jeudi 5 septembre 2013

Internationalistes en Yougoslavie: les volontaires étrangers en Croatie, 1991-1995.


Depuis le soutien apporté par Lord Byron aux insurgés grecs en révolte contre les Ottomans pour conquérir leur indépendance, les guerres de libération nationale en Europe ont toujours connu leur flot de volontaires étrangers venus au secours de la liberté menacée. A partir du XXe siècle ce volontariat prend également une dimension idéologique symbolisée par la formation des Brigades internationales lors de la guerre civile espagnole entre 1936 et 1938. Le dernier conflit militaire sur le sol européen, celui qui ensanglanta la Yougoslavie dans les années 1990, possède à la fois une composante nationale et idéologique propice à l'arrivée de volontaires venus du monde entier. C'est ainsi qu'environ 2 000 volontaires musulmans et non-musulmans s'engagent dans l'Armija BiH, l'armée du gouvernement de Bosnie-Herzégovine tandis que des Russes, des Ukrainiens, des Roumains et des Grecs rejoignent l'armée serbe et surtout les troupes de la République serbe de Bosnie.

La Croatie n'attire pas plus de volontaires que ses adversaires mais ceux-ci sont souvent décrits soit comme des mercenaires, soit comme des militants de l'extrême-droite. Il est évident que les anciens volontaires dans les forces croates refusent ces adjectifs et se définissent avant tout comme des soldats au service de l'indépendance et de la liberté du peuple croate. C'est au final prés de 500 volontaires étrangers venant de 35 pays qui auraient combattu dans les formations croates que ce soit la Garde nationale croate (ZNG), l'armée croate (HV), la Ligue de défense croate (HOS), la Force de défense croate (HVO) puis à partir de 1992 dans les forces croates déployées en Bosnie.

Loin des condamnations et des apologies, étudier les volontaires étrangers en Croatie peut permettre de mieux comprendre un phénomène militaire, à la fois original mais très présent dans tous les conflits, le volontariat.

David FRANCOIS




L'arrivée en Croatie.
En 1989, l'érosion du titisme dans la Yougoslavie socialiste permet l'émergence de formations politiques nationalistes dans les différentes républiques, notamment en Croatie. En mai 1990 les premières élections libres se déroulent en Slovénie et en Croatie malgré l'hostilité du pouvoir central yougoslave où les Serbes dominent. La victoire du parti nationaliste de Franjo Tudjman inquiète à Belgrade. Le 19 mai, à l'occasion d'un référendum, les Croates plébiscitent l'indépendance qui devient officielle le 25 juin, le jour où la Slovénie proclame également son indépendance.

La montée en puissance du nationalisme croate ne peut qu'inquiéter la minorité serbe de Croatie, minorité particulièrement importante dans la région de la Krajina. Les Serbes de Croatie proclament alors unilatéralement leur autonomie et entament des actions militaires contre les autorités croates. En aout 1990, pour empêcher la tenue d'un référendum organisé par cette minorité, la police croate intervient pour perturber le scrutin. En réponse les Serbes bloquent les routes avant de proclamer l'indépendance de la République de Krajina. Le gouvernement croate ne peut évidemment accepter cette sécession et Tudjman décide de mettre sur pied une force armée croate, la Garde nationale. 

L'armée populaire yougoslave, où les Serbes dominent après le départ des Croates et des Slovènes, veut s'opposer par la force à la désintégration de la Fédération yougoslave. Après un court conflit à la fin juin et au début juillet, elle abandonne la Slovénie. Mais, avec le soutien des Serbes de Croatie, l'armée yougoslave progresse en territoire croate. Grâce à sa supériorité en armement et équipement elle assiège rapidement les villes croates. En août 1991 commence ainsi le siège de Vukovar tandis que le front se rapproche des villes d'Osijek et de Vinkovci. Le 5 octobre le président Tudjman appelle l'ensemble de la population à se mobiliser contre l'agression serbe tandis que commence le siège de Dubrovnik sur la cote dalmate.

