La
guerre Anh – Chi (1920)
Du
nom du conflit qui opposa les Cliques de l’Anhwei et du Chihli et à
la surprise générale au détriment du premier. En effet, son chef
Tuan Chi Jui semblait sur le point de s’imposer sur la scène
politique nationale en contrôlant déjà la majeure partie des
provinces du Nord et du Centre. Il avait noué des alliances avec la
Clique du Fengtien en Mandchourie et bénéficiait comme celui-ci du
soutien des Japonais. Surtout, il s’appuyait sur « l’armée
de défense des frontières », considérée comme étant la
plus moderne de Chine. D’ailleurs, dans une démonstration de
force, des unités de celle-ci furent envoyés mater la première
tentative d’indépendance de la Mongolie Extérieure en novembre
1919. Cette action s’inscrivait officiellement dans le cadre de la
participation chinoise à l’effort allié en Sibérie contre les
bolcheviques russes. Mais cette opération fut perçue par Chang Tso
Lin comme une provocation ; le chef de la Clique du Fengtien
avait lui-même des vues sur la région. Rompant les accords passés,
il engagea des tractations secrètes avec Tsao Kun, chef de la Clique
du Chihli. Ce dernier avait installé son quartier général au
carrefour ferroviaire stratégique de Shihchiachuang d’où il
massait ses troupes.
Tuan
Chi Jui, trop sur de lui, fit une seconde erreur qui servit de
prétexte au déclenchement des hostilités. Arguant de sa qualité
de « chef de gouvernement », il décide de nommer un
nouveau gouverneur de sa Clique, Wu Kuang Hsin, à la tête de la
province contestée du Hunan. Charge à celui-ci d’y mater les
différents seigneurs locaux. L’opération se heurte d’emblée à
la Clique du Chihli dont les meilleures troupes, la 3e
division, occupe déjà le sud de la province. Son chef Wu Pei Fu est
sans conteste un des meilleurs officiers chinois. D’origine
mandarinale, on le surnomme le « poète », car en
campagne il se fait amener sa collection de pinceaux et d’encriers
pour y rédiger des poèmes. C’est aussi un redoutable tacticien,
sachant coordonner avec brio l’infanterie, l’artillerie et mêmes
des véhicules motorisés et la TSF. Audacieux, il utilise les
chemins de fer pour sa logistique et déplacer ses troupes sur de
grandes distances pour prendre l’ennemi à revers.
Albert Grandolini
C’est
dans cet état d’esprit qu’il décida d’agir. A la grande
surprise de Wu Kuang Hsin, il décida de retirer le plus gros de ses
forces sur Wuchang le 31 mai 1920. En fait, ce n’est qu’une
diversion. En effet, il confie une de ses brigades à l’excellent
Feng Yu Hsiang à Changte pour couvrir son flanc nord et bloquer les
forces adverses concentrées à Hsinti sur l’autre rive du Yantze.
Alors que la Clique de l’Anhwei n’envisageait qu’une opération
limitée au Hunan, le « poète » parvient à convaincre
ses supérieurs de frapper un coup décisif en s’emparant de
Pékin ! Il développe un plan où les forces seront rapidement
convoyées vers le Nord en trains, avec sa 3e
division en tête. Simultanément, les troupes de Chang Tso Lin
ouvriront un nouveau front à l’est de la capitale. Ainsi les
officiers de la Clique de l’Anhwei seront obligés de diviser leurs
forces d’autant que la plupart des brigades de « l’armée
de défense des frontières » ont été éparpillées pour
assurer des tâches de défense statique. Comme les forces du Chihli
occupent aussi le Kiangsu, elles empêcheront que tout renfort ennemi
soit acheminé des provinces du Sud, du Fukien et Chekiang, en
bloquant la ligne ferrée Tientsin – Pukow.
Carte
3 : Principales
factions lors de la Guerre Anh - Chih en 1920. Edward,
L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
|
En
fait c’est Chang Tso Lin qui fournit le gros des moyens des
coalisés, quelques 70 000 hommes qui commencent à marcher sur
Pékin en franchissant la passe de Shanhaikuan. Tuan Chi Jui dépêche
la moitié de « l’armée de défense des frontières »
sous les ordres de Hsu Shu Cheng pour bloquer les approches Est et
Nord. Durant tout le mois de juin, il livre des combats retardateurs
mais est obligé de retraiter vers les lignes intérieures face à la
supériorité écrasante de son adversaire. L’autre moitié des
forces disponibles de la Clique de l’Anhwei, 15 000 hommes,
contrôlent les accès Sud sous les ordres de Tuan Chih Kuei. Elle
fait face à l’avance foudroyante de Wu Pei Fu qui, en deux
batailles successives, Chochow et Liuliho, livrés respectivement les
14 et 18 juillet, emporte la partie et pénètre dans Pékin. Tuan
Chi Jui et une grande partie de son état-major se réfugient auprès
de la délégation japonaise. C’en est fini de la puissante Clique
de l’Anhwei.
