Remarques
préliminaires
Tous
travaux concernant la Chine se heurtent à la transcription des
idéogrammes chinois en alphabet latin. Compte tenu que l’auteur
s’est appuyé principalement sur des sources anglophones, certaines
datant d’une période antérieure aux année 1980, date à laquelle
le système de transcription Pinyin a commencé à s’imposer, il a
pris le parti d’utiliser l’ancien système Wade Giles, alors la
norme internationale en usage. Le système de l’Ecole française
d’Extrême-Orient (EFEO), longtemps utilisé en France, fonctionne
sur le même principe de retranscription phonétique. Au delà de
l’exercice périlleux de tous retranscrire en Pinyin, il est à
noter que de nombreux noms de localités ou de repères géographiques
ont changé de dénomination depuis 1949 en Chine. En se référant
aux sources de l’époque, il limite au minimum les erreurs de
traductions des noms alors en usage. Au delà des problèmes
linguistiques, il est à remarquer que se cache aussi un problème
politique car aujourd’hui encore Taiwan, la « province
rebelle », refuse d’utiliser le Pinyin, préférant toujours
le Wade Giles.
Les
lecteurs désireux de se faire préciser la prononciation d’un mot
pourront néanmoins se référer à l’annexe du tableau des
conversions de l’UNESCO.
Alors
que la Chine est en train de surgir sur la scène mondiale en tant
qu’acteur géopolitique majeur il parait opportun de se pencher sur
son passé récent, un passé fait de violence que le régime actuel
met en avant afin d’y puiser sa légitimité. Un passé aussi
réinterprété et souvent méconnu en Occident et qui nourrit
aujourd’hui un sentiment nationaliste grandissant dans le pays.
Cette étude se veut une introduction à ce vaste sujet qu’est
l’histoire militaire contemporaine de la Chine, de la chute de
l’empire à l’avènement de la République Populaire.
A
l’issue d’un développement mené à un rythme effréné,
celle-ci s’est hissée au deuxième rang économique mondial alors
que les disparités internes ravivent les tensions à la fois
sociales et spatiales d’un immense territoire aux particularismes
régionaux encore bien vivaces. Tout au long de son histoire l’empire
du Milieu a dû composer avec à la fois des forces centripètes qui
poussaient à la centralisation du pouvoir en un état fort, et de
l’autre des forces centrifuges qui l’entraînaient vers sa
dislocation dès que ce dernier s’affaiblissait au profit des
autonomies régionales. Surmonter ces tendances, apprendre à les
dompter afin d’unifier ce vaste ensemble pour en faire émerger la
Chine moderne fut un processus long et douloureux dont il importe de
faire remonter les origines à la fin de la dynastie Ch’ing.
Albert Grandolini.
Aux
origines des pouvoirs militaires locaux
La
dynastie Ch’ing qui s’empare du pouvoir en 1644 est avant tout
d’origine nomade. Aussi l’organisation militaire des nouvelles
autorités est-elle fondée sur la dualité et l’équilibre entre
des formations issues des élites mandchoues et leurs alliés
mongols, et celles constituées de troupes chinoises (Han). Sur le
plan organisationnel, la nouvelle armée chinoise est subdivisée
entre les « Huit Bannières » et « l’Etendard
Vert ». Les « Bannières » étaient à l’origine
des divisions administratives dans lesquelles étaient réparties
l'ensemble de la société mandchoue, de façon héréditaire, en
fonctions des liens tribaux ou familiaux. Les Bannières militaires
évoluèrent en 24 régiments de 7 500 hommes à raison de huit
pour respectivement les Mandchous, Mongols et Hans, pour ces
derniers, ceux qui avaient ralliés la cause mandchoue dès le début.
L’appartenance y était héréditaire, de père en fils. Le plus
gros des régiments des Bannières fut regroupé à Pékin, proche de
la Cour, et servait de réserve centrale. Quelques régiments étaient
néanmoins déployés dans certaines villes de province clef.
Néanmoins, vers la fin du 18eSiècle, la valeur militaire des Bannières avait considérablement
diminué alors que leurs effectifs avaient doublé.
Soldats
de l’Etendard Vert, années 1860 – 1880. Sources tiexue.net.
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L’Etendard
Vert a pour origine les troupes chinoises levées après la chute de
la dynastie Ming. Les hommes étaient des engagés volontaires,
recrutés traditionnellement parmi les classes les plus défavorisées.
Les officiers sont peu instruits et proviennent souvent du rang, ce
qui ne contribue pas à valoriser l’image du soldat dans une
société chinoise traditionnellement méprisante pour le métier
des armes. Les Mandchous n’arriveront pas à faire évoluer cette
perception des choses ce qui posera de nombreux problèmes lorsqu’il
s’agira de réformer et moderniser l’institution militaire. Au
milieu du 18e
Siècle, l’Etendard Vert alignait approximativement deux fois plus
d’hommes que les Bannières ; 600 000 contre 300 000.