Il est indéniable qu'à ce moment la guerre en Croatie stimule l'activisme d'une frange de l'extrême-droite qui souhaite partir combattre dans les Balkans. L'engagement militaire n'est pas une nouveauté dans ce champ du spectre politique. Des militants se sont en effet engagés dans les années 1980 au Liban dans les milices chrétiennes, mais aussi en Birmanie auprès de la minorité catholique Karen en rébellion contre le gouvernement bouddhiste, en Angola dans les rangs de l'UNITA qui combat le régime marxiste soutenu par Cuba, certains même sont partis en Afghanistan soutenir les Moudjahidines contre les Soviétiques. 

Les premiers volontaires issus de cette mouvance arrivent en Croatie à l'été 1991 quand des organisations humanitaires liées à l'extrême-droite ou au monde catholique organisent des convois pour venir en aide à la population croate. Certains des accompagnateurs décident de rester dans le pays pour s'engager dans les différentes milices qui voient alors le jour. Puis, selon le magazine antifasciste REFLEXes1, à la fin de 1991 ces premiers volontaires sont rejoints par des nouveaux arrivants venus de la région Rhône-Alpes et de la région niçoise qui s'engagent dans la Légion noire croate de Mladen. Leur point commun est d'être membre de l'organisation néo-fasciste Nouvelle Résistance. Mais ces Français qui comptent dans leurs rangs d'anciens parachutistes et un ancien combattant de l'UNITA angolaise ne restent que quelques mois en Croatie.

Selon la même source2, en novembre 1991, Michel Faci et Nicolas Peucelle se rendent en Croatie et entrent en contact avec le Parti du peuple croate, une organisation qui se revendique de l'héritage oustachi3. Ce parti possède une branche armée la Force de défense croate (HOS) dans laquelle s'engagent les deux Français qui sont envoyés avec d'autres compatriotes à Vinkovci dans une unité, la brigade Condor, qui compte entre 60 et 90 combattants dont des Allemands, des Autrichiens, des Belges et des Britanniques. Au sein de cette unité Faci créé un groupe spécial qu'il baptise Jacques Doriot4. Faci participe aux combats à la fin de l'année 1991 et au début de 1992 puis il rentre en France avant de revenir en Croatie où il est blessé en décembre 1992.

Les filières d'engagement en Croatie sont diverses. Contrairement aux Brigades internationales en 1936 ou à l'organisation Mahal pour les forces armées israéliennes il n'existe pas de structures dédiées au recrutement de volontaires étrangers pour la Croatie. Ces derniers doivent pour s'enrôler soit rejoindre le quartier général de l'armée croate à Zagreb, soit rejoindre directement une unité sur le front. Au début du conflit les Croates ne s'attendent pas à voir arriver des volontaires étrangers et ne savent pas quoi faire d'eux. Les premiers engagements se font dans l'improvisation. Le Britannique Steve Gaunt qui arrive à Zagreb croise par hasard dans la rue une milice en armes et fait part aux miliciens surpris de son intention de les rejoindre. L'ancien officier américain Rob Krott quand à lui cherche à son arrivée à Zagreb le siège de la brigade internationale qu'il ne trouve puisque cette dernière n'existe pas5. C'est donc le hasard qui préside le plus souvent à l'incorporation des volontaires dans certaines formations plus qu'une connaissance fine de la politique croate. Le siège de la HOS, la formation militaire du Parti croate ultra-nationaliste, se trouvant prés de la gare de Zagreb elle recrute à cause de cela de nombreux volontaires qui débarquent en train et qui ne connaissent rien à la couleur politique de la formation où ils s'engagent.

Un dernier moyen de rejoindre le front croate se fait à travers l'engagement dans des unités directement recrutées à l'étranger. La première de ces unités est composée de Néerlandais. En 1991, la Nederland Kroatische Werkgemeenschap (communauté de travail néerlandais-croate), une organisation de droite, fait paraître une annonce dans la presse pour recruter des volontaires en posant comme unique condition la possession d'au moins 14 mois d'expérience militaires. Les 32 volontaires qui se présentent sont alors conduit en Croatie par autobus. Ils arrivent à la mi-septembre pour former le noyau de la première unité de volontaires néerlandais dirigée par un officier, Johannes Tilder, qui sera par la suite capturé par les Serbes et mourra en captivité6. En décembre 1992, le magazine américain Soldier of Fortune, envoie une équipe de 8 soldats pour former les troupes croates en Bosnie occidentale. Parmi eux se trouve le rédacteur en chef du magazine, un ancien lieutenant-colonel, ainsi qu'un vétéran des forces spéciales de la Rhodésie7.