Les
vainqueurs se partagent ses dépouilles dans une coalition
hétéroclite où la défiance règne. En effet, Chang Tso Lin qui
légitimement peut revendiquer la plus grande partie de l’héritage
de Tuan Chi Jui, au vu des moyens engagés, cède cependant la
prééminence à la Clique du Chihli car il est encore peu implanté
dans les provinces du Centre. Il ajoute néanmoins à son fief les
provinces de Chahar, Jehol et Suiyuan. Surtout ; il s’approprie
les restes de « l’armée de défense des frontières »,
avec ses équipements modernes. Celle-ci, malgré tout
l’investissement consenti, s’est révélée une déception au
combat.
Illustration
8: Le général Wu Pei
Fu, surnommé le « Poète », fut un des meilleurs
officiers de la Clique du Chihli. Source Wikipedia.
|
Afin
de garder une carte dans sa manche, Chang Tso Lin laisse 30 000
hommes à Pékin avant de repartir pour sa Mandchourie. Il tente à
son tour de « pacifier » la Mongolie mais se heurte cette
fois-ci aux ambitions du Russe Blanc von Ungern-Sternberg. Surnommé
le « Baron fou », fantasque et violent, il rêve de
ressusciter un nouvel empire mongol à l’est du lac Baïkal, et
lance des incursions en Sibérie orientale et dans le Turkestan
chinois. Le destin de la Mongolie bascule finalement en 1921 lorsque
les bolcheviques s’emparent du pouvoir et chassent les dernières
garnisons chinoises.
Entre
temps, la coalition doit faire face à de nouveaux troubles dans les
provinces toujours turbulentes du Sud. Au Hunan, une ligue de
seigneurs de guerre locaux, financée par des partisans de la clique
déchue d’Anhwei, parvient à chasser les représentant de la
Clique du Chihli. En juillet 1921, les rebelles franchissent une
nouvelle étape en envahissant la province du Hupei. En août, ils
s’emparent de Wuchang. Dans l’urgence, on y dépêche Wu Pei Fu
et sa 3e
division. Encore une fois le « poète » agit sans tarder.
Concentrant rapidement ses unités par trains à partir de Loyang, il
fonce vers Yochow, port fluvial où le lac Tungting se déverse dans
le Yangtze. Simultanément, il envoie une flottille navale remonter
le fleuve jusqu’à Wuhan où se sont concentrées les forces
rebelles. Encerclées dans la poche ainsi créée, elles se font
durement étriller.
Wu
Pei Fu est ensuite dirigé vers un autre front ; la province du
Shensi où les troupes de la Clique du Chihli s’empressent de la
débarrasser des unités résiduelles de l’Anhwei. Mais la
résistance y est plus forte que prévue car chaque adversaire tente
de s’approprier la récolte d’opium en cours. Il est obligé
d’engager en renfort les 7e
et 20e
divisions ainsi que la 16e
brigade mixte. Celle-ci est sous les ordres d’une étoile montante,
Feng Yu Hsiang, surnommé le « général chrétien »
depuis sa récente conversion. Il décide d’ailleurs de convertir
toute sa brigade, le baptême s’effectuant au moyen d’une lance
à incendie avec de « l’eau bénite ». Il lui inculque
ce qu’il considère comme étant les principes de sa nouvelle foi ;
entraînement rigoureux, respect et discipline, y compris vis-à-vis
de la population civile. A la fin de l’été 1921, les forces de Wu
Pei Fu ont encore une nouvelle fois remporté la victoire. Feng Yu
Hsiang s’y est particulièrement distingué. En guise de
remerciement, sa brigade devient la 11e
division.
