dimanche 1 décembre 2013

Le vote suisse sur l’abrogation du service militaire obligatoire


Le 22 septembre 2013, les citoyens suisse rejetaient massivement, à 73.2 % des votants, une initiative populaire visant à abolir l’obligation de servir, soit, en d’autres termes, la conscription universelle. Pas un seul des 26 cantons suisses n’a approuvé l’initiative, alors que, dans le système fédéral helvétique, celle-ci aurait dû non-seulement obtenir les suffrages de la majorité du corps civique national mais aussi celle des cantons. Après l’Autriche, il s’agit du deuxième Etat européen à avoir rejeté récemment une telle mesure lors d’un référendum. Si il est bien sûr difficile « à chaud » d’apporter une explication définitive à ce résultat somme tout surprenant alors que la plupart des armées européennes se sont professionnalisées, sans doute une courte narration de la campagne en Suisse et une brève description de ses acteurs peut-elle amener quelques pistes de réflexions sur le lien entre armée et population dans ce pays.



Adrien et Blaise Fontanellaz


De la vache sacrée aux vaches maigres

L’armée suisse moderne est, depuis son origine au 19e siècle, basée sur le système de la milice. Ce principe veut que tout citoyen mâle soit astreint à une obligation de servir dans l’armée, décomposée en une école de recrues de plusieurs mois suivie de périodes ponctuelles de plusieurs semaines de rappel sous les drapeaux, appelées cours de répétition. Ce système, bien qu’il ait fait l’objet d’adaptations, est, dans son essence, resté en vigueur depuis plus d’un siècle et demi. 
 
En revanche, dans la pratique, l’universalité de la conscription a varié selon les époques en fonction des besoins en effectifs de l’armée. Ainsi, en 1991, alors qu’elle était encore dimensionnée en fonction des impératifs de la Guerre froide, l’armée pouvait mobilier 745'000 hommes, alors qu’un peu plus d’une décennie plus tard, en 2004, après deux réorganisations majeurs, ce chiffre était tombé à 232'000 hommesi. L’ordre de bataille fondit de manière similaire, l’organisation des troupes de 1961 incluant douze divisions soutenue par de nombreuses brigades indépendantes, alors qu’après la réforme « Armée XXI », l’ordre de bataille ne devait inclure plus que huit brigades de combatii. Cette cure d’amaigrissement se produisit principalement au cours des deux décennies écoulées : en 2004 on ne comptait plus que 174 bataillons sur les 745 existants encore dix ans plus tôtiii. Cette décrue refléta une diminution massive des crédits attribués à la défense. En 1989 encore, les dépenses attribuées à ce poste équivalaient à 4.5 % du PNBiv, pour ne représenter plus que 0.8 % du PIBv au cours de ces dernières années.


Soldat suisse dans un gare (via wikicommons)
Face à des besoins en main d’œuvre de plus en plus réduits, l’institution durcit progressivement ses critères de sélection, au point où, en 2005, 41 % des appelés se présentant dans les centres de recrutement furent déclarés inaptes au servicevi. En parallèle, la durée du service militaire, incluant école de recrue et cours de répétition, passa de 330 jours en 1991 à 262 jours en 2004, les cours de répétition devenant par ailleurs bisannuels, tandis que la possibilité était offerte aux soldats d’opter pour un service long unique de 300 joursvii. Enfin, depuis 1992, un service civil de remplacement est ouvert aux objecteurs de conscience. Les réformés ne répondant pas aux critères de sélection de l’armée gardent la possibilité de servir au sein de la Protection civile (PC), ou plus simplement de s’acquitter d’une taxe militaire indexée sur leurs revenus imposables.

