vendredi 1 janvier 2016

Une brève histoire de la garde républicaine


La notoriété de la garde républicaine remonte à la deuxième guerre du Golfe, où elle fit son apparition dans les médias occidentaux. Elle continua à être abondamment mentionnée durant les différentes périodes de tension qui marquèrent la crise irakienne, et ce jusqu’à la chute du régime de Saddam Hussein. Elle constitue à cet égard un paradoxe, car malgré sa célébrité, elle reste peu connue. Cet article vise donc à présenter brièvement l’histoire de ce corps.
L’armée est le plus souvent un sujet très sensible dans la plupart des pays du Moyen-Orient ; photographier un engin militaire peut potentiellement déboucher sur une peine de prison. Cette opacité ne facilite évidemment pas la tâche d’éventuels chercheurs ou historiens. Il faut aussi l’admettre, l’histoire militaire des pays arabes n’intéresse pas un large public, ce qui n’incite pas les éditeurs à financer la traduction et la publication de mémoires et autres écrits de militaires arabes. Enfin, il existe sans doute aussi un substrat de dédain culturel, pour ne pas parler d’un reste d’occidento-centrisme, favorisant un certain manque de curiosité sous nos latitudes. Tout ceci explique en grande partie pourquoi la guerre Iran-Irak, qui fut la plus longue guerre conventionnelle depuis la deuxième guerre mondiale, ait fait l’objet de si peu d’intérêt. La courte guerre des Malouines entre l’Argentine et l’Angleterre, à l’origine d’une véritable avalanche de publications, illustre bien ce contraste
Dans une perspective plus large, l’histoire de la garde républicaine irakienne, voulue par Saddam Hussein comme une résurgence moderne de la garde impériale de Napoléon, illustre combien un contexte politique peut influencer, voire déterminer, l’efficacité d’une institution militaire. Enfin, et c’est sans doute une raison suffisante pour s’y intéresser, la garde républicaine, comme l’armée irakienne dans son ensemble, connut une expérience exceptionnellement variée ; elle affronta non seulement la redoutable infanterie iranienne, mais aussi, à deux reprises, le colosse américain.
Enfin, il convient de préciser à quel point la rédaction de cet article a dépendu des contributions des participants du Air Combat Information Group, et surtout, des recherches menées par l’armée américaine après l’invasion de 2003 et dont le résultat est disponible en ligne. Les américains, suivant les mêmes pratiques que lors de la défaite de l’Allemagne et du Japon en 1945, cherchèrent à comprendre la perception des vaincus, au moyen de leurs archives, mais aussi d’interviews menées auprès de gradés de haut rang. Ces textes donnent, dans le cas irakien, non seulement un accès passionnant sur les mécanismes internes de la dictature irakienne, mais aussi sur le fonctionnement de sa machine de guerre. Bien entendu, l’histoire militaire de l’Irak de ces quarante dernières années reste encore à écrire, et l’ambition de cet article sur la garde républicaine se limite à soumettre au lecteur quelques éléments nouveaux sur cette institution.


                           Adrien Fontanellaz, article déjà publié sur le blog Militum Historia





Chapitre I : Naissance et développement

La garde républicaine (Al Haris Al Jamhuri) naquit dans le contexte politique extrêmement troublé de la fin des années soixante, sous la présidence du général Aref. De la taille d’une brigade, son recrutement privilégiait à l’origine la tribu du chef de l’état, les Al-Jumayla. Sa création était donc antérieure à la prise de pouvoir par le parti Baath en 1968. Le nouveau régime n’augmenta pas les effectifs de la garde, qui restait chargée de la protection de la capitale, mais créa une armée populaire (Jeish Al Shabi) en 1970 pour « préserver les réalisations de la révolution [et] soutenir et protéger le parti contre les conspirations… ». Celle-ci était en réalité une milice recrutée parmi les membres du parti Baath. L’entraînement de ces soldats à temps partiels était limité à l’emploi des armes légères. En septembre 1980, l’unique brigade de la garde républicaine comptait un bataillon de chars T-72, un régiment de commandos, un bataillon d’artillerie et un bataillon de lance-roquettes multiples (LRM) BM-21.

Le siège de Khorramchahr

L’attaque irakienne contre l’Iran le 23 septembre 1980 avait pour objectif principal de s’emparer rapidement de gages territoriaux afin de contraindre le régime des ayatollahs à renégocier en position de faiblesse le tracé de la frontière entre les deux pays. Saddam Hussein, le président irakien depuis le 12 juillet 1979, pensait qu’une courte campagne militaire serait suffisante, l’ancienne armée impériale iranienne ayant subi des purges sévères après la révolution, alors que la taille de son homologue irakienne avait doublé au cours de la décennie précédent la guerre pour atteindre quatorze divisions. Le calcul du dictateur s’avéra rapidement erroné. Les colonnes de blindés irakiennes se heurtèrent à la résistance acharnée des miliciens, ou Basiji (abréviation de Basiji Mostazafan ; la mobilisation des opprimés), iraniens, appuyés par les faibles formations de l’armée régulière présentes sur le théâtre des opérations. Début octobre, une division blindée irakienne manqua l’occasion de prendre Khorramchahr, une des grandes villes du Khuzestân iranien, par un coup de main. Le siège devint vite un abcès de fixation en détournant des unités indispensables à la prise d’autres positions stratégiques, comme la ville d’Abadan. Malgré un usage massif de l’artillerie et de bombes au napalm larguées par des avions de transport Iliouchine 76 précédant l’engagement de commandos appuyés par des blindés, les Irakiens ne parvinrent pas à écraser rapidement la résistance des Pasdarans (gardes révolutionnaires) et des soldats réguliers iraniens.
Scène de combats de rue à Khorramchahr (via Wikimedia)

La garde républicaine fut dépêchée sur place pour épauler les unités régulières durement éprouvées, puis participa à une attaque massive le 24 octobre 1980, aux côtés de la 12ème division d’infanterie de l’armée. Usés par trois semaines d’intenses combats, les défenseurs durent céder et Khorramchahr tomba le jour suivant. Surnommée le « Stalingrad iranien », la bataille fut si acharnée que seule une poignée des bâtiments de la ville de 175’000 habitants échappèrent à la destruction. En moins d’un mois, les deux adversaires perdirent un total de quinze mille tués ou blessés. La capture de la cité coûta aux Irakiens une centaine de blindés détruits. Une autre de ses conséquences fut qu’elle laissa aux Iraniens le temps nécessaire pour acheminer suffisamment de renforts dans le Khuzestân pour stopper l’avance irakienne.
La brigade de la garde républicaine, affaiblie lors du siège, ne fut pas en mesure d’intervenir lorsque, de mars à juin 1982, une série d’offensives expulsèrent les Irakiens du sol perse en leur infligeant des pertes considérables. Deux des quatre divisions blindées irakiennes se trouvèrent ainsi réduites à l’état de brigades en sous-effectifs, alors que l’armée dans son ensemble ne comptait plus que 150'000 hommes au lieu de 210'000 au début des hostilités.