Le
« maréchal chrétien » Feng Yu Hsiang fut
d’abord une des étoiles montantes de la Clique du Chihli avant de
le trahir lors de la seconde guerre Chih – Feng en 1924. Source
Wikipedia.
|
Autre
conséquence du conflit, un autre seigneur de guerre de la Clique
d’Anhwei, Li Hou Chi du Fukien, maintenant sans fief, tenta de se
refaire en s’alliant à Chen Chiung Ming, le Tuchün réformiste
proche du KMT. Il lui apporta les subsides nécessaires pour financer
une nouvelle campagne pour le restaurer sur ses terres et aider son
nouvel allié à envahir la province voisine du Kwangtung. Celui-ci
entra en campagne avec une dizaine de milliers d’hommes en août
1920 et à l’automne avait conquis toute la province et repoussé
son gouverneur, Lu Jung Ting, vers le Kwangsi. Il s’y retrancha et
s’allia avec le gouverneur du Yunnan, Tang Chi Yao, dans ce qui
allait devenir la Clique du Kwangsi. Entre temps, Chen Chiung Ming
avait consolidé l’enclave nationaliste du KMT à Canton. Entre
contrepartie, Sun Yat Sen l’avait élevé au rang de Ministre de la
Guerre et de l’intérieur de son gouvernement. Il le pressait aussi
de lancer sans tarder ce qu’il appela de ses vœux, « l’expédition
du Nord », une campagne visant à abattre le gouvernement de
pékin et enfin réunifier la Chine. De façon irréaliste, compte
tenu des rapports de forces, le leader du KMT espérait que son
avancée serait accueillie à bras ouverts par la population et que
les troupes des différents seigneurs de guerre se rallieraient ou
bien déserteraient. Prudent, Chen Chiung Ming n’en fit rien dans
ce sens, préférant consolider son pouvoir en lançant au contraire
une nouvelle campagne au Sud, contre le Kwangsi. En juin 1921, il
s’empara de Wuchow, porte d’entrée de cette province sur le
Fleuve de l’ouest. Il occupa le reste du Kwangsi durant l’été,
préférant attendre pour voir quel vainqueur surgira des évènements
en train de se dérouler au Nord.
La
première guerre Chih - Feng (1922)
Du
nom du conflit qui opposa la Clique du Chihli à celle du Fengtien.
En effet, la fragile coalition mise en place depuis la chute de Tuan
Chi Jui se fissurait de plus en plus. A la tête du gouvernement de
coalition se trouvait une personnalité neutre et sans pouvoir, Chin
Yun Peng. Il avait appartenu à la Clique de l’Anhwei, était
apparenté à Chang Tso Lin par mariage, et avait été dans l’armée
le supérieur hiérarchique de Wu Pei Fu. Il satisfaisait aussi
parfaitement les puissances étrangères qui reconnurent son
gouvernement comme étant celui de toute la Chine. Mais les ambitions
des chefs de chacune des Cliques allaient mettre fin à cette paix
précaire. Chang Tso Lin accusait maintenant ouvertement son rival,
Tsao Kun, d’être à la fois à la solde des Anglo-saxons et en
même temps de s’être compromis avec les gens du KMT ! De son
côté, il était de notoriété publique qu’il était à la solde
de Tokyo dont l’emprise par son entremise sur la Mandchourie et la
Mongolie intérieure ne cessait de croître. Le colonel Kenji
Doihara, officier de renseignement attaché à l’ambassade
japonaise de Pékin, surnommé le « Lawrence de Mandchourie »,
allait de plus en plus œuvrer pour armer les forces de la Clique du
Fengtien.
Carte
4: Principales factions
lors de la 1e Guerre Chih - Feng en 1922. Edward,
L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
|
Chang
Tso Lin agit le premier et manœuvra pour faire remplacer le chef de
gouvernement par un homme de son sérail. Qui plus est, il avait
l’appui des gouverneurs des banques de Chine et des Communications.
Il promu une amnistie aux fidèles de l’ancienne Clique de l’Anhwei
et s’allia même avec Chang Sun, celui qui tenta de restaurer la
dynastie mandchoue en 1917. En parallèle, connaissant les craintes
de Sun Yat Sen vis-à-vis de la Clique du Chihli, il lui tendit la
main. C’est avec cette étrange coalition qu’il choisit
l’affrontement en visant principalement Wu Pei Fu chez ses ennemis.
Au sein même de la Clique du Chihli, Tso Kun gardait un
positionnement ambigu quand le nouveau ministère suspendit le budget
pour les troupes de son subordonné Wu Pei Fu en janvier 1922. A
priori, le rapport des forces penchait nettement au détriment de
ce dernier.
