Dans
les années 1830, des colons anglo-américains se sont petit à petit
approprié une province du Mexique. La réaction brutale de ce
dernier a conduit notamment au célèbre siège de fort Alamo, devenu
un mythe popularisé par la culture américaine. Comment on est-on
arrivé là ? Cette bataille, qui est loin d’être la seule,
a-t-elle été aussi décisive que le vante la légende ? Que
s’est-il passé après, jusqu’à l’intégration du Texas dans
l’Union ?
Jérôme Percheron
2
Octobre 1835, début de la révolte texiane. Les miliciens de la
colonie de Gonzales sont décidés à combattre les soldats mexicains
venus leur reprendre leur canon. « Come and take it ! »
(« Venez donc le prendre ! »)
(http://eleghosnews.blogspot.fr/2015/04/texas-revolutionbattle-of-gonzalesmolon.html)
|
Terre promise
Au
début du XIXème siècle, l’Empire espagnol règne sur une grande
partie de l’Amérique du nord, de la Californie au Mexique. Entre
ce dernier et les Etats-Unis, bordée par l’Atlantique, se trouve
une province un peu oubliée et quasi désertique : le «Tejas ».
Ce nom veut dire « ami » dans la langue parlée par les
indiens autochtones Caddo. Depuis sa capitale Mexico, la vice-royauté
de Nouvelle-Espagne essaye de mettre cette terre en valeur par
l’installation de quelques missions autour desquelles tentent de
s’agglomérer des villages et des exploitations agricoles
(haciendas) ainsi que de forts militaires (presidios)
pour les protéger. L’implantation la plus importante est la petite
ville de San Antonio de Béxar, environ 1500 habitants (aujourd’hui
San Antonio, 10ème plus grande ville des Etats-Unis), flanquée de
sa mission nommée Alamo. Les raids incessants des indiens Kiowa,
Cheyenne et Comanche, ainsi que le peu de moyens investis par les
autorités ne rendent pas le la province très attractive pour les
Tejanos (colons d’origine hispanique), dont la population
stagne autour de 3000 personnes vers 18201.
Les
autorités espagnoles réalisent que si elles ne parviennent pas à
peupler et mettre en valeur ce territoire, elles n’arriveront
jamais à pacifier et stabiliser cette marche de l’empire, qui
représentera alors toujours une frontière fragile. Il existe
pourtant des colons nombreux, rudes et prêts à prendre tous les
risques pour s’installer sur de nouvelles terres, les
Anglo-américains, alors en pleine « conquête de l’Ouest »,
surnommés « Anglos » par les Espagnols. Encore faut-il
qu’ils soient loyaux envers les autorités espagnoles.
Pour
s’assurer de cela, les Espagnols font appel à des empresarios,
des agents de confiance recrutés parmi les Anglos pour
« sélectionner » des familles candidates à
l’immigration et les conduire jusqu’aux terres qui leur sont
vendues à petits prix au Tejas. Les critères retenus pour s’assurer
de « bons » colons sont qu’ils soient catholiques,
religion officielle de l’empire espagnol (alors que la majorité
des Américains est plutôt protestante à l’époque), travailleurs
et fidèles à la couronne d’Espagne. Le premier d’entre eux,
Moses Austin, meurt avant d’avoir pu conduire les premiers colons
sur leurs nouvelles terres. Son fils, Stephen Austin (qui donnera son
nom à la capitale de l’actuel Texas) prend la relève et installe
les 300 premières
familles
(dites « The Old Three Hundred ») à partir de 1821. Mais
pendant le trajet, la vice-royauté de Nouvelle Espagne a cessé
d’exister…
"The
Settlement of Austin’s Colony" par Henry McArdle (peinture de
1875) (https://www.tsl.texas.gov/mcardle/paintings/austin.html)
|
En
effet, l’occupation de l’Espagne par Napoléon en 1808 laisse les
colonies coupées de la métropole et livrées à elles-mêmes. Dans
les années qui suivent, les Créoles (élite d’origine européenne
mais née dans les colonies), qui supportaient de moins en moins
l’autorité de Madrid, en profitent pour se soulever. Le Mexique,
en particulier, acquiert son indépendance en 1821 et hérite des
provinces espagnoles d’Amérique du Nord. Les nouvelles autorités
de Mexico, bien que fragilisées par des luttes armées incessantes
entre les « fédéralistes », partisans d’une
république fédérale laissant une large autonomie à chaque
province, et les « centralistes », partisans d’un
pouvoir central fort, acceptent de poursuivre la colonisation du
Tejas par les Anglos dans les mêmes conditions.
Du Tejas au Texas
Dans
les années 1820, de nouveaux colons anglos arrivent, accompagnés de
leurs esclaves. Aventuriers de la « frontière » voulant
faire fortune, hommes d’affaires plus ou moins honnêtes achetant
et revendant des terres ou des esclaves, et surtout familles de
fermiers
ruinées
par la chute des prix qui suit la fin de la guerre de 1812 contre
les Britanniques2,
ils laissent tout derrière eux pour tenter une nouvelle vie au
Tejas. Celle-ci commence souvent par l’édification d’une cabane
en bois et la survie sur leurs maigres réserves en attendant la
première récolte. Les Tejanos voient ces colons d’un bon œil car
ils n’hésitent pas à tenir tête aux Indiens, même si la vie
dans une ferme isolée reste un pari de tous les jours. Les nouvelles
autorités mexicaines, bien que de sensibilité abolitionniste,
ferment les yeux sur l’esclavage car elles sont satisfaites de voir
les terres rapidement mises en valeur.
Le
Mexique nouvellement indépendant des Espagnols hérite des
territoires ayant appartenus à ces derniers. Il se constitue en
Fédération dans lequel le Tejas est une province de l’Etat de
Coahuila y Tejas.
(http://theragblog.blogspot.fr/2011/08/bob-feldman-hidden-history-slavery-in.html)
|
La
nouvelle constitution mexicaine de 1824, fédéraliste et largement
inspirée de celle des Etats-Unis, transforme les anciennes provinces
espagnoles en Etats assez autonomes et convient parfaitement aux
nouveaux colons. Les élites se mélangent : James Bowie,
aventurier et spéculateur foncier et parmi les plus riches colons,
épouse la fille du gouverneur de l’état de Coahuila y Tejas, dans
lequel se situe l’ancienne province du Tejas. Elle est la filleule
d’un général mexicain fédéraliste très en vue, Santa Anna, qui
vient de repousser une tentative de reconquête espagnole du Mexique
à la bataille de Tampico (1829), bien aidé en cela par la fièvre
jaune qui a décimé le contingent espagnol composé de recrues
fraîchement débarquées et donc non acclimatées. En signe de
volonté d’intégration, une colonie anglo prend même le nom du
gouverneur de l’Etat, Gonzales. Les autorités mexicaines
reconnaissantes lui donnent alors un canon pour se protéger des
Indiens.
