L'armée
ottomane
Pendant
longtemps, toute étude sérieuse sur l'armée ottomane en Occident a
été entravée par des préjugés liées à la peur du « péril
turc », remontant à l'époque des conflits entre Etats
chrétiens et l'Empire ottoman musulman. Ces préjugés sont
tellement enracinés qu'ils sont aujourd'hui à peine remarqués :
les costumes de la plupart des cirques, par exemple, sont souvent une
moquerie à peine déguisée (sic) des uniformes ottomans. Les
témoins de l'époque sont parfois beaucoup plus objectifs. Laonikos
Chalcocondyle, qui écrit à la fin du XVème siècle, après 1480,
note ainsi que le succès des Ottomans doit beaucoup à leur stricte
discipline, à une bonne logistique, à une attention portée au bon
état des routes, à des camps bien montés et à des services de
premier ordre.
Les soldats de l'armée ottomane au début du XVème siècle : un fantassin yaya, un cavalier spahi de l'armée provinciale et un fantassin régulier.-Source : Osprey. |
Dès
le milieu du XIVème siècle, les sultans ottomans alignent des
effectifs militaires considérables, relativement à la taille de
leur Etat. Les Turcomans nomades servent en tant qu'akincis
s'ils sont des volontaires attirés par le pillage, ou comme yürüks
s'ils se regroupent en contingent tribal. Ce sont des archers montés,
parfois équipés d'armures lamellaires et d'un lasso : ils ne
peuvent prendre des forteresses ou occuper des territoires, aussi le
sultan les utilise-t-il comme « raiders » sur la
frontière. Orhan est le premier à organiser une armée
véritablement professionnelle, comprenant des musulmans et des
chrétiens. Les cavaliers sont dirigés par des sanjak beys et
sont répartis en unités de 1000 et de 100. Les fantassins, de la
même façon, sont regroupés en dizaines, centaines et milliers. Les
hommes à pied sont surtout des archers : quand ils servent chez
les Byzantins, ceux-ci les appellent mourtatoi. Payés en
numéraire, on leur octroie ensuite des terres. Ces troupes sont en
général plus fidèles au chef local qu'au sultan, aussi celui-ci
les relègue-t-il souvent en deuxième ligne dès la fin du XIVème
siècle.
Le
corps des Kapikulu
(« esclaves de la
Porte ») semble
être né dans la seconde moitié du XIVème siècle, avec son
infanterie d'élite, les janissaires. Au départ, ce sont des
prisonniers de guerre que l'on a reconvertis en soldats. Le
devchirme,
ou recrutement forcé d'enfants chrétiens pour alimenter les rangs
des janissaires, n'est instauré qu'en 1438. Il est parfois populaire
dans certaines régions : ainsi, les musulmans bosniaques,
pourtant exemptés car islamisés, s'arranger pour y glisser leurs
enfants, en raison de leur pauvreté. Les janissaires reflètent la
société ottomane, dominée par une élite militaire et où la
mobilité sociale est alors plus forte qu'en Europe Les plus
brillants rejoignent le palais du sultan comme pages. Ils ont jusqu'à
sept années de formations pour intégrer la cavalerie des Kapikulu,
le commandement des Kapikulu
ou de hautes fonctions administratives. Les régiments de janissaires
(ortas)
reflètent les confréries de ghazis
dont ils sont issus : il y en aura jusqu'à 101, qui comprennent
de 50 ou 100 et jusqu'à 3 000 hommes. 34 unités spéciales
fournissent la garde rapprochée du sultan et un vivier d'officiers.
La plupart des grades a une conotation culinaire, survivance de
l'époque nomade turque : le colonel est le chef de la soupe, le
quartier-maître est le chef cuisinier, etc. Le symbole le plus
fameux de chaque orta
est d'ailleurs la marmite, où sont cuites les rations quotidiennes
et autour de laquelle les hommes s'assemblent pour manger. Renverser
ce chaudron est un signe de mutinerie. Chaque orta
a son emblème sur un drapeau, présent aussi sur les tentes, les
bras, les mains et les jambes des soldats. Les hommes reçoivent un
salaire mensuel et sont cantonnés dans des baraquements. Les
promotions se font à l'ancienneté, et les janissaires viellissants
ou mutilés reçoivent une pension et intègrent les unités de
vétérans (oturak).
L'entraînement est régulier avec des armes telles que l'arc, la
fronde, l'arbalète et le javelin. Les premières armes à feu sont
adoptées contre les Hongrois, à partir de 1440, mais leur emploi ne
se généralise qu'au XVIème siècle.
Les janissaires sur une miniature représentant la bataille de Mohacs (1526)-Source : Wikipédia. |
Le
fait que les janissaires soient tirés d'esclaves ne doit pas
surprendre : la pratique est alors fort commune aussi bien chez
les chrétiens que chez les Turcs islamisés, de même que le
massacre des prisonniers de guerre en certaines occasions. Les
Ottomans ont su se montrer, dès les origines de la dynastie,
remarquablement tolérants, ce qui entraîne des conversions ou le
maintien d'une élite militaire chrétienne dans un certain rôle.
Les premiers janissaires sont probablement formés dans les années
1360, après la conquête de la Thrace, à partir de prisonniers de
guerre byzantins. Ils servent de complément à l'infanterie des
yaya.
Mourad II, qui instaure la pratique du devchirme en 1438, réoriente
les janissaires vers la conquête de l'Europe plutôt que la guerre à
l'est. Mehmet II fait des janissaires le coeur de l'armée ottomane
et introduit ses fidèles pour créer un corps très discipliné. Les
janissaires ne sont qu'un millier dans la seconde moitié du XIVème
siècle mais déjà 12 000 au moment du siège de Constantinople.