Pendant
encore deux mois, des émissaires firent la navette entre la QG de
Chang Tso Lin à Mukden et celui de Tsao Kun à Paoting, gardé par
une garde prétorienne de 10 000 hommes. Entre temps, Chang Tso
Lin avait réuni à Tientsin tous les conjurés pour y établir les
plans opérationnels. Le but de la manœuvre était d’isoler Wu Pei
Fu dans le Hunan et le Hupei en escomptant que les autres leaders de
la Clique du Chihli l’abandonneraient. Puis, Chang Tso Lin
attaquerait par le Nord ; la tenaille Sud serait fournie par une
coalition hétéroclite d’unités du KMT et de deux anciens
généraux de l’Anhwei revenus en grâce, Lu Yung Hsiang du
Chekiang et Li Hou Chi du Fukien. Une fois le « poète »
éliminé, un nouveau gouvernement unifié sera proclamé avec Sun
Yat Sen comme Président !
Le
22 mars 1922, les forces de Chang Tso Lin débutaient leurs
concentrations en quittant la Mandchourie via la passe de
Shanhaikuan. Mais immédiatement, la coalition s’effondra !
Les 1e
et 2e
flottilles de la Marine qui devaient couper les lignes de
ravitaillement de Wu Pei Fu au Sud annoncèrent leur ralliement à ce
dernier. Chen Chiung Ming rompit avec Sun Yat Sen qui se retrouva
ainsi pratiquement sans troupes. Les ex-généraux de la Clique de
l’Anhwei se rétractèrent. Pire, les Japonais firent savoir au
« vieux maréchal » Mandchou qu’ils s’opposaient à
son alliance avec le KMT et de ce fait suspendaient leur aide.
C’est
donc seul que Chang Tso Lin alla affronter Wu Pei Fu qui avait aussi
très bien manœuvré en coulisse pour retourner les alliances. Ce
dernier remonta à toute vitesse la ligne de chemin de fer Pékin -
Hankow, en amenant au passage les troupes de Tso Kun concentrées à
Paoting. Venant du Shensi, il y avait aussi l’excellente division
du « général chrétien » Feng Yu Hsiang. En tout, le
« poète » rassembla quelques 64 000 hommes, dont
25 000 ex-bandits indisciplinés du général Chao Ti du Honan.
En face, Chang Tso Lin alignait 84 000 hommes mieux dotés en
armements lourds avec six divisions déployées au sud de Pékin et
trois autres en réserve dans la ville même.
Encore
une fois, Wu Pei Fu allait frapper fort et vite. Ses forces se
concentrèrent d’abord près du pont Marco Polo (Lukouchiao), le 28
avril. Il lança des assauts frontaux, sa 3e
division en tête, afin de fixer les forces ennemies. Chaque camp
utilisa massivement l’artillerie. Puis, dans un mouvement tournant,
il engagea une des brigades du « général chrétien »,
dans la nuit du 3 au 4 mai, contre l’aile droite ennemie
constituée des 16e
et 27e
divisions à Changhsintien. Surprise, la première se débande,
subissant de nombreuses pertes sous les tirs de mitrailleuses
ennemies. La 27e
division, isolée, se replie aussi. A l’aube, les forces du
« poète » enfonce le front ennemi et pénètre dans
Pékin. Les trois divisions mandchoues gardées en réserve négocient
leur neutralité et évacuation. Chang Tso Lin tente en vain de
rallier ses unités à la gare de Luanchow. Aux soldats, il offre une
prime de 10 dollars chinois, sachant que leur solde mensuelle est de
4,20 dollars ! Mais rien n’y fait, le moral n’y est plus et
ils veulent absolument rentrer chez eux en Mandchourie. Mais Wu Pei
Fu connaît aussi des difficultés lorsque ses ex-bandits du Honan se
mutinent pour s’adonner aux pillages. Il n’a plus assez de forces
pour initier la poursuite. Chang Tso Lin lui a échappé !
Illustration
11 : le général
Yen Hsi Shan, surnommé le « gouverneur modèle »,
administra la province du Shansi comme un état autonome jusqu’en
1949. Source Wikipedia.
|
Feng
Yu Hsiang est dépêché dans le Honan pour rétablir l’ordre et
s’empare de Kaifeng, la capitale régionale. De fait, il en devient
le gouverneur et s’entête à convertir des bandits désarmés en
« bon soldats chrétiens ». A l’autonome 1922, la
victoire de la Clique du Chihli est sans conteste mais les pertes,
plus de 20 000 hommes dans les deux camps, ont été lourdes.
Qui plus est la Chine reste plus divisée que jamais. Prudent, Tsao
Kun réunit à nouveau le parlement de 1913, le dernier élu
démocratiquement. Il demande aussi à Li Yuan Hung, dernier
président à succéder constitutionnellement à la mort de Yuan Shi
Kai de reprendre son poste. Mais en réalité, il continue de tirer
les ficelles en coulisse. En tout cas, les puissances étrangères
s’en contentent et le reconnaissent, ne voulant absolument pas d’un
Sun Yat Sen qui vient en plus de perdre le pouvoir à Canton.