Ce véritable dégraissage a été symptomatique de la fin d’un âge d’or. En effet, l’armée fut, tant que la menace du Pacte de Varsovie perdura, très peu contestée, car soutenue par une véritable union sacrée formée de l’ensemble de la classe politique, gauche gouvernementale comprise, forgée durant la « défense spirituelle » de la Suisse durant l’entre-deux guerres pour résister aux totalitarismesviii. Cet édifice éclata avec la fin de la Guerre froide ; le Parti socialiste suisse (PSS) se montra de plus en plus sensible à son aile antimilitariste tandis que les partis du centre-droit virent dans celle-ci une variable d’ajustement budgétaire. In fine, seule la droite conservatrice continua à prôner une armée apte à mener une défense territoriale autonome. De confus débats sur les missions attribuées à cette dernière, le degré de coopération international qu’elle était susceptible de mener ou encore son déploiement à l’étranger firent continuellement rage. De plus, certains des mythes nationaux sur lesquels s’appuyait le consensus politique de la Guerre froide furent durement remis en question, comme le rôle joué par l’armée dans la préservation de la neutralité du pays durant la Seconde guerre mondiale. Cette cacophonie politique devait offrir à un groupe de taille limitée la possibilité de marquer de son empreinte le débat à plusieurs reprises durant cette période.
 
Le Groupe pour une Suisse sans Armée

Le mouvement à l’origine du vote du 22 septembre 2013 sur l’abolition du service militaire obligatoire est le Groupe pour une Suisse sans Armée (GSsA), créé en 1982 par un noyau de jeunes socialistes autour de figures comme Andréa Gross, futur conseiller national socialiste zurichoisix. Le nouveau mouvement ne naquît pas dans un vacuum mais fut au contraire une des conséquences de la vague pacifiste qui toucha l’ensemble des pays ouest-européens afin de s’opposer au déploiement des euromissiles au tournant des années 70 et 80, et dont les effets se firent également sentir en Suisse, notamment lorsque, le 5 décembre 1981, 40'000 manifestants se réunirent devant le Palais fédéral à Bernex.

L’organisation, qui ne comptait que 500 membres au moment de sa création, avait été fondée expressément dans le but de lancer une initiative populaire visant purement et simplement à abolir l’armée. Lancée en mars 1985, cette initiative, intitulée « Pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix » finit par être présentée en votation le 26 novembre 1989, où elle recueillit 35.6 % des suffrages, et atteignit même la majorité dans les cantons du Jura et de Genèvexi. Il s’agissait là d’un résultat remarquable pour une formation relativement isolée et qui comptait cette année-là que 5'000 membresxii. Le GSsA atteignit peut-être son zénith en 1992, lorsqu’il lança une initiative « Pour une Suisse sans nouveaux avions de combat », destinée à empêcher l’achat d’une trentaine de F/A-18C. Alors fort de 30'000 membres, il parvint à récolter 503'719 signatures en un seul mois, alors que 100'000 suffisent pour lancer un référendum d’initiative populairexiii. Lorsque les votations eurent lieu, l’initiative fut cependant repoussée par 57,1% des électeursxiv
 
Le groupe revint à la charge avec deux autres initiatives déposées en 1999, « Pour une Suisse sans armée » et « Pour un service volontaire pour la paix » qui ne recueillirent que 21.9 et 23.2% des suffrages respectivement en 2001xv. Si l’ensemble des initiatives proposées par le GSsA ont été refusées par le peuple, il convient de rappeler que seulement 12 des 138 initiatives présentées devant les citoyens entre 1891 et 2000 obtinrent la double majorité du peuple et des cantonsxvi. Cependant, il n’est pas rare que mouvements politiques ou associatifs lancent des initiatives dans le seul but d’imposer leurs thèmes sur la scène politico-médiatique. De plus, même rejetée, une initiative peut fortement influer sur le débat parlementaire, pour autant qu’elle ait recueilli un nombre de suffrages conséquents. Ainsi, même rejetée, l’initiative « Pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix » fut un véritable choc dans la mesure où rares furent ceux qui imaginèrent qu’elle puisse recueillir un aussi grand nombre de voix dans la population et elle pesa donc lourd sur les débats sur l’armée du début des années 90. Selon Josef Lang, un des fondateurs du GSsA, cette campagne fut perçue comme un grand succès, l’objectif du mouvement ayant été principalement de « libérer la société de la mentalité militariste »xvii
 