Muslim Ibn Aqil et Moharram

Dans la soirée du 1er octobre 1982, les iraniens lançaient l’opération Muslim Ibn Aqil sur le terrain vallonné du centre du front. Leur objectif était de prendre la ville de Mandali, située à 120 kilomètres de Bagdad. Le cœur du dispositif d’attaque iranien était composé de la 28ème division d’infanterie mécanisée et la 81ème division blindée de l’armée régulière, renforcées par des unités de Pasdarans et de Basiji. Les Iraniens parvinrent au prix de violents combats, chaque colline étant contestée, à quelques kilomètres de la ville le 4 octobre. Une contre-attaque irakienne incluant des commandos de la garde républicaine appuyés par des hélicoptères de combat Gazelle et Mi-25 parvint ensuite à déloger les Iraniens de leurs positions surplombant Mandali.
Une autre offensive iranienne, l’opération Moharram, suivit moins d’un mois après. Elle visait, dans sa première phase, à reprendre des portions de territoire iranien encore occupées par l’Irak et à s’emparer du champ de pétrole de Bayat. Trois divisions régulières et cinq brigades des gardes révolutionnaires participèrent à l’assaut dans la nuit du 1er novembre, et malgré les champs de mines et le terrain détrempé par de fortes pluies, parvinrent à capturer une cinquantaine de puits de pétrole, avant qu’une contre-attaque des blindés irakiens ne se développe dans la matinée du 2 novembre. Celle-ci fut repoussée avec de lourdes pertes grâce à l’intervention massive de l’aviation iranienne, les hélicoptères Cobra se révélant particulièrement meurtriers pour les tankistes irakiens. Le 6 novembre, les forces iraniennes parvenaient à couper la liaison routière entre Sharahani et Zobeidat, l’un des objectifs de la deuxième phase de l’offensive, puis donnèrent l’assaut sur la seconde de ces cités. La brigade blindée de la garde républicaine, dépêchée directement de Bagdad, contre-attaqua à ce moment et chassa les Iraniens de Zobeidat. Ses chars T-72 flambants neufs infligèrent de lourdes pertes aux équipes antichars des Pasdarans, montées sur des motos. Leur blindage frontal était invulnérable face aux RPG-7 de l’ennemi, forçant celui-ci à s’exposer pour tenter de les frapper par les flancs. Le front se stabilisa dès le 7 novembre, à cause de l’épuisement des adversaires et de pluies torrentielles qui transformèrent le terrain en champs de boue.
Changement de rôle
La garde républicaine se renforça avec la formation de la 2ièmebrigade blindée au début de 1982 puis de la 3ième brigade de Maghawir(commandos) en 1983. Cette dernière fut constituée à partir de vétérans de la bataille de Khorramchahr et d’éléments de l’armée régulière. La 4ièmebrigade d’infanterie apparut dans l’année qui suivit. Une série d’exercices de grande ampleur, supervisés par Saddam Hussein en personne, eut lieu au début de l’année 1983. Cette montée en puissance se fit en même temps qu’une transformation du rôle de la garde républicaine. Assurer la sécurité du palais présidentiel et des autres sièges du pouvoir resta la prérogative de la 1ère brigade, alors que les autres unités devenaient une réserve opérationnelle, préservée en temps normal et engagée pour contre-attaquer seulement si la situation sur le front devenait critique. La politique de recrutement des officiers fut aussi modifiée ; jusque-là domaine réservé de proches du président, les postes d’encadrement furent dorénavant attribués à des officiers de l’armée sélectionnés avec soin pour leur compétence. Seule la 1ère brigade continua à recruter ses cadres exclusivement dans la tribu du président, les Al-Tikriti. Un état-major divisionnaire fut mis en place le 7 avril 1984 pour encadrer l’ensemble de ces brigades, jusque-là contrôlées directement par Saddam Hussein.
Division de la garde républicaine (avril 1984)

 Brigades
Type
1ère
mixte
2ème
blindée
3ième
commando
4ième
infanterie
10ième
blindée
D’après Saddam’s generals