Archers, ils deviennent progressivement des arquebusiers avec
l'introduction massive des armes à feu au XVème siècle. Leur rôle
a été souvent exagéré dans la conquête ottomane des premiers
siècles, bien qu'au XVème, les Kapikulu
soient effectivement de plus en plus en pointe de l'armée du sultan.
Les janissaires tiennent le centre de la ligne de bataille à Kosovo
en 1389. En 1402, à Ankara, ils tiennent au centre en position
défensive devant la cavalerie de Tamerlan jusqu'à ce que les ailes
montées ploient. A Varna, en 1444, leur défense est basée sur le
« cercle de
chariots »
(tabur),
avec une aile gauche garnie de toutes les armes à feu.
Le
corps des Kapikulu
prend une place de plus en plus importante dans l'empire ottoman.
Mehmet II place le corps sous le commandement d'hommes issus du
devchirme ;
il y a alors 12 000 janissaires et les fiefs provinciaux (timar)
sont de plus en plus octroyés à des cavaliers du Kapikulu.
La cavalerie est plus importante et plus prestigieuse que les
janissaires : il ne faut pas la confondre avec celle,
provinciale, des spahis,
bien qu'elle mette la main sur de nombreux fiefs provinciaux. Elle
comprend 6 régiments. 4 remontent au XIVème siècle ; les
« porteurs
d'armes »
constituent la garde du corps du sultan avant d'être remplacés par
les « enfants
spahis » créés
par Mehmet Ier.
La
cavalerie des spahis
forme le gros de l'armée ottomane : elle peut aligner jusqu'à
40 000 hommes, pour moitié issus des provinces européennes
(Roumélie). Le fief dit timar
entretient normalement un cavalier ; les zeamets
permettent aussi d'aligner des suivants. Les fiefs appelés hass
appartiennent aux grands personnages de l'empire. Mais les droits des
spahis sont limités : le timar
n'est pas, en fait, un fief au sens occidental du terme. Le système
s'installe d'abord en Asie Mineure puis dans les populations
chrétiennes soumises des Balkans. Les spahis
fournissent au sultan une bonne cavalerie légère. Au déclenchement
de la campagne, un spahi
sur dix reste sur place pour assurer l'ordre, les autres se
regroupent en alay
(régiments). Les sanjak
beys rejoignent alors
les gouverneurs provinciaux (belerbeys)
puis le sultan. Les spahis
d'Anatolie
ou de Roumélie
reçoivent souvent la place d'honneur, à droite, sur le champ de
bataille, selon l'endroit où se déroulent les combats. Les raiders
akinci
doivent précéder l'armée, éclairer sa marche, effrayer l'ennemi,
menacer ses voies de communication. Ils défendent les frontières de
l'empire, opèrent dans les zones montagneuses difficiles, éliminent
la guérilla sur les arrières de l'armée. Ils sont normalement
contrôlés par les gouverneurs des provinces frontalières et vivent
du pillage. Le sultan utilise aussi les forces fournies par
ses vassaux chrétiens. Les princes parfois otages servent dans le
régiment müteferrika
dans la capitale. Ce régiment, qui comprend aussi les fils de la
noblesse turque, fait partie du Kapikulu.
Les Bulgares, les Albanais et les Serbes sont ainsi contraints
d'envoyer leurs fils servir le sultan. Les Serbes fondent des canons
à la fin du XIVème siècle et les Ottomans récupèrent cette
production. A la bataille d'Ankara contre Tamerlan, en 1402, une
infanterie serbe en armure d'acier noir utilise des armes à feu
tandis que la cavalerie combat à la lance et à l'épée.
Un cavalier spahi (sipahi) de l'armée ottomane. Cette cavalerie provinciale forme le gros des effectifs mais commence à être supplantée, sous Mehmet II, par le corps des Kapikulu-Source : Osprey. |
L'infanterie
ottomane est désignée par de nombreux termes, à commencer par
celui d'azap
au XIVème siècle : une infanterie de marine, puis des archers
légers opérant en avant des formations régulières. Recrutés pour
la durée d'une campagne, ils sont plus tard soldés et tiennent
garnison. Les voyniks
sont les chrétiens des Balkans, qui servent comme fantassins dès le
règne de Mourad Ier ; ceux de Thessalie jouent un grand rôle
dans le siège de 1453. On ne sait pas très bien quand les Ottomans
commencent à utiliser pour la première fois l'artillerie. Des
canons auraient été employés en 1388 contre les Karamanides, puis
en 1389 à Kosovo et en 1396 à Nicopolis. L'artillerie commence à
se généraliser à partir des années 1420. Les Ottomans ont
récupéré les experts des Balkans pour la fonte de canons et vont
se distinguer par la fabrication d'énormes pièces et l'utilisation
d'une poudre de meilleure qualité, qui provoque une fumée blanche.
Les artilleurs utilisent le feu croisé, des tirs séquencés entre
batteries espacées, le tir de nuit, des mantelets de protection, des
canons moyens pour fragiliser les défenses puis les achever au canon
lourd, en particulier. Le corps des artilleurs fait partie du
Kapikulu
et a été fondé par Mourad II.
Au
niveau de la structure de commandement, le sultan a la mainmise sur
sa garde mais aussi sur les unités régulières provinciales, comme
celles de Roumélie ou d'Anatolie, qui dépendent de lui. Ces
régiments comprennet une cavalerie lourde de féodaux, la cavalerie
légère irrégulière qui mène la guerre frontalière, et
l'infanterie des levées. Les détachements fournis par les vassaux
chrétiens du sultan reçoivent leurs propres officiers turcs. La
garde du sultan comprend pas moins de 6 régiments, dont font partie
les janissaires, avec à la fois de l'infanterie et de la cavalerie.
La taille de l'armée ottomane a souvent été exagérée par ses
ennemis : chaque province fournit en fait 400 cavaliers, et les
janissaires ne comprennent alors que 12 000 hommes.