Peut-être échaudé par le manque de succès relatif de ses deux dernières initiatives, le GSsA se lança en 2010 dans la récolte des 100’000 signatures nécessaires à l’aboutissement d’une nouvelle initiative populaire : « Oui à l’abrogation du service militaire obligatoire ». En effet, avec cette nouvelle proposition, le GSsA pouvait difficilement être accusé d’idéalisme ou de pacifisme naïf, étant entendu que la Suisse était alors entourée de pays ayant renoncé, ou prévoyant de le faire, à la conscription universelle, si l’on fait abstraction du cas autrichien. In fine, le groupe, soutenu par les partis de gauche, parvint à déposer dans les délais, le 5 janvier 2012, l’initiative munie de 107'280 signaturesxviii, garantissant ainsi sa présentation devant le peuple.

Dans son détail, l’initiative abrogeait l’obligation de servir tout en conservant une armée essentiellement basée sur principe de la milice et étendait par ailleurs à l’ensemble de la population la possibilité de se porter volontaire pour effectuer un service civil. 
 
Le camp du oui à l’initiative 
 
Avant que la campagne ne débute, il aurait été légitime de penser que le GSsA avait de réelles chances de l’emporter, d’’une part parce que le soutien des partis de gauche comme les Verts et le PS, qui représentent bon an mal an un bon tiers de l’électorat, était acquis, et d’autre part parce que prôner la fin du service militaire obligatoire pouvait sembler s’inscrire dans une certaine modernité, la majeur partie des Etats européens ayant renoncé à la conscription. De plus, il semblait possible qu’une partie des représentants de l’économie lui apporte son soutien, compte tenu des inconvénients engendrés par l’absence régulière d’employés s’acquittant de leurs obligations militaires, parfois désignées par le vocable de «vacances vertes». Une étude réalisée en 2012 concluant que 48 % de la population était favorable à l’abolition de l’obligation de servirxix ne pouvait que conforter cette analyse.

Affiche du GSsA en faveur de l'initiative (via gsoa.ch)
La campagne fut lancée lors d’une conférence de presse tenue à Berne le 30 juillet 2013 par les principales organisations soutenant l’initiative. Outre le GSsA, celle-ci comptait le PS et les Verts mais aussi plusieurs associations, soit Männer.ch, une association masculine, Zivildienst, une association défendant le service civil, et enfin l’organisation féministe pour la paix. Ceux-ci présentèrent leurs arguments respectifs en faveur de l’initiative. L’organisation féministe pour la paix dénonça l’armée comme une institution nuisible à la société alors que les socialistes évoquaient surtout la nécessité d’aboutir à une armée de taille plus limitée et moins coûteuse, tandis que Männer.ch précisait s’opposer à la préparation aux actions violentes inhérentes au service militairexx. In fine, il apparût alors qu’il n’existait pas réellement d’unité de doctrine entre ces mouvements, le conseiller national vert Balthasar Glätti devant même confier que « le lancement de notre campagne n’est pas vraiment réussi »xxi
 
Si elle put surprendre certains journalistes, cette diversité était probablement inévitable car il n’est pas exclu qu’une éventuelle tentative visant à fixer au forceps une doctrine et un argumentaire commun n’aurait fait qu’aboutir à une dislocation de cette coalition relativement hétérogène. En effet, les positions entre, mais aussi souvent au sein, des organisations soutenant l’initiative étaient hétérogènes. Ainsi, même dans le GSsA, la décision de lancer cette initiative n’alla pas sans causer de réels débats car une fraction de celui-ci, définie comme antimilitariste, craignait de faire le lit d’une armée professionnelle en cas de succès, le but ultime du mouvement devant avant tout rester l’abolitionxxiide l’institution.

