardements aériens sur la ville redoublent. Les nationalistes semblent prés de l’emporter tandis que quelques patrouilles de Tabors font irruption sur la place d’Espagne provoquant la panique dans les rues de Madrid. Mais cette incursion est facilement repoussée par les miliciens qui renforcent le secteur.

À ce moment de la bataille, les soldats nationalistes sont épuisés et surtout ils ne sont plus, dans la Cité universitaire, que 2 000 face à 11 000 défenseurs. Afin de combler cette faiblesse, les attaques du 17 sont combinées avec d’intenses bombardements aériens pour briser la résistance républicaine. Peu avant le crépuscule, prés de 2 000 bombes atteignent ainsi le centre de la ville. Au départ quelques bombes incendiaires tombent sur les quartiers ouvriers. L’emploi de bombes incendiaires est systématique, les assaillants estiment que le feu est le moyen le plus efficace pour provoquer la panique. Quelques instants après, des bombardiers, par vagues de 10 ou 12, guidés par les premiers incendies, libèrent des chapelets de bombes. Madrid manque alors à la fois d’abris et de défenses antiaériennes. Des hôpitaux et des bouches de métro sont touchés tandis que les terrains découverts, comme la place d’Espagne, sont mitraillés.

Les interbrigadistes défendent Madrid


La journée du 18 est encore marquée par de durs combats. Les hommes s’affrontent pour la prise de bâtiments en ruine, ils se battent d’un étage à l’autre, s’insultent à travers les murs, lancent des grandes par les fenêtres et dans les escaliers. La confusion est telle que personne ne sait exactement où se trouve le front et qui sont les attaquants ou les défenseurs. Les 11e et 12e Brigades internationales, très éprouvées, sont refondues et placées sous les ordres de Kleber qui devient de fait le responsable de tous le secteur ouest de la Cité universitaire. Les ordres restent les mêmes que les jours précédents et de nouveaux les troupes de Varela résistent avec ténacité dans leurs positions. Sans parvenir à élargir sa tête de pont, ce dernier parvient à tenir solidement une ligne qui va en direction de l’est de l’École d’Architecture à l’hôpital-clinique en passant par la Casa de Velázquez, l’École d’ingénieurs agronomes et l’asile Santa-Cristina. Mais il ne parvient pas à élargir ses positions en direction de l’ouest vers la Moncloa et les facultés de Médecine et de Philosophie. L’hôpital-clinique, le lieu de durs combats dans les jours suivant, marque le point extrême de l’avance nationaliste.

Le 19, Durruti est de retour pour diriger les combats dans l’hôpital-clinique. C’est là qu’il va trouver la mort dans des circonstances non élucidées. Dans l’hôpital, les combats sont acharnés, étage par étage, et cela pendant encore quatre jours. Depuis les facultés de Philosophie et de Médecine, les républicains lancent une nouvelle attaque qui débouche sur de violents combats dans le palais de la Moncloa et de nouveau pour la Casa Velázquez. Malgré le courage des interbrigadistes, le 20, la Moncloa est toujours aux mains de Varela. 

La Casa de Velasquez à l'issue des combats

 
Entre le 20 et le 22, l’intensité des combats ne faiblit pas. Le 20, les nationalistes ont prés de 3 000 hommes dans la Cité universitaire, répartis entre les différents bâtiments. La lutte est si intense que certaines unités sont décimées. Rojo, devant la Junte de défense, se plaint de manquer de munitions alors que le Casa Velázquez est en flamme et que l’hôpital-clinique est à nouveau reprise. À ce moment, prés des trois quarts de la Cité universitaire est aux mains des nationalistes. La confusion est telle qu’une ligne de front est impossible à tracer. Les escarmouches s’épuisent peu à peu sur l’ensemble des zones de combat. Le 22, Rojo expose devant la Junte de défense qu’il craint une nouvelle attaque ennemie. S’il est vrai que la colonne de Barron avance dans le parc d’Oriente, elle est néanmoins rapidement contenue.

Les forces dans les deux camps sont épuisées. Franco, Mola, Varela et d’autres généraux nationalistes se réunissent le 23 à Leganes et décident de cesser les attaques frontales contre Madrid. Pour une raison de prestige, Franco ordonne néanmoins de maintenir ses troupes sur les points déjà conquis dans la ville. Mais le centre de gravité du conflit dont la capitale reste l’enjeu se déplace vers le nord-ouest. Les nationalistes veulent désormais l’isoler et l’asphyxier par un vaste mouvement enveloppant qui débouche successivement sur la bataille autour de la route de La Corogne en décembre, puis sur la bataille de la Jarama en février 1937 et finalement par une dernière tentative lors de la bataille de Guadalajara en mars 1937. 
 
Madrid va encore tenir de long mois de siège malgré la dégradation des conditions de vie de la population réduite à un rationnement de plus en plus sévère et des bombardements qui ne font qu’aggraver cette situation. Les républicains essayeront, sans succès, lors de l’offensive de Brunete, en juillet 1937, de desserrer l’étau autour de la ville. Finalement, le 28 mars 1939, à la suite du putsch du général Casado, les troupes franquistes entrent à Madrid sans rencontrer de résistance, mettant un point final à la guerre civile espagnole.


Conclusion
Les 17 jours que durent la bataille de Madrid, soit du 7 au 23 novembre 1936, se déroulent les combats les plus acharnés depuis le début du conflit, des combats qui consument implacablement effectifs et matériels dans chaque camp qui se dispute chaque mètre carré de terrain. Madrid voit alors tomber des héros comme Durruti tandis qu’émerge la figure de Vicente Rojo. Elle voit aussi les volontaires internationaux donner abondamment leur sang pour la défense de la République. Surtout, elle offre le surprenant spectacle de miliciens indisciplinés et mal instruits mettant en échec de véritables soldats encadrés dans d’authentiques unités militaires. Comment expliquer ce phénomène qui déjoue les pronostics les plus avisés sur l’issue de la bataille ?

La principale raison de l’échec nationaliste tient dans la démesure de l’objectif poursuivi par rapport aux moyens médiocres engagés. Franco se propose en effet de conquérir avec seulement 30 000 hommes une ville de plus d’un million d’habitants disposée à se défendre. Il sait, bien entendu, que militairement cet objectif est hors de portée mais il estime dans le même temps que les républicains, face aux différentes options qui se présentent à eux, c’est-à-dire la reddition, la défense périphérique ou la défense à outrance, ne choisiront pas cette dernière. Dans ces conditions il ne croit pas nécessaire de prendre le risque d’engager plus de force dans une opération qui, si elle échoue, peut compromettre sérieusement ses chances ultérieures de gagner la guerre. Ainsi quand il se rend compte que la résistance républicaine est plus sérieuse qu’il ne l’avait prévu, il abandonne la partie.

Si les nationalistes n’ont finalement pas pris Madrid en raison de l’insuffisance des moyens engagés c’est avant tout car ils se sont retrouvés face à une armée qui ne mène plus une guerre de mouvement mais de résistance avec un plan clair et un commandement efficace. Et cette armée se sent soutenu au niveau international tant en hommes qu’en matériel. Elle sait aussi qu’elle défend plus un symbole qu’une ville. Entrainés par le seul sentiment de loyauté envers la démocratie, les soldats républicains ont réussi à relever le défi lancé par les rebelles. Pour ces volontaires « Madrid sera le tombeau du fascisme » et par leur action ils ont démontré la volonté du peuple, indépendamment de la puissance et de la cruauté de ses adversaires, de se défendre contre un ennemi qui souhaite leur ravir leur liberté. Un message toujours d’actualité.


Bibliographie.
-Hugh Thomas, La Guerre d’Espagne, Robert Laffont, 1961.
-Anthony Beevor, La Guerre d’Espagne, Calmann-Lévy, 2006.
-Jorge Martinez Reverte, La Batalla de Madrid, Editorial Critica, 2004.
-Pablo Sagarra, Oscar Gonzalez, Lucas Molina, Grandes Batallas de la Guerre Civil española, 1936-1939, La Esfera, 2016.
-Gabriel Cardo, Historia militar de une guerra civil, Flor del Viento Ediciones, 2006.

2 commentaires:

  1. jours terribles de 1936...au delà des "légendes", l'acharnement des 2 camps est notable au travers de ce récit précis et bien argumenté : merci à son auteur

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer