Depuis
le soutien apporté par Lord Byron aux insurgés grecs en révolte
contre les Ottomans pour
conquérir leur indépendance, les guerres de libération nationale
en Europe ont toujours connu leur flot de volontaires étrangers
venus au secours de la liberté menacée. A partir du XXe siècle ce
volontariat prend également une dimension idéologique symbolisée
par la formation des Brigades internationales lors de la guerre
civile espagnole entre 1936 et 1938. Le dernier conflit militaire sur
le sol européen, celui qui ensanglanta la Yougoslavie dans les
années 1990, possède à la fois une composante nationale et
idéologique propice à l'arrivée de volontaires venus du monde
entier. C'est ainsi qu'environ 2 000 volontaires musulmans et
non-musulmans s'engagent dans l'Armija BiH, l'armée du gouvernement
de Bosnie-Herzégovine tandis que des Russes, des Ukrainiens, des
Roumains et des Grecs rejoignent l'armée serbe et surtout les
troupes de la République serbe de Bosnie.
La
Croatie n'attire pas plus de volontaires que ses adversaires mais
ceux-ci sont souvent décrits soit comme des mercenaires, soit comme
des militants de l'extrême-droite. Il est évident que les anciens
volontaires dans les forces croates refusent ces adjectifs et se
définissent avant tout comme des soldats au service de
l'indépendance et de la liberté du peuple croate. C'est au final
prés de 500 volontaires étrangers venant de 35 pays qui auraient
combattu dans les formations croates que ce soit la Garde nationale
croate (ZNG), l'armée croate (HV), la Ligue de défense croate
(HOS), la Force de défense croate (HVO) puis à partir de 1992 dans
les forces croates déployées en Bosnie.
David FRANCOIS
L'arrivée en Croatie.
En
1989, l'érosion du titisme dans la Yougoslavie socialiste permet
l'émergence de formations politiques nationalistes dans les
différentes républiques, notamment en Croatie. En mai 1990 les
premières élections libres se déroulent en Slovénie et en Croatie
malgré l'hostilité du pouvoir central yougoslave où les Serbes
dominent. La victoire du parti nationaliste de Franjo Tudjman
inquiète à Belgrade. Le 19 mai, à l'occasion d'un référendum,
les Croates plébiscitent l'indépendance qui devient officielle le
25 juin, le jour où la Slovénie proclame également son
indépendance.
La
montée en puissance du nationalisme croate ne peut qu'inquiéter la
minorité serbe de Croatie, minorité particulièrement importante
dans la région de la Krajina. Les Serbes de Croatie proclament alors
unilatéralement leur autonomie et entament des actions militaires
contre les autorités croates. En aout 1990, pour empêcher la tenue
d'un référendum organisé par cette minorité, la police croate
intervient pour perturber le scrutin. En réponse les Serbes bloquent
les routes avant de proclamer l'indépendance de la République de
Krajina. Le gouvernement croate ne peut évidemment accepter cette
sécession et Tudjman décide de mettre sur pied une force armée
croate, la Garde nationale.
L'armée
populaire yougoslave, où les Serbes dominent après le départ des
Croates et des Slovènes, veut s'opposer par la force à la
désintégration de la Fédération yougoslave. Après un court
conflit à la fin juin et au début juillet, elle abandonne la
Slovénie. Mais, avec le soutien des Serbes de Croatie, l'armée
yougoslave progresse en territoire croate. Grâce à sa supériorité
en armement et équipement elle assiège rapidement les villes
croates. En août 1991 commence ainsi le siège de Vukovar tandis que
le front se rapproche des villes d'Osijek et de Vinkovci. Le 5
octobre le président Tudjman appelle l'ensemble de la population à
se mobiliser contre l'agression serbe tandis que commence le siège
de Dubrovnik sur la cote dalmate.
Il
est indéniable qu'à ce moment la guerre en Croatie stimule
l'activisme d'une frange de l'extrême-droite qui souhaite partir
combattre dans les Balkans. L'engagement militaire n'est pas une
nouveauté dans ce champ du spectre politique. Des militants se sont
en effet engagés dans les années 1980 au Liban dans les milices
chrétiennes, mais aussi en Birmanie auprès de la minorité
catholique Karen en rébellion contre le gouvernement bouddhiste, en
Angola dans les rangs de l'UNITA qui combat le régime marxiste
soutenu par Cuba, certains même sont partis en Afghanistan soutenir
les Moudjahidines contre les Soviétiques.
Les
premiers volontaires issus de cette mouvance arrivent en Croatie à
l'été 1991 quand des organisations humanitaires liées à
l'extrême-droite ou au monde catholique organisent des convois pour
venir en aide à la population croate. Certains des accompagnateurs
décident de rester dans le pays pour s'engager dans les différentes
milices qui voient alors le jour. Puis, selon le magazine
antifasciste REFLEXes1,
à la fin de 1991 ces premiers volontaires sont rejoints par des
nouveaux arrivants venus de la région Rhône-Alpes et de la région
niçoise qui s'engagent dans la Légion noire croate de Mladen. Leur
point commun est d'être membre de l'organisation néo-fasciste
Nouvelle Résistance. Mais ces Français qui comptent dans leurs
rangs d'anciens parachutistes et un ancien combattant de l'UNITA
angolaise ne restent que quelques mois en Croatie.
Selon
la même source2,
en novembre 1991, Michel Faci et Nicolas Peucelle se rendent en
Croatie et entrent en contact avec le Parti du peuple croate, une
organisation qui se revendique de l'héritage oustachi3.
Ce parti possède une branche armée la Force de défense croate
(HOS) dans laquelle s'engagent les deux Français qui sont envoyés
avec d'autres compatriotes à Vinkovci dans une unité, la brigade
Condor, qui compte entre 60 et 90 combattants dont des Allemands, des
Autrichiens, des Belges et des Britanniques. Au sein de cette unité
Faci créé un groupe spécial qu'il baptise Jacques Doriot4.
Faci participe aux combats à la fin de l'année 1991 et au début de
1992 puis il rentre en France avant de revenir en Croatie où il est
blessé en décembre 1992.
Les
filières d'engagement en Croatie sont diverses. Contrairement aux
Brigades internationales en 1936 ou à l'organisation Mahal pour les
forces armées israéliennes il n'existe pas de structures dédiées
au recrutement de volontaires étrangers pour la Croatie. Ces
derniers doivent pour s'enrôler soit rejoindre le quartier général
de l'armée croate à Zagreb, soit rejoindre directement une unité
sur le front. Au début du conflit les Croates ne s'attendent pas à
voir arriver des volontaires étrangers et ne savent pas quoi faire
d'eux. Les premiers engagements se font dans l'improvisation. Le Britannique Steve
Gaunt qui arrive à Zagreb croise par hasard dans la rue une milice
en armes et fait part aux miliciens surpris de son intention de les
rejoindre. L'ancien officier américain Rob Krott quand à lui cherche à son arrivée à Zagreb
le siège de la brigade internationale qu'il ne trouve puisque cette
dernière n'existe pas5.
C'est donc le hasard qui préside le plus souvent à l'incorporation
des volontaires dans certaines formations plus qu'une connaissance
fine de la politique croate. Le siège de la HOS, la formation
militaire du Parti croate ultra-nationaliste, se trouvant prés de la
gare de Zagreb elle recrute à cause de cela de nombreux volontaires
qui débarquent en train et qui ne connaissent rien à la couleur
politique de la formation où ils s'engagent.
Un
dernier moyen de rejoindre le front croate se fait à travers
l'engagement dans des unités directement recrutées à l'étranger.
La première de ces unités est composée de Néerlandais. En 1991,
la Nederland Kroatische Werkgemeenschap (communauté de travail
néerlandais-croate), une organisation de droite, fait paraître une
annonce dans la presse pour recruter des volontaires en posant comme
unique condition la possession d'au moins 14 mois d'expérience
militaires. Les 32 volontaires qui se présentent sont alors conduit
en Croatie par autobus. Ils arrivent à la mi-septembre pour former
le noyau de la première unité de volontaires néerlandais dirigée
par un officier, Johannes Tilder, qui sera par la suite capturé par
les Serbes et mourra en captivité6.
En décembre 1992, le magazine américain Soldier of Fortune,
envoie une équipe de 8 soldats pour former les troupes croates en
Bosnie occidentale. Parmi eux se trouve le rédacteur en chef du
magazine, un ancien lieutenant-colonel, ainsi qu'un vétéran des
forces spéciales de la Rhodésie7.
L'offensive de l'armée yougoslave en Croatie en 1991 (source wikipedia)
Les combats en Croatie.
Ces
premiers volontaires participent à la défense de la ville assiégée
de Vukovar dans les premiers mois de la guerre tandis que d'autres se
retrouvent en Slavonie orientale ou dans la Krajina. C'est au sein de
la HVO que se forme à la fin de 1991 une première unité
spécifiquement internationale. Elle doit sa naissance à un
personnage hors du commun, Eduardo Flores8.
Né en Bolivie d'une mère espagnole et d'un père hongrois ce
dernier grandit derrière le rideau de fer à Budapest où il milite
au sein des Jeunesses communistes. En 1988 Flores commence à
travailler comme journaliste dans un journal de droite de Barcelone.
Pour ce journal il couvre en particulier les événements en Hongrie
mais aussi dans la Slovénie voisine. Fin août 1991 il se rend en
Croatie et s'engage dans la HVO. Il se retrouve alors cantonné prés
de la frontière serbe avec un Américain d'origine croate Johnny
Kosic et un membre de la minorité hongroise de Croatie pour fonder
une brigade internationale. Le 3 octobre cette brigade est
officiellement reconnue par le gouvernement croate. Elle se développe
rapidement et accueille des volontaires aux origines et aux
spécialités diverses comme un Portugais tireur d'élite, un
Espagnol spécialiste en explosif et un Gallois ancien de la Légion
étrangère.
T55 de l'armée croate en action (source: wikipedia)
Le
Français Gaston Besson, chercheur d'or en Guyane à 16 ans puis
combattant chez les Karens est un homme en errance quand il part se
battre en Croatie en novembre 1991 pour y rester jusqu'en février
1993. Il se retrouve au départ à Vinkovci pour faire un reportage.
La ville est alors sur le point de tomber aux mains des Serbes tandis
que les miliciens croates, qui n'ont aucune expérience militaire,
sont taillés en pièces. Besson, fort de son expérience militaire,
rejoint les commandos du 6e bataillon du HOS pour participer à des
coups de main contre les Serbes. Il participe aux violents combats de
la fin 1991 et le groupe de 12 hommes qu'il commande se fait décimer
au début de 1992 lors d'une opération nocturne: il n'y a que deux
survivants9.
Pour
desserrer la pression serbe, les forces croates lancent une
contre-attaque en novembre 1991 qui permet d'avancer de 270 km entre
les montagnes de Bilogora et de Papuk. Pendant ce temps la situation
se détériore à Vukovar et la ville tombe le 18 novembre après
trois mois de siège. Jean-Michel Nicollier, un volontaire français
parti se battre sans motivation politique affirmée mais plutôt par
goût de l'aventure est du nombre des assiégés. Il est blessé lors
de la défense de la ville puis tombe aux mains des Serbes après la
reddition. Il est alors conduit à l'hôpital de la ville où il est
filmé par une équipe de télévision étrangère avant d'être
évacué avec d'autres blessés et exécuté sommairement dans la
plaine d'Ovcara. En décembre 1991, les Croates reprennent
l'offensive lors de l'opération Orkan et réoccupent prés de 1440
km². Mais le 3 janvier un
cessez-le-feu est conclu sous l'égide de la communauté
internationale tandis que le 15 janvier la Croatie est officiellement
reconnue comme État indépendant par l'Union européenne. La
FORPRONU s'installe ensuite en Croatie pour s'interposer entre les
adversaires tandis que l'armée yougoslave se retire en Bosnie.
Jean-Michel Nicollier prisonnier à l'hôpital de Vukovar peu avant son exécution (source: croatia.org.).