L'offensive de l'armée yougoslave en Croatie en 1991 (source wikipedia)



Les combats en Croatie.
Ces premiers volontaires participent à la défense de la ville assiégée de Vukovar dans les premiers mois de la guerre tandis que d'autres se retrouvent en Slavonie orientale ou dans la Krajina. C'est au sein de la HVO que se forme à la fin de 1991 une première unité spécifiquement internationale. Elle doit sa naissance à un personnage hors du commun, Eduardo Flores8. Né en Bolivie d'une mère espagnole et d'un père hongrois ce dernier grandit derrière le rideau de fer à Budapest où il milite au sein des Jeunesses communistes. En 1988 Flores commence à travailler comme journaliste dans un journal de droite de Barcelone. Pour ce journal il couvre en particulier les événements en Hongrie mais aussi dans la Slovénie voisine. Fin août 1991 il se rend en Croatie et s'engage dans la HVO. Il se retrouve alors cantonné prés de la frontière serbe avec un Américain d'origine croate Johnny Kosic et un membre de la minorité hongroise de Croatie pour fonder une brigade internationale. Le 3 octobre cette brigade est officiellement reconnue par le gouvernement croate. Elle se développe rapidement et accueille des volontaires aux origines et aux spécialités diverses comme un Portugais tireur d'élite, un Espagnol spécialiste en explosif et un Gallois ancien de la Légion étrangère. 


T55 de l'armée croate en action (source: wikipedia)


Le Français Gaston Besson, chercheur d'or en Guyane à 16 ans puis combattant chez les Karens est un homme en errance quand il part se battre en Croatie en novembre 1991 pour y rester jusqu'en février 1993. Il se retrouve au départ à Vinkovci pour faire un reportage. La ville est alors sur le point de tomber aux mains des Serbes tandis que les miliciens croates, qui n'ont aucune expérience militaire, sont taillés en pièces. Besson, fort de son expérience militaire, rejoint les commandos du 6e bataillon du HOS pour participer à des coups de main contre les Serbes. Il participe aux violents combats de la fin 1991 et le groupe de 12 hommes qu'il commande se fait décimer au début de 1992 lors d'une opération nocturne: il n'y a que deux survivants9.

Pour desserrer la pression serbe, les forces croates lancent une contre-attaque en novembre 1991 qui permet d'avancer de 270 km entre les montagnes de Bilogora et de Papuk. Pendant ce temps la situation se détériore à Vukovar et la ville tombe le 18 novembre après trois mois de siège. Jean-Michel Nicollier, un volontaire français parti se battre sans motivation politique affirmée mais plutôt par goût de l'aventure est du nombre des assiégés. Il est blessé lors de la défense de la ville puis tombe aux mains des Serbes après la reddition. Il est alors conduit à l'hôpital de la ville où il est filmé par une équipe de télévision étrangère avant d'être évacué avec d'autres blessés et exécuté sommairement dans la plaine d'Ovcara. En décembre 1991, les Croates reprennent l'offensive lors de l'opération Orkan et réoccupent prés de 1440 km². Mais le 3 janvier un cessez-le-feu est conclu sous l'égide de la communauté internationale tandis que le 15 janvier la Croatie est officiellement reconnue comme État indépendant par l'Union européenne. La FORPRONU s'installe ensuite en Croatie pour s'interposer entre les adversaires tandis que l'armée yougoslave se retire en Bosnie.


Jean-Michel Nicollier prisonnier à l'hôpital de Vukovar peu avant son exécution (source: croatia.org.).