Cette
idylle mexicano-anglo va toutefois être de courte durée. En 1829,
l’esclavage est aboli sur toute l’étendue de la république du
Mexique, ce que les Texians (colons Anglos installés au Tejas)
n’acceptent pas. Ils s’empressent alors de faire signer à leurs
esclaves illettrés des contrats d’indenture de 99 ans, avec comme
prétexte le remboursement de leur voyage depuis les Etats-Unis. Les
autorités mexicaines ne sont pas dupes, mais elles s’inquiètent
surtout du nombre croissant d’immigrants, loin d’être tous en
situation régulière (environ 250003
auxquels s’ajoutent 5000 esclaves4),
qui ne se sentent liés d’aucune manière à Mexico et vivent selon
leurs coutumes et leurs lois importées des Etats-Unis voisins.
Elles réalisent que si rien n’ai fait pour stopper
l’immigration anglo, le Mexique va finir par perdre ce que les
colons appellent maintenant le Texas, d’autant que le président
des Etats-Unis, Andrew Jackson, propose avec insistance d’acheter
ce territoire.
Réaction mexicaine
Les
Mexicains prennent alors des mesures énergiques pour tarir le flot
des immigrants et contrôler ceux déjà installés : Ils
rétablissent les impôts et les droits de douane dont les Texians
étaient jusque-là exemptés, puis, en avril 1830, interdisent
finalement toute immigration ultérieure sur le territoire du Texas.
Pour faire respecter cette décision, ils augmentent leur présence
militaire sur place, qui atteint environ 1300 hommes vers 18325.
Les Anglos n’acceptent pas ce qu’ils considèrent comme une armée
d’occupation, et le comportement parfois brutal et arbitraire des
soldats mexicains entraîne des échauffourées avec la population.
Des colons sont mis en prison, déclenchant des soulèvements pour
demander leur libération. Début 1832, ces derniers n’hésitent
pas à prendre localement les armes contre les levées d’impôts et
les premiers coups de feu éclatent, entraînant les premiers morts.
L’année
1833 se termine par la confiscation du pouvoir à Mexico par les
centralistes, avec à leur tête le général Santa Anna. Ce dernier,
qui veut avant tout régner sur la pays, a compris que le camp des
centralistes est le plus à même de lui permettre de réaliser son
ambition, car soutenu par les grands propriétaires, les militaires
et l’Eglise catholique. Changeant subitement de camp, il déclare
que le Mexique n’est pas prêt pour le fédéralisme et que ses
provinces doivent s’administrer comme des départements français.
Il abroge la constitution fédéraliste de 1824, ce qui déclenche
des soulèvements dans plusieurs Etats, tous réprimés dans le sang,
poussant même une partie des Tejanos à rejoindre les colons anglos
dans ce qui commence à ressembler à une insurrection texiane. Par
mesure préventive, Mexico décide en 1835 de faire désarmer ces
derniers.
Le
Texas des années 1820 – 1836
(http://www.country-gresivaudance.fr/7autres/USA/ouest/texas/Texas.html)
|
Come and take it !
En
septembre 1835, conformément aux ordres reçus de Mexico, le
colonel Ugartechea, commandant de la garnison de San Antonio, demande
à la colonie de Gonzales de restituer le canon donné quelques
années plus tôt. Les Texians n’ont absolument pas prévu de lui
obéir et le cachent. Agaçé par la situation, il envoie le
lieutenant Castañeda à la tête d’une centaine de dragons
(carabiniers à cheval) afin de le récupérer, avec pour ordre
d’éviter autant que possible un affrontement. Une vingtaine de
Texians armés bloquent le pont enjambant la rivière Guadalupe qui
permet d’accéder à la ville. Ils demandent à parlementer, ce que
le lieutenant accepte de bonne grâce. Ceci leur permet de gagner du
temps alors que des volontaires de toute la région affluent et que
le fameux canon est mis sur roues et amené sur une colline à
proximité des Mexicains, qui ne s’attendent pas à une telle
attitude offensive. 140 Texians, en majorité à pied, finissent par
encercler et attaquer leur campement qui est réveillé à l’aube
du 2 Octobre par les tirs du canon qu’ils devaient récupérer, au
cri de «Come and take it6 !».
Le lieutenant mexicain réagit vivement et ordonne à ses hommes,
tous cavaliers, de charger les assaillants. Ces derniers se réfugient
alors dans les bosquets le long de la rivière et tiennent en respect
les dragons, par la portée plus longue de leur fusils Kentucky
rifle7
à canon rayé. Les cavaliers finissent par battre en retraite. La
chance, la surprise et l’accoutumance des « hommes de la
frontière » américains au tir de précision depuis le couvert
des arbres (technique fréquemment utilisée à la chasse mais aussi
contre les Anglais pendant la guerre d’indépendance, quelque 60
ans plus tôt) ont eu raison de l’incompétence tactique de
Castañeda. Cette escarmouche fait finalement peu de victimes, mais
est symbolique de l’insurrection texiane qui est maintenant allée
trop loin pour revenir en arrière.
Soulèvement général
Les
garnisons mexicaines sont alors assiégées à travers tout le Texas.
Elles se rendent ou fuient les unes après les autres, ce qui est
symptomatique d’une armée en décomposition à force d’être
oubliée par les autorités de Mexico, qui, il est vrai, doit gérer
des problèmes plus immédiats, avec des soulèvements jusque dans la
capitale même. Le général Cós, beau-frère de Santa Anna, est
envoyé rétablir la situation. Il débarque avec 500 hommes près
de la petite ville de Goliad, située au sud de la « capitale
régionale » San Antonio, dont il s’empresse d’aller
renforcer la garnison, la portant à 800 hommes. Il laisse sur ses
arrières le presidio de Goliad, la Bahia, ouvrage défensif majeur,
sous la garde d’une cinquantaine de soldados au moral incertain.
Celui-ci est pris d’assaut le 10 Octobre par une centaine de
Texians, avec l’aide précieuse des Tejanos locaux ralliés qui
leur permettent d’entrer dans le fort8.