La position du PSS était peut-être, dans ce contexte, la plus cohérente. Son programme, adopté lors du Congrès de Lausanne en 2010, préconise clairement la suppression de l’armée suisse dans le cadre d’un renoncement général des Etats à leurs forces armées, qui seraient remplacées par des « troupes internationales de maintien de la paix dans le cadre d’un système collectif de sécurité sous l’égide de l’ONU ». Dans l’attente de cette perspective lointaine, l’armée suisse doit être réduite et remodelée pour participer à la « promotion internationale de la paix » xxiii tout en étant composée uniquement de volontaires alternant occupation professionnelle « civile » et périodes de service, soit en d’autres termes, précisément le modèle prôné par l’initiative du GSsA. En revanche, au cours de la campagne, quelques voix dissidentes au sein du parti se firent entendrexxiv. Parmi celles-ci figuraient celle de Hans-Ulrich Jost, historien réputé, qui estimait que la question posée par l’initiative se résumait au choix entre armée de milice et armée professionnelle et que la première était plus démocratique,xxv ou encore celle de Jean-Luc Rennwald, ancien conseiller national, qui prôna le vote blanc comme seule manière de concilier antimilitarisme et refus d’une armée professionnellexxvi. Il est difficile d’estimer l’impact que put avoir ces dissidences sur le parti, mais un sondage réalisé entre le 5 et le 9 août 2013 estimait que le taux d’acceptation de l’initiative chez les socialistes était de 57%, bien en dessous de celui des Verts qui atteignait 76%xxvii.

La position de ce dernier parti est moins précise que celle du PS, le manifeste adopté par l’Assemblée de ses délégués en 2002 stipulant qu’ils « défendent l’idée d’une réduction massive du budget militaire au profit d’une implication beaucoup plus forte dans la promotion de la paix »xxviii, tout en s’opposant à toute idée d’intégration dans l’OTAN. En Suisse romande, les interventions répétées dans les médias de Jean-Luc Recordon, sénateur et membre influent du parti, en faveur d’une armée professionnelle, présentée comme à la fois moins coûteuse et plus adaptée face aux menaces contemporaines telle que la cyberguerre, était clairement assumée. Outre les deux grands partis de la gauche, le camp abolitionniste put également compter sur le soutien de groupes à l’influence limitée, comme le comité de soldats contre l’obligation de servirxxix. En revanche, les formations d’extrême-gauche ne donnèrent le plus souvent pas de consignes de votes, pour des raisons généralement proches de celles de Jean-Luc Rennwald tandis que le Parti suisse du travail – Parti ouvrier populaire s’était positionné contre l’initiative « en raison du risque qu’un OUI soit la porte ouvert à une professionnalisation de l’armée et à son intégration à un système de défense international comme l’OTAN. »xxx.

Enfin, le camp en faveur de l’initiative put compter sur un soutien limité de la part de membres de partis de droite, fédérés au sein du comité «Bourgeois contre l’obligation de servir ». Ceux-ci principalement issus du Parti libéral-radical (PLR) ne comptait qu’une centaine de membres au 15 août 2013, et leur impact sur la campagne fût relativement limitéxxxi. En effet, l’ensemble de la droite se montra, contrairement aux attentes du GSsA fermement opposée à l’initiative. Par ailleurs, certaines voies issues du monde académique ou économique se firent entendre, comme celle de Reiner Eichenberger, professeur ordinaire de théorie de la politique économique et financière à l’Université de Fribourg qui, suivant les préceptes de Milton Friedman, préconise une armée suisse modelée sur la National Guard américainexxxii

Une opposition déterminée 
 
Les opposants à l’initiative se fédérèrent dans un comité contre l’initiative du GSSA intitulé « Non à une initiative contre la sécurité ». Les motifs invoqués à ce refus de l’initiative furent notamment que « le système de milice encourage la capacité à travailler en équipe, la loyauté et fait office de ciment pour notre pays »xxxiii. En effet, les partis de droite voient traditionnellement dans l’armée un symbole national et identitaire important dans un pays ne comptant ni unité linguistique, confessionnelle ou encore culturelle. 
 