Ils assumaient des tâches de garnison, par bataillons, à travers
tout l’empire. Celui-ci était alors subdivisé en 18 provinces
placées sous la responsabilité de 16 gouverneurs chinois et deux
provinces sous la coupe directe de la Cour. Les gouverneurs chinois
étaient de leur côté sous la supervision de 8 gouverneurs-généraux
mandchous, dans un subtil système d’équilibre de répartition des
pouvoirs entre les différentes nationalités et entre les pouvoirs
civils et militaires. Même si chaque gouverneur ou
gouverneur-général civil contrôlait chacun un bataillon de
l’Etendard Vert pour des tâches de police, leur rôle principal
consistait à gérer le fonctionnement économique et judiciaire de
ses administrés et surtout à lever l’impôt. Ces ressources
fiscales étaient ensuite réparties entre les besoins locaux et ceux
de l’administration centrale. Le maintien de l’ordre intérieur
contre les troubles et rebellions et la défense des frontières
revenaient aux généraux de brigades (Tsung Ping) mandchoues des
Bannières et commandants en chefs (T’i Tu) chinois des Etendard
Verts. Ces derniers avaient même rang hiérarchique que les
gouverneurs de province alors que les généraux de brigades avaient
rang d’égalité avec les gouverneurs généraux.
Carte
administrative des provinces de Chine, années 1900 – 1925, hors
Sinkiang (Turkestan chinois) et Tibet. Source : Edward, L Dreyer, China
at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
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Ce
système complexe interdisait de fait une unité de commandement des
forces armées. Il fut mis à rude épreuve au 19e
Siècle et s’avéra complètement dépassé lorsqu’il fut
confronté à l’immense révolte des Taiping (1851-1866) et surtout
lors de la Guerre de l’Opium (1839-1842) contre les Britanniques.
Ce conflit fut le tournant démontrant l’extrême vulnérabilité
de la Chine face aux appétits des Occidentaux, ouvrant l’ère des
« Traités Inégaux ». Les généraux chinois furent
abasourdis par le retard technologique de leurs troupes. Des voix
s’élevèrent pour moderniser l’armée. Mais ce courant
réformateur demeurait faible face aux fortes réticences des
traditionalistes, sûrs de la « supériorité morale »
des vertus chinoises sur les « barbares étrangers ».
Jusqu’à la fin du siècle, les autorités de Pékin firent de
timides tentatives pour acquérir des systèmes d’armes modernes,
notamment en construisant l’arsenal de Kiangnan (Shanghai) pour y
produire des armes d’infanterie et de l’artillerie, et le
chantier naval de Foochow pour construire ou assembler des navires à
vapeur. Surtout, comme si Pékin craignait que l’introduction des
techniques occidentales allait aussi introduire de nouveaux concepts
politiques qui risquaient de remettre en cause l’ordre confucéen
classique, cette modernisation se fit de façon ciblée, avec
seulement quelques unités en charge de tester les nouveaux
armements. Et encore, leur mise en œuvre n’était pas toujours des
plus efficaces, car pour beaucoup de responsables chinois, la
possession de ces armements relevaient plus d’une croyance en la
puissance intrinsèque de leur supposée « puissance »
qu’à une connaissance réelle de leurs capacités techniques, et
surtout leur utilisation tactique. La médiocrité de l’encadrement,
particulièrement au sein de l’Etendard Vert, n’a fait
qu’accentuer ce trait. Les défaites humiliantes successives face
aux Occidentaux et Russes dans les années 1860 – 1880 ne firent
que renforcer le discrédit du régime mandchoue. La défaite, en
1895, contre un Japon tout juste modernisé fut ressentie comme une
humiliation encore plus grande.
Face
à la déliquescence de son outil militaire, Pékin autorisa la levée
« d’armées de milice » au niveau local. Ces unités
avaient un recrutement plus large, ses officiers provenant de la
basse noblesse éduquée, et faisaient parfois appel à des
mercenaires occidentaux pour les encadrer et les instruire dans
l’utilisation des armements modernes. Le fait de concéder à
certains responsables locaux la direction de ces armées modernisées
créa un précédent du fait de leur influence grandissante et de
l’ascendant qu’ils prenaient sur le reste de l’appareil
militaire. A terme, ils s’érigeront en rivaux du pouvoir central.
Pourtant celui-ci, conscient du risque, prit des dispositions afin de
contrôler cette armée dans l’armée. Pékin, pensant assurer un
contrôle politique sur ces nouvelles formations, les placèrent sous
la supervision directe des gouverneurs civils, considérés comme
étant plus fiables et loyaux que les officiers militaires. Parmi les
figures marquantes de ces nouveaux gouverneurs « combattants »,
citons Tseng Kuo Fan dans le Hunan ; Tso Tsung T’ang dans le
Fukien ; et surtout Li Hung Chang dans l’Anhwei. Au plus fort
de son influence dans les années 1890, il contrôlait pas moins de
cinq provinces, dont les trois plus occidentales bordant le Yangtze,
avec les villes clefs de Wuchang et Nankin. Profitant du
développement du port de Shanghai concédé aux étrangers, il mit à
profit les recettes fiscales pour mettre sur pied la première flotte
moderne de la Chine, celle du Peiyang ou de « l’Océan du
Nord ». Il unifia ses unités de milices pour en faire
« l’Armée du Peiyang », une des plus efficaces de
l’Empire.
Soldats
impériaux de la Nouvelle Armée - Armée du Peiyang,
années 1890 – 1910. Sources tiexue.net.