L’autre
fort qui mérite à peu près ce nom est l’ancienne mission de San
Antonio, Alamo, située près de la ville et en cours de
fortification par les Mexicains. Mais à partir du 28 Octobre, les
Texians venus de tout le pays, commandés par Stephen Austin, vont
progressivement contraindre le général Cós, qui n’a pas réussi
à renforcer Alamo à temps, à se retrancher dans la citadelle de
San Antonio, situé au cœur de la ville. Le 9 décembre, après de
violents combats de rue, 650 Texians forcent Cós à se rendre, en le
laissant retourner au Mexique sur la promesse qu’il ne prendra plus
les armes contre eux ni contre la constitution fédéraliste de 1824.
A la fin de 1835, plus aucun soldat mexicain ne reste au Texas.
A
ce moment, les Texians se voient encore comme faisant partie d’un
Mexique fédéraliste, et pensent que leur démonstration de force
leur permettra de revenir au status quo ante des années 1820.
C’est sans compter la détermination de Santa Anna, qui, fou de
rage, a décidé de prendre les choses personnellement en mains. En
effet, il planifie pour 1836 la reconquête de la province rebelle.
Les armées en présence
L’armée mexicaine
L’instabilité
du pouvoir depuis l’indépendance n’a pas permis au Mexique de
consacrer beaucoup de moyens à son armée, gangrénée par une
situation matérielle catastrophique et les désertions. Toutefois,
Santa Anna va réaliser la prouesse d’organiser une force
expéditionnaire de plus de 6000 hommes, à partir d’un noyau de
troupes professionnelles aguerries et bien entraînées, encadrant
une majorité de conscrits sans expérience.
L’infanterie,
environ 5000 hommes, est équipée du fusil à silex à canon lisse
Brown Bess, fusil standard de l’armée britannique depuis le XVIIIe
siècle. Cette arme ancienne, mais fiable et robuste voit cependant
ses performances amoindries par l’utilisation d’une poudre de
mauvaise qualité fabriquée localement, et son canon à âme lisse
ne permet guère le tir de précision. De ce fait, à part quelques
unités d’élite composées de vétérans, la plupart des
fantassins pratiquent le tir en ligne et la manœuvre groupée, sans
quoi les formations perdraient leur cohésion et leur efficacité au
feu.
L’artillerie,
qui totalise 21 bouches à feu, a été, faute de moyens le parent
pauvre des années post-indépendance et doit gérer un parc
hétéroclite et vieillissant, allant des calibres de 4 à 12 livres,
ainsi que 4 obusiers de 7 pouces pour les sièges.
La
cavalerie, rassemblant environ 700 hommes1,
est le point fort de cette armée, disciplinée et bien entraînée,
habituée à manœuvrer avec cohésion et précision, et maniant
aussi bien le sabre que la carabine. Elle représente un réel atout
dans les espaces ouverts du sud du Texas.
Au
final, voici une petite armée de style « napoléonien »,
bien organisée et cohérente, mais dont les quelques unités
expérimentés et au moral élevé doivent cohabiter avec une masse
de jeunes recrues enrôlées plus ou moins de force et n’ayant
aucune autre perspective que de tenter de survire à cette guerre.
Pour compenser ce moral déficient, les familles sont autorisées à
accompagner les soldats, ce qui va finalement entraîner une tragédie
et entraver les manœuvres.
L’armée texane
Il
est difficile de qualifier d’armée cet assemblage citoyens-soldats
hautement motivés mais sans discipline, élisant leurs officiers,
ces derniers ayant chacun leur plans et rechignant à collaborer. On
devrait plutôt utiliser le terme de milice, dont les effectifs
fluctuants, d’à peine un millier en 1835, ne dépasseront jamais
3700 hommes10,
malgré l’apport de nombreux volontaires venant des Etats-Unis. On
rencontre même quelques « petits hommes bleus » :
soldats américains de l’armée régulière « désertant »
avec la bienveillance de leurs officiers pour aller renforcer les
texians, après avoir enlevé tout signe distinctif sur leur
uniforme. Stephen Austin ne cesse d’appeler de ses vœux la
création d’une véritable armée régulière, chose faite en 1835
et dont le commandement est donné au général Samuel Houston,
vétéran de la guerre de 1812 et proche du président américain
Andrew Jackson. Mais elle reste embryonnaire, chaque commandant
défendant jalousement son pré-carré et gardant la main sur ses
ressources.
Les
hommes, qui ont du mal à supporter l’autorité, décident de
s’absenter du jour ou lendemain sans prévenir leurs officiers,
pour des raisons familiales ou pour les récoltes, si bien que les
unités ne sont jamais à effectif complet. Mais ces combattants ne
sont pas pour autant étrangers à la chose militaire. Comme Houston,
nombreux sont ceux parmi les plus anciens à avoir fait le coup de
feu contre les Britanniques pendant la guerre de 1812, notamment sous
les ordres d’Andrew Jackson lors de la bataille de la
Nouvelle-Orléans en 1815. Les autres, habitués à la rude vie de la
frontière, sont en général de bons chasseurs, sachant manier le
fusil avec précision. Leur arme de prédilection est le Kentucy
rifle, une arme longue (plus d’1 mètre) et lourde, datant du
XVIIIe siècle, mais dotée d’un canon rayé permettant le tir de
précision à longue portée. De nombreux dons et crédits privés en
provenance des Etats-Unis vont permettre d’en acheter suffisamment
pour équiper correctement les hommes. L’artillerie est
pratiquement inexistante, constituée de quelques pièces prises au
Mexicains lors de leur retrait en 1835.
L’aspect
le plus préoccupant est la faiblesse de la cavalerie, quelques
centaines d’hommes n’ayant pas reçu l’entraînement leur
permettant de manœuvrer en formation, et utilisant leurs chevaux
personnels, plus habitués à travailler à la ferme qu’à charger
ventre à terre.
Pour
résumer, une « armée » indisciplinée, peu manœuvrière
et taillée pour la guérilla, mais avec une motivation à toute
épreuve.
Offensive mexicaine
En raison du relief
montagneux au Nord du Texas, il n’existe que deux voies d’invasion
terrestre depuis le Mexique :
- « El Camino real» (« la route royale » en espagnol), route historique des missions espagnoles qui passe par l’intérieur des terres au nord-ouest pour atteindre San Antonio de Béxar,
- La plaine côtière, longeant le golfe du Mexique et débouchant sur Goliad.
Ces
deux villes représentent les portes d’entrée vers le cœur du
Texas et donc vers les colonies anglos et sont gardées par des
forts, respectivement l’ancienne mission d’Alamo, maintenant
fortifiée, pour San Antonio et le presidio La Bahia pour Goliad.