Parallèlement, après une année de guerre, les Irakiens avaient dû faire appel à l’armée populaire (Jeish Al Shabi), dont le rôle se limitait jusque-là à des tâches de défense civile et de sécurité intérieure, pour pallier aux effectifs insuffisants de l’armée. Son recrutement avait été étendu à l’ensemble de la population mâle de 18 à 45 ans, et atteignit 400'000 hommes en février 1982. Les limites de cette milice devinrent très vite apparentes ; elle n’avait jamais disposé d’un vivier de cadres expérimentés, et ses unités mal entraînées furent bientôt réputées pour leur faible combativité. Surnommée« l’armée impopulaire » et regardée avec dédain par les autres branches des forces armées, le Jeish Al Shabi pouvait, pour ces raisons, difficilement constituer la base nécessaire à la constitution de la réserve stratégique bien entraînée et politiquement fiable voulue par le haut-commandement irakien.
Badr
La garde républicaine fut à nouveau mobilisée lors de l’opération Badr, lancée par les Iraniens à travers l’immense marais de Hawizeh pour couper la liaison autoroutière entre Bassora et Bagdad. Dans la nuit du 11 mars 1985, des Pasdaranset des Basiji débouchèrent du marais, prenant les défenseurs irakiens par surprise. Dans les trois jours qui suivirent, l’équivalent d’une brigade de Pasdaransatteignit l’autoroute, après avoir franchi le Tigre à l’aide de pontons pausés de nuit par le génie. Le 16 mars, la nouvelle 4ème brigade de la garde et une de ses consœurs, rapidement acheminées sur place grâce à l’importante flotte de camions porte-chars dont l’Irak s’était équipé, contre-attaquèrent avec des unités de l’armée sur plusieurs axes, prenant la poche iranienne en tenaille. Appuyés par une concentration massive d’artillerie tirant des obus à charges explosives et chimiques accompagnée par des attaques aériennes contre les voies de communications ennemies, les soldats irakiens parvinrent à refouler les Pasdarans dans les marais après deux jours de combats.
L’enfer de Fao
Au début de 1986, le commandement des gardes révolutionnaires planifia une nouvelle offensive, Valfajr VIII, afin de traverser le Chatt-El-Arab à l’extrême Sud de la frontière entre les deux pays puis de s’emparer de la péninsule de Fao, qui fournissait une base de départ idéale pour prendre les défenses de Bassora à revers. Parallèlement, une opération de diversion fut mise en place plus au Nord afin de masquer l’axe d’attaque réel. Trois divisions et une brigade autonome de Pasdarans furent allouées à l’offensive avec trois divisions de l’armée. Dans la nuit du 10 février 1986, masqués par l’obscurité et de fortes pluies, des nageurs de combats ouvrirent la voie à un assaut amphibie mené par l’équivalent d’une division d’infanterie, appuyé par les tirs de l’artillerie positionnée sur la rive iranienne du Chatt-El-Arab. La ville de Fao tomba dans la journée du 11 février, alors que la 26ième division irakienne, qui tenait le secteur, s’effondrait dans la nuit du 13 au 14 février.
Les 3ième et 4ième brigades de la garde républicaine furent dépêchées en catastrophe pour contre-attaquer. Repérées avant même d’avoir pu terminer leur déploiement en formation de combat, et alors qu’elles étaient prises dans des embouteillages causés par la boue, les deux brigades devinrent la cible de volées de roquettes tirées par des BM-21 iraniens depuis l’autre rive du fleuve, puis furent attaquées dans la foulée par les deux divisions de Pasdarans présentes dans la tête de pont. Les gardes républicains ne parvinrent à s’extirper du piège qu’après avoir perdu en quelques heures un tiers des leurs et la presque totalité de l’équipement lourd.