En
effet, après la défection du plus gros de ses troupes sous les
ordres de Chen Chiung Ming, il ne lui reste que 10 000 hommes
demeurés fidèles. Il tente de négocier avec son ancien Ministre de
la Guerre mais ce dernier l’encercle dans son palais présidentiel.
Il parvient à s’échapper et trouve refuge sur le croiseur Hai
Chi, avant de transférer son QG sur la canonnière Yung Feng de la
1e
flottille. Les bâtiments ouvrent le feu sur Canton en tentant de
déloger en vain les troupes fidèles à Chen Chiung Ming. Les
combats inquiètent les puissances étrangères qui craignent pour
leurs ressortissants. Les marins l’abandonnent à son tour et
négocient le départ de la flotte pour Tsingtao, sous le contrôle
de Wu Pei Fu. Sun Yat Sen s’échappe une fois de plus, à bord d’un
navire britannique, et va négocier une aide auprès de seigneurs de
guerre du Yunnan (Chu Pei Te) et du Kwangtung (Li Fu Lin et Hsu Chung
Chih). Les coalisés reprennent pied dans le Kwangsi, avec l’aide
du général Wang Yung Chuan, un ancien de la Clique de l’Anhwei.
Le 12 octobre 1922, ils poussent jusqu’à Foochow dans le Fukien.
Attaqué
par Hsu Chung Chih par l’est et Chu Pei Te par l’ouest, Chen
Chiung Ming est obligé d’évacuer Canton en janvier 1923. Il se
replie d’abord sur Huichow, puis se rétablit dans la partie
orientale du Kwangton, tenant un front littoral qui s’étend
jusqu’à Swatow. Sun Yat Sen reconquiert à nouveau Canton en mars
1923 d’où il proclame la restauration du gouvernement
révolutionnaire du KMT. Il fait néanmoins transférer son siège
dans une enceinte fortifiée sur une petite île au milieu de la
Rivière des Perles. Déçu, fatigué, le vieil révolutionnaire
doute de l’emporter, étant à chaque fois trahi par des chefs de
guerres qui ont leurs propres agendas. Il réalise enfin que s’il
doit l’emporter, ce ne sera que par la force des armes tout en
renforçant les structures de son parti. Et surtout qu’il doit
avoir une armée à lui, encadrée par des officiers convaincus de la
cause révolutionnaire qu’ils défendent. A cet effet, il va créer
l’académie militaire de Whampao en 1924, véritable pépinière
d’où sortiront les cadres qui vont enfin réunifier la Chine.
La
deuxième guerre Chih - Feng (1924)
Il
apparut vite que la trêve dans le Nord n’était que provisoire,
les Cliques du Fengtien et du Chihli fourbissant leurs armes pour
le prochain round. Tout d’abord, le chef de cette dernière, Tsao
Kun, avait par la menace et la corruption, forcé le parlement
légitime tout juste réinstallé à faire abdiquer en sa faveur, en
octobre 1923, le vieux Président Li Yuan Hung. Ce véritable coup
d’état institutionnel provoqua l’indignation de l’opinion
publique, même dans un pays dépecé par les seigneurs de guerre, et
de nombreuses manifestations éclatèrent dans les grandes villes de
Chine. La défiance régnait aussi au sein de la Clique du Chihli car
Tsao Kun voyait d’un mauvais œil l’ascendant qu’avait pris Wu
Pei Fu. Il favorisa donc ses proches ainsi que Feng Yu Hsiang, promu
maréchal et inspecteur des armées. Ce dernier avait positionné
près de Pékin une division et trois brigades, superbement
entraînées et disciplinées, toujours selon ses préceptes
« chrétiens ».
