mardi 1 novembre 2016

Colonisation, révolte et indépendance : Texas, 1821 – 1845


Dans les années 1830, des colons anglo-américains se sont petit à petit approprié une province du Mexique. La réaction brutale de ce dernier a conduit notamment au célèbre siège de fort Alamo, devenu un mythe popularisé par la culture américaine. Comment on est-on arrivé là ? Cette bataille, qui est loin d’être la seule, a-t-elle été aussi décisive que le vante la légende ? Que s’est-il passé après, jusqu’à l’intégration du Texas dans l’Union ?
Jérôme Percheron


2 Octobre 1835, début de la révolte texiane. Les miliciens de la colonie de Gonzales sont décidés à combattre les soldats mexicains venus leur reprendre leur canon. « Come and take it ! » (« Venez donc le prendre ! ») (http://eleghosnews.blogspot.fr/2015/04/texas-revolutionbattle-of-gonzalesmolon.html)





Terre promise

 


Au début du XIXème siècle, l’Empire espagnol règne sur une grande partie de l’Amérique du nord, de la Californie au Mexique. Entre ce dernier et les Etats-Unis, bordée par l’Atlantique, se trouve une province un peu oubliée et quasi désertique : le «Tejas ». Ce nom veut dire « ami » dans la langue parlée par les indiens autochtones Caddo. Depuis sa capitale Mexico, la vice-royauté de Nouvelle-Espagne essaye de mettre cette terre en valeur par l’installation de quelques missions autour desquelles tentent de s’agglomérer des villages et des exploitations agricoles (haciendas) ainsi que de forts militaires (presidios) pour les protéger. L’implantation la plus importante est la petite ville de San Antonio de Béxar, environ 1500 habitants (aujourd’hui San Antonio, 10ème plus grande ville des Etats-Unis), flanquée de sa mission nommée Alamo. Les raids incessants des indiens Kiowa, Cheyenne et Comanche, ainsi que le peu de moyens investis par les autorités ne rendent pas le la province très attractive pour les Tejanos (colons d’origine hispanique), dont la population stagne autour de 3000 personnes vers 18201.


Le Tejas au début du XIXe siècle est un quasi-désert parsemé de quelques missions, certaines abandonnées suite aux raids indiens. Extrait de la série TV 'Texas rising' (2015) (c) The History channel (http://www.texasmonthly.com/the-culture/are-you-not-entertained/texas-rising-gallery-lorca-p)






Les autorités espagnoles réalisent que si elles ne parviennent pas à peupler et mettre en valeur ce territoire, elles n’arriveront jamais à pacifier et stabiliser cette marche de l’empire, qui représentera alors toujours une frontière fragile. Il existe pourtant des colons nombreux, rudes et prêts à prendre tous les risques pour s’installer sur de nouvelles terres, les Anglo-américains, alors en pleine « conquête de l’Ouest », surnommés « Anglos » par les Espagnols. Encore faut-il qu’ils soient loyaux envers les autorités espagnoles.
Pour s’assurer de cela, les Espagnols font appel à des empresarios, des agents de confiance recrutés parmi les Anglos pour « sélectionner » des familles candidates à l’immigration et les conduire jusqu’aux terres qui leur sont vendues à petits prix au Tejas. Les critères retenus pour s’assurer de « bons » colons sont qu’ils soient catholiques, religion officielle de l’empire espagnol (alors que la majorité des Américains est plutôt protestante à l’époque), travailleurs et fidèles à la couronne d’Espagne. Le premier d’entre eux, Moses Austin, meurt avant d’avoir pu conduire les premiers colons sur leurs nouvelles terres. Son fils, Stephen Austin (qui donnera son nom à la capitale de l’actuel Texas) prend la relève et installe les 300 premières familles (dites « The Old Three Hundred ») à partir de 1821. Mais pendant le trajet, la vice-royauté de Nouvelle Espagne a cessé d’exister…


"The Settlement of Austin’s Colony" par Henry McArdle (peinture de 1875) (https://www.tsl.texas.gov/mcardle/paintings/austin.html)
En effet, l’occupation de l’Espagne par Napoléon en 1808 laisse les colonies coupées de la métropole et livrées à elles-mêmes. Dans les années qui suivent, les Créoles (élite d’origine européenne mais née dans les colonies), qui supportaient de moins en moins l’autorité de Madrid, en profitent pour se soulever. Le Mexique, en particulier, acquiert son indépendance en 1821 et hérite des provinces espagnoles d’Amérique du Nord. Les nouvelles autorités de Mexico, bien que fragilisées par des luttes armées incessantes entre les « fédéralistes », partisans d’une république fédérale laissant une large autonomie à chaque province, et les « centralistes », partisans d’un pouvoir central fort, acceptent de poursuivre la colonisation du Tejas par les Anglos dans les mêmes conditions.

Du Tejas au Texas


Dans les années 1820, de nouveaux colons anglos arrivent, accompagnés de leurs esclaves. Aventuriers de la « frontière » voulant faire fortune, hommes d’affaires plus ou moins honnêtes achetant et revendant des terres ou des esclaves, et surtout familles de fermiers
ruinées par la chute des prix qui suit la fin de la guerre de 1812 contre les Britanniques2, ils laissent tout derrière eux pour tenter une nouvelle vie au Tejas. Celle-ci commence souvent par l’édification d’une cabane en bois et la survie sur leurs maigres réserves en attendant la première récolte. Les Tejanos voient ces colons d’un bon œil car ils n’hésitent pas à tenir tête aux Indiens, même si la vie dans une ferme isolée reste un pari de tous les jours. Les nouvelles autorités mexicaines, bien que de sensibilité abolitionniste, ferment les yeux sur l’esclavage car elles sont satisfaites de voir les terres rapidement mises en valeur.