Plusieurs autres brigades de la garde républicaine, dont les 2ièmeet 10ième blindées participèrent à une contre-attaque massive du VIIèmecorps de l’armée le 23 février 1986. Trois colonnes blindées, chacune de la taille d’une division, soutenues par des feux d’artillerie guidés par des hélicoptères ou des Pilatus PC-7, tentèrent une nouvelle fois de chasser les Iraniens de la rive irakienne du Chatt-El-Arab. L’effort irakien comprenait aussi l’intervention massive de forces aériennes, dont le nombre de missions culmina à 725 par jour au plus fort de la bataille. Les Pasdarans avaient eu cependant le temps de se retrancher, et utilisèrent des pompes pour transformer les axes de pénétration en champs de boue et faire des chars ennemis, enlisés, des proies faciles. Les combats tournèrent au corps-à-corps dans les nombreuses palmeraies situées le long du front. Les Irakiens durent jeter l’éponge après avoir perdus près de 2000 soldats. Ils n’étaient pas parvenus à reprendre Fao, mais empêchèrent les Iraniens d’utiliser le territoire conquis comme tremplin vers leur objectif majeur ; Bassora. Le front se stabilisa à la fin du mois de mars. Les pertes irakiennes totales durant la bataille se montèrent de 8'000 à 10'000 hommes, les Iraniennes de 27'000 à 30'000 hommes. Une part importante des soldats iraniens furent victimes des armes chimiques massivement utilisées par les Irakiens. Quant à la garde républicaine, elle perdit le tiers de ses effectifs dans la bataille. Saddam Hussein devait par la suite vanter à plusieurs reprises le « martyre » de sa garde dans des discours évoquant l’affrontement.
L’expansion de 1986 à 1988
Peu après la bataille de Fao, le président irakien décida de doubler la taille de la garde républicaine. De cette impulsion résulta, dans les mois qui suivirent, la création des divisions blindées Hammourabi et Al-Madina al-Munawwara ainsi que des divisions d’infanterie Bagdad et Nabuchodonosor. Une division de Maghawir vit également le jour. Leur mise en place nécessita non seulement la création de plusieurs nouvelles brigades ex-nihilo, mais aussi le transfert d’unités de l’armée vers la garde. Celle-ci bénéficia de la priorité dans l’allocation des matériels parmi les plus performants de l’arsenal irakien, comme les chars T-72 et les véhicules de combat d’infanterie (VCI) BMP-2 soviétiques. L’expansion se poursuivit avec la création de la division d’infanterie Adnan, puis celle de la division d’infanterie mécanisée Tawakalnaavant les grandes offensives irakiennes de l’année 1988. L’année 1986 vit également la création de l’Ier corps de la garde républicaine. Celui-ci englobait les divisions Al-Madina al-Munawwara, Bagdad et la division de Maghawir.
Pour faire face à l’explosion des besoins en soldats, le vivier de recrutement, jusqu’alors limité aux natifs de la région d’origine du dictateur, fut étendu, pour inclure, entre autres, les étudiants bénéficiant d’une formation technique. Les chefs tribaux furent aussi mis à contribution pour trouver de nouvelles recrues. Les volontaires ne manquèrent pas car la mise en place prochaine de la conscription universelle avait été annoncée peu avant par le régime. Prendre les devants pour entrer dans la prestigieuse garde républicaine présentait une alternative séduisante pour un jeune homme convaincu de ne pas pouvoir échapper, à terme, à l’enrôlement dans l’armée régulière ou l’armée populaire. Ce statut d’élite reposait sur plusieurs piliers. Les soldes étaient plus élevées que dans l’armée, et l’entraînement des recrues était, dans le contexte irakien, soigné ; la formation de base durait trois mois puis se poursuivait au sein des unités. La politique de vampirisation du corps des officiers de l’armée régulière par le recrutement de ses meilleurs éléments se poursuivit.