Carte
5: Principales factions
lors de la 2e Guerre Chih - Feng en 1922. Edward,
L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
|
Entre
temps son rival Wu Pei Fu s’était lancé dans une nouvelle
campagne dans le Sud afin d’éliminer ce qui restait de forces
résiduelles de l’ancienne Clique de l’Anhwei dans les provinces
du Chekiang et du Fukien. Celles-ci pouvaient représenter un danger
car d’après ses renseignements, elles étaient financées par
Chang Tso Lin. Elles risquaient aussi de tendre la main à Sun Yat
Sen et renforcer ainsi le KMT. D’autre part, le dernier Tuchün
encore d’importance se réclamant de la Clique d’Anhwei, Lu Yung
Chüan, tenait Shanghai, place financière du pays, avec ses
concessions internationales ainsi que son arsenal. En août 1924, les
forces de la Clique du Chihli passèrent à l’action, conquérant
Foochow. Des combats éclatèrent aussi pour le contrôle de la voie
de chemin de fer entre Shanghai et Nankin. Par une série de
manœuvres hardies, le « poète » emporta une nouvelle
fois la décision. Mais les combats pour Shanghai ont amené les
concessions étrangères à déployer des renforts militaires pour
protéger leurs enclaves. Français, Américains et Britanniques
renforcent aussi les patrouilles de leurs canonnières pour assurer
le libre passage sur le Yangze.
Chang
Tso Lin de son côté réorganisait ses forces en Mandchourie. Le
« vieux maréchal » tira les leçons des précédents
combats. Ses troupes, pourtant mieux équipées, ont subi de lourdes
pertes. Le cœur de son armée en 1922 était constitué par les 1e,
16e,
27e,
28e
et 29e
divisions. Les 16e
et 28e
ont été complètement anéanties et les autres sont encore en
cours de reconstitution. La conscription porta ses effectifs à plus
de 200 000 hommes, regroupés en 27 nouvelles brigades mixtes et
5 brigades de cavalerie, tactiquement plus mobiles. Les trois
divisions servant de réserve pour exploitation. La dotation en
artillerie est augmentée alors que deux compagnies de chars sur
Renault FT-17 sont mises sur pied. Son aviation est enfin employée
de façon rationnelle. Surtout, elle possède une quarantaine de
bombardiers légers Bréguet 14 entraînés pour l’attaque au sol.
Il procède aussi à une réorganisation en profondeur du corps des
officiers. Les postes de commandants d’unités, jusqu’à présent
aux mains de ses anciens compagnons de jeunesse et de brigandage,
sont confiés à des professionnels, jeunes officiers diplômés de
l’académie militaire de Mukden ou encore formés au Japon.
Illustration
12 : Le « vieux
maréchal » Chang Tso Lin, au premier plan, de la Clique du
Fengtien.était le maître incontesté de la Mandchourie. Source
Wikipedia.
|
Tokyo
continue de le soutenir mais la méfiance est réciproque entre les
deux partenaires. Les Japonais veulent simplement qu’il se
contente de tenir la Mandchourie où ils ont beaucoup investi,
notamment la construction d’un nouveau port moderne à Hulutao qui
vient juste de démarrer. Chang Tso Lin espère de son côté
reprendre Pékin.
Alors
que les escarmouches se multiplient à la frontière mandchoue, c’est
Tsao Kun qui agit le premier en tentant d’acheter plusieurs
généraux de Chang Tso Lin. Un seul, Kao Shi Pin, se mutina en juin
1922 mais la révolte fut vite écrasée. Un nouveau motif de
discorde fut l’asile accordé à Lu Yung Chüan et à ses troupes
après leur évacuation de Shanghai. Chacun des adversaires rêvaient
d’en découdre, surtout Wu Pei Fu qui avait été publiquement
humilié par Chang Tso Lin à plusieurs reprises.
Le
« poète » rêvait de prendre sa revanche, confiant en
ses forces (250 000 hommes) et en ses capacités de général.
Il planifia l’invasion de la Mandchourie sur trois directions
principales ; par la passe de Shanhaikuan avec la 1e
armée de Peng Shou Hsin ; par Hsifengkou avec la 2e
armée de Wang Huai Ching ; à travers le Jehol avec la 3e
armée du « maréchal chrétien ». L’offensive débuta
début septembre 1924, les combats les plus acharnés ayant lieu à
la passe de Shanhaikuan où le gros des forces de la Clique du
Fengtien avait été concentré. Sur un terrain difficile, les
assaillants avaient du mal à se déployer, chaque point haut devait
être conquis de haute lutte. Chaque pénétration était contre
attaquée par des brigades maintenues en réserve. Wu Pei Fu prit
alors en personne le commandement de ce front mais à la mi-octobre
il doit se résigner à marquer une pause à cause de ses problèmes
de logistique. Les adversaires s’enterrèrent sur place et le
combat dégénéra en duels d’artillerie.
La
2e
armée avait tout d’abord connu une avance rapide avant de se
heurter à une résistance plus vive des Mandchous. Mais c’est la
3e
armée qui marquait le plus le pas. Ses avants gardes n’atteignirent
Luanping dans le Jehol que le 24 septembre. Le gros de ses divisions
était encore à Kupeikou, avec une réserve maintenue à Miyun. Un
groupement de 10 000 hommes était encore stationné juste à la
sortie nord de Pékin, en cours « d’entraînement ».