Pendant
le siège, les Ottomans vont se distinguer par leur utilisation de
l'artillerie et par la volonté de mener un assaut combiné
terre-mer. Ils n'hésitent pas à recourir à une forme de guerre
psychologique, notamment par l'utilisation de la musique militaire.
Les cavaliers et fantassins ottomans se servent surtout de leurs arcs
à pied, et montrent des qualités certaines pour les travaux de
siège et face aux revers qu'ils subissent, ne se décourageant pas
facilement. Mehmet II porte un intérêt particulier à
l'artillerie : on le crédite même de la mise au point d'un
mortier à longue portée pendant le siège. Les sapeurs ottomans
relèvent de la longue tradition islamique de la guerre de siège,
qui utilisent alors de nombreux projectiles incendiaires plutôt que
les béliers ou les tours d'assaut. La flotte ottomane doit avant
tout assurer le transport des troupes d'Anatolie en Roumélie mais
prend part de plus en plus à des opérations de combat : son
apparition sera une mauvaise surprise pour les défenseurs. Cette
marine, basée à Gallipoli, est sous-estimée par ses adversaires :
pourtant, les Ottomans ont appris et ont mis à la tête de leurs
galères des convertis, anciens chrétiens, qui bénéficient d'une
certaine expérience en la matière.
Un canon en bronze ottoman du type de ceux utilisés pendant le siège de Constantinople.-Source : Wikipédia. |
L'armée
byzantine
Depuis
le début du XIIIème siècle, l'Empire byzantin ne peut plus aligner
d'effectifs conséquents. Les armées dépassant les 10 000
deviennent extraordinaires. Si au XIIIème siècle la différence
entre l'armée centrale des tagmata et les armées
provinciales tend à se réduire, Byzance recourt massivement à
l'emploi de mercenaires qui assèche ses rares ressources
financières. Jean Cantacuzène parvient dans la décennie 1330 à
imposer un service obligatoire à la frontière, mais l'effort
s'interrompt avec le renouveau de la guerre civile en 1341. Jean
Cantacuzène lui-même s'empare de Constantinople avec seulement 1
000 hommes, en 1347. L'empereur, devenu vassal du sultan, ne dispose
plus qu'une armée réduite à la portion congrue : le sultan
Bayezid ne demande que 100 hommes à Byzance en 1390...
Les soldats byzantins après la reprise de Constantinople par l'Empire de Nicée, en 1261.-Source : Osprey. |
Le
système des pronoai, soldats rétribués par des revenus
fonciers, mis en place par les Comnènes, survit jusqu'à la fin du
XIIIème siècle. Plutôt un cavalier lourd, le pronoiarios
est appelé pour une campagne et quand il est propriétaire foncier,
amène avec lui ses hommes, dont, parfois, des mercenaires. Des
soldats-paysans fournissent la cavalerie légère et l'infanterie. Ce
système décline rapidement au XIVème siècle en raison de l'avance
des Turcs. La guerre civile entraîne également une hérédité des
revenus et des terres qui contribue à l'effondrement du recrutement.
Le
terme le plus courant pour désigne les unités est désormais celui
d'allagion : au départ troupe de cavalerie de 50 hommes,
elle devient parfois une force de 300 voire 500 hommes. Elle est
subdivisée en groupes de 100, 50 et 10 hommes et plusieurs peuvent
être regroupées en formations plus importantes. L'allagion
disparaît avec la perte de l'Asie Mineure. On parle ensuite,
dans les provinces européennes, de megala allagion pour les
armées provinciales, dénommées en conséquence. La conquête par
les Ottomans de ces régions provoque en retour la constitution
d'unités ad hoc dans un Empire byzantin de plus en plus
rétréci.
La
fameuse Garde Varange est encore attestée en 1404 mais a peut-être
cédé la place à une unité de Crétois signalée en 1422. En 1437,
une autre unité de la garde, composée de Catalans, apparaît encore
dans les sources : elle avait été formée par Jean
Cantacuzène. Les propres servants et proches de l'empereur
constituent une garde rapprochée, encore signalée autour de
Constantin XI par Nicolo Barbaro. Les anciens thèmes, subdivisions
militaires de l'Empire dirigés par un dux, sont remplacés au XIVème
siècle par des circonscriptions plus petites, les katepanikon,
centrés autour d'un kastron (une ville fortifiée avec un
donjon). Le kephale dispose de plusieurs officiers pour
organiser la défense et les garnisons provinciales sont à
recrutement local. Mais ces garnisons sont composées de miliciens,
qui garnissent aussi les nombreuses tours de garde (pyrgoi)
édifiées en Thrace et en Macédoine, en particulier, entre les
XIIIème et XVème siècles. L'efficacité de la défense dépend
donc, de plus en plus, des situations locales.
Soldats byzantins du XIVème siècle.-Source : Osprey. |
Le
déclin de la marine byzantine commence dès le Xème siècle, avant
de s'arrêter quelque peu sous les Comnènes. Les marchands italiens
prennent de plus en plus l'ascendant pour la fourniture à Byzance de
moyens navals et en 1204, la flotte byzantine a pour ainsi dire
disparu. Elle n'est reconstruite qu'après la reconquête de
Constantinople par l'Empire de Nicée en 1261. Michel VIII crée
plusieurs unités : les Gazmouloi, les Tzakones
(de l'infanterie de marine issue de Morée) et les Prosalentai,
qui fournissent les rameurs. La marine byzantine aligne 80 navires
dès 1283, mais les empereurs la démantèlent ensuite en partie et
les Génois fournissent de nouveau l'essentiel des bâtiments. Au
XIVème et XVème siècles, les sources mentionnent fréquemment 10
navires en tout et pour tout pour les Byzantins...