Au début de 1992, le président croate Franjo Tudjman désire recevoir le soutien des Occidentaux pour reconstruire son pays. Pour donner des gages concernant l'ancrage démocratique et européen de la Croatie il décide de purger les forces armées des groupes ouvertement néo-fascistes. En février 1992 le leader du Parti du peuple croate est inculpé de terrorisme et ses lieutenants sont arrêtés. Gaston Besson, toujours soldat au sein de la HOS, raconte qu'aprés les durs combats de novembre et décembre 1991, les autorités lancent l'offensive contre la HOS. Cette dernière reçoit alors moins d'armes tandis que son quartier général à Zagreb est victime d'une explosion. A la dissolution du HOS les volontaires sont versés dans la Garde nationale croate (HVO).

La fin de la guerre en Croatie avec le cessez le feu du début de 1992 marque un tournant pour les volontaires étrangers. Dans un pays en voie de normalisation ils ont de moins en moins de place. Il ne faut pas non plus oublier la méfiance dont ils sont l'objet de la part des autorités croates. Au printemps 1992, le commandement de l'armée, demande qu'ils soient démobilisés sans exception et essayent de se débarrasser d'eux. Pour ces militaires, anciens cadres de l'armée yougoslave, les volontaires ne sont rien d'autre que des mercenaires de la pire espèce. Ils sont donc nombreux à être alors démobilisés et à rentrer chez eux.


La guerre se poursuit en Bosnie-Herzégovine.
Mais l'ex-Yougoslavie n'en a pas finie avec la guerre. Le conflit se propage en effet à partir de 1992 en Bosnie-Herzégovine quand cette République proclame son indépendance en mai  Dans cette région le combat se joue entre trois parties: les Bosniaques musulmans, les Croates catholiques et les Serbes orthodoxes. Si les deux premiers groupes oscillent entre hostilités entre eux et alliance, l'adversaire irréductible reste la minorité serbe qui reçoit là encore le soutien de la Fédération yougoslave dirigée par Slobodan Milosevic. Une partie des volontaires étrangers qui se sont battus dans les forces croates rejoignent à ce moment ce nouveau front pour combattre au sein des unités paramilitaires croates dans le corridor de Posavina, dans le nord autour de Donji Vakuf, en Bosnie centrale et dans le sud en Herzégovine. Ils servent principalement comme fantassins ou dans les forces spéciales tandis que quelques-uns sont instructeurs pour les troupes croates.

Volontaires britanniques (sources: USDDR.org)


En juin 1992, l'unité internationale de Flores est amalgamée à la 108e brigade bosniaque qui compte déjà un groupe composé d'Allemands, d'Anglais, de Canadiens et de Français. Cette brigade, qui aurait été commandé par un Parisien vétéran de la Birmanie, a alors pour mission de couper les lignes de ravitaillement serbes à Markovic Plje et d'ouvrir un passage entre la Croatie et la Bosnie. Mais face à des forces supérieures en nombre et mieux armées ils ne peuvent que retarder l'avance serbe. Parmi cette brigade se retrouve un autre Français engagé en Croatie devant Noska avant de rejoindre en janvier 1992 la brigade internationale de Flores à Osijek . En mars il part en Bosnie où il forme une unité composée de Croates de Bosnie. En avril ce groupe se bat devant Brcko dans le nord du pays. Dans l'été ce volontaire français intègre la 108e brigade avant de trouver la mort le 26 décembre 1992 prés de Markovic Polje.

En mars 1992, Gaston Besson qui se trouve à Zagreb reçoit le commandement d'une unité spéciale les bérets verts qui se rendent en Herzégovine. Là il commande une section de 30 hommes dont la plupart sont des Croates qui viennent des États-Unis, d'Australie et même de France. Il n'y a que trois véritables étrangers présents: un Hollandais, un Anglais et un ancien sergent français de la Légion. Pour Besson les volontaires qu'il croise de 1991 à 1994 sont souvent d'anciens militaires dont de nombreux légionnaires. Politiquement il rencontre des hommes de droite et de gauche mais très peu de néo-nazis. S'il croise environ 500 étrangers il estime n'y en a qu'une soixantaine en permanence sur le front. Au final l'image qu'il donne du volontaire étranger est celle d'un trentenaire qui ne reste que deux ou trois mois sur le front10
 