Au
début de 1992, le président croate Franjo Tudjman désire recevoir
le soutien des Occidentaux pour reconstruire son pays. Pour donner
des gages concernant l'ancrage démocratique et européen de la
Croatie il décide de purger les forces armées des groupes
ouvertement néo-fascistes. En février 1992 le leader du Parti du
peuple croate est inculpé de terrorisme et ses lieutenants sont
arrêtés. Gaston Besson, toujours soldat au sein de la HOS, raconte
qu'aprés les durs combats de novembre et décembre 1991, les
autorités lancent l'offensive contre la HOS. Cette dernière reçoit
alors moins d'armes tandis que son quartier général à Zagreb est
victime d'une explosion. A la dissolution du HOS les volontaires sont
versés dans la Garde nationale croate (HVO).
La
fin de la guerre en Croatie avec le cessez le feu du début de 1992
marque un tournant pour les volontaires étrangers. Dans un pays en
voie de normalisation ils ont de moins en moins de place. Il ne faut
pas non plus oublier la méfiance dont ils sont l'objet de la part
des autorités croates. Au printemps 1992, le commandement de
l'armée, demande qu'ils soient démobilisés sans exception et
essayent de se débarrasser d'eux. Pour ces militaires, anciens
cadres de l'armée yougoslave, les volontaires ne sont rien d'autre que des mercenaires de la pire espèce. Ils sont donc nombreux à
être alors démobilisés et à rentrer chez eux.
La
guerre se poursuit en Bosnie-Herzégovine.
Mais
l'ex-Yougoslavie n'en a pas finie avec la guerre. Le conflit se propage en effet à partir de 1992 en
Bosnie-Herzégovine quand cette République proclame son indépendance en mai Dans cette région le combat se joue entre trois parties:
les Bosniaques musulmans, les Croates catholiques et les Serbes
orthodoxes. Si les deux premiers groupes oscillent entre hostilités
entre eux et alliance, l'adversaire irréductible reste la minorité
serbe qui reçoit là encore le soutien de la Fédération yougoslave
dirigée par Slobodan Milosevic. Une partie des volontaires étrangers
qui se sont battus dans les forces croates rejoignent à ce moment
ce nouveau front pour combattre au sein des unités paramilitaires
croates dans le corridor de Posavina, dans le nord autour de Donji
Vakuf, en Bosnie centrale et dans le sud en Herzégovine. Ils servent
principalement comme fantassins ou dans les forces spéciales tandis
que quelques-uns sont instructeurs pour les troupes croates.
Volontaires britanniques (sources: USDDR.org)
En
juin 1992, l'unité internationale de Flores est amalgamée à la
108e brigade bosniaque qui compte déjà un groupe composé
d'Allemands, d'Anglais, de Canadiens et de Français. Cette brigade,
qui aurait été commandé par un Parisien vétéran de la Birmanie,
a alors pour mission de couper les lignes de ravitaillement serbes à
Markovic Plje et d'ouvrir un passage entre la Croatie et la Bosnie.
Mais face à des forces supérieures en nombre et mieux armées ils
ne peuvent que retarder l'avance serbe. Parmi cette brigade se
retrouve un autre Français engagé en Croatie devant Noska avant de
rejoindre en janvier 1992 la brigade internationale de Flores à
Osijek . En mars il part en Bosnie où il forme une unité composée
de Croates de Bosnie. En avril ce groupe se bat devant Brcko dans le
nord du pays. Dans l'été ce volontaire français intègre la 108e
brigade avant de trouver la mort le 26 décembre 1992 prés de
Markovic Polje.
En
mars 1992, Gaston Besson qui se trouve à Zagreb reçoit le
commandement d'une unité spéciale les bérets verts qui se rendent
en Herzégovine. Là il commande une section de 30 hommes dont la
plupart sont des Croates qui viennent des États-Unis, d'Australie et
même de France. Il n'y a que trois véritables étrangers présents:
un Hollandais, un Anglais et un ancien sergent français de la
Légion. Pour Besson les volontaires qu'il croise de 1991 à 1994
sont souvent d'anciens militaires dont de nombreux légionnaires.
Politiquement il rencontre des hommes de droite et de gauche mais
très peu de néo-nazis. S'il croise environ 500 étrangers il
estime n'y en a qu'une soixantaine en permanence sur le front. Au
final l'image qu'il donne du volontaire étranger est celle d'un
trentenaire qui ne reste que deux ou trois mois sur le front10.
Les
guerres de l'ex-Yougoslavie ont été aussi l'occasion d'une
multitude d'exactions et de persécutions contre les populations, les
crimes de guerre faisant ainsi un retour en force sur le continent
européen. Il n'est pas facile de déterminer le rôle des
volontaires étrangers dans ces crimes. Aux Pays-Bas 13 anciens
volontaires furent soupçonnés de crimes de guerre tandis que le
Suèdois Jackie Arklöv est condamné dans son pays pour des crimes
de guerre commis en Bosnie. Gaston Besson admet quand à lui avoir
exécuté deux prisonniers serbes, il a également assisté à des
exécutions et confirme que dans chaque camp l'usage était d'achever
les blessés ennemis. Il avoue même avoir tiré sur les casques
bleus prés de Mostar afin de les faire partir et reprendre ainsi le
combat contre les Serbes.
Qui
sont les volontaires étrangers ?
Les
motivations pour partir se battre dans l'ex-Yougoslavie et s'engager
dans les forces croates sont difficiles à établir. Il y a presque
autant de raisons de s'engager que de volontaires tant cette décision
est lourde de sens et se prend dans l'intimité d'un parcours
personnel loin des justifications qui se forgent a posteriori.
Chagrin d'amour, désœuvrement, problèmes avec la justice, autant
de raisons qui n'ont rien à voir avec les raisons du conflit
yougoslave mais qui poussent des jeunes, la plupart des volontaires
sont des hommes jeunes, célibataires, dans la vingtaine ou la
trentaine, à tout quitter et à prendre le train pour Zagreb.
Volontaires dans la 108e brigade (source: USDDR.org)
A des motifs personnels se
mêlent aussi régulièrement des raisons idéologiques. Beaucoup de
volontaires souhaitent en effet combattre le communisme qu'ils
assimilent aux Serbes. Ces idéalistes veulent s'inscrire dans une
lignée qui remonte à 1917, au nom d'une défense de l'Occident
contre une Fédération yougoslave considérée comme le dernier
bastion communiste en Europe. Le souvenir des Oustachis n'est pas
absent dans cette mythologie qui oublie que Milosevic n'est pas Tito
et que les Serbes sont alors autant nationalistes que les Croates.
Pour certain il s'agit aussi de défendre la foi catholique contre
l'Orthodoxie.
Cela
ne signifie pas que tous les volontaires se définissent par leur
appartenance à la droite. Certain, comme le Français Jean-Michel
Nicollier, n'ont pas de véritables engagements politiques alors que
Gaston Besson se revendique de l'anarchisme et que des Britanniques
sont travaillistes. Des volontaires s'inscrivent délibérément dans
l'héritage des Brigades internationales de la guerre civile
espagnol. Dans le film autobiographique « Chico » le
spectateur peut lire sur les murs d'un village croate en ruine le
slogan No Pasaran tandis que le héros Eduardo Flores, issu d'une
famille communiste parle à ses hommes des Brigades internationales
et cite des discours de la Pasionaria11.
Une
raison souvent avancée par de nombreux volontaires pour justifier
leur démarche est leur indignation face à l'indifférence de la
communauté internationale face à la guerre en Croatie. Besson, qui
se rend d'abord en Croatie comme photo-journaliste, se dit révolté
par la tragédie qui se déroule au cœur de l'Europe et décide
alors de prendre les armes. Pour ces volontaires leur engagement est
une façon de compenser ce qu'ils pensent être la lâcheté de leur
pays qui abandonnent à la destruction une petite nation qui lutte
pour sa liberté.
Si
les motivations pour s'engager dans les forces croates sont diverses
les volontaires possèdent néanmoins un point commun, une attirance
pour la chose militaire. De nombreux volontaires français,
britanniques ou néerlandais ont une expérience militaire tandis que
la plupart des Américains sont d'anciens militaires. Se retrouvent
ainsi en Croatie des anciens de la guerre du Golfe, de la guérilla
des Karens, des déserteurs de l'armée britannique et de la Légion
étrangère, tous désireux de participer à une vraie guerre. Ceux
qui n'ont pas d'expérience militaire sont généralement issus de
familles de tradition militaire ou bien ont essayé de s'engager
dans le passé.