La
chaîne de commandement, avec l'empereur au sommet, est
particulièrement complexe. Le Livre des Offices du
Pseudo-Kodinos, en 1355, mentionne dans l'ordre le despote, le
sébastocrator, le César, le Megas Domestikos
(commandant de l'armée en cas d'absence du précédent) et le Megas
Doux (commandant de la flotte), qui sont les rôles principaux.
L'artillerie, bien que connue dans les Balkans dès la seconde moitié
du XIVème siècle et utilisée par les Turcs en 1400, n'apparaît
côté byzantin que lors du siège de 1422. Les canons ont
probablement été obtenus par les Vénitiens ou les Génois, et le
premier fondeur à Constantinople n'est mentionné qu'en 1452. Les
armes à feu portatives ont peut-être été utilisées par les
soldats byzantins pour la défense de Constantinople, mais ce n'est
pas assuré : ils les appellent molybdobolon (lanceur de
plomb), skopeta ou touphax, mots dérivés des termes
italiens ou turcs.
L'armée
byzantine est donc surtout composée de mercenaires, parfois
organisés, comme la fameuse compagnie catalane de Roger de Flor. Les
Albanais sont installés en nombre par les despotes de Morée sur
leurs terres et fournissent à ce prince d'excellents combattants. Le
duc de Bourgogne Philippe le Bon envoie 300 hommes en 1445 pour
soutenir le despote Constantin, futur empereur. A côté des Catalans
et des Crétois, les Byzantins ont aussi recours à des Européens.
En 1399, le maréchal Boucicault, après le désastre de Nicopolis,
se met au service de l'empereur avec 600 hommes d'armes, 1 000 valets
et 600 archers soldés par le roi Charles VI. Une partie de
l'effectif reste sur place jusqu'en 1402. Enfin, les Byzantins
utilisent, à partir de la guerre civile du milieu du XIVème siècle,
de plus en plus de Turcs comme auxiliaires. Jean Cantacuzène en
emploie jusqu'à 20 000 en 1349. Des mercenaires valaques sont
également présents lors du siège de 1422.
Constantinople
ne compte plus, en 1453, que 40 à 50 000 habitants, et une garnison
de quelques centaines d'hommes. Un recensement de tous les hommes en
état de se battre demandée par l'empereur à George Sphrantzès
donne ainsi 4 973 Grecs, professionnels ou miliciens, et 200
résidents étrangers mobilisables. Mais ce dernier chiffre n'inclut
que les résidents étrangers permanents. La défense est
probablement assurée par une fourchette de 6 à 8 500 hommes, dont
beaucoup de miliciens. L'archevêque Léonard donne 6 000 Grecs et 3
000 étrangers. L'empire byzantin ne peut plus recruter de
mercenaires : sa défense repose donc sur des troupes
autochtones et sur les volontaires étrangers présents dans la
capitale, soldats et marins. A l'intérieur de murailles encerclant
une surface devenue immense pour la faible population, on trouve
plusieurs concentrations d'habitants séparées par des espaces en
friches. Le quartier des commerçants étrangers, près de la Corne
d'Or, à l'est, est ainsi plus peuplé. Chaque quartier à sa milice.
Les monastères emploient alors des gardes armés et dans la
campagne, les moines veillent dans les tours d'observation : on
les verra également sur les remparts de la ville. La défense
comprend sans doute un grand nombre d'archers et d'arbalétriers
byzantins -ces derniers étant particulièrement renommés. Elle
dispose de pièces d'artillerie, moins imposantes que celles des
Ottomans, et de nombreuses armes à feu portatives ; le feu
grégeois est sous la responsabilité de Johannes Grant, que l'on
croit être un Ecossais arrivé à Constantinople via le Saint
Empire, parmi les troupes de Gustiniani.
Les
murs de Constantinople sont ceux édifiés par l'empereur romain
Théodose II (408-450). Seule exception, l'empereur Manuel a fait
ceindre le nouveau quartier des Blachernes d'une muraille plus
récente, avec tours, mais sans fossé. Un mur de fortune a été
construit à l'intérieur du grand fossé protégeant les
fortifications à partir de 1341 et a été renforcé entre 1443 et
1448. Les améliorations portent aussi sur la capacité à accueillir
des armes à feu, évidement non envisagée à l'origine. Une chaîne
massive barre par ailleurs l'entrée de la Corne d'Or aux navires, en
étant tendue de la ville jusqu'à Galata. L'absence d'une véritable
marine de guerre, en revanche, va se révéler un handicap important
pour les Byzantins. Sur ce plan, le renfort des Génois et des
Vénitiens compense ce manque, mais pas suffisamment.
Un
siège dantesque (6 avril-29 mai 1453)
En
janvier 1453, Mehmet II est à Edirne, où les régiments de l'armée
provinciale se rassemblent avec les troupes de la garde. Bientôt
arrivent aussi un contingent serbe de 1 500 hommes et des mineurs de
même origine. 50 charpentiers et 200 hommes préparent les routes et
les ponts pour transporter l'artillerie turque et dégagent aussi les
champs de tir devant les remparts de Constantinople. En février, les
dernières places fortes byzantines sur la mer Noire et la mer de
Marmara sont prises par les Ottomans. Les régiments d'Anatolie
traversent le Bosphore, près de la forteresse de Rumeli Hisar
construite par Mehmet II.