El
Camino real (en noir)
(http://www.ccserving.com/www/mcinfo/geography/trails/el_camino_real.htm)
|
Santa
Anna, en grand admirateur de Napoléon (il se fait lui-même appeler
en toute modestie le « Napoléon de l’Ouest »), va
scinder ses forces en deux corps d’armée, empruntant chacun une
route, et capables de se soutenir mutuellement, voir de se regrouper
si besoin. Ils vont former les 2 mâchoires d’une pince qui va se
refermer sur les colonies texianes. Il veut les surprendre en les
attaquant avant la belle saison, ce qui implique de faire le trajet
en plein hiver.
Les
Texians, qui ne s’attendent pas à une réaction mexicaine avant le
printemps, sont divisés sur la direction à suivre. Politiquement,
nombreux sont ceux qui pensent encore pouvoir négocier et revenir à
une forme de fédéralisme au sein du Mexique. Un gouvernement
provisoire a bien été désigné suite à l’évacuation mexicaine,
mais il est incapable de se faire entendre de toutes les factions, et
il n’existe pas de constitution établissant clairement les rôles.
Militairement, les opinions divergent aussi en cas d’invasion.
Houston veut abandonner Alamo et San Antonio, tenus par moins de 200
hommes pour se retirer à l’Ouest sur Gonzales et établir un front
cohérent derrière la rivière Guadalupe11.
Il n’est pas écouté et la majorité, pensant à ses foyers
menacés, veut défendre coûte que coûte Alamo sans esprit de
recul. Une bande d’illuminés veut même attaquer le Mexique, et
s’y tailler un territoire indépendant, en comptant sur le
soulèvement des fédéralistes sur leur chemin contre le pouvoir
central. Malheureusement, ces doux rêveurs, un peu plus d’une
centaine d’hommes, vont aller se « servir » en
munitions et vivres dans les stocks constitués à Alamo avant de se
mettre en route avec pour objectif Matamoros, port mexicain sur la
rive sud Rio Grande.
Pour
résumer, alors que l’invasion mexicaine est imminente, les Texians
n’ont ni unité politique, ni unité de commandement, et ont de
plus dégarni leurs défenses sans prévoir de retraite possible.
Fin
Janvier 1836, l’armée mexicaine concentrée à Saltillo au Nord du
Mexique se met en marche. Santa Anna ordonne à son subordonné le
général Urrea de passer par la plaine côtière avec une force de
moins d’un millier hommes, tandis qu’il conduit lui-même le gros
de la troupe par El Camino, qui traverse d’abord 120 miles de
désert avant d’atteindre le Rio Grande.
L’hiver
1836 est le plus froid qu’on ait connu jusqu’alors, et le fleuve
est atteint le 16 février après que le la neige, le blizzard et le
manque de nourriture aient prélevé un lourd tribut en vies sur les
soldats et les familles qui les accompagnent. Mais Santa Anna n’en
a cure et ne s’arrête à aucun moment. Le 23 février, son
avant-garde de cavalerie arrive au Campo Santo (cimetierre) de San
Antonio, à seulement 1 mile de la ville …
Pendant
ce temps, Urrea franchit le Rio Grande le 17 et, après avoir laissé
une partie de son infanterie à Matamoros pour sécuriser ses
arrières, poursuit sa route, rencontrant les Texians partis à la
conquête de cette ville. Ces derniers vont accumuler les erreurs.
Séparés en deux groupes isolés avançant lentement, ils négligent
d’effectuer des reconnaissances. Ce n’est pas le cas de la
cavalerie mexicaine qui les localise rapidement, sans que leurs
adversaires ne s’en aperçoivent, et, les prenant de vitesse,
parvient à les encercler et les réduire séparément, entre le 27
février et 2 mars. Il n’y a que 38 survivants, tous faits
prisonniers, sans aucune perte chez les Mexicains.
A
Goliad, le colonel Fannin, ancien de West Point et planteur au Texas
depuis 1834, doit organiser la défense avec environ 400 hommes. Il
ne sait pas qu’Urruea arrive et il répugne à évacuer les
familles et le bétail, comme le lui a conseillé Houston.
Le siège d’Alamo
L’irruption
en plein hiver de l’armée Mexicaine à proximité de San Antonio
prend totalement de cours les Texians. Civils (Anglos comme Tejanos)
et militaires fuient la ville, les premiers vers l’Est et les
autres colonies, les seconds vers le fort Alamo dans lequel ils se
barricadent in extremis, alors que les Mexicains étaient sur le
point de l’investir. Parmi les défenseurs du fort, on compte une
« star » pour l’époque : Davy Crockett, célèbre
trappeur, mais aussi jusqu’à l’année précédente représentant
du Tennessee au Congrès des Etats-Unis.
Santa
Anna ne cache pas sa colère car il sait bien qu’en ayant
échoué à prendre Alamo par surprise, un siège long et couteux
l’attend. En effet, les travaux de fortification de cette ancienne
mission on été menés à terme et il dispose maintenant d’un mur
d’enceinte continu muni de plateformes supportant des canons
Ainsi, alors que ses troupes investissent la ville, Il fait hisser
sur le clocher de l’église San Fernando un drapeau rouge, ce qui
signifie aux Anglos qu’il n’y aura pas de quartier, tout en
envoyant un messager à Alamo pour proposer une reddition…
inconditionnelle, sans garantie pour leur vies, car selon lui, «il
n’y peut y avoir de garantie pour les traîtres »12.
La
réponse ne se fait pas attendre et le commandant du fort par
interim, le lieutenant-colonel de 26 ans Williams Barret Travis, fait
tirer un boulet de canon en direction des troupes mexicaines.
L’officier le plus gradé de la place n’est pas en état de
commander, malade et alité : il s’agit de James Bowie, avec
lequel Santa Anna a un compte personnel à régler (voir « Du
Tejas au Texas »).
Défenseurs
d'Alamo attendant l'assaut (extrait du film The Alamo, 2004, © Buena
Vista International). 3ème
en partant de la droite, Davy Crockett, incarné par l'acteur Billy
Bob Thomson.
(https://dukewayne.com/index.php?thread/5906-the-alamo-movies-the-alamo-2004/)
|
Les
jours passent et les Mexicains parachèvent l’encerclement, tout en
bombardant régulièrement le fort. Petite à petit, les régiments
en marche rejoignent les troupes assiégeantes qui comptent
maintenant 300013
hommes.