Lorsque Wu Pei Fu exhorta Feng Yu Hsiang d’accélérer son rythme
de progression, ce dernier lui répondit qu’il avait des
difficultés logistiques. Il accusa même le commandant en chef de ne
lui pas avoir alloué les munitions d’artillerie nécessaires.
En
réalité, le très moraliste « maréchal chrétien »
était en train de négocier avec l’ennemi. Les tractations se
firent par l’intermédiaire de l’ancien patron de la Clique
d’Anhwei, Tuan Chi Jui, à Tientsin. Il fit monter les enchères en
marchandant sa trahison. Il semblerait que Chang Tso Lin déboursa
près de 10 millions de dollars américains, grâce aux subsides
japonais. Le 20 octobre, Feng Yu Hsiang décida d’agir. Tout
d’abord, il isola Pékin en dépêchant une de ses brigades couper
la ligne de chemin de fer au sud de la ville, à Changsintsien.
Une autre de ses divisons prit Luanchow, coupant la voie ferrée
Tientsin – Shanhaikuan. Un autre détachement venant du Shensi
s’empara aussi du nœud ferroviaire de Shichiachuang, coupant l’axe
ferré Nord – Sud de Pékin à Hankow. Ainsi des renforts en
provenance des provinces du Sud ne pourraient arriver à temps.
Rompant le contact sur la ligne de front, Feng Yu Hsiang ramena le
gros de son armée vers la capitale. Il força Tsao Kun à abdiquer
et lança une proclamation demandant un cessez-le feu et l’ouverture
de négociations entre les différentes factions. La 2e
armée se rallia aux mutins. Le coup d’état prit Wu Pei Fu
complètement par surprise. Menacé sur ses arrières, incapable de
faire appel à des réserves, ses unités de premières lignes
commençaient à flancher devant une offensive généralisée
déclenchée par Chang Tso Lin. Au bout de 48 heures les forces
mandchoues reprirent la passe de Shanhaikuan. Dans la débâcle, Wu
Pei Fu parvint à embarquer avec quelques milliers d’hommes sur
des navires militaires à Tientsin. Ne pouvant débarquer au
Shantung dont le gouverneur était en train de négocier son
changement d’alliance et après moult péripéties, le « poète »
et ses partisans parvinrent finalement à rallier leurs bases
arrières, à cheval sur les provinces du Honan et du Hupei. En un
mois, les affrontements ont causés au total quelques 30 000
victimes.
Illustration
14 : Chars Renault FT17
de la Clique du Fengtien. Les blindés ont été acquis auprès du
corps expéditionnaire français de Sibérie. Source Wikipedia.
|
Feng
Yu Hsiang commença par rappeler ses virtus républicaines en
ordonnant l’expulsion du jeune empereur Pu Yi et de sa cour de la
Citée Interdite, abrogeant de fait le traité de 1912 qui l’y
autorisait. Trouvant refuge à Tientsin, ce dernier sera rapidement
pris en charge financièrement par les services japonais qui plus
tard l’introniseront à la tête de l’état fantoche du
Mandchoukouo. Une nouvelle coalition fragile fut mise en place, avec
une délimitation des zones d’influences. L’ancien leader de la
Clique de l’Anhwei, Tuan Chi Jui, fut nommé Premier Ministre. Son
gouvernement fut officiellement reconnu par les puissances
étrangères, le 9 décembre 1924, à la condition qu’il ne remette
pas en cause les traités existants signés avec elles. Clairement,
Chang Tso Lin était le grand vainqueur du conflit. Il
partageait désormais le pouvoir dans la Chine du Nord avec Feng Yu
Hsiang. Les troupes mandchoues campaient dans la capitale et
occupaient les provinces du Chihli et du Shangtung où elles
réprimèrent dans le sang une grève des ouvriers des usines de
Tsingtao. Le « vieux maréchal » tenta ensuite d’étendre
l’influence mandchoue aux provinces de la vallée du Yangtze. Il y
dépêcha un de ses généraux, Chang Tsung Chang, soutenir un autre
de ses officiers, Yang Yu Ting. Durant l’été 1925, ils battirent
le seigneur de guerre Sun Chuan Fang, demeuré fidèle à la Clique
du Chihli. Ce dernier fut chassé de Shanghai et se replia sur
Hsuchow.