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Mais
le fait d’octroyer à une classe politique régionale les outils
militaires indispensable pour une éventuelle conquête du pouvoir
portait en germe les ferments de division du pays. Entre temps, avant
que les digues ne soient emportées, le régime impérial tenta une
ultime fois de secouer le joug étranger en appuyant maladroitement
la révolte des Boxers (1900-1901). Cela se termina sur un désastre
avec une nouvelle invasion dans le cadre d’une coalition inédite
de toutes les puissances étrangères ; la stratégie
traditionnelle du « diviser les Barbares pour qu’ils se battent
entre eux » avait complètement échoué !
Acculé,
le régime impérial fut contraint de se réformer. Au centre de
cette dynamique, la modernisation cette fois-ci de toute l’armée.
Elle doit s’inspirer et s’appuyer sur le modèle des meilleures
armées régionales, dont évidemment celle du Peiyang qui entre
temps a été placée sous la direction d’une étoile montante de
la politique chinoise, Yuan Shih Kai. Fin manœuvrier, pouvant à la
fois être conciliant et brutal, il semble d’abord proche des
réformateurs mais les abandonnent à leur funeste sort lors de la
répression du 22 septembre 1898 de l’impératrice douairière Tseu
Hi. Il s’attire ensuite les bonnes grâces des Occidentaux en
réprimant impitoyablement les Boxers survivants. Il va être l’un
des instigateurs de la réforme militaire de 1901 qui s’inspire du
modèle japonais. Le désuet système de sélection du corps des
officiers est aboli au profit d’académies militaires modernes
alors que l’organisation des forces en divisions est
définitivement adoptée. Des officiers japonais sont recrutés comme
instructeurs, car coûtant moins chers que des Occidentaux, et
d’autre part sont culturellement plus proches des Chinois. Entre
temps, il est aussi décidé d’abolir l’antique système de
concours mandarinal au sein des administrations civiles. Yuan Shih
Kai copréside la Commission pour la Réforme de l’Armée qui
conclut ses travaux en septembre 1904 ; elle préconise la mise
sur pied d’une «Nouvelle Armée» ou Lu Chün de 36 divisions
entraînées et armées à l’occidentale. Un programme qui doit
s’étendre jusqu’à 1922.
Chaque
division doit avoir deux brigades d’infanterie à deux régiments
de trois bataillons à quatre compagnies, un régiment d’artillerie
(54 pièces en neuf batteries), un régiment de cavalerie à trois
escadrons, un bataillon du génie et un bataillon de transport et
service. L’effectif théorique de chaque division est de 12 512
hommes en temps de paix, qui pourra être porté à 21 000
hommes, en temps de guerre, en doublant les effectifs des compagnies
d’infanterie. L’influence japonaise est ici indéniable car la
division est l’unité de base de la manœuvre et non le corps
d’armée.
Les
recrues doivent être sélectionnées soigneusement pour un service
de trois ans. Elles sont ensuite reversées dans la réserve de 1e
catégorie pour une période de trois ans, puis dans la 2e
catégorie pour encore quatre ans. Bien sur, pas de système de
conscription dans un pays aussi vaste et peuplé que la Chine. Le
recrutement demeure cependant sur une base régionale car l’état
ne peut assurer une administration centralisée de ces nouvelles
troupes. A cela s’ajoute toujours les problèmes d’équilibres
des pouvoirs entre l’administration centrale et les féodalités
régionales, entre aussi les nationalités. Par conséquent, l’empire
continue de maintenir en parallèle une grande partie des forces
traditionnelles, Bannières et Bande Verte. Malgré les réticences
de l’appareil administratif, le Bureau de Guerre et remplacé par
un Ministère du même nom en septembre 1906.
La
chute du système impérial
Mais
toutes ces réformes arrivent trop tard car elles s’effectuent dans
un contexte social et économique désastreux suite aux différentes
guerres civiles qui se sont succédées. En outre, les puissances
étrangères ont imposées des « réparations »
exorbitantes de 450 millions de taels pour « dédommagement »
après la révolte des Boxers ; à titre indicatif, le budget
de l’état chinois pour 1902 se monte à 105 millions de taels !
L’ambitieuse réforme dans ces conditions ne peut être menée à
terme. La plupart des nouvelles divisions n’ont toujours pas reçu
leurs équipements lourds dix ans plus tard et leur instruction est
des plus variables. L’état central étant incapable de fournir
l’effort nécessaire, le financement, l’organisation et la mise
sur pied est alors de nouveaux partiellement délégués aux
autorités régionales. Ce qui va à l’encontre de l’objectif de
la réforme qui est d’avoir une armée nationale.
Les
principaux axes ferrés en Chine, années 1900 – 1930. Edward,
L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
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A
la veille de la disparition de l’impératrice douairière Tseu Hi,
les unités les plus effectives de la « Nouvelle Armée »
(environ 200 000 hommes) sont évidemment celle de l’armée du
Peiyang avec six divisions qui impressionnent favorablement les
attachés militaires étrangers lors de manœuvres où les troupes
sont déplacées rapidement par chemin de fer. Il y aussi les unités
de la province du Hupei du gouverneur Chang Chin Tung qui aligne la
8e
division et la 21e
brigade. Les efforts pour se doter d’une industrie d’armement
donnent des résultats médiocres. Les arsenaux de Tientsin, Wuhan,
et Kiangnan continuent de fabriquer des armes dépassées et la
production sous licence de fusils Mauser de 7,9mm insuffisante. Les
acquisitions de matériels étrangers, surtout pour l’artillerie,
se fait de façon désorganisée sans soucis de standardisation, en
fonction des offres des différentes puissances qui exercent leurs
influences sur des parties entières du pays et de la corruption des
élites locales.