Une
fois en Croatie les volontaires ont tendance naturellement à se
regrouper autour des premiers arrivés. Quand cela est possible ils
cherchent également à servir dans des groupes linguistiquement
homogènes ce qui facilite à la fois la communication et le
commandement. Dans certaines régions où le nombre de volontaires
est élevé comme en Slavonie orientale ou dans la Posavina des
étrangers commandent des petites unités internationales comme celle
d'Eduardo Flores. En Bosnie occidentale un groupe de 17 volontaires
norvégiens et suédois forme un peloton nommé Viking au sein d'une
brigade du HVO. Souvent les volontaires portent des insignes de béret
ou des insignes propre à l'armée des pays dont ils viennent et qui
les identifient vis-à-vis des autres12.
Un tank serbe détruit (source wikipedia)
Mais
les volontaires cherchent aussi à s'intégrer dans leur nouvel
environnement. Beaucoup choisissent l'unité où ils vont servir et
n'hésitent pas à passer d'une formation à une autre afin de
trouver celle où ils pourront le mieux s'intégrer. De nombreux
volontaires font aussi l'effort d'apprendre le croate et il semble
que les Néerlandais soient les plus doués pour cet apprentissage
jouant par la suite le rôle de médiateurs entre les Croates et les
volontaires.
Le
rôle militaire des volontaires dans le déroulement du conflit est
minime. S'ils sont souvent considérés comme des soldats d'élite et
participent aux missions les plus dangereuses, notamment les raids
derrières les lignes ennemies, ils ne sont qu'une poignée dans un
conflit qui engage plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Certains
volontaires sont utiles par leur expertise de la chose militaire à
l'instar de Willy Van Noort, ancien colonel de l'armée néerlandaise,
qui forme de nombreuses unités croates. Mais la présence des
volontaires joue un rôle important pour soutenir le moral des
combattants croates. Ces derniers ont souvent le sentiment d'être
isolés et abandonnés par le reste du monde. La présence d'étrangers
à leurs cotés atténue ce sentiment puisqu'ils démontrent que le
monde n'oublie pas ce qui se passe en Croatie.
Cette
camaraderie joue un rôle crucial dans la poursuite de l'engagement
des volontaires. Gaston Besson souligne qu'au sein des unités du HOS
il s'est battu aux cotés de Croates mais également de Serbes et de
Bosniaques13.
C'est la solidarité avec ces derniers qui le pousse et d'autres
volontaires à rejoindre ces derniers en Bosnie quand la guerre y
éclate. La camaraderie apparaît ainsi comme plus importante que la
politique ou l'idéologie dans l'engagement dans telle ou telle
unité.
Si la
soif d'action est appréciée en première ligne elle se traduit le
plus souvent à l'arrière par l'abus d'alcool et des bagarres.
Certains volontaires n'hésitent pas d'ailleurs à se livrer au
pillage. Il est impossible de déterminer si ces violences sont le
fruit d'une brutalisation, conséquence de la guerre, ou de
tempéraments criminels présents avant la guerre. Ces comportements
entachent évidemment l'image des volontaires auprès de la
population mais aussi des autorités militaires qui décident alors,
avec l'aide de volontaires de confiance, de filtrer les nouveaux
arrivants. Certains portraits de volontaires sont particulièrement sombres sans qu'il soit possible de déterminer s'ils constituent des exceptions ou au contraire des archétypes. Rob Krott décrit ainsi de nombreux volontaires comme des alcooliques, des drogués, des psychopathes, des individus socialement inadaptés. Lui et certains volontaires sont tellement écœurés ou effrayés
par le comportement d'autres étrangers qu'ils préfèrent combattre
dans des unités régulières de l'armée croate. Rapidement les
autorités renvoient les perturbateurs ou les envoient rejoindre la
HVO en Bosnie14.
Il est vrai que les Croates n'ont jamais organisé un filtrage sévère
parmi les étrangers ni mis en place des unités
spécifiques avec un encadrement et une discipline rigoureuse. Rapidement ils cherchent à enrayer la venue de nouveaux volontaires et à se débarrasser de ceux qui se sont engagés dans la confusion des premiers mois de conflit.
L'après-guerre.