Les guerres de l'ex-Yougoslavie ont été aussi l'occasion d'une multitude d'exactions et de persécutions contre les populations, les crimes de guerre faisant ainsi un retour en force sur le continent européen. Il n'est pas facile de déterminer le rôle des volontaires étrangers dans ces crimes. Aux Pays-Bas 13 anciens volontaires furent soupçonnés de crimes de guerre tandis que le Suèdois Jackie Arklöv est condamné dans son pays pour des crimes de guerre commis en Bosnie. Gaston Besson admet quand à lui avoir exécuté deux prisonniers serbes, il a également assisté à des exécutions et confirme que dans chaque camp l'usage était d'achever les blessés ennemis. Il avoue même avoir tiré sur les casques bleus prés de Mostar afin de les faire partir et reprendre ainsi le combat contre les Serbes.


Qui sont les volontaires étrangers ?
Les motivations pour partir se battre dans l'ex-Yougoslavie et s'engager dans les forces croates sont difficiles à établir. Il y a presque autant de raisons de s'engager que de volontaires tant cette décision est lourde de sens et se prend dans l'intimité d'un parcours personnel loin des justifications qui se forgent a posteriori. Chagrin d'amour, désœuvrement, problèmes avec la justice, autant de raisons qui n'ont rien à voir avec les raisons du conflit yougoslave mais qui poussent des jeunes, la plupart des volontaires sont des hommes jeunes, célibataires, dans la vingtaine ou la trentaine, à tout quitter et à prendre le train pour Zagreb.


Volontaires dans la 108e brigade (source: USDDR.org)


A des motifs personnels se mêlent aussi régulièrement des raisons idéologiques. Beaucoup de volontaires souhaitent en effet combattre le communisme qu'ils assimilent aux Serbes. Ces idéalistes veulent s'inscrire dans une lignée qui remonte à 1917, au nom d'une défense de l'Occident contre une Fédération yougoslave considérée comme le dernier bastion communiste en Europe. Le souvenir des Oustachis n'est pas absent dans cette mythologie qui oublie que Milosevic n'est pas Tito et que les Serbes sont alors autant nationalistes que les Croates. Pour certain il s'agit aussi de défendre la foi catholique contre l'Orthodoxie. 
 
Cela ne signifie pas que tous les volontaires se définissent par leur appartenance à la droite. Certain, comme le Français Jean-Michel Nicollier, n'ont pas de véritables engagements politiques alors que Gaston Besson se revendique de l'anarchisme et que des Britanniques sont travaillistes. Des volontaires s'inscrivent délibérément dans l'héritage des Brigades internationales de la guerre civile espagnol. Dans le film autobiographique « Chico » le spectateur peut lire sur les murs d'un village croate en ruine le slogan No Pasaran tandis que le héros Eduardo Flores, issu d'une famille communiste parle à ses hommes des Brigades internationales et cite des discours de la Pasionaria11.

Une raison souvent avancée par de nombreux volontaires pour justifier leur démarche est leur indignation face à l'indifférence de la communauté internationale face à la guerre en Croatie. Besson, qui se rend d'abord en Croatie comme photo-journaliste, se dit révolté par la tragédie qui se déroule au cœur de l'Europe et décide alors de prendre les armes. Pour ces volontaires leur engagement est une façon de compenser ce qu'ils pensent être la lâcheté de leur pays qui abandonnent à la destruction une petite nation qui lutte pour sa liberté.

Si les motivations pour s'engager dans les forces croates sont diverses les volontaires possèdent néanmoins un point commun, une attirance pour la chose militaire. De nombreux volontaires français, britanniques ou néerlandais ont une expérience militaire tandis que la plupart des Américains sont d'anciens militaires. Se retrouvent ainsi en Croatie des anciens de la guerre du Golfe, de la guérilla des Karens, des déserteurs de l'armée britannique et de la Légion étrangère, tous désireux de participer à une vraie guerre. Ceux qui n'ont pas d'expérience militaire sont généralement issus de familles de tradition militaire ou bien ont essayé de s'engager dans le passé.