Commandement des Forces de la Garde Républicaine, 1986

Divisions
Type
Hammourabi
blindée
Al-Madina al-Munawwara
blindée
Bagdad
infanterie
Nabuchodonosor
infanterie
Division Maghawir
commandos
D’après Saddam’s war

La garde républicaine était supervisée par le général Hussein Kamil, par ailleurs ministre de l’industrie et de l’industrialisation militaire et gendre du président. Son autorité considérable lui permettait de dépasser les clivages bureaucratiques au sein de l’appareil d’état et garantir que les requêtes de ses commandants soient exhaussées le plus rapidement possible. Général politique plus qu’officier de carrière, il ne se mêlait pas de la direction militaire des unités. Il convient de rappeler que durant tout son règne, Saddam Hussein conserva la haute main sur le commandement de l’ensemble des forces armées irakiennes. Il s’entretenait par ailleurs régulièrement avec les commandants de brigades et de divisions de la garde républicaine, contribuant à renforcer le sentiment d’appartenance des soldats à un corps faisant figure d’enfant chéri du régime.
Karbala V ; la Somme de la guerre Iran-Irak
La grande offensive iranienne suivante visa Bassora. Pour les ayatollahs, prendre la principale ville du Sud irakien pouvait mettre fin à la guerre en causant l’effondrement du régime baathiste. Mais les obstacles à surmonter étaient de taille ; la ville avait déjà été la cible d’attaques iraniennes durant la guerre, et ses défenses continuellement renforcées. Cinq divisions irakiennes barraient les approches de la cité. Elles s’appuyaient sur six lignes défensives successives et un lac artificiel, le « lac aux poissons ». Pour accéder à chacune de ces lignes, un attaquant devait passer sous les tirs croisés de positions défensives protégées par des monticules de sables. Le terrain était de surcroît quadrillé par de nombreux canaux. Enfin, un réseau de routes et de dépôts avait été établi sur les arrières du dispositif pour faciliter l’acheminement de renforts en cas de nécessité.
Les Iraniens investirent des moyens considérables dans l’opération. Quatre divisions de Pasdaran et trois de l’armée régulière, renforcées par des Basiji, soit un total de près de 200'000 hommes furent alloués à l’offensive. Les gardiens de la révolution avaient tiré les leçons de la bataille de Fao ; mieux équipés que l’année précédente, ils avaient également renforcé l’encadrement subalterne de leurs unités et s’étaient entraînés aux opérations interarmes et de franchissement au cours de grandes manœuvres. L’effet de surprise fut obtenu en trompant les Irakiens avec des simulacres de préparatifs dans le saillant de Fao. Enfin, d’autres opérations plus limitées étaient planifiées dans d’autres secteurs du front, après le début de l’assaut, pour y immobiliser le plus possible de troupes irakiennes.
Baptisée Karbala V, l’offensive débuta dans la nuit du 8 au 9 janvier 1987. Elle prit la forme d’une attaque en tenaille menée par deux groupes de taille identique le long de deux axes de pénétration longeant les rives Nord et Sud du « lac au poissons ». Les 60'000 hommes de la pince Nord parvinrent à percer les deux premières lignes irakiennes et à capturer la ville de Salamcheh, à environ 30 kilomètres de Bassora, puis, malgré les contre-attaques irakiennes, percèrent la troisième ceinture défensive irakienne le 29 janvier au cours d’un assaut nocturne. Bassora se trouvait désormais à portée de l’artillerie à moyenne portée iranienne. Le groupe formant la pince Sud de l’offensive réussit à forcer le dispositif ennemi et à s’approcher de la banlieue de la grande ville, avant d’être bloqué sur l’étroite bande de terrain entre le lac et le Chatt-El-Arab. Au plus fort de la bataille, le front peu étendu était pilonné quotidiennement par des centaines de milliers d’obus tirés par les près de 5'000 canons et chars d’assauts massés par les belligérants. Le fait que les Iraniens revendiquèrent avoir tué, blessé ou fait prisonnier 93'000 soldats irakiens et détruit ou capturé 1'000 blindés reflète également l’intensité des combats, qui s’achevèrent à la fin du mois de février. Certaines unités irakiennes, comme la 37ième brigade blindée de l’armée furent complètement anéanties dans les affrontements. Autre réminiscence de la guerre des tranchées, les Irakiens se distinguèrent à nouveau par leur usage massif de l’arme chimique, dont ils maitrisaient de mieux en mieux l’emploi.
La garde républicaine n’échappa pas au maelström. Au début de Karbala V, cinq de ses brigades étaient positionnées comme réserve dans la région de Bassora, et contre-attaquèrent le 12 janvier mais furent repoussés par les Pasdaran appuyés par l’intervention des Cobra iraniens. Une nouvelle contre-attaque de grande ampleur fut lancée contre la pince Nord iranienne le 18 janvier. La division Al-Madina al-Munawwara parvint à chasser les Iraniens de la rive Ouest de la rivière des Jasmins, un affluent du Chatt-El-Arab. Il s’agissait cependant d’une victoire à la Pyrrhus. Le chef de l’armée, le général Adnan Khairallah, fixa aux gardes des objectifs irréalistes alors que les informations en provenance du front étaient parcellaires. Des pertes massives et l’anéantissement de plusieurs des brigades de la garde résultèrent de ce plan mal conçu. La densité des barrages de l’artillerie iranienne et les infiltrations de leur infanterie rendaient par ailleurs la communication des unités engagées avec leurs arrières très difficiles.