Pendant
ce temps, du 1er au 4 mars, à Washington-on-the-Brazzos,
petite colonie 170 miles à l’Est, la convention des délégués
du Texas se réunit, proclame l’indépendance et rédige une
constitution. Elle élit enfin un gouvernement et proclame le général
Samuel Houston commandant de toutes les forces militaires texianes.
Fort de son autorité enfin reconnue, ce dernier, constatant qu’il
est trop tard pour évacuer Alamo, presse Fannin, à Goliad, de le
faire, car Santa Anna, en venant de San Antonio, pourrait le prendre
à revers.
Le
5 mars, alors que l’artillerie mexicaine entame lentement mais
sûrement le fort, Santa Anna, qui commence à s’impatienter,
décide d’un assaut général pour le lendemain. Il fait taire les
canons cette nuit là pour la première fois. Le Texians qui n’ont
pratiquement pas dormi depuis le début du siège vont alors se
laisser aller à un lourd sommeil… L’aube du 6 mars est à peine
levée que 1700 des soldats mexicains les plus expérimentés14
donnent simultanément l’assaut de toutes les directions,
escaladent les murs et submergent les défenseurs. S’ensuit un
massacre dans laquelle tous les combattants texians seront exécutés,
y compris Bowie sur son lit et Davy Crockett qui s’était rendu15.
Une
heure et demie après le début de l’assaut, toute est terminé. La
vie sauve est laissée aux femmes, aux enfants et à l’esclave de
Travis, qui ont la permission de partir librement pour annoncer la
terrible nouvelle aux colonies anglos. De leur côté les mexicains
comptent environ 600 tués et blessés16,
dont beaucoup vont mourir des suites de leur blessures dans les jours
suivants, leur armée ne disposant pas de service de santé digne de
ce nom.
Une
fois le fort investi, les rares prisonniers sont exécutes (extrait
du film The Alamo, 2004, © Buena Vista International).
(http://alchetron.com/The-Alamo-(2004-film)-13698-W)
|
Le chute de Goliad
Le
11 mars, Fannin, retranché au presidio La Bahia, rebaptisé
Fort Defiance, se décide à envoyer une compagnie, environ 60
hommes, pour aider à l’évacuation des familles vivant aux
alentours. Mais ceux-ci préfèrent aller terroriser les Tejanos des
environs non acquis à leur cause. Urruea, qui commence à investir
la région, va se servir du ressentiment ainsi créé pour obtenir
suffisamment de renseignements afin de leur tendre une embuscade. Ils
ne rentreront jamais à Fort Defiance. Sans nouvelles de ces
derniers, exhorté par Houston à évacuer le fort en direction de
Victoria derrière la rivière Guadalupe, Fannin décide enfin, après
une inexplicable inertie, de plier bagage le 18 mars, mais il ordonne
d’emporter les canons et tout le stock de fusils et de munitions.
Il n’y a pas assez de chevaux pour tirer tous les chariots et des
bœufs doivent être mis à contribution. Le 19 mars, enfin, un
immense convoi quitte lentement Fort Defiance et Goliad, avançant au
rythme des bovidés. Après seulement quelques miles, ils se rendent
comptent qu’ils sont suivis par la cavalerie ennemie …. En effet,
des Tejanos ont averti Urrea que la garnison texiane sortait du fort.
Ce dernier, maintenant à la tête de 1400 hommes grâce aux renforts
envoyés par Santa Anna après Alamo, ne pouvait rêver mieux :
alors qu’il se préparait à un siège difficile, voila que Goliad
est ville ouverte, le fort vide à qui veut le prendre, et sa
garnison ralentie et vulnérable en rase campagne.
Petit
à petit, les Texians voient avec angoisse se profiler la cavalerie
ennemie dans toutes les directions. Fannin fini par donner l’ordre
de former un carré, disposant un canon à chaque coin et les
chariots avec leur précieux chargement au centre. Leurs adversaires
se contentent de les empêcher de se remettre en marche en maintenant
un feu constant. Les rebelles ripostent, mais n’aillant pas prévu
suffisamment d’eau, ils ne peuvent bientôt plus refroidir leurs
canons qui deviennent inutilisables. Les Mexicains mettent alors en
batterie un obusier contre lequel la portée des fusils texians ne
peut rien faire, mais qui réalise des trouées sanglantes dans le
carré compact des troupes immobiles. Ces dernières creusent des
tranchées et entassent devant elles leurs bœufs et chevaux morts
pour se protéger. La nuit venue, les Mexicains organisent des
rotations pour maintenir la pression tout en reposant leurs hommes,
afin d’empêcher leurs adversaires de faire de même. Les Texians
n’ont plus d’eau et ne peuvent ni fermer l’œil, ni soigner
leur blessés. Le lendemain matin, Fannin demande à négocier avec
Urrea, qui lui répond que seule une reddition inconditionnelle des
rebelles est acceptable, mais qu’il promet d’intercéder en leur
faveur auprès de Santa Anna. Le colonel texian réunit alors ses
officiers, à qui il explique qu’il a négocié « les
meilleurs conditions possibles ». Les 350 texians survivants se
rendent et sont conduits à fort Defiance où ils sont enfermés.
Une
fois de plus, Urrea a fait montre de ses qualités tactiques :
renseignement, reconnaissance, mobilité et utilisation du terrain.
Il exploite les faiblesses adverses (pas ou peu de cavalerie,
indiscipline, manque de professionnalisme) et ne permet pas aux
Texians d’utiliser leur supériorité en portée et précision. En
revanche, on se demande ce que Fannin a appris à West Point17…
La
suite va tourner à l’horreur : Urrea écrit une lettre à
Santa Anna pour lui demander la vie sauve pour les prisonniers. Une
semaine après, la réponse ce dernier lui parvient, sans équivoque :
ils doivent tous être exécutés. Comme Urrea et ses proches
officiers répugnent à le faire, Santa Anna va personnellement en
donner l’ordre au capitaine qui commande maintenant le fort…
Fannin sera le dernier à être fusillé après avoir assisté à
l’exécution de ses hommes.
"Goliad
Massacre" dessiné par l'illustrateur Norman Mills pour un
magazine canadien au début des années 1900 (https://tshaonline.org)
|
Sauve qui peut !