Carte du siège de Constantinople.-Source : http://filebox.vt.edu |
Les
Turcs mettent ensuite en marche leurs trois gigantesques canons, le
plus gros devant être tiré par 60 boeufs. L'artillerie est disposée
à 8 km des remparts, fortement gardée. La flotte ottomane
appareille de Gallipoli et établit un camp en mars dans la baie de
Diplokionion, au nord de Galata. Les navires, qui viennent juste
d'être construits, ont besoin d'un entretien régulier. Le décompte
de la flotte est difficile à établir avec précision : un
document officiel de la cour de Bourgogne établi par Jean de Wawrin
parle de 18 galères, 60 à 70 galiotes et de 16 à 20 navires plus
petits, avec sans doute 16 à 20 navires de transport, en particulier
pour les chevaux. En face, l'empereur Constantin XI bat le rappel des
hommes en état de se battre, mais le total est bien faible. En
revanche, la flotte présente, si l'on peut dire, un meilleur
aspect : 26 navires garnissent la Corne d'Or, dont 10 byzantins,
5 génois, 5 vénitiens, 3 autres venant de Crète, un d'Ancône, de
France et d'Espagne.
Constantinople
occupe une péninsule de forme triangulaire. Les murailles terrestres
s'étendent depuis le quartier des Blachernes sur la Corne d'Or au
quartier du Stoudion sur la mer de Marmara. Les murs situés le long
de la Corne d'Or s'étendent sur 5-6 km. Les remparts sont plus
simples le long de la mer de Marmara et sur la Corne d'Or. Des plages
se sont formées devant cette dernière, transformées en entrepôts.
16 portes garnissent le rempart : c'est par ces murailles
maritimes que les croisés de 1204 étaient entrés dans
Constantinople. Mais pour cela, il faut contrôler la Corne d'Or. La
muraille terrestre supporte le gros de l'assaut. Le quartier des
Blachernes a été intégré aux remparts : les murs le
défendant sont percés de deux portes, dite de Caligaria et des
Blachernes, et d'une poterne condamnée, Kerkoporta, qui se trouve à
la jonction avec le vieux mur de Théodose II. Ce dernier comprend un
fossé (18 mètres de large, 6 à 9 mètres de profondeur) suivi d'un
talus surmonté d'un parapet, et deux lignes de fortifications, le
rempart extérieur (protégé par des tours de 10 mètres de haut
tous les 50 à 100 mètres) et le rempart extérieur (12 mètres de
haut, garni de 96 tours de 18 mètres), entre lesquels s'intercalent
des couloirs de circulation. Du sud vers le nord on y trouve
successivement la porte d'Or, la porte Pegae, la porte de Rhegium, la
porte Saint-Romain, la porte Saint-Cyriaque (parfois appelée porte
militaire de Saint-Romain : les sources font souvent la
confusion entre les deux) puis la porte de Charisius. La section
entre les deux portes de Saint-Romain, dans la vallée du Lycus,
baptisée le Meisotechion, a toujours été considérée comme le
point faible des remparts. Gustiniani choisit, en accord avec
l'empereur, de défendre le rempart extérieur, au vu de la maigreur
des effectifs : la tactique avait fonctionné en 1422 contre
Mourad. Luc Notaras et Nicéphore Paléologue, un parent de
l'empereur, défendent les remparts de la Corne d'Or. Démétrios
Cantacuzène commande 700 hommes dans le secteur central de l'église
des Saints-Apôtres, prêts à intervenir où la défense le
commanderait. Gustiniani, avec 2 000 Grecs et Italiens, a la charge
de la section centrale de la muraille terrestre qui est le point le
plus menacé.
Carte de Constantinople-Source : Larousse.fr |
Les formidables remparts de Théodose II succombent devant l'artillerie mise en oeuvre par les Ottomans.-Source : http://paulusindomitus.files.wordpress.com |
Les
Byzantins ont le temps de fêter Pâques, la date la plus importante
pour l'Eglise orthodoxe, avant l'arrivée des premiers éléments
turcs sous les murs le lendemain. Le 2 avril 1453, la grande chaîne
est tendue au travers de la Corne d'Or, jusqu'à la place génoise de
Galata. Les responsables de Galata décident de rester neutres. Les
Vénitiens tentent frénétiquement de creuser un fossé devant les
murailles des Blachernes ; les balles de coton ou les peaux de
cuir placés devant les murs pour amoindrir l'impact des boulets
turcs seront de peu d'effet. Chaque tour de la porte d'Or à celle de
Horaia comprend un archer soutenu par un arbalétrier ou un
canonnier : Luc Notaras a disposé quelques canons mobiles en
guise de réserve dans le quartier du Petrion. Le 23 mars, Mehmet II
et son armée ont quitté Andrinople et se rassemblent à 4 km de
Constantinople. L'artillerie est déjà en position contre les
murailles, avec 14 ou 15 batteries, dont 3 visent les Blachernes et
comptent le deuxième plus gros canon turc, surnommé Basilic.
Deux batteries visent la porte de Charisius, 4 la porte Saint-Romain,
3 la porte Pege et 2 sont face à la porte d'Or. Des canons plus
petits sont disposés entre les grosses pièces : en tout, 69
canons, peut-être, en 15 batteries, 5 de 4 petits canons chacune, 9
de 4 petits canons et un gros chacune, et une de 4 gros canons face à
la porte Saint-Romain. Le tir des canons est soutenu par celui d'une
douzaine de vieux trébuchets bâtis à partir du 11 avril.
Le
2 avril, alors que la chaîne est tirée en travers de la Corne d'Or,
Mehmet II établit son camp face à la porte Saint-Romain. Le 6,
l'armée ottomane se déplace de sa position de rassemblement et se
concentre à 1,5 km des remparts, avant de s'installer en première
ligne. Les régiments de Roumélie sont à gauche, le sultan est au
centre et les troupes d'Anatolie sont à droite. La garde et les
irréguliers sont largement conservés en réserve. Zaganos Pasha
prend la tête d'une force qui occupe la rive de la Corne d'Or tandis
qu'un petit détachement turc surveille Galata. Les Turcs établissent
leurs positions de siège sur 4 km, de la mer de Marmara à la Corne
d'or : celles-ci prennent la forme d'une tranchée, derrière
laquelle un remblai de terre sert de support à une palissade en bois
surmontée de tours, avec des poternes. L'effectif de l'armée
ottomane a été grandement exagéré : cependant, elle compte
au minimum 60 000 combattants, peut-être 80 000. La supériorité
numérique est donc écrasante, il est vrai : les défenseurs se
battent à 10 ou 15 contre 1.