Une fois en Croatie les volontaires ont tendance naturellement à se regrouper autour des premiers arrivés. Quand cela est possible ils cherchent également à servir dans des groupes linguistiquement homogènes ce qui facilite à la fois la communication et le commandement. Dans certaines régions où le nombre de volontaires est élevé comme en Slavonie orientale ou dans la Posavina des étrangers commandent des petites unités internationales comme celle d'Eduardo Flores. En Bosnie occidentale un groupe de 17 volontaires norvégiens et suédois forme un peloton nommé Viking au sein d'une brigade du HVO. Souvent les volontaires portent des insignes de béret ou des insignes propre à l'armée des pays dont ils viennent et qui les identifient vis-à-vis des autres12



Un tank serbe détruit (source wikipedia)


Mais les volontaires cherchent aussi à s'intégrer dans leur nouvel environnement. Beaucoup choisissent l'unité où ils vont servir et n'hésitent pas à passer d'une formation à une autre afin de trouver celle où ils pourront le mieux s'intégrer. De nombreux volontaires font aussi l'effort d'apprendre le croate et il semble que les Néerlandais soient les plus doués pour cet apprentissage jouant par la suite le rôle de médiateurs entre les Croates et les volontaires.

Le rôle militaire des volontaires dans le déroulement du conflit est minime. S'ils sont souvent considérés comme des soldats d'élite et participent aux missions les plus dangereuses, notamment les raids derrières les lignes ennemies, ils ne sont qu'une poignée dans un conflit qui engage plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Certains volontaires sont utiles par leur expertise de la chose militaire à l'instar de Willy Van Noort, ancien colonel de l'armée néerlandaise, qui forme de nombreuses unités croates. Mais la présence des volontaires joue un rôle important pour soutenir le moral des combattants croates. Ces derniers ont souvent le sentiment d'être isolés et abandonnés par le reste du monde. La présence d'étrangers à leurs cotés atténue ce sentiment puisqu'ils démontrent que le monde n'oublie pas ce qui se passe en Croatie. 

Cette camaraderie joue un rôle crucial dans la poursuite de l'engagement des volontaires. Gaston Besson souligne qu'au sein des unités du HOS il s'est battu aux cotés de Croates mais également de Serbes et de Bosniaques13. C'est la solidarité avec ces derniers qui le pousse et d'autres volontaires à rejoindre ces derniers en Bosnie quand la guerre y éclate. La camaraderie apparaît ainsi comme plus importante que la politique ou l'idéologie dans l'engagement dans telle ou telle unité.

Si la soif d'action est appréciée en première ligne elle se traduit le plus souvent à l'arrière par l'abus d'alcool et des bagarres. Certains volontaires n'hésitent pas d'ailleurs à se livrer au pillage. Il est impossible de déterminer si ces violences sont le fruit d'une brutalisation, conséquence de la guerre, ou de tempéraments criminels présents avant la guerre. Ces comportements entachent évidemment l'image des volontaires auprès de la population mais aussi des autorités militaires qui décident alors, avec l'aide de volontaires de confiance, de filtrer les nouveaux arrivants. Certains portraits de volontaires sont particulièrement sombres sans qu'il soit possible de déterminer s'ils constituent des exceptions ou au contraire des archétypes. Rob Krott décrit ainsi de nombreux volontaires comme des alcooliques, des drogués, des psychopathes, des individus socialement inadaptés. Lui et certains volontaires sont tellement écœurés ou effrayés par le comportement d'autres étrangers qu'ils préfèrent combattre dans des unités régulières de l'armée croate. Rapidement les autorités renvoient les perturbateurs ou les envoient rejoindre la HVO en Bosnie14. Il est vrai que les Croates n'ont jamais organisé un filtrage sévère parmi les étrangers ni mis en place des unités spécifiques avec un encadrement et une discipline rigoureuse.  Rapidement ils cherchent à enrayer la venue de nouveaux volontaires et à se débarrasser de ceux qui se sont engagés dans la confusion des premiers mois de conflit.