La
plupart des volontaires sont rentrés dans leur pays une fois les
guerres en ex-Yougoslavie terminées. Certains restent en Croatie et
épousent des femmes croates, d'autres, une poignée, partent se
battre dans d'autres parties du monde. Des volontaires rentrés dans
leur pays ont des destins tragiques. Le Britannique Simon Hutt, qui a
perdu une jambe au combat, tombe dans la drogue et la délinquance
pour se retrouver finalement en prison. Le Bolivien Eduardo Flores
est tué par la police de son pays en 2009 pour avoir comploté
l'assassinat du président Evo Morales. Le Suédois Jackie Arklöv
est quand à lui condamné à la prison à perpétuité pour le
meurtre de deux policiers lors d'un braquage en 199915.
Il s'agit de cas isolés et la grande majorité des anciens
volontaires rentrée ne fait plus parler d'elle, les vétérans se
réinsérant tant bien que mal dans leurs sociétés d'origine.
Cérémonie du souvenir de l'USDDR en 2008 (source: USDDR.org)
Le
développement d'Internet dans les années 2000 a permis aux anciens
volontaires de renouer et de garder des contacts entre eux. C'est à
l'initiative de Gaston Besson qu'est fondée l'association des
volontaires étrangers des guerres de Croatie (USDDR selon les
initiales du nom de l'association en serbo-croate) qui depuis 2007 organise
une réunion annuelle à Vinkovci. Ce rassemblement comporte
évidemment une cérémonie en hommage aux morts, à laquelle
participent la population et les autorités locale, mais au-delà de ce
versant commémoratif, l'association milite surtout pour la
reconnaissance par les autorités croates du service rendu par les
volontaires étrangers. Ainsi en 2009 seulement 20 étrangers ont
reçu le titre de Branitelji (défenseurs) contre des centaines de
milliers de Croates dont certains n'ont jamais été en première
ligne. Outre sa valeur symbolique ce titre permet aux anciens
combattants blessés pendant la guerre de recevoir une pension
d'invalidité. Pour asseoir la légitimité de ses demandes, l'association cherche, en établissant le nombre de volontaires tués
et blessés, à démontrer l'importance de cette contribution. Elle
établit et publie des listes remises à jour de volontaires tués.
La dernière, en 2012, recense 507 volontaires dont 76 furent tués
et 90 blessés. Se ce total il y eu 67 volontaires français dont 8
ont trouvé la mort et 20 furent blessés. Dans cette liste se trouve ainsi une femme, Collette Webster une humanitaire américaine de 27 ans
tuée à Mostar après s'être engagé en septembre 199316.
L'association, à travers ses réunions, permet également de
maintenir une camaraderie qui peut aider certains à surmonter les
traumatismes de la guerre.
Mémorial du massacre d'Ocvara où fut tué J-M Nicollier (source: wikipedia)
Conclusion.
Les
volontaires étrangers en Croatie viennent d'horizons différents
pour participer à la guerre la plus féroce sur le continent
européen depuis 1945. Des dizaines sont morts et un nombre plus
important a été blessé. Leur contribution numérique est
négligeable car ils ne furent qu'environ 450 dans une armée croate
de 65 000 hommes au début de 1992 puis de 230 000 à 250 000 par la
suite. Là où ils ont pu servir d'instructeurs ou simplement de
fantassins ils ont néanmoins eu une influence plus importante que
leur nombre ne le suggère. Leur présence a permis de renforcer le
moral des soldats croates qui se sentaient abandonnés par le reste
du monde. Le volontaire a en effet un poids symbolique plus important que le soldat local ce qui n'est pas sans importance dans un monde moderne globalisé où l'opinion internationale est à la fois une force et un enjeu dans les conflit qui agitent la planète.
Militants,
idéalistes, aventuriers, les volontaires étrangers en Croatie
s'inscrivent dans une longue tradition qu'il est possible de faire
remonter à la fin du XVIIIé siècle et qui existe de nos jours à
travers les djihadistes islamistes au Mali ou en Syrie. Comme
l'ensemble de leurs prédécesseurs et de leurs successeurs, le
portrait des volontaires en Croatie est plein de nuances loin des
condamnations et des images héroïques mais il n'enlève rien à la
charge politique, morale et surtout symbolique de leur geste.
Bibliographie.
-Marc
Charuel, Putain
de guerre, Gaston Besson volontaire français contre
les Serbes, Éditions du Rocher, 1993.
-Gaston
Besson, Une
vie en ligne de mire,
Jean-Claude Lattès, Paris,
1994
1994
-Auguste
Fontaine, La
guerre en tête,
Arléa, Paris, 1997.
-Rob Krott, Save the Last Bullet for Yourself. A Soldier of Fortune in the Balkans and Somalia, Casemate, 2008.
-Steve Gaunt, War and Beer, Panic Press, 2010.
-Rob Krott, Save the Last Bullet for Yourself. A Soldier of Fortune in the Balkans and Somalia, Casemate, 2008.
-Steve Gaunt, War and Beer, Panic Press, 2010.
-Nir
Arielli, « In search of meaning: Foreign Volunteers in the
Croation Armed Forces, 1991-95 », Comtemporary
European History,
n°21, 2012.
Video,
-En 1992 la BBC produit un documentaire, "Dogs of War", sur les volontaires étrangers en Croatie, notamment britanniques, et filme le quotidien de ces hommes tout en leur donnant la parole: http://www.youtube.com/watch?v=3343x_ywy_M
Video,
-En 1992 la BBC produit un documentaire, "Dogs of War", sur les volontaires étrangers en Croatie, notamment britanniques, et filme le quotidien de ces hommes tout en leur donnant la parole: http://www.youtube.com/watch?v=3343x_ywy_M
-En 2013, l'émission Envoyé spécial consacre un reportage à la vie et à la mort de Jean-Michel Nicollier: http://www.youtube.com/watch?v=izUoMIAlxE4
Notes.
1 « Ex-Yougoslavie,
les phalangers », REFLEXes, n°40, octobre 1993.
2 Ibidem.
3 Fondé
en 1929 par Ante Pavelic le mouvement Oustachi veut obtenir par la
violence l'indépendance de la Croatie. Il développe une idéologie
proche du fascisme italien puis du nazisme mais où le catholicisme
est central. Quand l'Allemagne envahit la Yougoslavie en 1941,
Pavelic et les Oustachis se voient confier la direction du nouvel
État libre de Croatie. Dans ce dernier se développent rapidement
les persécutions et les massacres contre les Juifs et les Serbes
dans le cadre d'un État fasciste. L’État oustachi s'effondre en
1944 face aux partisans communistes tandis que les principaux
responsables partent en exil.
4 Jacques
Doriot, Après son exclusion du Parti communiste dont il fut un
dirigeant dans les années 1920, Doriot fonde un mouvement fasciste
le Parti populaire français en 1936. En 1940 Doriot est partisan de
la collaboration avec l'Allemagne nazie. En juin 1941 il s'engage
dans la Légion des volontaires français et part combattre sur le
front russe. Il meurt en février 1945 prés de Stuttgart alors que
son véhicule est mitraillé par des avions alliés.
5 Nir
Arielli, « In search of meaning: Foreign Volunteers in the
Croation Armed Forces, 1991-95 », Comtemporary European
History, n°21, 2012.
6 Ibidem.
7 La
Rhodèsie du Sud, actuel Zimbabwe, est une colonie britannique où
dans les années 1960 la forte minorité blanche refuse le processus
de décolonisation initiée par la Grande-Bretagne. En 1970 elle
proclame son indépendance et installe un régime ségrégationniste.
La Rhodésie doit alors faire face à des guérillas noires de
tendance marxistes qui reçoivent le soutien de l'Angola et du
Mozambique à partir de 1975. La guerre prend fin en 1979 avec les
premières élections libres et le Zimbabwe voit le jour en 1980.
8 La
vie de Flores a fait l'objet d'un film en 2001, « Chico »,
réalisé par le Hongrois Ibolya Fekete, dont la plus grande partie
a pour théâtre la guerre en Croatie ou Flores avait reçu le
surnom de Chico.
9 Gaston
Besson, Une vie en ligne de mire, Lattés, 1994.
10 Ibidem.
11 Nir
Arielli, op. cit, p. 10.
12 Ibidem.
13 Gaston
Besson, op.cit
14 Nir
Arielli, op. cit.
15 Ibidem.
16 Ibidem.
Ma modeste contribution à article :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=izUoMIAlxE4