Feng
Yu Hsiang récupéra de son côté le gros de l’armée de la Clique
déchue du Chihli. Afin de symboliser la rupture, ses forces furent
rebaptisées comme étant la « 1e
Armée Nationale » ou Kuominchûn. Directement sous ses ordres
se trouvaient aussi les 2e
et 3e
armées, sous les commandements de deux vassaux ; Hu Ching Yi et
Sun Yueh. Le « maréchal chrétien » s’appropria
l’administration directe des provinces du Jehol, Chahar et
Suiyuan au titre d’inspecteur général de la défense des
provinces du nord-ouest. Désormais, il avait sa propre Clique.
Plus
que jamais la scène politique chinoise était fragmentée, divisée
en Cliques militaires rivales, livrée aux exactions de bandits de
tout poil. Aucun seigneur de guerre n’avait réussi à devenir le
nouvel hégémon et ramener la paix « sous le ciel ». Le
12 mars 1925, Sun Yat Sen décédait sans voir son rêve d’une
Chine unifiée et démocratique se réaliser. Pourtant, dans une
étrange alliance contre nature, regroupant nationalistes du KMT et
communistes, une nouvelle ère de violences et de révolutions allait
en sortir pour la domination du pays le plus peuplé au monde.
Remerciements
L’auteur
tient particulièrement à remercier Stéphane Soulard pour sa
relecture commentée du texte. Sa grande érudition sur la période
et sa connaissance du Chinois m’ont permis d’éviter plusieurs
écueils.
Bibliographie
indicative
Angus,
Konstam, Yangtze River Gunboats 1900-1949, New Vanguard Series,
Osprey, Oxford 2011.
Anthony,
B Chan, Arming the Chinese, The Western Armaments Trade in Warlord
China, 1920-1928, University of British Colombia Press, Vancouver
1982.
Bodin,
E Lynn ; Warner, Chris, The Boxer Rebellion, Osprey, Oxford 1979.
Diana,
Lary, Warlord Soldiers: Chinese Common Soldiers 1911-1937, Cambridge
University Press, Cambridge 2010.
Donald,
Sutton, Provincial Militarism and the Chinese Republic: The Yunnan
Army 1905-1925, The University of Michigan Press, Ann Arbor, MI 1980.
Edward,
L Dreyer, China at War 1901-1949, Longman Publishing, New York 1995.
Edwin,
Pak Wah Leung, Historical Dictionary of the Chinese Civil War,
Scarecrow Press, Lanham MD 2003.
Francis,
F Liu, A military History of Modern China 1924-1949, Princeton
University Press, Princeton University Press, 1956.
George,
F Nafziger, The Growth and Organization of the Chinese Army 1895 –
1945, The Nafziger Collection, Inc, West Chester (UK) 1999.
Hervé,
Barbier, Les canonnières françaises du Yang Tsé 1900 – 1941, Les
Indes Savantes, Paris 2004.
Ian,
Heath ; Perry, Michael, The Taiping Rebellion 1851-1866, Osprey,
Oxford 1994.
Ian,
Heath, Armies of Nineteenth Century: Asia, Volume 2 - China, Foundry
Books, Guernsey (UK) 1998.
Jean,
Mabire, l’été rouge de Pékin, la révolte des Boxeurs, Editions
du Rocher, Monaco 2006.
John,
K Fairbank, The Cambridge History of China, Volume 10: Late Ch’ing
1800 -1911, Cambridge University Press, Cambridge 1986.
John,
K Fairbank, The Cambridge History of China, Volume 12: Republican
China 1912-1949, Cambridge University Press, Cambridge 1983.
John,
K Fairbank, The Cambridge History of China, Volume 13: Republican
China 1912-1949, Cambridge University Press, Cambridge 1986.
Peter,
Harrington, Peking 1900, The Boxer Rebellion, Campaign Series,
Osprey, Oxford 2001.
Phillip,
Jowett ; Andrew, Stephen, Chinese Civil War Armies 1911-1949, Osprey,
Oxford 1997.
Phillip,
Jowett, Soldiers of the White Sun, The Chinese Army at War 1931 –
1949, Schiffer Publishing, Atglen 2011.
Pu
Yu, Hu, A Brief History of the Chinese National Revolutionary Forces,
Chung Wu Publishing Company, Taipei 1971.
Richard,
N J Wright, The Chinese Steam Navy 1862-1945, Chatham Publishing,
London 1988.
Xu,
Guangqiu, War Wings, The United States and Chinese Military Aviation,
1929 – 1949, Greenwood Press, London 2001.
Annexes :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire