mardi 20 août 2013

L’armée suisse à l’aube de la Grande Guerre


La Suisse fut, à bien des égards, un pays privilégié durant le XXe siècle, ne serait-ce que parce qu’elle échappa à ce qu’une certaine historiographie a nommé les « guerres civiles européennes », ou en d’autres termes, aux premières et deuxièmes guerres mondiales. Préservée des combats, l’histoire de l’armée suisse suscite logiquement un intérêt bien moindre que celui porté aux forces belligérantes durant ces conflits. En Suisse même, de manière générale, si le rôle du pays durant la deuxième guerre mondiale a fait l’objet d’âpres débats politico-historiques durant les années 90 et au-delà, l’histoire de l’armée suisse avant et pendant la « Der des Ders » reste largement une affaire d’initiés. Pourtant, à bien des égards, l’étude de cette institution à l’aube de la Grande Guerre n’est pas sans intérêts. En effet, si l’on peut arguer que, en 1914, l’armée helvétique était raisonnablement bien préparée, du moins si on la compare à celles d’autres petites nations, ses lacunes sont révélatrices d’une cécité alors presque générale dans le monde occidental face à l’avènement de ce que l’on appellera par la suite la guerre totale. En revanche, certaines autres faiblesses révélées par la guerre étaient intrinsèques au pays ou à la perception stratégique de ses dirigeants.
Adrien Fontanellaz




Au moment où débuta la première guerre mondiale, l’armée suisse était une institution encore récente, dont la genèse débuta un siècle plus tôt, à l’issue des bouleversements causés par les guerres napoléoniennes. Cette évolution fut à la fois la résultante de la lente mutation de l’espace politique helvétique en un système fédéral et un élément essentiel de la formation du sentiment national. En 1815, il n’existait pas réellement d’armée suisse, mais des armées, ou milices, cantonales pouvant participer ensemble à la défense de la Confédération helvétique. Cependant, un règlement national fut adopté le 20 août 1817 dans le but d’uniformiser les armements, l’ordre de bataille et l’entraînement de ces contingents cantonaux. Une première école militaire suisse ouvrit ses portes à Thoune en 1818 afin de garantir une formation adéquate des officiers supérieurs alors que la société suisse des officiers était fondée en 1833. Entre 1820 et 1852, des contingents cantonaux furent rassemblés à quatorze reprises dans des camps fédéraux, destinés à leur permettre de manœuvrer ensemble. L’armée eut l’occasion d’entrer en campagne en 1847, lors de la guerre du Sonderbund, où, forte de 100'000 hommes et placée sous les ordres du général Dufour, elle mit fin en vingt-cinq jours à une révolte des cantons catholiques. L’adoption d’une nouvelle constitution, fortement inspirée par celle des Etats-Unis d’Amérique en 1848, ne tarda pas à engendrer un renforcement des prérogatives fédérales, alors qu’en 1856, des troupes furent à nouveau levées pour faire face à la menace prussienne lors de l’affaire de Neuchâtel. La guerre franco-prussienne de 1870 causa ensuite la mobilisation de 40'000 hommes, qui menèrent à bien l’internement des dizaines de milliers de soldats français de l’armée Bourbaki en février 1871. Les graves lacunes constatées dans l’entraînement de certains contingents cantonaux encouragèrent un nouvel élargissement des prérogatives fédérales en matière militaire en 1874, la Confédération se voyant attribuer la responsabilité de l’instruction, de l’armement et de l’équipement des troupes. Enfin, entre 1907 et 1911, une série de réformes modifièrent profondément la structure et les tactiques de l’armée.
Ordre de bataille
A la suite de ces réorganisations, et à l’aube de la Grande Guerre, l’armée comprenait trois corps de deux divisions. Les six divisions, fortes chacune d’environ 21'000 hommes et 5'000 chevaux, se subdivisaient en trois brigades. Chaque brigade chapeautait deux régiments de deux ou trois bataillons. A partir de 1911, quatre des dix-huit brigades endivisionnées étaient spécialisées dans le combat en montagne. Ces brigades de montagne alignaient, en sus des habituelles unités de soutien, cinq bataillons d’infanterie répartis entre deux régiments, un groupe d’artillerie à deux batteries de quatre pièces et une compagnie de mitrailleurs, soit un effectif réglementaire de 4’973 hommes.

Canon Krupp et ses servants (via www.switzerland1914-1918.net)


L’armée avait bénéficié d’une augmentation considérable de son budget dans les années précédant la guerre. En effet, les dépenses du Département militaire, qui étaient de 30'511'498 CHF en 1906, atteignirent 45'840'619 francs en 1913. Cette croissance se traduisit notamment par la modernisation du parc de l’artillerie de campagne à partir de 1903. Ce fut la firme allemande Krupp qui bénéficia le plus de cet effort, avec des commandes successives portant sur 288 canons de 7.5 cm et leurs munitions pour 21.7 millions de francs, 24 pièces de montagne de 7.5 cm pour 2'515'000 francs et enfin 86 obusiers de 12 cm. L’armement des fantassins, avec des fusils et mousquetons de conception relativement récente, était comparable à celui des autres armées européennes. En 1887, après une série de tests, les militaires helvétiques commandèrent une première série de 20 mitrailleuses Maxim à la firme anglaise Vickers. A l’évidence, l’armée n’accorda pas immédiatement une grande importance à cette nouvelle arme, dans la mesure où 27 années plus tard, en 1914, le parc ne comprenait que 110 mitrailleuses, réparties en compagnies attachées aux divisions et à certaines brigades. A titre de comparaison, chaque régiment d’infanterie allemand disposait alors d’une compagnie avec sept mitrailleuses, dont une de réserve. Enfin, l’armée pouvait s’appuyer sur une série d’ouvrages fortifiés relativement récents, couvrant les voies de chemin de fer traversant les Alpes, à l’image de celle du Gothard.
Le Conseil fédéral refusa de soutenir la création d’une aviation militaire dans les années précédant la guerre, percevant l’usage de cette nouvelle technologie comme purement expérimentale. Des essais menés au cours de grandes manœuvres en 1911 et 1913 à l’aide d’appareils civils avaient obtenu des résultats mitigés, principalement à cause d’une météo défavorable. Cependant, nombreux étaient les cadres convaincus de la nécessité de disposer d’une aviation, et durant 1913, la Société suisse des officiers mena une collecte, destinée à financer l’entraînement de pilotes, qui rapporta CHF 1734'564.- In fine, les troupes d’aviation furent formées le 1er août 1914. Elles ne comprenaient alors qu’une dizaine de pilotes mobilisés, parfois avec leurs propres appareils, et huit avions de six types différents.  Cette collection disparate fut subdivisée en deux escadrilles, l’une pourvue de biplans et l’autre de monoplans. A ce moment, l’armée français comptait 200 avions, et son homologue allemande 250.
Le système de milice
Comme dans la plupart des nations européennes, les Suisses en âge de porter les armes étaient appelés sous les drapeaux pour un service national, l’école de recrues, avant de devenir réservistes, mobilisables en cas de besoin. Les réservistes étaient définis par leur classe d’âge ; les hommes de 20 à 32 ans faisaient partie de l’Elite, ceux de 33 à 40 ans de la Landwehr et ceux âgés de 41 à 48 ans de la Landsturm. En cas de guerre, l’Elite fournissait les effectifs nécessaires aux unités régulières de l’armée, alors que les hommes de la Landwehr formaient des brigades et des régiments dépendant directement du commandement de l’armée. L’école de recrue durait 65 jours pour les fantassins, mais était suivie par sept cours annuels, dit de répétition, d’une durée de sept jours. Outre leur parcours militaire, la plupart des hommes étaient familiarisés avec l’usage des armes au sein d’un réseau extrêmement dense de sociétés de tir. En 1885, le seul canton de Zurich aurait ainsi compté 285 associations de ce type, totalisant près de 11'000 membres. De ce fait, l’armée ne comprenait pas réellement d’unités d’active mais pouvait mobiliser environ 450'000 hommes, dont 105'425 appartenaient à l’Elite et 97'054 à la Landwehr, et près de 50'000 chevaux. Il s’agissait là d’une taille respectable compte tenu de la population du pays, qui était de 3.9 millions d’habitants en 1914.
Une des spécificités du système de milice suisse résidait dans le fait que la plupart des  cadres étaient aussi des miliciens, l’armée ne disposant que d’un nombre extrêmement limité d’officiers de métier. Les officiers de milice devaient cependant consacrer un temps sous les drapeaux bien supérieur à celui des simples soldats, selon le principe du « paiement de galons » mis en place à partir de 1880. Si théoriquement, la possibilité d’accéder à un poste d’officier était donc ouverte à tous, le manque à gagner occasionné tendait à favoriser l’accession à ces postes de citoyens disposant de revenus relativement confortables, comme les employés de commerce, les instituteurs, les universitaires ou les membres des professions libérales. De fait, à partir d’un certain seuil, ce système n’allait pas sans rappeler par certains aspects le cursus honorum romain, l’appartenance aux élites politiques et économiques du pays allant souvent de pair avec un poste d’officier. Nombre de parlementaires fédéraux étaient par exemple aussi officiers de milice. Ainsi, le prestige de la fonction et l’ascenseur social qu’elle pouvait représenter firent que l’armée ne manquait pas de candidats désireux de grader.
Doctrine et tactique
Outre la réorganisation de son ordre de bataille et une modernisation de son artillerie, l’armée vit aussi ses tactiques se modifier durant la décennie précédant la guerre mondiale. L’impact de la guerre russo-japonaise fut à cet égard important, et ce d’autant plus que la Suisse avait dépêché des observateurs militaires auprès des belligérants. Un nouveau règlement militaire, intégrant certaines leçons tirées des affrontements entre armées impériales japonaise et russe, fut donc adopté en 1908. L’accent était mis sur l’usage de l’ordre dispersé et de lignes de tirailleurs, ainsi que sur la mise à profit des couverts offerts par le terrain, afin de minimiser l’impact du feu sur l’infanterie, qui s’était avéré particulièrement dévastateur pour les colonnes de soldats nippons avançant en ordre serré lors du siège de Port-Arthur.
Les dirigeants de l’armée étaient partagés entre deux écoles de pensée antagonistes quant au système d’instruction et de sélection des cadres. L’école « nouvelle », et dont l’une des figure de proue était le colonel Ulrich Wille, prônait l’adoption du modèle « prussien », et préconisait l’usage du drill et une sélection des officiers intégrant leur origine sociale tout en accroissant les exigences en terme de compétence militaire et en élargissant leur marge décisionnelle par l’adoption de l’Auftragstaktik. La seconde école, dite « nationale », se voulait plus égalitaire et souhaitait imposer aux candidats de servir au préalable comme sous-officiers. In fine, ce fut l’école « nouvelle » qui se révéla la plus influente au sein de l’institution, la marquant pour plusieurs décennies. De fait, durant la guerre, les plaintes de soldats portant sur un usage excessif du drill et une attitude perçue comme irrespectueuse de la part de leurs officiers ne furent pas rares.
La neutralité Suisse fut reconnue par les grandes puissances européennes dès le congrès de Vienne en 1815. En 1907, la conférence de paix de la Haye réglementa plus précisément les droits et devoirs des Etats neutres. Investis de la responsabilité d’empêcher l’usage de leurs territoire par une puissance tierce, ceux-ci étaient libres, en réaction à une agression, de s’allier militairement avec d’autres belligérants. Percevant la France comme le pays le plus susceptible de violer la neutralité suisse en cas de guerre, des hauts gradés entretinrent dans les années précédant le conflit des rapports informels avec des officiers allemands et austro-hongrois, destinés à faciliter une éventuelle collaboration en cas d’agression française, alors que l’inverse n’était pas vrai et qu’aucune conversation de ce type ne fut menée avec l’armée française avant 1914. Cette asymétrie pouvait partiellement s’expliquer par la germanophilie notoire d’hommes comme le colonel Ulrich Wille, mais aussi parce que l’état-major impérial allemand avait depuis longtemps opté pour une offensive contre la France orientée au Nord, dans le cadre du plan Schlieffen. Dans ce contexte, la visite de Guillaume II en 1912, à l’occasion de manœuvres menées par l’armée suisse, visait entre autres à s’assurer que cette dernière était suffisamment puissante pour empêcher une avance rapide des troupes françaises à travers le territoire suisse, susceptible de contrarier la mise en place du plan Schlieffen, qui imposait que les gros la Deutsches Heer soient concentrés bien plus au Nord. A cette occasion, le Kaiser aurait déclaré au colonel Wille que l’armée suisse ferait économiser 300'000 hommes à son homologue allemande.


Carte postale illustrant la visite du Kaiser en 1912 (via www.switzerland1914-1918.net)


La doctrine suisse postulait que l’armée devait sembler suffisamment puissante pour empêcher un belligérant de prendre son adversaire au dépourvu au moyen d’une avance rapide à travers le territoire de la Confédération. Force est de constater que cet objectif fut largement atteint dans les années précédant la guerre. En effet, les comptes rendus d’observateurs militaires étrangers, français et anglais pour l’Entente ou encore allemands et austro-hongrois pour les Empires centraux, tendirent à accorder une crédibilité certaine à l’armée suisse, tout en se montrant parfois critiques, spécialement à l’égard de ses officiers, dont ils estimaient les compétences comme inférieures à celle de leurs homologues étrangers, et ce particulièrement dans la conduite de grandes unités. Cette perception s’expliquait sans doute par le fait que, depuis 1859, date de l’entrée en vigueur de la loi proscrivant l’enrôlement des Suisses dans le service étranger, et mettant ainsi fin à une longue tradition, le pays ne disposait plus d’officiers ayant l’expérience de la conduite d’hommes au combat. En revanche, il est aussi probable que ces observateurs, officiers de carrière, aient également éprouvé un certain dédain pour des officiers de milice, bien qu’à contrario, cette particularité suisse ait aussi joué en sa faveur grâce aux descriptions enthousiastes que put faire de l’armée suisse un Jaurès, pour des raisons éminemment politiques.
Face à la montée des périls, le Conseil fédéral ordonna la mobilisation générale le 1er août 1914, alors que deux jours plus tard, l’Assemblée fédérale lui confiait les pleins pouvoirs pour la durée du conflit. Dans le même temps, l’assemblée attribua à Ulrich Wille le poste de chef de l’armée, lui faisant accéder au titre de général, alors que le colonel Theophil Sprecher von Bernegg était nommé chef d’état-major. Du 3 au 7 août, près de 220'000 hommes furent mobilisés.

Courant août, l’armée fut concentrée dans le Nord-Ouest du pays. Ce dispositif, qui perdura peu ou prou durant toute la guerre, prit le nom d’occupation des frontières, et permettait au gros des troupes d’être facilement redéployé pour faire face alternativement à une menace allemande ou française. Dans le détail, trois divisions, flancs-gardées par des unités de cavalerie et de la Landwehr, étaient échelonnées entre Bâle et Les Rangiers. Trois autres divisions, concentrées dans le quadrilatère constitué par les villes de Guin, Berne, Bienne et Soleure constituaient une réserve d’armée relativement puissante, apte à contre-attaquer dans le cas où le dispositif aux frontières était percé. Enfin, les quatre brigades de montagnes, stationnées dans les cantons du Tessin, du Valais et des Grisons, couvraient les Alpes.
Puis, dès le mois de septembre 1914, l’armée diminua le nombre de ses troupes en service actif. Outre le fait que l’économie nationale ne pouvait supporter indéfiniment l’absence de la main d’œuvre mobilisée, il était devenu claire pour l’état-major suisse que le centre de gravité sur le front Ouest se situait bien plus au Nord, dans les Flandres, et que la menace s’était donc réduite, et ce d’autant plus que les lignes s’étaient stabilisées en Haute-Alsace. Durant les quatre années qui suivirent, le nombre d’hommes en service actif varia considérablement en fonction de l’appréciation du danger par les autorités politiques et militaires du pays. Le nombre d’hommes sous les drapeaux passa ainsi de 38'000 à plus de 100'000 à la fin de 1916, avant de fortement diminuer pour atteindre 12'500 soldats dans les derniers mois de la guerre, avant de remonter à 100'000 hommes du fait de la grève générale de 1918.
Conclusion
Comme la plupart des Européens, les Suisses ne perçurent pas le changement de paradigme lié à l’avènement de la guerre dite totale, soit l’opposition non plus d’armées en campagne, mais de sociétés entières. Le pays s’était donc préparé à des conflits courts comme le montre la commande des 24 pièces de montagne passée à Krupp en 1906. En effet, le stock de munitions inclus dans le contrat était de 900 obus par canon, alors que la pratique démontra que durant certaines périodes d’affrontement intensif, la consommation quotidienne d’un 75 français pouvait atteindre 1'000 obus. Durant toute la guerre, l’artillerie helvétique se trouva ainsi confrontée à une pénurie de munitions que l’industrie locale ne parvint pas à résorber faute de matières premières. Le fait que les stocks de céréales ne permettaient l’approvisionnement de l’armée que pour deux mois illustre également cette impréparation. Enfin, il n’existait pas de système universel de compensation de la perte de gains pour les hommes mobilisés, qui ne touchaient qu’une solde minime, alors que par exemple, un soldat de l’infanterie passa en moyenne 608 jours sous les drapeaux durant la guerre. Cette dernière lacune ne manqua pas d’avoir des conséquences dramatiques pour les familles de soldats issus des classes populaires, privées de revenus suffisants du fait de l’absence du mobilisé alors que trois ans et demi après le début des hostilités, l’index des prix à la consommation avait plus que doublé tandis que le revenu moyen diminuait de 25 à 30 %. Ce facteur facilita sans doute l’émergence de comités de soldats antimilitaristes en Suisse alémanique à partir de 1917.  Enfin, la réputation pro-germanique plus ou moins justifiée d’une partie des cadres de l’armée engendra une méfiance certaine dans la population suisse-romande du pays, plus sensible au point de vue de Paris de par sa proximité linguistique. Ainsi, l’émotion en Suisse romande fut particulièrement vive lorsque, en 1916, deux officiers d’Etat-major n’encoururent qu’une peine disciplinaire symbolique après avoir été convaincus d’avoir livrés des informations confidentielles aux attachés militaires allemands et austro-hongrois.