Au
matin du 6 avril, l'empereur Constantin XI rejoint Gustiniani sur les
remparts, près de la porte Saint-Romain. L'artillerie turque
commence son tir et continue le 7, faisant s'effondrer une partie du
mur près de la porte de Charisius. Le deuxième jour, le gros canon
d'Urban disposé devant les Blachernes commence à surchauffer. Les
Turcs versent de l'huile pour le refroidir après chaque tir, mais le
canon se fissure le 11 avril. En outre, le recul projette les pièces
dans la boue. Le premier assaut turc a lieu dès le 7 avril :
les irréguliers et volontaires se jettent sur le centre des
murailles, soutenus par les archers et les canonniers, mais ils sont
repoussés. Les canons byzantins sont efficaces dans leur rôle
antipersonnel. De nuit, la muraille est réparée. Les premiers
jours, les assiégés font des sorties mais Gustiniani, qui craint de
perdre trop d'hommes, recule les défenseurs du parapet à la
muraille extérieure. Mehmet II repositionne certains canons et
l'artillerie reprend son tir le 11 ou le 12 avril. Celle-ci délivre
alors un tir continu jusqu'à la fin du siège.
La
flotte ottomane tente de pénétrer dans la Corne d'Or mais échoue
face aux galères plus grandes mises en oeuvre par les défenseurs.
Dans la nuit du 17 au 18 avril, les Turcs lancent une attaque
nocturne surprise contre la partie de la muraille près du
Mesoteichon, mais après un combat de quatre heures, ils sont
repoussés après avoir perdu 200 hommes. Le 20 avril, trois navires
génois affrétés par le pape, chargés de vivres et d'armes,
renforcés par un transport byzantin bourré de grain de Sicile, se
présentent devant le blocus turc. L'amiral turc mène la charge avec
ses navires plus petits, qui se gênent avec leurs rames tout en
étant dominés par les bâtiments adverses. Le vent tombe dans
l'après-midi et pousse les navires chrétiens vers la côte.
L'amiral turc cherche alors à les endommager au canon, sans succès.
Puis il les aborde, mais les Génois manient la hache et taillent en
pièces les assaillants, tandis que le navire impérial jette du feu
grégeois. Mehmet II, fou de rage, entre dans l'eau avec son cheval
pour hurler sur l'amiral turc. En soirée, le vent se lève à
nouveau et les navires entrent dans la Corne d'Or, la chaîne étant
relevée et 3 bateaux vénitiens couvrant leur arrivée. C'est un
coup sévère porté au moral des Ottomans, mais Mehmet ne se
décourage pas : il casse son amiral mais le remplace
immédiatement et reste bien déterminé à conclure le siège. A
terre, le bombardement progresse : le 21 avril, le tir des
canons fait s'effondrer une tour et une partie des remparts dans la
vallée du Lycus. Mais l'assaut n'est pas donné car Mehmet n'est pas
présent à cet endroit ce jour-là.
Le
sultan fait ensuite débarquer les canons de ses navires pour tirer
sur les bateaux adverses dans la Corne d'Or. Mais ceux-ci sont gênés
par Galata : c'est à cette occasion qu'il aurait mis au point
le fameux mortier. Mehmet a finalement l'idée de transporter sa
flotte sur des cales en bois, depuis le Bosphore jusqu'à la Corne
d'Or, en passant par les collines situées derrière Galata. Le
stratagème lui a probablement été inspiré par un exemple récent
des Vénitiens, qui lors d'une guerre en Italie transporte ainsi
leurs vaisseaux de la rivière Adige à la rive nord du lac de Garde.
Mais il y a d'autres précédents identiques dans le monde musulman.
Saladin avait démonté ses navires pour les transporter du Nil à la
mer Rouge. Les mamelouks ont fait de même du Caire à Suez en 1424.
Le 22 avril, la tranchée recouverte de planches bien graissées est
achevée. Sous le couvert de l'artillerie, les navires, voiles
dressées et avec un équipage réduit, sont hissés à travers les
collines. 72 bateaux, dont 30 galères, sont finalement déchargées
dans la Corne d'Or. Les défenseurs en perdent le contrôle et les
murailles de ce côté-ci sont menacés : il faut divertir des
effectifs du mur terrestre pour les garnir. C'est le tournant du
siège.
Pensant
que la flotte turque du Bosphore est désormais moins puissante, des
navires chrétiens menés par Giacomo Coco lancent un raid avec des
projectiles incendiaires dans la nuit du 28 avril. Deux transports
chargés de coton et de laine sont escortés par deux galères et 3
petits navires. Mais les Turcs, probablement prévenus, sont aux
aguets et coulent le navire de Coco. La bataille dure une heure et
demie, les chrétiens sont forcés de se replier. Le 3 avril,
Constantin XI a envoyé un petit navire arborant le pavillon turc,
avec 12 volontaires également déguisés, pour aller à la rencontre
de l'escadre vénitienne qui, croit-il, doit bientôt arriver pour
l'aider. Le 23 mai, le navire revient bredouille, au grand désespoir
de l'empereur. Le 3 mai, les défenseurs installent des canons sur
les murailles de la Corne d'Or dans l'espoir de toucher les navires
turcs. Deux jours plus tard, le mortier de Mehmet ouvre le feu et
coule un navire génois « neutre » ancré à
Galata. Progressivement, les équipages des navires chrétiens sont
descendus à terre pour renforcer les Blachernes. Les Turcs tentent
sans succès de forcer la chaîne barrant la Corne les 16-17 mai et
21 mai. En revanche, ils établissent un ponton pour relier les deux
rives de la Corne d'Or, que les Byzantins ne parviennent pas à
détruire avec leurs feux grégeois. Ils peuvent ainsi envoyer des
troupes sous les remparts de la Corne d'Or et frapper les murailles
des Blachernes avec leurs canons sous un angle différent.
Le
2 mai, le Basilic est remis en action. Le 6, les batteries
concentrées face à la porte Saint-Romain ouvrent une nouvelle
brèche dans la muraille. Elle est élargie le 7, mais un assaut
nocturne des Turcs échoue. Une foule d'hommes armés d'échelles et
de crochets tente d'escalader le rempart, sans succès. Un soldat
byzantin, Rhangabe, aurait coupé en deux le porte-étendard du
sultan, Amir Bey, avant de succomber lui-même. Entre les 8 et 11
mai, les canons creusent une nouvelle brèche près de la porte
Caligaria. Un assaut dans la soirée du 12 pénètre dans le palais
des Blachernes avant d'être repoussé. Les canons se concentrent
alors près de la porte Saint-Romain, secteur qui semble le plus
prometteur. Abandonnant les trébuchets et autres mangonneaux, les
Ottomans recourent aux mines pour saper la muraille. Les mineurs
serbes, pour la plupart, creusent d'abord près de la porte
Charisius, dans la vallée du Lycus, mais le terrain n'est pas
praticable. Une nouvelle mine est réalisée sur le mur des
Blachernes. Une contre-mine dirigée par Johannes Grant tombe sur le
puits turc le 16 mai et d'autres tentatives sont annihilées le 21
mai par inondation ou enfumage des galeries. Le 23, un officier et
plusieurs mineurs turcs sont même capturés. Sous la torture,
l'officier révèle l'emplacement des autres mines qui sont toutes
éliminées au 25 mai. Zaganos Pasha a fait construire des tours
d'assaut, qui servent en fait de couverture pour les hommes qui
comblent le fossé. L'une d'entre elles est détruite avec des barils
de poudre placés dans les remblais sur laquelle on l'avait faite
avancer pour tester leur solidité, lors d'une sortie des assiégés
dans la nuit du 18-19 mai. D'autres sont également éliminées et le
reste est démantelé.
Les
défenseurs ont de plus en plus de mal à réparer les brèches et
érigent plutôt des palissades de fortune en arrière de celles-ci.
Les sorties sont restreintes car les portes endommagées rendent les
défenseurs plus visibles. La poterne Kerkoporta est utilisée pour
des attaques surprises de la cavalerie. Le moral flanche néanmoins
et les frictions sont nombreuses entre Italiens et avec les
Byzantins. Le 11 mai, l'icône de la Vierge portée en procession à
travers la ville chute de son piédestal, ce qui est vu comme un
mauvais présage. Le lendemain, un épais brouillard recouvre la
ville et en particulier Saint-Sophie. Mehmet II envoie une ambassade
pour exiger la reddition de la ville mais Constantin XI refuse,
croyant toujours à l'intervention prochaine de Venise ou de la
Hongrie.
Mehmet
II prépare donc l'assaut final pour le 29 mai, à la fois sur terre
et sur mer. Les navires turcs feront de la gesticulation sur le
rempart de la mer de Marmara, les navires dans la Corne d'Or
envoieront des hommes attaquer le rempart tandis que des troupes
traverseront le ponton pour attaquer les Blachernes, parallèlement à
l'assaut général sur la muraille terrestre. Dans la nuit du 27 au
28 mai, les soldats s'activent sous les torches, qui sont si
nombreuses que les défenseurs croient, un moment, que le camp
adverse a pris feu (!). Les Turcs comblent le fossé et rapprochent
leur artillerie, sous une pluie battante, et les travaux cessent vers
1h30, le 29 mai. 200 archers et arbalétriers défendent alors la
porte d'Or et le quartier du Stoudion. Gustiniani est au centre de la
muraille, avec 400 Italiens et la plupart des Byzantins, près de la
porte Saint-Romain. Minotto assure la défense des Blachernes, et
dispose de Théodore de Karyston, le « meilleur archer du
monde », d'après les sources grecques : celui-ci,
avec Johannes Grant, l'ingénieur de talent, défendent la porte
Caligaria. Luc Notaras a la responsabilité du Petrion et des
remparts de la Corne d'Or jusqu'à la porte Sainte-Théodosia, avec
500 archers et tireurs d'armes à feu portatives.
Constantin XI sur les remparts, le dernier jour du siège-Source : Osprey. |
Trois
heures avant l'aube du 29 mai, les irréguliers turcs montent à
l'assaut, en particulier face à la porte Saint-Romain, dans la
vallée du Lycus, défendue par les 3 000 hommes de Gustiniani. Le
carnage est terrible, notamment en raison du tir des armes à feu
concentrées autour du Génois, et dure pendant deux heures, moment
où Mehmet II ordonne la retraite. Les navires ottomans tentent de
poser des échelles sur les murailles, sans succès. Après un
nouveau bombardement d'artillerie, les troupes régulières
provinciales succèdent aux irréguliers. Plus disciplinées, elles
font régulièrement retraite pour permettre aux canons de faire leur
oeuvre et une partie des palissades de fortune byzantines est
détruite. 300 Anatoliens s'infiltrent dans la brèche mais sont
repoussés par les Byzantins menés par Constantin XI. Les combats
sont aussi très violents aux murailles des Blachernes. Restent alors
les troupes de la garde du sultan et les janissaires, qui montent en
ligne pour le troisième assaut, avec une musique si bruyante qu'elle
couvre même le tir des canons, sur la brèche près de la porte
Saint-Romain. Un groupe de 50 hommes découvre que la poterne
Kerkoporta a mal été refermée lors d'une sortie des défenseurs et
pénètre dans le rempart, montant les escaliers et installant ses
bannières sur le retranchement.