Le Mexique nouvellement indépendant des Espagnols hérite des territoires ayant appartenus à ces derniers. Il se constitue en Fédération dans lequel le Tejas est une province de l’Etat de Coahuila y Tejas. (http://theragblog.blogspot.fr/2011/08/bob-feldman-hidden-history-slavery-in.html)



La nouvelle constitution mexicaine de 1824, fédéraliste et largement inspirée de celle des Etats-Unis, transforme les anciennes provinces espagnoles en Etats assez autonomes et convient parfaitement aux nouveaux colons. Les élites se mélangent : James Bowie, aventurier et spéculateur foncier et parmi les plus riches colons, épouse la fille du gouverneur de l’état de Coahuila y Tejas, dans lequel se situe l’ancienne province du Tejas. Elle est la filleule d’un général mexicain fédéraliste très en vue, Santa Anna, qui vient de repousser une tentative de reconquête espagnole du Mexique à la bataille de Tampico (1829), bien aidé en cela par la fièvre jaune qui a décimé le contingent espagnol composé de recrues fraîchement débarquées et donc non acclimatées. En signe de volonté d’intégration, une colonie anglo prend même le nom du gouverneur de l’Etat, Gonzales. Les autorités mexicaines reconnaissantes lui donnent alors un canon pour se protéger des Indiens.
Cette idylle mexicano-anglo va toutefois être de courte durée. En 1829, l’esclavage est aboli sur toute l’étendue de la république du Mexique, ce que les Texians (colons Anglos installés au Tejas) n’acceptent pas. Ils s’empressent alors de faire signer à leurs esclaves illettrés des contrats d’indenture de 99 ans, avec comme prétexte le remboursement de leur voyage depuis les Etats-Unis. Les autorités mexicaines ne sont pas dupes, mais elles s’inquiètent surtout du nombre croissant d’immigrants, loin d’être tous en situation régulière (environ 250003 auxquels s’ajoutent 5000 esclaves4), qui ne se sentent liés d’aucune manière à Mexico et vivent selon leurs coutumes et leurs lois importées des Etats-Unis voisins. Elles réalisent que si rien n’ai fait pour stopper l’immigration anglo, le Mexique va finir par perdre ce que les colons appellent maintenant le Texas, d’autant que le président des Etats-Unis, Andrew Jackson, propose avec insistance d’acheter ce territoire.


Convoi de colons arrivant au Texas dans les années 1830. La principale arme des colons : le chariot bâché ! Grâce à lui, ils arrivent par familles entières pour s’installer au Texas et finissent par y représenter plus de 80% de la population.
(http://alfa-img.com/show/american-settlers-in-texas.html)




Réaction mexicaine


Les Mexicains prennent alors des mesures énergiques pour tarir le flot des immigrants et contrôler ceux déjà installés : Ils rétablissent les impôts et les droits de douane dont les Texians étaient jusque-là exemptés, puis, en avril 1830, interdisent finalement toute immigration ultérieure sur le territoire du Texas. Pour faire respecter cette décision, ils augmentent leur présence militaire sur place, qui atteint environ 1300 hommes vers 18325. Les Anglos n’acceptent pas ce qu’ils considèrent comme une armée d’occupation, et le comportement parfois brutal et arbitraire des soldats mexicains entraîne des échauffourées avec la population. Des colons sont mis en prison, déclenchant des soulèvements pour demander leur libération. Début 1832, ces derniers n’hésitent pas à prendre localement les armes contre les levées d’impôts et les premiers coups de feu éclatent, entraînant les premiers morts.
L’année 1833 se termine par la confiscation du pouvoir à Mexico par les centralistes, avec à leur tête le général Santa Anna. Ce dernier, qui veut avant tout régner sur la pays, a compris que le camp des centralistes est le plus à même de lui permettre de réaliser son ambition, car soutenu par les grands propriétaires, les militaires et l’Eglise catholique. Changeant subitement de camp, il déclare que le Mexique n’est pas prêt pour le fédéralisme et que ses provinces doivent s’administrer comme des départements français. Il abroge la constitution fédéraliste de 1824, ce qui déclenche des soulèvements dans plusieurs Etats, tous réprimés dans le sang, poussant même une partie des Tejanos à rejoindre les colons anglos dans ce qui commence à ressembler à une insurrection texiane. Par mesure préventive, Mexico décide en 1835 de faire désarmer ces derniers. 


Le Texas des années 1820 – 1836 (http://www.country-gresivaudance.fr/7autres/USA/ouest/texas/Texas.html)


Come and take it !


En septembre 1835, conformément aux ordres reçus de Mexico, le colonel Ugartechea, commandant de la garnison de San Antonio, demande à la colonie de Gonzales de restituer le canon donné quelques années plus tôt. Les Texians n’ont absolument pas prévu de lui obéir et le cachent. Agaçé par la situation, il envoie le lieutenant Castañeda à la tête d’une centaine de dragons (carabiniers à cheval) afin de le récupérer, avec pour ordre d’éviter autant que possible un affrontement. Une vingtaine de Texians armés bloquent le pont enjambant la rivière Guadalupe qui permet d’accéder à la ville. Ils demandent à parlementer, ce que le lieutenant accepte de bonne grâce. Ceci leur permet de gagner du temps alors que des volontaires de toute la région affluent et que le fameux canon est mis sur roues et amené sur une colline à proximité des Mexicains, qui ne s’attendent pas à une telle attitude offensive. 140 Texians, en majorité à pied, finissent par encercler et attaquer leur campement qui est réveillé à l’aube du 2 Octobre par les tirs du canon qu’ils devaient récupérer, au cri de «Come and take it6 !». Le lieutenant mexicain réagit vivement et ordonne à ses hommes, tous cavaliers, de charger les assaillants. Ces derniers se réfugient alors dans les bosquets le long de la rivière et tiennent en respect les dragons, par la portée plus longue de leur fusils Kentucky rifle7 à canon rayé. Les cavaliers finissent par battre en retraite. La chance, la surprise et l’accoutumance des « hommes de la frontière » américains au tir de précision depuis le couvert des arbres (technique fréquemment utilisée à la chasse mais aussi contre les Anglais pendant la guerre d’indépendance, quelque 60 ans plus tôt) ont eu raison de l’incompétence tactique de Castañeda. Cette escarmouche fait finalement peu de victimes, mais est symbolique de l’insurrection texiane qui est maintenant allée trop loin pour revenir en arrière.


Cavalier mexicain en garnison au Tejas dans les années 1820-1830. Son équipement théorique (lance, carabine, sabre) n’est que rarement obtenu en totalité dans la réalité. A noter : la bande sur son chapeau qui masque la couronne, symbole de l’empire espagnol honni.
(http://www.tamu.edu/faculty/ccbn/dewitt/adp/history/hispanic_period/parras.html)

Soulèvement général


Les garnisons mexicaines sont alors assiégées à travers tout le Texas. Elles se rendent ou fuient les unes après les autres, ce qui est symptomatique d’une armée en décomposition à force d’être oubliée par les autorités de Mexico, qui, il est vrai, doit gérer des problèmes plus immédiats, avec des soulèvements jusque dans la capitale même. Le général Cós, beau-frère de Santa Anna, est envoyé rétablir la situation. Il débarque avec 500 hommes près de la petite ville de Goliad, située au sud de la « capitale régionale » San Antonio, dont il s’empresse d’aller renforcer la garnison, la portant à 800 hommes. Il laisse sur ses arrières le presidio de Goliad, la Bahia, ouvrage défensif majeur, sous la garde d’une cinquantaine de soldados au moral incertain. Celui-ci est pris d’assaut le 10 Octobre par une centaine de Texians, avec l’aide précieuse des Tejanos locaux ralliés qui leur permettent d’entrer dans le fort8.