Ce comité était d’ailleurs composé de la Société suisse des officiers mais aussi des principaux partis de droite du pays, à savoir le Parti démocrate-chrétien (PDC), la national-conservatrice Union démocratique du centre (UDC), et du Parti libéral-radicalxxxiv chargé du leadership de la campagne ainsi que de petits partis comme le Parti bourgeois-démocrate (PBD)xxxv et le Parti évangélique (PEV)xxxvi. La campagne du non profita des services de l’agence de communication GOAL AG connue pour son expertise en marketing politique et ses affiches chocsxxxvii. L’affiche représentait d’ailleurs une croix fédérale se faisant couper en morceaux par un couteau de cuisine GSSAxxxviii.



Affiche des opposants (via 24heures.ch)
Les arguments les plus fréquemment utilisés par le comité étaient que la sécurité ne serait plus garantie en cas d’abandon de l’obligation de servir, car elle remettrait en cause tout le système de sécurité basé sur la conscription, soit le service civil et la Protection civile. La crainte de la création d’une armée professionnelle, composée de « Rambos », prémices à une suppression pure et simple de l’armée fut également invoquéexxxix. Ainsi, alors que le Parti libéral-radical affirmait que « Le but du GSSA n’est pas d’avoir une armée de milice volontaire mais d’abolir l’armée par la petite porte »xl, le PDC expliquait son opposition en arguant que « Le principe de milice en vigueur en Suisse et l’identification de ses citoyens à l’Etat – les principaux piliers de cette nation issue d’une volonté commune qu’est la Suisse- seraient anéantis à moyen terme »xli
 
La campagne des opposants à l’initiative a également profité de l’engagement du ministre de la défense, issu de l’UDC, et président de la Confédération, Ueli Maurer. Celui-ci défendait l’apport des citoyens à l’armée : « La qualité de l’armée suisse repose sur le fait que les compétences militaires et civiles se complètent et s’enrichissent »xlii, mais en reconnaissant finement que certaines améliorations au service militaire obligatoire visant à la conciliation avec la vie professionnelle étaient nécessaires : « l’armée doit devenir plus flexible »xliii et en rappelant que l’armée se réformait régulièrement en fonction du contexte général : « nous nous adaptons peu à peu aux nouvelles menaces »xliv
 
Conclusion 
 
Le tempo de la campagne s’accéléra au fur et à mesure que la date de la votation s’approchait alors que le débat politique fut raisonnablement bien relayé dans la presse. Sur le plan audio-visuel, celui-ci culmina par exemple dans les émissions Arena et Infrarougexlv, en Suisse-allemande et en Suisse-romande respectivement, diffusés dans les semaines précédant le vote. En revanche, le nouveau média que représente Internet fut beaucoup plus exploité par les opposants que par les initiants. Ainsi, rien qu’en Suisse romande, les premiers créèrent plusieurs sitesxlvi et pages facebook très régulièrement alimentés sans réellement d’équivalents chez les seconds, à l’exception du site officiel du GSsAxlvii.

De manière générale, les initiants, s’ils réussirent généralement à convaincre leur électorat « naturel », ne parvinrent pas à présenter leur proposition comme une démarche favorisant une évolution rationnelle de l’armée suisse. Ceci était d’une part, comme nous l’avons vu, la conséquence de leurs divisions quant au but réel de leur initiative mais aussi le reflet d’un manque de familiarité très répandu dans les milieux de gauche quant à la « chose militaire ». Si la plupart de leurs slogans étaient adapté à un public pacifiste et antimilitariste, ils étaient fondamentalement inadéquats pour convaincre un électorat plus centriste ainsi que l’exemplifie leur dénonciation répétée de l’existence d’’une « armée de masse » alors que dans les faits l’ordre de bataille actuel est inférieur à dix brigades soit un effectif bien peu en rapport avec ce que cette expression tend à désigner.