Carte postale présentant une vision idyllique du soldat rentrant au foyer (via www.switzerland1914-1918.net)


Par ailleurs, le pays, dépourvu de matières premières et très dépendant de ses échanges avec l’extérieur, fut durement touché par les restrictions au commerce imposées par les belligérants. Les Alliés en particulier se montrèrent particulièrement soucieux d’éviter que la Suisse ne présente une brèche dans le blocus imposé aux Empires centraux. Si une partie de la population s’accorda relativement facilement avec ce climat de pénuries, à commencer par la paysannerie, celui-ci frappa durement la classe ouvrière, bientôt rejointe par les petites classes moyennes. Ce contexte troublé affecta de manière différenciée les secteurs de l’économie ; alors que l’industrie du tourisme s’effondrait, certaines entreprises exportatrices réalisaient des profits faramineux en répondant aux besoins gargantuesques des pays en guerre. Ces tensions, en partie inévitables, furent aggravées par le Conseil fédéral qui tarda à intervenir et à prendre des mesures régulatrices. In fine, les conditions de plus en plus dures subies par une partie de la population contribuèrent au déclenchement d’une grève générale en novembre 1918, suivie durant quelques jours par près de 250'000 personnes. A cette occasion, le gouvernement fit appel à l’armée, qui déploya notamment 8'000 hommes dans les rues de Berne et de Zürich. 
L’impréparation conceptuelle des élites politico-militaires du pays ne manqua donc pas d’avoir un impact de long terme sur l’armée. Son emploi contre les grévistes approfondit par exemple  le fossé la séparant des mouvements de gauche. En revanche, en matière de gestion de l’économie nationale, les erreurs commises servirent de leçons qui furent mises à profit durant la Seconde guerre mondiale, évitant ainsi à la population une partie des épreuves subies entre 1914 et 1918.

Bibliographie
Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit, Face à la guerre, l’armée et le peuple suisse, 1914-1918 / 1939-1945, Infolio, 2007
Hervé de Weck, La Suisse peut-elle se défendre seule ?, Editions Cabédita, 2011
Dimitry Queloz, L’Escadre de surveillance et la neutralité aérienne de la Suisse 1933-1941, Centre d’Histoire et de Prospective Militaires, 2012
Pierre Streit, Histoire militaire suisse, infolio, 2006
Hans-Rudolf Kurz, Histoire de l’armée suisse, de 1815 à nos jours, Editions 24 heures, 1985
François Walter, Histoire de la Suisse, La création de la Suisse moderne (1830-1930), Tome 4, Editions Alphil, Presses universitaires suisses, 2010
Adrien Tschumy, « La défense militaire du Simplon au XXe siècle », Revue historique des armées, 243 | 2006, [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2008. URL : http://rha.revues.org/5052. Consulté le 11 juillet 2013.
Divers entrées du Dictionnaire historique de la Suisse, URL : http://www.hls-dhs-dss.ch/index.php
Organisation des unités de mitrailleuses dans l’Armée allemande in Les mitrailleuses du premier conflit mondial, URL : http://mitrailleuse.fr/Allemandes/Organisation/Organisation.htm

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