A
ce moment-là, les janissaires peuvent encore être éliminés mais
un coup du sort précipite le déroulement de la bataille.
Gustiniani, qui se tient en première ligne sur l'une des palissades
en bois, est mortellement blessé par une balle d'arme à feu. On
l'évacue vers l'arrière et la scène provoque la panique parmi ses
troupes et désespère l'empereur Constantin XI. Mehmet et Zaganos
Pacha envoient alors d'autres janissaires pour exploiter la percée.
Un groupe de 30 d'entre eux, menés par un géant nommé Hassan,
attaque la palissade. Hassan arrive au sommet mais tombe victime
d'une pierre. 17 de ses compagnons périssent aussi mais les autres
tiennent la position. Les janissaires, à 4h00 du matin, se répandent
dans le mur intérieur et prennent les défenseurs à revers. La
défense des Blachernes cède bientôt, les Vénitiens cherchent à
fuir vers leurs navires de la Corne d'Or mais sont pris en tenailles
par les marins ottomans. Certains quartiers se rendent sans combat
pour éviter les destructions, comme le Pétrion ou le Studion ;
les Catalans périssent tous près de l'ancien palais impérial. Le
prince turc Orhan, capturé, est bientôt reconnu et exécuté. Luc
Notaras est également pris. Des navires chrétiens forcent malgré
tout la chaîne de la Corne d'Or et s'enfuient, dont un emmenant
Gustiniani qui périt pendant le voyage. Les marins crétois tiennent
jusque dans l'après-midi trois tours près de la porte Horaia :
impressionné par leur courage, Mehmet les laisse partir sans mal.
L'empereur
Constantin XI, dont le corps n'est pas retrouvé, périt probablement
en se jetant dans la mêlée sur les remparts ; une autre
version indique qu'il est mis à mort par des marins près de la
porte d'Or, ce qui montre qu'il aurait peut-être essayé de s'enfuir
par mer. Constantinople est mise à sac, surtout par les marins et
les irréguliers, mais Mehmet, s'il convertit Sainte-Sophie en
mosquée, protège les autres églises orthodoxes. Les destructions
se limitent à certaines parties de la ville : le long de la
Corne d'or, aux Blachernes, près de l'Acropole et de l'hippodrome.
Le bilan s'établirait à 4 000 Byzantins tués pendant le siège et
la prise de la ville, et 50 000 prisonniers, soit beaucoup moins par
exemple que le sac de 1204 par la IVème croisade... Mehmet II entre
dans la ville à midi et se rend à Sainte-Sophie, convertie en
mosquée. Le 1er juin, il ordonne de cesser le pillage et retire ses
troupes de la ville, après les trois jours traditionnels accordés
aux vainqueurs pour la mise à sac de la cité conquise.
Conclusion
Le
sultan ottoman se tourne ensuite vers la reconstruction de la ville
et son repeuplement, en installant parfois de force des populations
chrétiennes, en plus des Turcs. Il veut faire de Constantinople un
carrefour culturel, mais n'oublie d'édifier deux cantonnements pour
les janissaires et un atelier de fonderie pour les canons. Mehmet se
pose aussi en continuateur de l'empire romain et byzantin. L'élite
byzantine, elle, a péri pendant le siège ; certains de ses
membres -dont le megadux Luc Notaras- faits prisonniers ont
été exécutés plus tard par le sultan ; d'autres, exilés en
Morée, passent sous domination ottomane quand le despotat est
rattaché à l'empire en 1460. Venise a perdu l'équivalent de 100
000 ducats dans la prise de Constantinople. Gênes doit accepter la
démolition des remparts de Péra pour conserver ses privilèges
commerciaux. Si l'armée ottomane subit un revers devant Belgrade en
1456, les possessions génoises en mer Noire sont de fait
condamnées ; Georges Skanderbeg poursuit la lutte en Albanie
jusqu'à sa mort en 1468. L'empire de Trébizonde, dernier vestige
byzantin, tombe dès 1461. L'Occident, quant à lui, divisé,
préoccupé par ses problèmes intérieurs, voit dans la chute de
Constantinople une punition pour les péchés des Byzantins. Le
fameux banquet du Faisan, en février 1454, où le duc de Bourgogne
Philippe Le Bon fait voeu de croisade, reste un voeu pieux. Il faudra
la chute du royaume de Hongrie au XVIème siècle pour que l'on
s'alarme véritablement de la menace représentée par l'expansion
ottomane, sous Soliman le Magnifique. Une autre puissance tire parti
de la chute de Byzance : Moscou, fille de l'orthodoxie, devenue
la troisième Rome.
Bibliographie
indicative :
DUCELLIER,
Alain, Le drame de Byzance. Idéal et échec d'une société
chrétienne, Pluriel, Paris, Hachette, 1997.
HEATH,
Ian et MCBRIDE, Angus, Byzantine Armies 1118-1461 AD,
Men-at-Arms 287, Osprey, 1995.
NICOL,
Donald M., Les derniers siècles de Byzance 1261-1453, Texto,
Paris, Tallandier, 2008.
NICOLLE,
David et HOOK, Christa, The Janissaries, Elite 58, Osprey,
1995.
NICOLLE,
David et HOOK, Christa, Constantinople 1453. The end of Byzantium,
Campaign 78, Osprey, 2000.
NICOLLE,
David, et MCBRIDE, Angus, Armies of the Ottoman Turks 1300-1774,
Men-at-Arms 140, Osprey, 1983.
RUNCIMAN,
Steve, La chute de Constantinople 1453, Texto, Paris,
Tallandier, 2007.
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