Ces
bouleversements et réorganisations provoquent de plus en plus de
mécontentement au sein de l’armée, en partie travaillée par des
idéaux révolutionnaires propagés par des activistes qui veulent
renverser la dynastie mandchoue. Depuis sa fondation celle-ci est en
butte à une sourde hostilité d’un sentiment national chinois
toujours vivace. Au 19e
Siècle, il s’exprime violemment comme on l’a vu lors de la
révolte des Taiping. Sun Yat Sen reprend le flambeau sous sa version
moderne et en appelle au renversement de la monarchie au profit d’une
république. Il tente d’abord de s’appuyer sur les sociétés
secrètes mais celles-ci demeurent dans leur grande majorité
traditionalistes. Exilé, Sun Yat Sen parvient néanmoins à rallier
les diasporas chinoises des Etats-Unis et du Sud Est Asiatique qui
lui fournissent un soutien financier important. Il change de
stratégie et vise les élites chinoises, notamment les étudiants
envoyés poursuivre des études à l’étranger. Parmi ceux-ci, il
cible particulièrement les stagiaires militaires envoyés dans les
académies japonaises parfaire leur formation. Organisées en
cellules révolutionnaires clandestines, ces jeunes officiers de
retour au pays vont de plus en plus noyauter les unités de la
« Nouvelle Armée », d’autant que l’immense majorité
de ses officiers sont des Chinois. A tel point que la cour s’en
inquiète et met sur pied une Division de la Garde constituée de
Mandchous en 1908. Elle nomme aussi Yuan Shi Kai au sein du Grand
Conseil, à la fois pour le couper de l’armée du Peiyang où se
trouvent ses fidèles, et en même temps pour contrebalancer
l’influence des ultras du camp mandchou. En réalité, loin de
diminuer les tensions, cette architecture fragile ne fait
qu’accentuer le gouffre béant entre la monarchie et les élites
régionales. La concurrence et la défiance règnent désormais
jusqu’au plus haut sommet de l’état entre Mandchous et Chinois.
Yuan Shi Kai commence à susciter jalousie et crainte, y compris de
la part du nouveau ministre de la défense, le mandchou T’ieh
Liang. La proclamation d’une constitution en 1907, pourtant ultra
conservatrice, n’arrive pas à calmer le jeu politique. La
« Nouvelle Armée » est désormais au centre de celui-ci.
Mais comme dans l’empire ottoman, les formations militaires
modernisées, loin d’être un soutien au trône, s’avèrent au
contraire être des facteurs d’instabilité politique.
En
effet, plusieurs mutineries éclatent dans des garnisons dans le sud
du pays. A chaque fois elles sont durement réprimées. Le nouveau
régent qui gouverne à la place du jeune empereur Pu Yi pense
reprendre les rennes en renvoyant Yuan Shi Kai et en ne s’entourant
que de membres de la famille impériale. Il décide aussi de
précipiter la réalisation du plan des 36 divisions, avancé à
1912, tout en renonçant à un autre plus ambitieux de 55 divisions.
Mais les évènements vont aller en s’accélérant.
Soldats
lors de la révolution de 1911. Sources tiexue.net.
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Dans
la nuit du 9 octobre 1911, une nouvelle mutinerie éclata à Wuchang
au sein de la 8e
division. Au confluent de la Han et du Yantze, la ville jouxte les
cités de Hanyang et Hankow, avec ses concessions internationales, et
constitue donc un des principaux nœud de communications fluviales et
terrestres, ouvrant la porte à la Chine du Sud. Le 30e
régiment mandchou est surpris dans ses casernements et massacré.
Rapidement les mutins s’emparent de la ville où s’ensuit un
pogrom contre les civils mandchous. Pékin réagit rapidement en
mobilisant l’équivalent de deux divisions de l’armée du Peiyang
(4e division et éléments des 1e,
2e
et 6e
divisions) et les envoient par trains vers le sud. Dans le même
temps, une flotte constituée de croiseurs protégés et de
canonnières, sous les ordres de l’amiral Sa Chen Ping, remonte le
Yangtze pour couvrir le franchissement du fleuve. Les rebelles sont
repoussés devant Hankow. Mais des troupes de la 20e
division refusent de partir pour le Sud. Le restant de la 6e
division s’arrête au carrefour ferroviaire de Shihchiachuang et
ouvre des négociations avec les rebelles. Puis c’est au tour de la
flotte qui mouille devant Hankow de passer à la rébellion !
A
Nankin, la 9e
division se soulève à son tour et se range du côté des
révolutionnaires. Grâce au télégraphe, d’autres mutineries se
déclarent et des conseils régionaux en appellent à renverser la
monarchie. Presque partout des combats éclatent entre les troupes de
la « Nouvelle Armée », qui se déclarent pour la
révolution, et celles de l’Etendard Vert. L’ampleur du mouvement
révolutionnaire en surprend jusqu’à Sun Yat Sen qui se trouvait
alors aux Etats-Unis. Il revient précipitamment à Nankin où il est
investi premier président provisoire de la République de Chine.
Les
choses vont alors aller très vite et tout l’édifice va s’écrouler
comme un château de cartes. Paniqué, la cour en appelle à nouveau
à Yuan Shi Kai, espérant que l’armée du Peiyang se soumettra à
son autorité. Il pose ses conditions en réclamant pratiquement les
pleins pouvoirs militaires. Nommé Premier Ministre, il menace et
négocie à la fois avec les rebelles. L’assemblée nationale
révolutionnaire réunie à Nankin accepte ses conditions, avec
l’assentiment de Sun Yat Sen qui démissionne et lui cède la
place ! En effet devant le rapport de force défavorable, il
espère rallier à sa cause la partie la plus moderne de
l’institution militaire en amadouant Yuan Shi Kai. Le 12 février
1912, le dernier empereur, le jeune Pu Yi âgé de six ans, abdique.
On l’autorise néanmoins à résider avec une partie de la cour au
sein de la Citée Interdite.
Durant
un peu plus d’un an, les Nationalistes du Kuomintang (KMT) qui ont
obtenu la majorité absolue lors des toutes premières élections
législatives jamais organisées, tentent de négocier avec un Yuan
Shi Kai qu’ils espèrent parvenir à faire respecter les normes de
la nouvelle constitution démocratique qu’ait jamais connu la
Chine. Ils pensent que ce dernier acceptera de partager son pouvoir
avec un gouvernement civil. L’illusion s’estompe rapidement car
partout il place des hommes à lui, des gouverneurs militaires
remplaçant les civils. D’autre part, au grand dam du KMT, il ne
renégocie pas les conditions de contrôle budgétaire et fiscal du
pays vis-à-vis des puissances étrangères. Au contraire, il
contracte de nouveaux emprunts pour payer et développer l’armée
du Peiyang. En 1913, il déclare le KMT hors la loi. Les milices
nationalistes et les quelques unités demeurées fidèles à Sun Yat
Sen se font étriller dans une série d’engagements dans le bassin
du Yantze. Sun Yat Sen s’exile au Japon d’où il appelle à une
seconde révolution contre Yuan Shi Kai.
Le
12 décembre 1915, franchissant une nouvelle étape, Yuan Shi Kai se
proclame Empereur, sous le nom de Hong Tsiang, à la tête d’une
nouvelle dynastie chinoise Han. Il se heurte à la fronde des
provinces du Sud (Yunnan, Kwantung, Kwangsi et Kweichow) regroupées
autour du gouverneur du Yunnan qui proclame un « Gouvernement
National » à Chaoching, près de Canton. Celui-ci met alors
sur pied « l’Armée de Protection Nationale »,
organisée autour des éléments de la Nouvelle Armée opérant dans
le Yunnan, soit la 19e
division et la 37e
brigade. L’académie militaire de Yunnanfou fournit l’encadrement
nécessaire aux autres forces provinciales grâce à des cadets bien
formés. Le rétablissement de la monarchie sera de courte durée car
l’opposition se fait jour au sein même des généraux de l’armée
du Peiyang qui craignent que Yuan Shi Kai ne les prive de leurs
pouvoirs. D’autre part, le Japon menace ouvertement d’intervenir
pour « rétablir l’ordre » tout en misant ouvertement
sur les Républicains. Isolé, alors que les armées du Sud
progressent, Yuan Shi Kai consent à abdiquer le 22 mars 1916 après
un règne de 83 jours. Le 4 juin, il décède brutalement d’une
hémorragie cérébrale, laissant le pays au bord de la guerre
civile.
Yuan
Shi Kai qui s’empara de la présidence de la République de Chine à
l’issue de la révolution de 1911. Il tenta brièvement de se
proclamer empereur en 1915. Source Wikipedia.
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Une
période frénétique de tractations s’ensuit où certains leaders
du KMT tentent de sauvegarder l’unité du pays tandis qu’une
guerre de succession a lieu pour le contrôle de l’armée du
Peiyang. Les institutions civiles républicaines sont formellement
rétablies de même que le parlement. C’est dans ce cadre
dissolvant que la Chine entre à son tour dans la 1e
Guerre Mondiale en déclarant la guerre à la Triple Alliance des
Empires Centraux! En rejoignant le camp allié, la Chine promet de
mettre sur pied un corps expéditionnaire, « l’Armée de
Participation à la Guerre », de 3 divisions et 4 brigades
mixtes (40 000 hommes) qui seront déployées en Europe. En
contrepartie, les Occidentaux, et surtout les Japonais, s’engagent
à l’équiper et à en financer le fonctionnement. Bien sur, la
mise sur pied de cette force destinée à l’Europe va trainer en
longueur car le but de la manœuvre est évidemment de bénéficier
des subsides pour en fait renforcer l’armée du Peiyang dans la
compétition pour la conquête du pouvoir qui s’ouvre. Par contre,
près de 200 000 chinois seront envoyés en France avec un
statut flou, mi-civil, mi-militaire, pour servir comme ouvriers,
terrassiers pour le creusement des tranchées ou encore dans la
logistique.
Le
1e
juillet 1917 le gal Chang Hsun, dont les troupes conservent encore la
natte, signe de soumission et de fidélité à la cause impériale,
occupe Pékin et proclame la restauration de l’empire mandchoue !
Le coup d’état ne dure pas plus d’une semaine avant, qu’isolé,
il soit forcé d’abdiquer. Désormais, tout semblant de
gouvernement civil s’effondre. Les chefs de l’armée du Peiyang
se partagent le pouvoir entre Chün Fa ou « Cliques
militaires ». Fen Kuo Chang, à la tête de la « Clique
du Chihli », regroupant les gouverneurs militaires des
provinces du Hupei, Kiangsi, Kiangsu et Chihli, assure la Présidence
de la République ; Tuan Chi Jui, chef de la « Clique de
l’Anhwei », soutenus par les gouverneurs militaires des
provinces de l’Anhwei, Honan, Shensi, Chekiang, Fukien, Shantung,
Suiyuan, Chahar et Jehol, ainsi que la région de Pékin, en est le
Premier Ministre. Il est le véritable maître du pays, après avoir
déposé Chang Hsun. Mais la défiance règne entre eux alors que des
provinces entières échappent à l’autorité centrale du
gouvernement. En effet, profitant des troubles, les marches
frontières ont pratiquement recouvré leur indépendance ;
Tibet, Mongolie, Sinkiang. Dans le Shansi, le gal Yen Hsi Shan, après
avoir soutenu la révolution, y a érigé un véritable état
indépendant, un statut qu’il maintiendra pratiquement jusqu’à
la victoire des Communistes en 1949. Surtout, le maréchal Chang Tso
Lin, un ancien bandit de grands chemins adoubé chef militaire par
les autorités impériales qui n’arrivaient pas à le réduire, a
regroupé autour de lui pratiquement toutes les provinces
(Heilungkiang, Liaoning et Kirin) constituant la Mandchourie au sein
de la « Clique du Fengtien ». Il est tacitement appuyé
par les Japonais qui y gèrent le réseau ferré local. Les provinces
du Sud sont en état de sécession, avec Tang Chi Yao à la tête du
Yunnan alors que Lu Jung Ting contrôle le Kwangsi et une partie du
Kwangtung. Les provinces du Hunan et du Szechwan sont quant à elles
divisées entre de nombreux chefs locaux. Les musulmans chinois (Hui)
se sont aussi soulevés sous la direction de Ma Pu Fang qui occupe
les provinces occidentales du Kansu, Ninghsia et Chinghai, entre
plateaux tibétains et mongol, et entre le désert de Gobi et la
vallée du Fleuve Jaune. Entre les unités militaires rivales,
milices et groupes de brigands, les observateurs étrangers estiment
alors que près d’un million d’hommes en armes font régner
l’insécurité dans les campagnes à la fin de 1919.
Entre
temps, Sun Yat Sen est revenu d’exil et s’est installé à Canton
où il en fait la base d’appui du KMT. Il y proclame, le 3
septembre 1917, un « Gouvernement Militaire », et
s’arroge le titre de Généralissime. Cependant, sa marge de
manœuvre et des plus étroites car il ne dispose que de peu de
troupes, à part une partie de la Marine. L’amiral Chen Pi Kuang a
en effet rallié la cause nationaliste. Les marins, réputés plus
libéraux, s’opposent au gouvernement de Pékin au sein de la
« Clique du Fukien » mais leur leader est rapidement
assassiné. Sun Yat Sen ne peut alors que composer avec les chefs du
Sud, les généraux Tang Chi Yao et Lu Jung Ting qui ont entre temps
dissous, le 14 juillet 1916, le « Gouvernement National »
de Chaoching.
Tuan
Chi Jui, chef de la Clique de l’Anhwei fut l’homme fort
de la Chine entre 1917 et 1920. Il tenta en vain de maintenir l’unité
de l’armée du Peiyang. Source Wikipedia.
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Les
premiers combats de la guerre civile éclatent sur la ligne de
contact entre les forces du Peiyang et celles du Sud. La province du
Szechwan concentre toutes les attentions car les autorités locales
se sont effondrées à la suite de la révolution. Les troupes
yunnanaises l’occupent partiellement, surtout pour exploiter ses
mines de sel qui apportent des revenues confortables. Pékin ordonne
alors le déploiement des 8e
et 20e
divisions de la « Clique de l’Anhwei » pour les
repousser. Mais après avoir subi des pertes sensibles, celles-ci
négocient une trêve. Des combats éclatent alors brièvement dans
la province du Hunan mais aucune des parties ne semblent encore
vouloir en découdre pour de bon, même si désormais les unités
nordistes paraissent de loin mieux organisées que celles du Sud. En
effet, l’ascendant de l’armée du Yunnan s’est estompé et
dissous dans le factionnalisme. En fait, c’est en Chine du Sud que
les régionalismes vont s’affirmer avec le plus de virulence dans
un climat de délitement de l’état central qui va aussi servir
d’incubateur aux mouvements révolutionnaires, d’abord
nationaliste, puis communiste. Le parti communiste, créé le 23
juillet 1921 dans la concession française de Shanghai, tente de
noyauter les premiers mouvements ouvriers d’un prolétariat
naissant dans les grandes villes. En effet, la 1e
Guerre Mondiale profite à l’industrialisation de la Chine, surtout
le secteur textile en pleine expansion grâce à des capitaux
japonais, afin de répondre aux besoins de l’Europe. L’annonce à
la conférence de la Paix à Paris que les possessions allemandes de
la Chine vont être transférées au Japon provoque une indignation
générale dans le pays. Menés tout d’abord par les étudiants, à
partir du 4 novembre 1919, des manifestations et des émeutes
antijaponaises éclatent à travers les grandes villes du pays. Elles
marquent l’émergence d’une conscience patriotique qui non
seulement rejette la domination étrangère mais aussi en appelle à
un véritable gouvernement national, critiquant avec virulences les
différents clans des « seigneurs de guerre » ou
« Tuchün », un terme qui s’impose à partir de 1919.