L'après-guerre.
La plupart des volontaires sont rentrés dans leur pays une fois les guerres en ex-Yougoslavie terminées. Certains restent en Croatie et épousent des femmes croates, d'autres, une poignée, partent se battre dans d'autres parties du monde. Des volontaires rentrés dans leur pays ont des destins tragiques. Le Britannique Simon Hutt, qui a perdu une jambe au combat, tombe dans la drogue et la délinquance pour se retrouver finalement en prison. Le Bolivien Eduardo Flores est tué par la police de son pays en 2009 pour avoir comploté l'assassinat du président Evo Morales. Le Suédois Jackie Arklöv est quand à lui condamné à la prison à perpétuité pour le meurtre de deux policiers lors d'un braquage en 199915. Il s'agit de cas isolés et la grande majorité des anciens volontaires rentrée ne fait plus parler d'elle, les vétérans se réinsérant tant bien que mal dans leurs sociétés d'origine. 


Cérémonie du souvenir de l'USDDR en 2008 (source: USDDR.org)

Le développement d'Internet dans les années 2000 a permis aux anciens volontaires de renouer et de garder des contacts entre eux. C'est à l'initiative de Gaston Besson qu'est fondée l'association des volontaires étrangers des guerres de Croatie (USDDR selon les initiales du nom de l'association en serbo-croate) qui depuis 2007 organise une réunion annuelle à Vinkovci. Ce rassemblement comporte évidemment une cérémonie en hommage aux morts, à laquelle participent la population et les autorités locale, mais au-delà de ce versant commémoratif, l'association milite surtout pour la reconnaissance par les autorités croates du service rendu par les volontaires étrangers. Ainsi en 2009 seulement 20 étrangers ont reçu le titre de Branitelji (défenseurs) contre des centaines de milliers de Croates dont certains n'ont jamais été en première ligne. Outre sa valeur symbolique ce titre permet aux anciens combattants blessés pendant la guerre de recevoir une pension d'invalidité. Pour asseoir la légitimité de ses demandes, l'association cherche, en établissant le nombre de volontaires tués et blessés, à démontrer l'importance de cette contribution. Elle établit et publie des listes remises à jour de volontaires tués. La dernière, en 2012, recense 507 volontaires dont 76 furent tués et 90 blessés. Se ce total il y eu 67 volontaires français dont 8 ont trouvé la mort et 20 furent blessés. Dans cette liste se trouve ainsi une femme, Collette Webster une humanitaire américaine de 27 ans tuée à Mostar après s'être engagé en septembre 199316. L'association, à travers ses réunions, permet également de maintenir une camaraderie qui peut aider certains à surmonter les traumatismes de la guerre.


Mémorial du massacre d'Ocvara où fut tué J-M Nicollier (source: wikipedia)



Conclusion.
Les volontaires étrangers en Croatie viennent d'horizons différents pour participer à la guerre la plus féroce sur le continent européen depuis 1945. Des dizaines sont morts et un nombre plus important a été blessé. Leur contribution numérique est négligeable car ils ne furent qu'environ 450 dans une armée croate de 65 000 hommes au début de 1992 puis de 230 000 à 250 000 par la suite. Là où ils ont pu servir d'instructeurs ou simplement de fantassins ils ont néanmoins eu une influence plus importante que leur nombre ne le suggère. Leur présence a permis de renforcer le moral des soldats croates qui se sentaient abandonnés par le reste du monde. Le volontaire a en effet un poids symbolique plus important que le soldat local ce qui n'est pas sans importance dans un monde moderne globalisé où l'opinion internationale est à la fois une force et un enjeu dans les conflit qui agitent la planète.

Militants, idéalistes, aventuriers, les volontaires étrangers en Croatie s'inscrivent dans une longue tradition qu'il est possible de faire remonter à la fin du XVIIIé siècle et qui existe de nos jours à travers les djihadistes islamistes au Mali ou en Syrie. Comme l'ensemble de leurs prédécesseurs et de leurs successeurs, le portrait des volontaires en Croatie est plein de nuances loin des condamnations et des images héroïques mais il n'enlève rien à la charge politique, morale et surtout symbolique de leur geste.