Le
11 mars, Houston rejoint les 374 hommes qui gardent Gonzales derrière
la rivière Guadalupe. Apprenant le 13 mars par une rescapée
qu’Alamo est tombé le 6, il en déduit que Fannin ne pourra le
rejoindre à temps, c'est-à-dire avant que Santa Anna ne soit sur
lui. Il ordonne donc une nouvelle retraite derrière le Colorado et
envoie un messager à Fort Defiance pour indiquer le nouveau point de
regroupement. Mais le 23 mars, il reçoit la nouvelle et de la perte
du fort et de la garnison. Il est totalement pris de cours, car il
comptait sur le renfort des 400 hommes de Fannin pour pouvoir au
moins ralentir les Mexicains le temps que de nouvelles troupes
accourent de tout le Texas. La situation semble quasiment désespérée,
mais par son comportement sanguinaire, Santa Anna n’a réussi qu’à
provoquer l’unité des Texians, qui se battent tous pour la même
chose maintenant : survivre ! En revanche, il faut déjà
abandonner la ligne du Colorado franchie dès le 21 mars par les
Mexicains. Les volontaires affluent, portant les effectifs de l’armée
texane à près de 1400 hommes postés le long de la rivière
Brazzos. Contre l’avis de ses officiers, Houston ordonne de
poursuivre la retraite, ce qui laisse de nombreuses colonies anglo
sans défense, entraînant un véritable exode vers l’est du
Texas et la frontière avec la Louisiane, appelée « the
runaway scrape ». Cette fuite non préparée va se dérouler
sous la pluie, dans le froid, avec peu de provisions et va causer de
nombreuses victimes civiles. Mais Houston veut que son armée mette
autant de distance que possible avec les Mexicains pour pouvoir faire
une pause afin de se réorganiser et s’entraîner, ses effectifs
fluctuant constamment : des volontaires désertent pour protéger
leur familles, tandis que d’autres la rejoignent. De plus, il sait
que les Américains ont disposé des troupes à la frontière, même
si l’armée US est squelettique à l’époque (moins de 8000
hommes pour toute l’étendue de l’Union18).
Dans le pire des cas, en attirant les Mexicains derrière la
frontière, il est convaincu que son mentor et ancien chef dans
l’armé américaine, Jackson, maintenant président des Etats-Unis,
interviendra : « Je suis déterminé à poursuivre la
retraite et à me rapprocher aussi près d’Andrew Jackson et du
vieux drapeau que possible »19,
avoue-t-il dans ses mémoires.
Coup de chance à San Jacinto
Santa
Anna, qui s’enfonce dans le cœur du Texas, cherche à localiser
l’armée de Houston. A cette fin, il divise la sienne en plusieurs
forces afin de ratisser le pays. Il atteint le Brazzos avec la force
principale de 3400 hommes le 28 Mars. Peu après, il apprend que le
gouvernement du Texas, en fuite, se trouve à Harrisburg, à
seulement 30 miles de lui. Il ne veut pas laisser passer l’occasion
de le capturer et, prenant personnellement la tête d’une force
légère de 500 hommes, arrive sur les lieux le 15 Avril. Mais les
représentants du Texas sont déjà partis, et, après avoir incendié
la petite ville, il se prépare à rejoindre son armée en passant le
long de la rivère San Jacinto.
Le
18 Avril, Houston apprend, par un messager mexicain capturé, que
Santa Anna est à la tête d’une force réduite près d’Harrisburg
et remontant vers le gros de l’armée mexicaine. Une occasion comme
celle-ci ne se produit que rarement. Les 900 Texians les plus
valides prennent alors cette direction afin de lui barrer la route.
La manœuvre réussi, et Santa Anna, sentant le piège se refermer
sur lui, ordonne à ses soldats d’ériger des défenses autour de
son campement et demande des renforts de toute urgence. Le général
Cós parvient à le rejoindre avec 800 hommes et quelques canons
tandis que des escarmouches éclatent autour du camp. Les jours
passent et les Texians se demandent pourquoi Houston ne donne
toujours pas l’ordre de l’assaut… En fait, il fait couper la
route de Harrisburg qui aurait permis à la fois une retraite et une
arrivée de renforts, puis attend que les Mexicains s’installent
dans la routine. Enfin, Le 21 avril, il ordonne d’attaquer le camp
adverse à l’heure de la sieste. Santa Anna n’a pas jugé utile
de faire poster de suffisamment sentinelles et l’attaque texiane
n’est détectée qu’au dernier moment. La surprise mexicaine est
complète, et les rebelles investissent le camp en 18 minutes. Une
folie meurtrière s’empare alors d’eux et, aux cris de « Remember
Alamo, Remember Goliad ! », ils massacrent les soldats qui
essaient de s’enfuir. On compte 650 morts et plus de 700
prisonniers. Les rebelles ne déplorent que 9 morts et 30 blessés.
Santa
Anna est capturé le lendemain en tentant de s’enfuir habillé en
simple soldat. En échange de son retour sain et sauf au Mexique, il
doit signer un ordre de repli général de l’armée mexicaine et
une reconnaissance de l’indépendance du Texas, alors qu’Urrea et
les autres généraux n’ayant pas pris part à la bataille ont
encore largement les moyens de battre la petite armée texiane. Il y
a des journées qui décident du sort d’une guerre…
Mais
les décisions de Santa Anna n’engagent que lui. Ses généraux,
habitués à lui obéir, obtempèrent, alors que le gouvernement
mexicain le déchoit de ses titres et considère toujours le Texas
comme faisant partie du Mexique, ne perdant pas espoir de le
récupérer un jour.
La République du Texas
Samuel
Houston est élu premier président de la République du Texas, qui
adopte le drapeau à une étoile jaune sur fond bleu (« Lone
Star Flag », qui sera modifié en 1839) et déclare
unilatéralement que sa frontière sud est représentée par le Rio
Grande.
Drapeaux
de la République du Texas : utilisés successivement de 1836 à
1839 (à gauche), et de 1839 à 1845 (à droite).
(https://tshaonline.org/handbook/online/articles/mzr02)
|
Une
fois les Mexicains retirés, en mai 1836, la situation est
préoccupante : de nombreuses familles ont tout perdu lors de
l’exode de 1836, et le pays est complètement désorganisé. Les
Indiens, qui se sont toujours considérés comme expulsés de leur
terre par les Anglos, en profitent pour intensifier leurs raids. En
1840, les Comanches, au nord du pays, furieux suite à une tentative
d’échange de prisonniers tournant au bain de sang, vont même
descendre la vallée du Brazzos jusqu’à l’océan Atlantique,
saccageant tout sur leur passage, tuant et capturant des dizaines
d’habitants. Ils vont devenir la préoccupation majeure en matière
de sécurité pour les années à venir. Les célèbres « Texas
Rangers », sorte de police d’état, créés
confidentiellement avant la guerre, vont être officialisés et leur
effectif augmenté par Houston (150 hommes en 1841). Leur mission
principale est de patrouiller les régions « à risque »,
pour prévenir des dangers : le Nord-Est par lequel arrivent les
raids indiens, le Sud pour avertir d’un éventuel retour offensif
mexicain. Mais à part cette petite force nationale, le principe
d’une armée régulière a fait long feu face à l’individualisme
forcené des Texians, et on revient à des milices locales.
Devant
cette situation d’extrême vulnérabilité, beaucoup d’habitants
souhaiteraient voir le Texas rejoindre les USA. Mais les Etats du
Nord ne veulent pas d’un nouvel Etat esclavagiste dans l’Union,
qui plus est criblé de plusieurs millions de dollars de dettes
contractées depuis la guerre. Le Texas va vivre ainsi plusieurs
années en autonomie politique, jusqu’en 1845.
Les
Texians vont « régler » la question indienne au cours de
3 « victoires » décisives (on devrait plutôt parler de
massacres) sur les Cherokees (1839), les Comanches (1840, bataille de
Plum Creek) et les Caddos alliées aux Tonkawas (1841). Par la suite,
décimés et littéralement expulsés du territoire, les Indiens
n’essaieront plus de récupérer leurs terres, mais l’insécurité
restera toujours présente pour plusieurs dizaines d’années
encore, surtout pour les fermes isolées.
Attaque
d’un village d’hiver Comanche par les Texas Rangers peu après la
bataille de Plum Creek.
(http://sagaofatexasranger.com/texas-history-photos-page-4/)
|
L’afflux
de colons entraîne une augmentation rapide de la population: de
50 000 habitants fin 1836 (dont 5000 esclaves)20,
on passe à 250 000 en 184021.
Les grandes plantations de coton s’étendent et la production est
multipliée par 10 entre 1834 et 183822.
Le nombre d’esclaves croit rapidement : déjà 30 000 en
1845, ils seront le double en 1850, pour atteindre plus de 30% de la
population dans les années suivantes23.
Les
« vieilles » nations européennes s’engouffrent dans le
vide diplomatique laissé par les Etats-Unis : La France de
Louis-Philippe reconnaît en 1839 ce nouvel Etat, y voyant un moyen
de faire contre-poids à l’hégémonie américaine sur le
continent, et y ouvre une représentation diplomatique. La
Grande-Bretagne, qui vient d’interdire l’esclavage dans tout son
empire, ne le reconnaît pas officiellement mais, pragmatiquement,
ouvre des relations commerciales afin de diversifier ses
approvisionnements en coton pour son industrie textile en plein
essor.
Les Mexicains reviennent !
Le
Mexique n’accepte toujours pas l’indépendance du Texas et les
escarmouches frontalières sont monnaie courante. En 1842, Le général
mexicain Ráfael Vásquez entre au Texas avec 700 hommes, repousse
les maigres forces texianes sur sa route, et prend Goliad et San
Antonio. Il y fait dresser le drapeau mexicain et proclame le retour
des lois mexicaines. Mais, ne recevant pas de renforts, et ne pouvant
tenir le pays avec si peu d’hommes, il repart le 7 mars, direction
Mexico.
La
même année, en septembre, un autre général mexicain, Adrián
Woll, d’origine française (ancien officier dans l’armée
napoléonienne ayant émigré à la restauration), envahi à nouveau
le Texas, cette fois avec 1000 fantassins et 500 cavaliers, renforcés
d’une centaine de Tejanos et de quelques éclaireurs Comanches24.
Il parvient à prendre par surprise San Antonio (encore !).
Les
Texians de la région forment une milice d’environ 200 hommes et
accourent vers la ville, occupée par l’infanterie mexicaine,
pendant que la cavalerie est partie ratisser le pays. Le rapport de
force numérique est de 5 contre 1 en faveur des Mexicains. La milice
texiane ne peut donc les attaquer de front, mais va intelligemment
utiliser ses points forts (portée supérieur de ses fusils, maîtrise
du tir embusqué) et contraindre l’adversaire à faire ressortir
ses points faibles (portée inférieure, tactiques d’attaque en
ordre serré périmées, cavalerie occupée ailleurs) : elle se
poste au nord de San Antonio sur un léger promontoire face à un
vaste espace dégagé, et protégé sur ses flancs par des bois. Le
18 septembre, les Mexicains, sûrs de leur force, vont mordre à
l’hameçon et attaquer à découvert, en belles colonnes bien
compactes du plus bel effet, marchant au pas cadencé par leur
musique … Les volées des Kentucky rifles vont y faire des ravages,
tandis qu’une attaque de flanc à travers les bois est stoppée net
par des tireurs embusqués25.
Suite à cette victoire défensive, connue sous le nom de « bataille
de Salado Creek », les Mexicains démoralisés quittent le pays
en bon ordre, talonnés par des Texians qui ne vont pas réussir à
transformer la retraite mexicaine en déroute : leurs habituels
points faibles, les empêchant d’être efficace en attaque :
manque de discipline et difficulté à manœuvrer avec cohésion.
En
1845, au congrès des Etats-Unis, une majorité plus favorable que
par le passé à l’entrée du Texas dans l’Union accède à sa
demande, qui est officialisée le 29 décembre : Il en devient
le 28ème Etat, et les Texians, petit à petit, seront
appelés « Texans » par l’ensemble des Américains. Le
Mexique, qui considère de ce fait que les Etats-Unis lui ont annexé
des territoires lui appartenant, y voit un casus belli. Dans quelques
mois, une nouvelle guerre, d’une toute autre dimension, va éclater…
Conclusion
Finalement,
ce « désert » qu’était le Tejas n’était pas si
vide que ça … Les Espagnols puis les Mexicains s’y sont
installés en tentant d’en chasser leurs premiers habitants, les
Indiens. Les Anglos-américains ont ensuite poussé tout le monde
pour y faire leur place, avec de lourdes pertes. Et le grand gagnant
de l’affaire est le puissant voisin du Nord, les Etats-Unis. Grâce
à tout cela, ils vont avoir en 1846 l’occasion idéale de dépecer
le Mexique, bien au-delà du Texas …
Dans
cette histoire, le mythique siège d’Alamo n’est finalement pas
une bataille décisive, mais juste une défaite texiane, et pas la
pire d’entre elles : en terme de conséquences stratégiques,
la chute de Goliad en a beaucoup plus. Par contre, la conduite
sanguinaire de Santa Anna à Alamo lors de son avancée au cœur du
Texas a soudé les Texians entre eux et amené à leur unité, ce qui
a permis leur victoire à San Jacinto.
Sam
Houston, le vainqueur de cette bataille, devenu premier président de
l’éphémère République du Texas, devient par la suite gouverneur
de cet Etat au sein de l’Union. Quand les Etats du Sud (dont le
Texas) se soulèvent contre celle-ci en 1861 pour conserver leur
société esclavagiste, Houston refuse de s’y associer et est démis
de son poste par ses compatriotes. Cet ami de l’ancien président
Andrew Jackson a toujours placé la fidélité « au vieux
drapeau » de l’Union au-dessus de tout. Devant les
parlementaires sécessionnistes qui le forcent à se retirer, il
tient alors ces paroles prophétiques :
“Laissez-moi
vous dire ce qui va arriver. Après le sacrifice de centaines de
milliers de vies et la perte de millions de dollars, vous pourrez
peut-être gagner l’indépendance pour les Etats du Sud, si Dieu
n’est pas contre vous, mais j’en doute(…). Je vous dis que le
Nord est déterminé à préserver l’Union. Ce ne sont pas des gens
ardents et impulsifs comme vous, car ils vivent sous des climats plus
froids. Mais quand ils décident de prendre une direction, ils le
font avec la détermination et la persévérance d’une avalanche et
ce que je crains, c’est qu’ils submergent le Sud. »26
Bibliographie
Origines
et peuplement
- J. C. Edmondson, Alamo Story: From Early History to Current Conflicts, Taylor Trade Publications
- Martha Manchaca, Recovering History, Constructing Race: The Indian, Black, and White Roots of Mexican Americans, Austin, University of Texas Press, 2001
Esclavage
- Alwyn Barr, Black Texans: A history of African Americans in Texas, 1528–1995
Articles tirés de
journaux d'époque
- La Revue des deux mondes, tome 2, Société typographique belge, Bruxelles, 1840
Révolte et guerre
d'indépendance de 1835-1836
- Stephen L.Hardin, Texian Illiad – A military history of the texas revolution 1835-1836, University of Texas Press, Austin , 1994
- Stephen L. Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s campaign, Osprey Publishing, 2001
- Frederic Ortolland, La guerre d’indépendance du Texas, In : Champs de bataille n°30
- Alain Sanders, Remember the Alamo, de la légende à l’histoire, Editions de Paris, 2006
Site internet de
référence sur l'histoire du Texas
- The Texas Historical Association, the Hanbook of Texas online (https://tshaonline.org)
Bataille de Salado
Creek (1842)
- Major Nathen Jennings, The Texas Republic’s victory at Salado Creek, 1842, In: Infantry magazine October-December 2015, pp. 67-70
1
J. C. Edmondson, Alamo Story: From Early
History to Current Conflicts, Taylor Trade
Publications, 2000, p75
2. Cette guerre (1812-1815), déclarée par les Etats-Unis, a vu le
commerce extérieur de ces derniers ruiné par le blocus de la Royal
Navy, entraînant une hausse des prix des productions locales… qui
sont vite retombés quand l’activité commerciale a repris dans
les années qui suivirent.
3.
Martha Manchaca,
Recovering History, Constructing Race:
The Indian, Black, and White Roots of Mexican Americans,
Austin, University of Texas Press, 2001, page 201
4.
Alwyn Barr,
Black Texans: A history of African
Americans in Texas, 1528–1995,
Norman (Oklahoma), University of Oklahoma Press, 1996, page 17
5.
La Revue des deux mondes, tome 2, Société typographique belge,
Bruxelles, 1840, p. 199
7.
Le Kentucky rifle, fusil à silex à un coup, possède un long canon
rayé, qui lui permet d’avoir une portée et une précision très
supérieure à la plupart des autres fusils alors en service, qui
sont à canon lisse.
8. Stephen L.Hardin, Texian Illiad – A military history of the texas
revolution 1835-1836, University of Texas Press, Austin , 1994
9.
Frederic Ortolland, La guerre d’indépendance du Texas, In :
Champs de bataille n°30, p54
10.
Stephen L. Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s
campaign, Osprey Publishing, 2001, p. 19
11.
Stephen Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s
campaign, Osprey Publishing, 2001, pp. 28-29
12.
Ibid., p. 36
1 3.
Alain Sanders, Remember the Alamo, de la légende à l’histoire,
Editions de Paris, 2006, p.41
14.
Stephen Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s
campaign, Osprey Publishing, 2001, p. 37
15.
Alain Sanders, Remember the Alamo, de la légende à l’histoire,
Editions de Paris, 2006, p.183
16.
The Texas Historical Association, the Hanbook of Texas online,
“Battle of the Alamo” (https://tshaonline.org)
17.
Admis dans la prestigieuse école militaire en 1819, Il la quitte
prématurément en 1821 avant d’avoir eu son diplôme (source :
The handbook of Texas,
https://tshaonline.org/handbook/online/articles/ffa02)
18.
Vincent Bernard, Tuniques bleues : les cavaliers de la frontière,
In ; Science et Vie Guerres et Histoire n°30, p. 55
19.
Stephen Hardin, Angus Mc Bride, The Alamo 1836, Santa Anna’s
campaign, Osprey Publishing, 2001, p. 73
20.
Texas State Historical Association, The Handbook of Texas online,
Republic of Texas
21.
La Revue des deux mondes, tome 2, Société typographique belge,
Bruxelles, 1840, p. 219
22.
Ibid., p 220
23.
The Texas Historical
Association, the Hanbook of Texas online, “Slavery”
(https://tshaonline.org)
24.
Major Nathen Jennings, The Texas Republic’s victory at Salado
Creek, 1842, In: Infantry magazine October-December 2015, p. 68
25.
Ibid., p. 70
26.
Haley, James l., Sam Houston, Norman: University of Oklahoma Press,
2004, pp. 390–391
Bonjour,
RépondreSupprimerVotre article est très intéressant, merci.
On parle donc de "texian" lorsque l'Etat était indépendant et de "texan" lorsqu'il est intégré aux Etats Unis d'Amérique?
Cordialement
Bonjour,
RépondreSupprimerRavi que cet article vous ai plu.
Historiquement les "Anglos" installés au Texas s'appelaient entre eux "Texians". A partir de leur intégration dans L'Union, ils ont été appelés "Texans" par les habitants des autres Etats, jusqu'à utiliser petit à petit ce terme entre eux. Mais les 2 ont cohabité de nombreuses années.
Cordialement,
L'auteur.