Le
règne des Tuchün
Or
ceux-ci dominent plus que jamais le jeu politique et pendant encore
deux ans Tuan Chi Jui parvient à maintenir la fiction d’un
gouvernement chinois. Avant toute chose, il faut maintenir l’unité
de l’armée du Peiyang. Or celle-ci montre des signes évidents de
dislocation, les commandants de brigades et divisions s’érigeant
en potentats locaux en utilisant leurs troupes pour se tailler des
fiefs. Sur le papier, elle contrôle encore en Mandchourie les 6e,
10e,
27e
et 28e
divisions, ainsi que la 2e
brigade mixte ; dans la Chine centrale les 1e,
2e,
4e,
8e
et 20e
divisions. Avant l’été 1919, il y avait encore l’espoir que
Tuan Chi Jui parviendrait à arrêter un compromis entre les
différentes factions et restaurer le gouvernement central. Mais la
mécanique infernale était enclenchée et tous efforts dans ce sens
allaient être contrecarrés par la logique même du système quasi
féodal des seigneurs de guerre où les liens de loyauté et de
subordination personnels ont supplanté tous liens hiérarchiques
officiels.
Un
« seigneur de guerre » type est généralement un
gouverneur militaire d’une ou de plusieurs provinces. Un titre qui
lui a généralement été attribué par le « gouvernement
central », avec lequel il ne maintient qu’un lien de
vassalité distant, mais parfois, il se l’est arrogé lui-même par
la force. Il mène ses troupes en personne souvent pour chasser
l’autre Tuchün de son fief pour s’en emparer. Une fois la tâche
accomplie, il se rend compte rapidement que sa nouvelle province a
été saignée à blanc par son prédécesseur. Mais quoi qu’il en
soit, il faut qu’il rentre dans ses frais, ne serait-ce que pour
rembourser ses soutiens et payer, de façon irrégulière, ses
soldats. Car s’il n’arrive pas à s’assumer financièrement, il
tombera irrémédiablement sous la coupe d’un autre seigneur de
guerre. Il ne peut donc que lever de nouveaux impôts, notamment les
taxes foncières, perçues plusieurs années à l’avance !
L’extension des cultures d’opium, dans la mesure du possible, est
aussi une activité très rémunératrice. A cela se rajoutent
rackets et extorsions.
Soldats
de la Clique du Chihli, années 190 – 1925. Sources
Phillip, Jowett ; Andrew, Stephen, Chinese Civil War Armies
1911-1949, Osprey, Oxford 1997.
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Brutalité
et arbitraire sont les maux courants pour ses administrés. La
population craint ainsi particulièrement les rotations des
garnisons ; celles partantes, comme les nouvelles venues,
s’arrogeant le droit aux pires exactions. La plupart des soldats
sont toujours recrutés parmi les classes les plus défavorisées.
Coupés du reste de leurs communautés, « l’armée » du
seigneur de guerre devient sa nouvelle famille d’adoption. Même si
son unité est dissoute, la bande souvent survit et sombre dans le
banditisme. La vie y est misérable pour cette chair à canon, à la
limite de la subsistance. Mais dans un monde rural chinois où le
spectre de la famine rode, même un emploi au bord de la subsistance
est une perspective envieuse, surtout s’il y a de temps à autre la
promesse de butins. Les postes d’officiers sont bien sur nommés en
fonction des liens personnels avec le Tuchün. Tout système de
gestion centralisée du personnel qui existait encore avant la
révolution de 1911, et dans l’armée du Yunnan jusqu’en 1916,
avait pratiquement disparu. Toute l’armature d’une armée de
seigneur de guerre repose désormais sur la loyauté personnelle.
Celles-ci peuvent être subverties par la corruption, la « balle
d’argent » dans le jargon local, ou la trahison. Néanmoins,
des spécialistes sont toujours recherchés pour les postes
d’encadrement intermédiaires, issus de quelques prestigieuses
académies militaires, Paoting ou Kunming, surtout pour servir dans
les armes techniques comme l’artillerie, le train ou même
l’aviation. Car si certains seigneurs de guerre ne peuvent aligner
que des bandes inorganisées pauvrement armées, d’autres, comme
Chang Tso Ling en Mandchourie, disposent de forces conséquentes
dotées d’armes modernes, de trains blindés, chars et d’avions
de combat. On fait appel aussi à des mercenaires étrangers, surtout
des Russes Blancs exilés. En fait, la dégradation continue de la
situation fait qu’on estime le nombre d’hommes en armes dans la
pays à environ 500 000 hommes en 1916 à un peu plus de 2
millions en 1928, pour une population globale de 470 millions. Les
services de renseignement britanniques recensaient en 1918 la
présence en Chine de 1 526 canons et obusiers, dont 46 pièces
lourdes. Le nombre de mitrailleuses est estimée à seulement 1394,
ce qui fait un ratio d’à peu près un canon et une mitrailleuse
pour 1 000 hommes. A titre de comparaison, l’armée allemande
alignait en moyenne 16 mitrailleuses et 6,4 canons pour 1 000
hommes à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un effort
conséquent est fourni pour moderniser et développer les arsenaux
locaux dans les années vingt mais qui n’arrive pas à répondre
aux besoins. Les meilleurs arsenaux sont alors ceux de Mukden en
Mandchourie de la Clique du Fentieng et Taiyuan dans le Shanxi.