Le presidio La Bahia, de nos jours (http://254texascourthouses.com/courthouse-collection/048-goliad-county/)

L’autre fort qui mérite à peu près ce nom est l’ancienne mission de San Antonio, Alamo, située près de la ville et en cours de fortification par les Mexicains. Mais à partir du 28 Octobre, les Texians venus de tout le pays, commandés par Stephen Austin, vont progressivement contraindre le général Cós, qui n’a pas réussi à renforcer Alamo à temps, à se retrancher dans la citadelle de San Antonio, situé au cœur de la ville. Le 9 décembre, après de violents combats de rue, 650 Texians forcent Cós à se rendre, en le laissant retourner au Mexique sur la promesse qu’il ne prendra plus les armes contre eux ni contre la constitution fédéraliste de 1824. A la fin de 1835, plus aucun soldat mexicain ne reste au Texas.
A ce moment, les Texians se voient encore comme faisant partie d’un Mexique fédéraliste, et pensent que leur démonstration de force leur permettra de revenir au status quo ante des années 1820. C’est sans compter la détermination de Santa Anna, qui, fou de rage, a décidé de prendre les choses personnellement en mains. En effet, il planifie pour 1836 la reconquête de la province rebelle.

Les armées en présence


L’armée mexicaine


L’instabilité du pouvoir depuis l’indépendance n’a pas permis au Mexique de consacrer beaucoup de moyens à son armée, gangrénée par une situation matérielle catastrophique et les désertions. Toutefois, Santa Anna va réaliser la prouesse d’organiser une force expéditionnaire de plus de 6000 hommes, à partir d’un noyau de troupes professionnelles aguerries et bien entraînées, encadrant une majorité de conscrits sans expérience.
L’infanterie, environ 5000 hommes, est équipée du fusil à silex à canon lisse Brown Bess, fusil standard de l’armée britannique depuis le XVIIIe siècle. Cette arme ancienne, mais fiable et robuste voit cependant ses performances amoindries par l’utilisation d’une poudre de mauvaise qualité fabriquée localement, et son canon à âme lisse ne permet guère le tir de précision. De ce fait, à part quelques unités d’élite composées de vétérans, la plupart des fantassins pratiquent le tir en ligne et la manœuvre groupée, sans quoi les formations perdraient leur cohésion et leur efficacité au feu.
L’artillerie, qui totalise 21 bouches à feu, a été, faute de moyens le parent pauvre des années post-indépendance et doit gérer un parc hétéroclite et vieillissant, allant des calibres de 4 à 12 livres, ainsi que 4 obusiers de 7 pouces pour les sièges.
La cavalerie, rassemblant environ 700 hommes1, est le point fort de cette armée, disciplinée et bien entraînée, habituée à manœuvrer avec cohésion et précision, et maniant aussi bien le sabre que la carabine. Elle représente un réel atout dans les espaces ouverts du sud du Texas.
Au final, voici une petite armée de style « napoléonien », bien organisée et cohérente, mais dont les quelques unités expérimentés et au moral élevé doivent cohabiter avec une masse de jeunes recrues enrôlées plus ou moins de force et n’ayant aucune autre perspective que de tenter de survire à cette guerre. Pour compenser ce moral déficient, les familles sont autorisées à accompagner les soldats, ce qui va finalement entraîner une tragédie et entraver les manœuvres.



Soldats de l’infanterie mexicaine. Noter l’influence française dans les uniformes. Extrait de la série TV 'Texas rising' (2015) (c) The History channel (http://guardianlv.com/2015/05/texas-rising-actor-jeffrey-dean-morgan-lost-40-pounds-for-role-by-eating-tuna/)
L’armée texane

Il est difficile de qualifier d’armée cet assemblage citoyens-soldats hautement motivés mais sans discipline, élisant leurs officiers, ces derniers ayant chacun leur plans et rechignant à collaborer. On devrait plutôt utiliser le terme de milice, dont les effectifs fluctuants, d’à peine un millier en 1835, ne dépasseront jamais 3700 hommes10, malgré l’apport de nombreux volontaires venant des Etats-Unis. On rencontre même quelques « petits hommes bleus » : soldats américains de l’armée régulière « désertant » avec la bienveillance de leurs officiers pour aller renforcer les texians, après avoir enlevé tout signe distinctif sur leur uniforme. Stephen Austin ne cesse d’appeler de ses vœux la création d’une véritable armée régulière, chose faite en 1835 et dont le commandement est donné au général Samuel Houston, vétéran de la guerre de 1812 et proche du président américain Andrew Jackson. Mais elle reste embryonnaire, chaque commandant défendant jalousement son pré-carré et gardant la main sur ses ressources.
Les hommes, qui ont du mal à supporter l’autorité, décident de s’absenter du jour ou lendemain sans prévenir leurs officiers, pour des raisons familiales ou pour les récoltes, si bien que les unités ne sont jamais à effectif complet. Mais ces combattants ne sont pas pour autant étrangers à la chose militaire. Comme Houston, nombreux sont ceux parmi les plus anciens à avoir fait le coup de feu contre les Britanniques pendant la guerre de 1812, notamment sous les ordres d’Andrew Jackson lors de la bataille de la Nouvelle-Orléans en 1815. Les autres, habitués à la rude vie de la frontière, sont en général de bons chasseurs, sachant manier le fusil avec précision. Leur arme de prédilection est le Kentucy rifle, une arme longue (plus d’1 mètre) et lourde, datant du XVIIIe siècle, mais dotée d’un canon rayé permettant le tir de précision à longue portée. De nombreux dons et crédits privés en provenance des Etats-Unis vont permettre d’en acheter suffisamment pour équiper correctement les hommes. L’artillerie est pratiquement inexistante, constituée de quelques pièces prises au Mexicains lors de leur retrait en 1835.
L’aspect le plus préoccupant est la faiblesse de la cavalerie, quelques centaines d’hommes n’ayant pas reçu l’entraînement leur permettant de manœuvrer en formation, et utilisant leurs chevaux personnels, plus habitués à travailler à la ferme qu’à charger ventre à terre.
Pour résumer, une « armée » indisciplinée, peu manœuvrière et taillée pour la guérilla, mais avec une motivation à toute épreuve.