Cependant, ce manque de familiarité avec les questions de défense de la plupart des figures de proue du camp en faveur de l’initiative, dont l’intervention du conseiller national socialiste Carlo Sommaruga lors du débat de l’émission Infrarougexlviii est un bon exemple, ne saurait seule expliquer l’asymétrie en terme de crédibilité entre partisans et opposants de l’initiative. En effet, certains opposants présents dans les médias étaient officiers, car le système de milice suisse implique que ceux-ci ne sont pas tenus de s’abstenir de prendre part au débat politique si tant est qu’ils s’expriment en qualité de citoyens et purent donc apporter leurs compétences au débat. D’autre part, si les politiciens de droite aussi peu au fait des questions militaires que leurs adversaires de gauche ne manquent pas, il leur fut loisible de s’appuyer sur ce que l’on pourrait appeler un corpus idéologique plus structuré. Ainsi, rien qu’en Suisse romande, deux petits opus, rédigés par des historiens ou des experts, furent spécifiquement édités pour contrer les arguments du GSsA dans les mois précédents la votationxlix
 
In fine, la votation du 22 septembre fut un véritable triomphe pour le camp du non, dans la mesure où, si dans les semaines précédentes, plus personne ne s’attendait à ce que l’initiative puisse obtenir une majorité des votes, le fait que seulement 22.8 % des votants aient exprimé leur soutien à l’initiative démontra clairement que la population helvétique reste clairement attaché au principe de l’obligation de servir. Les partis de droite profitant de cette occasion pour préciser leur vision de l’armée et leur attachement à cette dernière. La Suisse restera donc, pour les années à venir, l’un des derniers pays européens à conserver une armée de conscription.