Bibliographie.
-Marc Charuel, Putain de guerre, Gaston Besson volontaire français contre les Serbes, Éditions du Rocher, 1993.
-Gaston Besson, Une vie en ligne de mire, Jean-Claude Lattès, Paris, 
1994
-Jean Hatzfeld, L’air de la guerre, L’Olivier, Paris, 1994.
-Auguste Fontaine, La guerre en tête, Arléa, Paris, 1997.
-Rob Krott, Save the Last Bullet for Yourself. A Soldier of Fortune in the Balkans and Somalia, Casemate, 2008. 
-Steve Gaunt, War and Beer, Panic Press, 2010.
-Nir Arielli, « In search of meaning: Foreign Volunteers in the Croation Armed Forces, 1991-95 », Comtemporary European History, n°21, 2012.

Video,
-En 1992 la BBC produit un documentaire, "Dogs of War", sur les volontaires étrangers en Croatie, notamment britanniques, et filme le quotidien de ces hommes tout en leur donnant la parole: http://www.youtube.com/watch?v=3343x_ywy_M
-En 2013, l'émission Envoyé spécial consacre un reportage à la vie et à la mort de Jean-Michel Nicollier: http://www.youtube.com/watch?v=izUoMIAlxE4

Notes.
1 « Ex-Yougoslavie, les phalangers »,  REFLEXes, n°40, octobre 1993.
2 Ibidem.
3 Fondé en 1929 par Ante Pavelic le mouvement Oustachi veut obtenir par la violence l'indépendance de la Croatie. Il développe une idéologie proche du fascisme italien puis du nazisme mais où le catholicisme est central. Quand l'Allemagne envahit la Yougoslavie en 1941, Pavelic et les Oustachis se voient confier la direction du nouvel État libre de Croatie. Dans ce dernier se développent rapidement les persécutions et les massacres contre les Juifs et les Serbes dans le cadre d'un État fasciste. L’État oustachi s'effondre en 1944 face aux partisans communistes tandis que les principaux responsables partent en exil.
4 Jacques Doriot, Après son exclusion du Parti communiste dont il fut un dirigeant dans les années 1920, Doriot fonde un mouvement fasciste le Parti populaire français en 1936. En 1940 Doriot est partisan de la collaboration avec l'Allemagne nazie. En juin 1941 il s'engage dans la Légion des volontaires français et part combattre sur le front russe. Il meurt en février 1945 prés de Stuttgart alors que son véhicule est mitraillé par des avions alliés.
5 Nir Arielli, « In search of meaning: Foreign Volunteers in the Croation Armed Forces, 1991-95 », Comtemporary European History, n°21, 2012.
6 Ibidem.
7 La Rhodèsie du Sud, actuel Zimbabwe, est une colonie britannique où dans les années 1960 la forte minorité blanche refuse le processus de décolonisation initiée par la Grande-Bretagne. En 1970 elle proclame son indépendance et installe un régime ségrégationniste. La Rhodésie doit alors faire face à des guérillas noires de tendance marxistes qui reçoivent le soutien de l'Angola et du Mozambique à partir de 1975. La guerre prend fin en 1979 avec les premières élections libres et le Zimbabwe voit le jour en 1980.
8 La vie de Flores a fait l'objet d'un film en 2001, « Chico », réalisé par le Hongrois Ibolya Fekete, dont la plus grande partie a pour théâtre la guerre en Croatie ou Flores avait reçu le surnom de Chico.
9 Gaston Besson, Une vie en ligne de mire, Lattés, 1994.
10 Ibidem.
11 Nir Arielli, op. cit, p. 10.
12 Ibidem.
13 Gaston Besson, op.cit
14 Nir Arielli, op. cit.
15 Ibidem.
16 Ibidem.

1 commentaire:

  1. Ma modeste contribution à article :
    https://www.youtube.com/watch?v=izUoMIAlxE4

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