Offensive mexicaine


En raison du relief montagneux au Nord du Texas, il n’existe que deux voies d’invasion terrestre depuis le Mexique :
  • « El Camino real» (« la route royale » en espagnol), route historique des missions espagnoles qui passe par l’intérieur des terres au nord-ouest pour atteindre San Antonio de Béxar,
  • La plaine côtière, longeant le golfe du Mexique et débouchant sur Goliad.
Ces deux villes représentent les portes d’entrée vers le cœur du Texas et donc vers les colonies anglos et sont gardées par des forts, respectivement l’ancienne mission d’Alamo, maintenant fortifiée, pour San Antonio et le presidio La Bahia pour Goliad.

El Camino real (en noir) (http://www.ccserving.com/www/mcinfo/geography/trails/el_camino_real.htm)

Santa Anna, en grand admirateur de Napoléon (il se fait lui-même appeler en toute modestie le « Napoléon de l’Ouest »), va scinder ses forces en deux corps d’armée, empruntant chacun une route, et capables de se soutenir mutuellement, voir de se regrouper si besoin. Ils vont former les 2 mâchoires d’une pince qui va se refermer sur les colonies texianes. Il veut les surprendre en les attaquant avant la belle saison, ce qui implique de faire le trajet en plein hiver.

Les Texians, qui ne s’attendent pas à une réaction mexicaine avant le printemps, sont divisés sur la direction à suivre. Politiquement, nombreux sont ceux qui pensent encore pouvoir négocier et revenir à une forme de fédéralisme au sein du Mexique. Un gouvernement provisoire a bien été désigné suite à l’évacuation mexicaine, mais il est incapable de se faire entendre de toutes les factions, et il n’existe pas de constitution établissant clairement les rôles. Militairement, les opinions divergent aussi en cas d’invasion. Houston veut abandonner Alamo et San Antonio, tenus par moins de 200 hommes pour se retirer à l’Ouest sur Gonzales et établir un front cohérent derrière la rivière Guadalupe11. Il n’est pas écouté et la majorité, pensant à ses foyers menacés, veut défendre coûte que coûte Alamo sans esprit de recul. Une bande d’illuminés veut même attaquer le Mexique, et s’y tailler un territoire indépendant, en comptant sur le soulèvement des fédéralistes sur leur chemin contre le pouvoir central. Malheureusement, ces doux rêveurs, un peu plus d’une centaine d’hommes, vont aller se « servir » en munitions et vivres dans les stocks constitués à Alamo avant de se mettre en route avec pour objectif Matamoros, port mexicain sur la rive sud Rio Grande.

Pour résumer, alors que l’invasion mexicaine est imminente, les Texians n’ont ni unité politique, ni unité de commandement, et ont de plus dégarni leurs défenses sans prévoir de retraite possible.

Fin Janvier 1836, l’armée mexicaine concentrée à Saltillo au Nord du Mexique se met en marche. Santa Anna ordonne à son subordonné le général Urrea de passer par la plaine côtière avec une force de moins d’un millier hommes, tandis qu’il conduit lui-même le gros de la troupe par El Camino, qui traverse d’abord 120 miles de désert avant d’atteindre le Rio Grande.
L’hiver 1836 est le plus froid qu’on ait connu jusqu’alors, et le fleuve est atteint le 16 février après que le la neige, le blizzard et le manque de nourriture aient prélevé un lourd tribut en vies sur les soldats et les familles qui les accompagnent. Mais Santa Anna n’en a cure et ne s’arrête à aucun moment. Le 23 février, son avant-garde de cavalerie arrive au Campo Santo (cimetierre) de San Antonio, à seulement 1 mile de la ville …

Pendant ce temps, Urrea franchit le Rio Grande le 17 et, après avoir laissé une partie de son infanterie à Matamoros pour sécuriser ses arrières, poursuit sa route, rencontrant les Texians partis à la conquête de cette ville. Ces derniers vont accumuler les erreurs. Séparés en deux groupes isolés avançant lentement, ils négligent d’effectuer des reconnaissances. Ce n’est pas le cas de la cavalerie mexicaine qui les localise rapidement, sans que leurs adversaires ne s’en aperçoivent, et, les prenant de vitesse, parvient à les encercler et les réduire séparément, entre le 27 février et 2 mars. Il n’y a que 38 survivants, tous faits prisonniers, sans aucune perte chez les Mexicains.
A Goliad, le colonel Fannin, ancien de West Point et planteur au Texas depuis 1834, doit organiser la défense avec environ 400 hommes. Il ne sait pas qu’Urruea arrive et il répugne à évacuer les familles et le bétail, comme le lui a conseillé Houston.

Le siège d’Alamo


L’irruption en plein hiver de l’armée Mexicaine à proximité de San Antonio prend totalement de cours les Texians. Civils (Anglos comme Tejanos) et militaires fuient la ville, les premiers vers l’Est et les autres colonies, les seconds vers le fort Alamo dans lequel ils se barricadent in extremis, alors que les Mexicains étaient sur le point de l’investir. Parmi les défenseurs du fort, on compte une « star » pour l’époque : Davy Crockett, célèbre trappeur, mais aussi jusqu’à l’année précédente représentant du Tennessee au Congrès des Etats-Unis.
Santa Anna ne cache pas sa colère car il sait bien qu’en ayant échoué à prendre Alamo par surprise, un siège long et couteux l’attend. En effet, les travaux de fortification de cette ancienne mission on été menés à terme et il dispose maintenant d’un mur d’enceinte continu muni de plateformes supportant des canons Ainsi, alors que ses troupes investissent la ville, Il fait hisser sur le clocher de l’église San Fernando un drapeau rouge, ce qui signifie aux Anglos qu’il n’y aura pas de quartier, tout en envoyant un messager à Alamo pour proposer une reddition… inconditionnelle, sans garantie pour leur vies, car selon lui, «il n’y peut y avoir de garantie pour les traîtres »12.
La réponse ne se fait pas attendre et le commandant du fort par interim, le lieutenant-colonel de 26 ans Williams Barret Travis, fait tirer un boulet de canon en direction des troupes mexicaines. L’officier le plus gradé de la place n’est pas en état de commander, malade et alité : il s’agit de James Bowie, avec lequel Santa Anna a un compte personnel à régler (voir « Du Tejas au Texas »).