Hanyang est le centre de production le plus important pour la Clique
du Chihli, suivi de celui de Kiangnan de Shanghai. La production
chinoise globale est alors estimée à 7 000 fusils et 5,5
millions de cartouches par mois en 1923 à 16 000 fusils et
18,5 millions de cartouches par mois en 1928.
Il
faut donc continuer à se tourner vers l’étranger pour l’essentiel
des besoins malgré un embargo sur les ventes d’armes décrété le
5 mai 1919. Inspiré par les Etats-Unis, traversés par une vague de
puritanisme, et soutenu par la Grande Bretagne pour d’autres
motifs, les chancelleries occidentales parviennent aussi à rallier,
avec des clauses restrictives, la France ainsi que le Japon. Mais
d’autres pays producteurs d’armes ne signent pas le texte ;
Allemagne, Autriche, Italie, Tchécoslovaquie, Suisse, Suède et
Union Soviétique. L’embargo est d’autant plus fragilisé que
dans une subtile hypocrisie, les puissances signataires autorisent
leurs citoyens, « à titre privé », à faire le commerce
des armes ! A travers eux, les services de renseignement de
chaque puissance vont tenter d’influencer sur les évènements en
Chine. Américains et Japonais qui visent déjà au leadership en
Asie vont ainsi s’affronter sur ce terrain au travers de
subterfuges pour chacun armer leurs obligés locaux. Quoi qu’il en
soit, la Chine va rapidement absorber une partie des surplus
d’armement de la Guerre Mondiale mais aussi les nouveaux modèles
mis sur le marché. Les nouvelles armes d’infanterie, mitraillettes
et fusils semi-automatiques, souvent délaissés dans leurs pays
d’origine, vont ainsi être particulièrement prisées dans les
entourages de gardes du corps des différents seigneurs de guerre. On
assiste aussi à la mise sur pied d’aviations régionales qui
mettent en œuvre des appareils modernes. La Clique de l’Anhwei qui
contrôle l’armée mise sur pied pour participer à la guerre en
Europe, rebaptisée « Armée de Défense des Frontières »
en juin 1919, bénéficie des subsides japonais et commence à en
importer des armes. La Clique du Fentieng s’arme aussi auprès des
Japonais mais la France lui livre également des armes lourdes ;
artillerie, chars Renault FT-17, bombardiers Bréguet 14. La Clique
du Chihli et les provinces du Sud s’approvisionnent principalement
auprès des Britanniques et des Français. A Canton, Sun Yat Sen qui
a pour modèle la constitution américaine, tente en vain de se faire
reconnaître comme étant le gouvernement légitime du pays et
d’obtenir officiellement des armes de Washington. Désillusionné,
il finira par accepter l’aide des Soviétiques.
L’importation
des armes ne fait que perpétuer le cycle de violence. Elles
confortent le pouvoir de potentats locaux, brutaux et parfois
grotesques. Il en va ainsi du général « viande de chien »,
Chang Tsung Chang du Shantung, surnommé ainsi par les Occidentaux à
cause de ses goûts culinaires et qui se vantait de ne jamais savoir
combien il disposait exactement de troupes, résidences ou de femmes.
Pas tous les seigneurs de guerres ne ressemblaient à cette
caricature. Certains tentaient d’établir un mode de gouvernement
plus acceptable, en imposant un semblant d’ordre civil et
favorisant le redémarrage économique. Le plus avisé d’entre eux
fut sans conteste Yen Hsi Shan, surnommé le « gouverneur
modèle ». Il fit de sa province du Shansi un état quasi
autonome, y développant les chemins de fer et l’industrie
métallurgique de même que l’arsenal de Taiyuan qui fabrique aussi
des mitrailleuses et des pièces d’artillerie. Dans le Sud, Chen
Chiung Ming qui contrôle la partie orientale de la province du
Kwangtung et le Fukien se vit comme un révolutionnaire en s’alliant
à Sun Yat Sen à Canton. Même si plus tard il est amené à rompre
avec le KMT, car il se fait le défenseur d’une Chine fédéraliste
que plutôt centralisatrice, il initie des réformes sociales et
prend sous son aile des intellectuels de gauche tels que Chen Tu
Hsiu, un des futurs membres fondateur du parti communiste chinois, ou
encore Peng Pai dont les théories de réformes agraires et
d’organisation des masses paysannes vont être reprises par Mao Tsé
Toung.
Les
contemporains chinois aimaient à comparer leur situation politique
en se référant à leur histoire, à la période des « printemps
et automnes » entre les 8e
et 5e
Siècles avant notre ère, lorsqu’à l’effondrement de l’autorité
impériale se substituèrent une série de royaumes et principautés
se battant entre eux pour l’hégémonie. En effet la tension
croissante entre Tuchün allait engendrer trois guerres majeures
entre 1920 et 1925.
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