i Hervé DE WECK, La Suisse peut-elle se défendre seule ?, Bière, Cabedita, 2011, p. 104
ii Ibid., p.116
iii Ibid., p. 106
iv Ibid., p. 108
v Ibid., p. 116
vi Ibid., p. 121
vii Jean-Jacques LANGENDORF, Une digue au Chaos, Bière, Cabédita, 2013, p.46
viii Dictionnaire historique de la Suisse, voir sous voir sous http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F17426.php, consulté le 6.10.2013
ix Yves PETIGNAT, « Pourquoi le GSsA risque un flop le 22 septembre », Le Temps, le 17 septembre 2013.
x Marco, GIUGNI, Florence PASSY, Histoires de mobilisation politique en Suisse, de la contestation à l’intégration, Montréal, L’Harmattan, 1997, p. 74.
xi Ibid., p. 75
xii , Ibid., p. 74
xiii Ibid., p. 78
xiv Ibid., p. 78
xv Dictionnaire historique de la Suisse, voir sous http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F15312.php, consulté le 8 octobre 2013
xvi Dictionnaire historique de la Suisse, voir sous http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F10386.php, consulté le 8 octobre 2013
xvii Yves PETIGNAT, « Notre initiative rend la suppression de l’armée utopique », Le Temps, 26 août 2013.
xviii AP/NEWSNET, « Plus de 107'000 signatures contre le service militaire obligatoire », 24 heures, 5 janvier 2012, consulté le 8 octobre 2013 sous http://www.24heures.ch/suisse/Plus-de-107-000-signatures-contre-le-service-militaire-obligatoire/story/16127173
xix Yves PETIGNAT, « Pourquoi le GSsA risque un flop le 22 septembre », Le Temps, 17 septembre 2013.
xx Yves PETIGNAT, « Le coup d’envoi de l’initiative du GSsA fait long feu », Le Temps, 31 juillet 2013.
xxi Ibid.
xxii Laura DROMPT, « L’initiative du GSsA divise à gauche », Le courrier, 31 août 2013, consulté le 8 octobre 2013 sous http://www.lecourrier.ch/113510/l_initiative_du_gssa_divise_a_gauche
xxiii Programme du PSS 2010, p. 44, disponible sous, http://www.sp-ps.ch/fre/Media-library/AA-SP-Schweiz/Partei/Parteiprogramme/Programme-du-parti-2010, consulté le 10 octobre 2013.
xxiv Dont celle de l’un des auteurs de l’article, voir http://www.domainepublic.ch/articles/23341
xxv Kevin GERTSCH, et Patrick VALLELIAN, « Obligation de servir : Un Suisse sur deux échappe à l’armée », L’Hebdo numéro 34, semaine du 22 août 2013, p. 18.
xxvi Jean-Luc RENNWALD, « Pour une troisième voie dans le débat sur l’obligation de servir », Le Temps, le 29 août 2013.
xxvii ATS, « Refus net en vue pour l’abrogation de l’obligation de servir », Le Temps, 6 août 2013, consulté le 11 octobre 2013 sous http://www.letemps.ch/Page/Uuid/69418f36-0686-11e3-9097-, c992e910f623/Net_refus_en_vue_pour_labrogation_de_lobligation_de_servir
xxviii Manifeste consulté le 11 octobre 2013 sous le site du Parti écologiste suisse : http://www.verts.ch/web/gruene/fr/positions/programmes_verts/programmes_verts/manifeste_vert.html
xxix « Deux comités bourgeois et de soldats contre l’obligation de servir » swissinfo.ch le 15.08.2013, consulté le 11 octobre 2013 http://www.swissinfo.ch/fre/nouvelles_agence/international/Deux_comites_bourgeois_et_de_soldats_contre_lobligation_de_servir.html?cid=36684392
xxx Position disponible sur le site du Parti du Travail, http://www.pdt-ge.org/?Sombre-dimanche-pour-les consulté le 21.10.2013
xxxi « Deux comités bourgeois et de soldats contre l’obligation de servir » swissinfo.ch du 15.08.2013, consulté le 11 octobre 2013 http://www.swissinfo.ch/fre/nouvelles_agence/international/Deux_comites_bourgeois_et_de_soldats_contre_lobligation_de_servir.html?cid=36684392
xxxii Reiner EICHENBERGER, L’obligation du service militaire est contraire à l’idée libérale, interviewé par Yves Petitgnat, Le Temps du 12 août 2013.
xxxiii Comité interpartis contre l’initiative contre la sécurité, « L’armée et une assurance pour la Suisse », communiqué de presse, Berne, le 9 août 2013.
xxxiv Parti né de la fusion en 2009 du « grand vieux parti » à l’origine de la Suisse moderne, le Parti radical-démocratique, et du petit Parti libéral suisse.
xxxv Dissidence « libérale » de l’UDC créée en 2008.
xxxvi Parti d’origine protestante siégeant avec le groupe démocrate-chrétien au sein des chambres fédérales.
xxxvii Agence sollicitée depuis une quinzaine d’année par l’UDC suisse pour ses campagnes politiques comprenant des affiches « choc ».
xxxviii Pour voir l’affiche : http://initiative-contre-securite-non.ch
xxxix LT, ATS, « Les partisans du service militaire fustigent une initiative ʽʽsournoiseʻʼ », Le Temps, 9 août 2013.
xl « Ne pas mettre en péril le système de milice », communiqué de presse du PLR, Berne le 30 juillet 2013.
xli « NON à la suppression de l’armée-NON à l’abrogation du service militaire obligatoire », communiqué de presse du PDC, le 16 août 2013.
xlii Ueli MAURER, « Il faut changer l’image dépassée de l’armée », interviewé par Yves Petignat, Le Temps, samedi 24 août 2013.
xliii Ibid.
xliv Ibid.
xlvi Par exemple http://initiative-contre-securite-non.ch/
xlvii http://www.gssa.ch/spip/
xlix Soit Jean-Jacques LANGENDORF, avec la collaboration de Mathias TUSCHER, Une digue au Chaos : L’armée des citoyens, Editions Cabédita, 2013 et Dominique ANDREY, Robert DE CREMIERS, Olivier DELACRETAZ, Félicien MONNIER, Félix STOFFEL, Mathias TUSCHER, Servir pour être libres !, Lausanne, Cahiers de la Renaissance vaudoise, numéro 151, 2013.

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