Défenseurs d'Alamo attendant l'assaut (extrait du film The Alamo, 2004, © Buena Vista International). 3ème en partant de la droite, Davy Crockett, incarné par l'acteur Billy Bob Thomson. (https://dukewayne.com/index.php?thread/5906-the-alamo-movies-the-alamo-2004/)
Les jours passent et les Mexicains parachèvent l’encerclement, tout en bombardant régulièrement le fort. Petite à petit, les régiments en marche rejoignent les troupes assiégeantes qui comptent maintenant 300013 hommes.
Pendant ce temps, du 1er au 4 mars, à Washington-on-the-Brazzos, petite colonie 170 miles à l’Est, la convention des délégués du Texas se réunit, proclame l’indépendance et rédige une constitution. Elle élit enfin un gouvernement et proclame le général Samuel Houston commandant de toutes les forces militaires texianes. Fort de son autorité enfin reconnue, ce dernier, constatant qu’il est trop tard pour évacuer Alamo, presse Fannin, à Goliad, de le faire, car Santa Anna, en venant de San Antonio, pourrait le prendre à revers.

Le 5 mars, alors que l’artillerie mexicaine entame lentement mais sûrement le fort, Santa Anna, qui commence à s’impatienter, décide d’un assaut général pour le lendemain. Il fait taire les canons cette nuit là pour la première fois. Le Texians qui n’ont pratiquement pas dormi depuis le début du siège vont alors se laisser aller à un lourd sommeil… L’aube du 6 mars est à peine levée que 1700 des soldats mexicains les plus expérimentés14 donnent simultanément l’assaut de toutes les directions, escaladent les murs et submergent les défenseurs. S’ensuit un massacre dans laquelle tous les combattants texians seront exécutés, y compris Bowie sur son lit et Davy Crockett qui s’était rendu15.



Assaut à l’aube. Les défenseurs sont submergés. (http://historum.com)

Une heure et demie après le début de l’assaut, toute est terminé. La vie sauve est laissée aux femmes, aux enfants et à l’esclave de Travis, qui ont la permission de partir librement pour annoncer la terrible nouvelle aux colonies anglos. De leur côté les mexicains comptent environ 600 tués et blessés16, dont beaucoup vont mourir des suites de leur blessures dans les jours suivants, leur armée ne disposant pas de service de santé digne de ce nom.



Une fois le fort investi, les rares prisonniers sont exécutes (extrait du film The Alamo, 2004, © Buena Vista International). (http://alchetron.com/The-Alamo-(2004-film)-13698-W)



Le chute de Goliad


Le 11 mars, Fannin, retranché au presidio La Bahia, rebaptisé Fort Defiance, se décide à envoyer une compagnie, environ 60 hommes, pour aider à l’évacuation des familles vivant aux alentours. Mais ceux-ci préfèrent aller terroriser les Tejanos des environs non acquis à leur cause. Urruea, qui commence à investir la région, va se servir du ressentiment ainsi créé pour obtenir suffisamment de renseignements afin de leur tendre une embuscade. Ils ne rentreront jamais à Fort Defiance. Sans nouvelles de ces derniers, exhorté par Houston à évacuer le fort en direction de Victoria derrière la rivière Guadalupe, Fannin décide enfin, après une inexplicable inertie, de plier bagage le 18 mars, mais il ordonne d’emporter les canons et tout le stock de fusils et de munitions. Il n’y a pas assez de chevaux pour tirer tous les chariots et des bœufs doivent être mis à contribution. Le 19 mars, enfin, un immense convoi quitte lentement Fort Defiance et Goliad, avançant au rythme des bovidés. Après seulement quelques miles, ils se rendent comptent qu’ils sont suivis par la cavalerie ennemie …. En effet, des Tejanos ont averti Urrea que la garnison texiane sortait du fort. Ce dernier, maintenant à la tête de 1400 hommes grâce aux renforts envoyés par Santa Anna après Alamo, ne pouvait rêver mieux : alors qu’il se préparait à un siège difficile, voila que Goliad est ville ouverte, le fort vide à qui veut le prendre, et sa garnison ralentie et vulnérable en rase campagne.

Petit à petit, les Texians voient avec angoisse se profiler la cavalerie ennemie dans toutes les directions. Fannin fini par donner l’ordre de former un carré, disposant un canon à chaque coin et les chariots avec leur précieux chargement au centre. Leurs adversaires se contentent de les empêcher de se remettre en marche en maintenant un feu constant. Les rebelles ripostent, mais n’aillant pas prévu suffisamment d’eau, ils ne peuvent bientôt plus refroidir leurs canons qui deviennent inutilisables. Les Mexicains mettent alors en batterie un obusier contre lequel la portée des fusils texians ne peut rien faire, mais qui réalise des trouées sanglantes dans le carré compact des troupes immobiles. Ces dernières creusent des tranchées et entassent devant elles leurs bœufs et chevaux morts pour se protéger. La nuit venue, les Mexicains organisent des rotations pour maintenir la pression tout en reposant leurs hommes, afin d’empêcher leurs adversaires de faire de même. Les Texians n’ont plus d’eau et ne peuvent ni fermer l’œil, ni soigner leur blessés. Le lendemain matin, Fannin demande à négocier avec Urrea, qui lui répond que seule une reddition inconditionnelle des rebelles est acceptable, mais qu’il promet d’intercéder en leur faveur auprès de Santa Anna. Le colonel texian réunit alors ses officiers, à qui il explique qu’il a négocié « les meilleurs conditions possibles ». Les 350 texians survivants se rendent et sont conduits à fort Defiance où ils sont enfermés.
Une fois de plus, Urrea a fait montre de ses qualités tactiques : renseignement, reconnaissance, mobilité et utilisation du terrain. Il exploite les faiblesses adverses (pas ou peu de cavalerie, indiscipline, manque de professionnalisme) et ne permet pas aux Texians d’utiliser leur supériorité en portée et précision. En revanche, on se demande ce que Fannin a appris à West Point17
La suite va tourner à l’horreur : Urrea écrit une lettre à Santa Anna pour lui demander la vie sauve pour les prisonniers. Une semaine après, la réponse ce dernier lui parvient, sans équivoque : ils doivent tous être exécutés. Comme Urrea et ses proches officiers répugnent à le faire, Santa Anna va personnellement en donner l’ordre au capitaine qui commande maintenant le fort… Fannin sera le dernier à être fusillé après avoir assisté à l’exécution de ses hommes. 



"Goliad Massacre" dessiné par l'illustrateur Norman Mills pour un magazine canadien au début des années 1900 (https://tshaonline.org)

Sauve qui peut !


Le 11 mars, Houston rejoint les 374 hommes qui gardent Gonzales derrière la rivière Guadalupe. Apprenant le 13 mars par une rescapée qu’Alamo est tombé le 6, il en déduit que Fannin ne pourra le rejoindre à temps, c'est-à-dire avant que Santa Anna ne soit sur lui. Il ordonne donc une nouvelle retraite derrière le Colorado et envoie un messager à Fort Defiance pour indiquer le nouveau point de regroupement. Mais le 23 mars, il reçoit la nouvelle et de la perte du fort et de la garnison. Il est totalement pris de cours, car il comptait sur le renfort des 400 hommes de Fannin pour pouvoir au moins ralentir les Mexicains le temps que de nouvelles troupes accourent de tout le Texas. La situation semble quasiment désespérée, mais par son comportement sanguinaire, Santa Anna n’a réussi qu’à provoquer l’unité des Texians, qui se battent tous pour la même chose maintenant : survivre ! En revanche, il faut déjà abandonner la ligne du Colorado franchie dès le 21 mars par les Mexicains. Les volontaires affluent, portant les effectifs de l’armée texane à près de 1400 hommes postés le long de la rivière Brazzos. Contre l’avis de ses officiers, Houston ordonne de poursuivre la retraite, ce qui laisse de nombreuses colonies anglo sans défense, entraînant un véritable exode vers l’est du Texas et la frontière avec la Louisiane, appelée « the runaway scrape ». Cette fuite non préparée va se dérouler sous la pluie, dans le froid, avec peu de provisions et va causer de nombreuses victimes civiles. Mais Houston veut que son armée mette autant de distance que possible avec les Mexicains pour pouvoir faire une pause afin de se réorganiser et s’entraîner, ses effectifs fluctuant constamment : des volontaires désertent pour protéger leur familles, tandis que d’autres la rejoignent. De plus, il sait que les Américains ont disposé des troupes à la frontière, même si l’armée US est squelettique à l’époque (moins de 8000 hommes pour toute l’étendue de l’Union18). Dans le pire des cas, en attirant les Mexicains derrière la frontière, il est convaincu que son mentor et ancien chef dans l’armé américaine, Jackson, maintenant président des Etats-Unis, interviendra : « Je suis déterminé à poursuivre la retraite et à me rapprocher aussi près d’Andrew Jackson et du vieux drapeau que possible »19, avoue-t-il dans ses mémoires.



e général Samuel Houston incarné par l'acteur Bill Paxton dans la série TV 'Texas rising' (2015) (c) The History channel (http://variety.com/2015/tv/reviews/texas-rising-miniseries-review-history-channel-1201499318/)

Coup de chance à San Jacinto


Santa Anna, qui s’enfonce dans le cœur du Texas, cherche à localiser l’armée de Houston. A cette fin, il divise la sienne en plusieurs forces afin de ratisser le pays. Il atteint le Brazzos avec la force principale de 3400 hommes le 28 Mars. Peu après, il apprend que le gouvernement du Texas, en fuite, se trouve à Harrisburg, à seulement 30 miles de lui. Il ne veut pas laisser passer l’occasion de le capturer et, prenant personnellement la tête d’une force légère de 500 hommes, arrive sur les lieux le 15 Avril. Mais les représentants du Texas sont déjà partis, et, après avoir incendié la petite ville, il se prépare à rejoindre son armée en passant le long de la rivère San Jacinto.

Le 18 Avril, Houston apprend, par un messager mexicain capturé, que Santa Anna est à la tête d’une force réduite près d’Harrisburg et remontant vers le gros de l’armée mexicaine. Une occasion comme celle-ci ne se produit que rarement. Les 900 Texians les plus valides prennent alors cette direction afin de lui barrer la route. La manœuvre réussi, et Santa Anna, sentant le piège se refermer sur lui, ordonne à ses soldats d’ériger des défenses autour de son campement et demande des renforts de toute urgence. Le général Cós parvient à le rejoindre avec 800 hommes et quelques canons tandis que des escarmouches éclatent autour du camp. Les jours passent et les Texians se demandent pourquoi Houston ne donne toujours pas l’ordre de l’assaut… En fait, il fait couper la route de Harrisburg qui aurait permis à la fois une retraite et une arrivée de renforts, puis attend que les Mexicains s’installent dans la routine. Enfin, Le 21 avril, il ordonne d’attaquer le camp adverse à l’heure de la sieste. Santa Anna n’a pas jugé utile de faire poster de suffisamment sentinelles et l’attaque texiane n’est détectée qu’au dernier moment. La surprise mexicaine est complète, et les rebelles investissent le camp en 18 minutes. Une folie meurtrière s’empare alors d’eux et, aux cris de « Remember Alamo, Remember Goliad ! », ils massacrent les soldats qui essaient de s’enfuir. On compte 650 morts et plus de 700 prisonniers. Les rebelles ne déplorent que 9 morts et 30 blessés. 



L’infanterie texiane charge à San Jacinto. (http://internetlooks.com/historyoftexas.html)

Santa Anna est capturé le lendemain en tentant de s’enfuir habillé en simple soldat. En échange de son retour sain et sauf au Mexique, il doit signer un ordre de repli général de l’armée mexicaine et une reconnaissance de l’indépendance du Texas, alors qu’Urrea et les autres généraux n’ayant pas pris part à la bataille ont encore largement les moyens de battre la petite armée texiane. Il y a des journées qui décident du sort d’une guerre…
Mais les décisions de Santa Anna n’engagent que lui. Ses généraux, habitués à lui obéir, obtempèrent, alors que le gouvernement mexicain le déchoit de ses titres et considère toujours le Texas comme faisant partie du Mexique, ne perdant pas espoir de le récupérer un jour.


La République du Texas


Samuel Houston est élu premier président de la République du Texas, qui adopte le drapeau à une étoile jaune sur fond bleu (« Lone Star Flag », qui sera modifié en 1839) et déclare unilatéralement que sa frontière sud est représentée par le Rio Grande.



Drapeaux de la République du Texas : utilisés successivement de 1836 à 1839 (à gauche), et de 1839 à 1845 (à droite). (https://tshaonline.org/handbook/online/articles/mzr02)


Une fois les Mexicains retirés, en mai 1836, la situation est préoccupante : de nombreuses familles ont tout perdu lors de l’exode de 1836, et le pays est complètement désorganisé. Les Indiens, qui se sont toujours considérés comme expulsés de leur terre par les Anglos, en profitent pour intensifier leurs raids. En 1840, les Comanches, au nord du pays, furieux suite à une tentative d’échange de prisonniers tournant au bain de sang, vont même descendre la vallée du Brazzos jusqu’à l’océan Atlantique, saccageant tout sur leur passage, tuant et capturant des dizaines d’habitants. Ils vont devenir la préoccupation majeure en matière de sécurité pour les années à venir. Les célèbres « Texas Rangers », sorte de police d’état, créés confidentiellement avant la guerre, vont être officialisés et leur effectif augmenté par Houston (150 hommes en 1841). Leur mission principale est de patrouiller les régions « à risque », pour prévenir des dangers : le Nord-Est par lequel arrivent les raids indiens, le Sud pour avertir d’un éventuel retour offensif mexicain. Mais à part cette petite force nationale, le principe d’une armée régulière a fait long feu face à l’individualisme forcené des Texians, et on revient à des milices locales.
Devant cette situation d’extrême vulnérabilité, beaucoup d’habitants souhaiteraient voir le Texas rejoindre les USA. Mais les Etats du Nord ne veulent pas d’un nouvel Etat esclavagiste dans l’Union, qui plus est criblé de plusieurs millions de dollars de dettes contractées depuis la guerre. Le Texas va vivre ainsi plusieurs années en autonomie politique, jusqu’en 1845.
Les Texians vont « régler » la question indienne au cours de 3 « victoires » décisives (on devrait plutôt parler de massacres) sur les Cherokees (1839), les Comanches (1840, bataille de Plum Creek) et les Caddos alliées aux Tonkawas (1841). Par la suite, décimés et littéralement expulsés du territoire, les Indiens n’essaieront plus de récupérer leurs terres, mais l’insécurité restera toujours présente pour plusieurs dizaines d’années encore, surtout pour les fermes isolées.



Attaque d’un village d’hiver Comanche par les Texas Rangers peu après la bataille de Plum Creek. (http://sagaofatexasranger.com/texas-history-photos-page-4/)



L’afflux de colons entraîne une augmentation rapide de la population: de 50 000 habitants fin 1836 (dont 5000 esclaves)20, on passe à 250 000 en 184021. Les grandes plantations de coton s’étendent et la production est multipliée par 10 entre 1834 et 183822. Le nombre d’esclaves croit rapidement : déjà 30 000 en 1845, ils seront le double en 1850, pour atteindre plus de 30% de la population dans les années suivantes23.
Les « vieilles » nations européennes s’engouffrent dans le vide diplomatique laissé par les Etats-Unis : La France de Louis-Philippe reconnaît en 1839 ce nouvel Etat, y voyant un moyen de faire contre-poids à l’hégémonie américaine sur le continent, et y ouvre une représentation diplomatique. La Grande-Bretagne, qui vient d’interdire l’esclavage dans tout son empire, ne le reconnaît pas officiellement mais, pragmatiquement, ouvre des relations commerciales afin de diversifier ses approvisionnements en coton pour son industrie textile en plein essor.

Les Mexicains reviennent !


Le Mexique n’accepte toujours pas l’indépendance du Texas et les escarmouches frontalières sont monnaie courante. En 1842, Le général mexicain Ráfael Vásquez entre au Texas avec 700 hommes, repousse les maigres forces texianes sur sa route, et prend Goliad et San Antonio. Il y fait dresser le drapeau mexicain et proclame le retour des lois mexicaines. Mais, ne recevant pas de renforts, et ne pouvant tenir le pays avec si peu d’hommes, il repart le 7 mars, direction Mexico.
La même année, en septembre, un autre général mexicain, Adrián Woll, d’origine française (ancien officier dans l’armée napoléonienne ayant émigré à la restauration), envahi à nouveau le Texas, cette fois avec 1000 fantassins et 500 cavaliers, renforcés d’une centaine de Tejanos et de quelques éclaireurs Comanches24. Il parvient à prendre par surprise San Antonio (encore !).
Les Texians de la région forment une milice d’environ 200 hommes et accourent vers la ville, occupée par l’infanterie mexicaine, pendant que la cavalerie est partie ratisser le pays. Le rapport de force numérique est de 5 contre 1 en faveur des Mexicains. La milice texiane ne peut donc les attaquer de front, mais va intelligemment utiliser ses points forts (portée supérieur de ses fusils, maîtrise du tir embusqué) et contraindre l’adversaire à faire ressortir ses points faibles (portée inférieure, tactiques d’attaque en ordre serré périmées, cavalerie occupée ailleurs) : elle se poste au nord de San Antonio sur un léger promontoire face à un vaste espace dégagé, et protégé sur ses flancs par des bois. Le 18 septembre, les Mexicains, sûrs de leur force, vont mordre à l’hameçon et attaquer à découvert, en belles colonnes bien compactes du plus bel effet, marchant au pas cadencé par leur musique … Les volées des Kentucky rifles vont y faire des ravages, tandis qu’une attaque de flanc à travers les bois est stoppée net par des tireurs embusqués25. Suite à cette victoire défensive, connue sous le nom de « bataille de Salado Creek », les Mexicains démoralisés quittent le pays en bon ordre, talonnés par des Texians qui ne vont pas réussir à transformer la retraite mexicaine en déroute : leurs habituels points faibles, les empêchant d’être efficace en attaque : manque de discipline et difficulté à manœuvrer avec cohésion.
En 1845, au congrès des Etats-Unis, une majorité plus favorable que par le passé à l’entrée du Texas dans l’Union accède à sa demande, qui est officialisée le 29 décembre : Il en devient le 28ème Etat, et les Texians, petit à petit, seront appelés « Texans » par l’ensemble des Américains. Le Mexique, qui considère de ce fait que les Etats-Unis lui ont annexé des territoires lui appartenant, y voit un casus belli. Dans quelques mois, une nouvelle guerre, d’une toute autre dimension, va éclater…

Conclusion

Finalement, ce « désert » qu’était le Tejas n’était pas si vide que ça … Les Espagnols puis les Mexicains s’y sont installés en tentant d’en chasser leurs premiers habitants, les Indiens. Les Anglos-américains ont ensuite poussé tout le monde pour y faire leur place, avec de lourdes pertes. Et le grand gagnant de l’affaire est le puissant voisin du Nord, les Etats-Unis. Grâce à tout cela, ils vont avoir en 1846 l’occasion idéale de dépecer le Mexique, bien au-delà du Texas …
Dans cette histoire, le mythique siège d’Alamo n’est finalement pas une bataille décisive, mais juste une défaite texiane, et pas la pire d’entre elles : en terme de conséquences stratégiques, la chute de Goliad en a beaucoup plus. Par contre, la conduite sanguinaire de Santa Anna à Alamo lors de son avancée au cœur du Texas a soudé les Texians entre eux et amené à leur unité, ce qui a permis leur victoire à San Jacinto.
Sam Houston, le vainqueur de cette bataille, devenu premier président de l’éphémère République du Texas, devient par la suite gouverneur de cet Etat au sein de l’Union. Quand les Etats du Sud (dont le Texas) se soulèvent contre celle-ci en 1861 pour conserver leur société esclavagiste, Houston refuse de s’y associer et est démis de son poste par ses compatriotes. Cet ami de l’ancien président Andrew Jackson a toujours placé la fidélité « au vieux drapeau » de l’Union au-dessus de tout. Devant les parlementaires sécessionnistes qui le forcent à se retirer, il tient alors ces paroles prophétiques :
Laissez-moi vous dire ce qui va arriver. Après le sacrifice de centaines de milliers de vies et la perte de millions de dollars, vous pourrez peut-être gagner l’indépendance pour les Etats du Sud, si Dieu n’est pas contre vous, mais j’en doute(…). Je vous dis que le Nord est déterminé à préserver l’Union. Ce ne sont pas des gens ardents et impulsifs comme vous, car ils vivent sous des climats plus froids. Mais quand ils décident de prendre une direction, ils le font avec la détermination et la persévérance d’une avalanche et ce que je crains, c’est qu’ils submergent le Sud. »26

Bibliographie


Origines et peuplement

  • J. C. Edmondson, Alamo Story: From Early History to Current Conflicts, Taylor Trade Publications
  • Martha Manchaca, Recovering History, Constructing Race: The Indian, Black, and White Roots of Mexican Americans, Austin, University of Texas Press, 2001

Esclavage
  • Alwyn Barr, Black Texans: A history of African Americans in Texas, 1528–1995

Articles tirés de journaux d'époque
  • La Revue des deux mondes, tome 2, Société typographique belge, Bruxelles, 1840

Révolte et guerre d'indépendance de 1835-1836
  • Stephen L.Hardin, Texian Illiad – A military history of the texas revolution 1835-1836, University of Texas Press, Austin , 1994
  • Stephen L. Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s campaign, Osprey Publishing, 2001
  • Frederic Ortolland, La guerre d’indépendance du Texas, In : Champs de bataille n°30
  • Alain Sanders, Remember the Alamo, de la légende à l’histoire, Editions de Paris, 2006

Site internet de référence sur l'histoire du Texas
  • The Texas Historical Association, the Hanbook of Texas online (https://tshaonline.org)

Bataille de Salado Creek (1842)
  • Major Nathen Jennings, The Texas Republic’s victory at Salado Creek, 1842, In: Infantry magazine October-December 2015, pp. 67-70
 




1 J. C. Edmondson, Alamo Story: From Early History to Current Conflicts, Taylor Trade Publications, 2000, p75

2. Cette guerre (1812-1815), déclarée par les Etats-Unis, a vu le commerce extérieur de ces derniers ruiné par le blocus de la Royal Navy, entraînant une hausse des prix des productions locales… qui sont vite retombés quand l’activité commerciale a repris dans les années qui suivirent.

3. Martha Manchaca, Recovering History, Constructing Race: The Indian, Black, and White Roots of Mexican Americans, Austin, University of Texas Press, 2001, page 201
4. Alwyn Barr, Black Texans: A history of African Americans in Texas, 1528–1995, Norman (Oklahoma), University of Oklahoma Press, 1996, page 17 
5. La Revue des deux mondes, tome 2, Société typographique belge, Bruxelles, 1840, p. 199 

6. « Venez donc le prendre ! »
7. Le Kentucky rifle, fusil à silex à un coup, possède un long canon rayé, qui lui permet d’avoir une portée et une précision très supérieure à la plupart des autres fusils alors en service, qui sont à canon lisse.
8. Stephen L.Hardin, Texian Illiad – A military history of the texas revolution 1835-1836, University of Texas Press, Austin , 1994
9. Frederic Ortolland, La guerre d’indépendance du Texas, In : Champs de bataille n°30, p54 
10. Stephen L. Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s campaign, Osprey Publishing, 2001, p. 19 
11. Stephen Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s campaign, Osprey Publishing, 2001, pp. 28-29 
12. Ibid., p. 36 
1 3. Alain Sanders, Remember the Alamo, de la légende à l’histoire, Editions de Paris, 2006, p.41 
14. Stephen Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s campaign, Osprey Publishing, 2001, p. 37


15. Alain Sanders, Remember the Alamo, de la légende à l’histoire, Editions de Paris, 2006, p.183
16. The Texas Historical Association, the Hanbook of Texas online, “Battle of the Alamo” (https://tshaonline.org)
17. Admis dans la prestigieuse école militaire en 1819, Il la quitte prématurément en 1821 avant d’avoir eu son diplôme (source : The handbook of Texas, https://tshaonline.org/handbook/online/articles/ffa02) 
18. Vincent Bernard, Tuniques bleues : les cavaliers de la frontière, In ; Science et Vie Guerres et Histoire n°30, p. 55


19. Stephen Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s campaign, Osprey Publishing, 2001, p. 73
20. Texas State Historical Association, The Handbook of Texas online, Republic of Texas

21. La Revue des deux mondes, tome 2, Société typographique belge, Bruxelles, 1840, p. 219

22. Ibid., p 220

23. The Texas Historical Association, the Hanbook of Texas online, “Slavery” (https://tshaonline.org)
24. Major Nathen Jennings, The Texas Republic’s victory at Salado Creek, 1842, In: Infantry magazine October-December 2015, p. 68

25. Ibid., p. 70

26. Haley, James l., Sam Houston, Norman: University of Oklahoma Press, 2004, pp. 390–391
 
 

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Votre article est très intéressant, merci.
    On parle donc de "texian" lorsque l'Etat était indépendant et de "texan" lorsqu'il est intégré aux Etats Unis d'Amérique?
    Cordialement

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  2. Bonjour,
    Ravi que cet article vous ai plu.
    Historiquement les "Anglos" installés au Texas s'appelaient entre eux "Texians". A partir de leur intégration dans L'Union, ils ont été appelés "Texans" par les habitants des autres Etats, jusqu'à utiliser petit à petit ce terme entre eux. Mais les 2 ont cohabité de nombreuses années.
    Cordialement,
    L'auteur.

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