Passage à l’offensive
Le sacrifice d’une partie de la fine fleur des forces armées iraniennes lors de Karbala V accéléra le déclin relatif de la puissance militaire du pays face à l’Irak. L’Iran était désavantagé par des contraintes extérieures, comme l’embargo américain sur les armes ou son isolement sur le plan international, ou auto-imposées, comme sa réticence à enrôler dans ses armées une part aussi importante de sa population que son adversaire. Après Karbala V, le nombre d’Iraniens sous l’uniforme atteignait 600'000 hommes, bien moins que le million d’Irakiens mobilisés. Les livraisons d’armes américaines par Israël, puis par l’administration Reagan dans le cadre de l’Irangate,n’atteignirent jamais un volume suffisant pour renouveler les stocks accumulés sous le régime du Shah. Les autres fournisseurs du pays, comme la Lybie ou la Corée du Nord, étaient incapables de livrer des équipements d’une qualité équivalente à ceux acquis avant la révolution. L’Irak, au contraire, bénéficiait de financements octroyés par ses alliés, d’un accès ouvert au marché de l’armement international, et avait introduit la conscription universelle. C’est pourquoi les Iraniens avaient lancés leurs offensives dans des régions peu propices à l’utilisation des chars afin de réduire l’avantage procuré aux Irakiens par leur supériorité matérielle croissante.
En 1987, l’Irak avait déjà perdu 40'000 prisonniers, 250'000 tués et 750'000 blessés. Une telle saignée risquait de susciter, à terme, une contestation du régime. Mettre fin à la guerre en contraignant le pouvoir iranien à accepter un cessez-le-feu et récupérer les territoires perdus nécessitait cependant de quitter la posture défensive tenue par les forces terrestres irakiennes depuis 1982. Les troupes iraniennes affaiblies concentraient leurs opérations dans les montagnes du Nord de l’Irak, alors que celui-ci avait enfin pu dégager les marges nécessaires au retrait du front de certaines formations et avait eu le loisir de les ré entraîner. En effet, l’armée régulière irakienne vit sa taille augmenter tout au long de la guerre; et atteignit cinquante divisions réparties en neuf corps en 1987, alors elle n’alignait que quatorze divisions en septembre 1980. Parallèlement, le pays reçu 2'000 tanks, dont 800 T-72, entre 1986 et 1988 et son arsenal culmina à 5'000 tanks, 4'500 véhicules blindés et 5'500 pièces d’artillerie en avril 1988, soit un inventaire trois à quatre fois supérieur à celui des Iraniens. Au début de 1988, encouragé par cette conjoncture favorable, Saddam Hussein prit la décision de changer de stratégie et de passer à l’offensive.
La promotion de nouveaux officiers, plus expérimentés, à des postes de haut-commandement découla de ce changement stratégique. A l’évidence, le raïs irakien avait pris conscience de la nécessiter de s’appuyer sur des militaires professionnels pour mener ses troupes à la victoire. Dans ce contexte, un nouvel homme, le général Ayad Al-Rawi, fut nommé à la tête du Commandement des Forces de la Garde Républicaine (CFGR). Il était réputé pour sa compétence, sa méticulosité et son franc-parler, une qualité peu répandue dans un climat aussi répressif que celui de l’Irak de Saddam Hussein. Le général Hussein Kamel continuait par ailleurs à superviser la garde. Pour préparer la troupe à l’offensive, des manœuvres axées sur la coordination interarmes furent menées à l’échelon du corps d’armée. Elles incluaient les divisions de la garde et des unités blindées de l’armée. Des positions iraniennes reconstituées à l’aide de photographies de Fao prises par les satellites américaines furent utilisées pour accroître le réalisme des entraînements, qui se faisaient à balle réelle.
La planification d’une série d’attaques visant à reconquérir les territoires perdus durant la guerre, avec un premier assaut visant la péninsule de Fao, se déroula dans le plus grand secret. La cellule chargée de préparer l’opération se limitait à Saddam Hussein et à une petite dizaine d’officiers généraux, et laissait les structures hiérarchiques conventionnelles dans l’ignorance. Afin de tromper l’ennemi sur l’orientation de la menace, un faux quartier-général fut créé dans le Nord de l’Irak, et des photographies d’une visite du Ministre de la Défense auprès d’unités de la garde républicaine stationnées dans cette région diffusées dans la presse officielle.
La seconde bataille de Fao
La première des offensives planifiée par les Irakiens débuta le 17 avril 1988. Visant la reconquête de la péninsule de Fao, elle fut baptisée Ramadan Al-Moubarak, car le 18 avril marquait le début du Ramadan cette année-là. L’assaut devait se dérouler le long de deux axes de pénétration. Le VIIèmecorps de l’armée, incluant la 7ième division d’infanterie et la 6ièmedivision blindée, avait pour mission d’attaquer en suivant la route la plus au Sud, longeant le Chatt-El-Arab. L’Ier corps de la garde républicaine était responsable de la deuxième branche de l’offensive. Il représentait 60 % du total des forces engagées dans la bataille. Le commandant de la garde, le général Ayad Al-Rawi, étant chargé de la coordination entre cette dernière et l’armée.
L’assaut fut précédé d’une violente préparation d’artillerie ; un canon visait chacun des 70 postes d’observation iraniens, hauts de vingt à trente mètres, disséminés le long du front. Les gardes républicains étaient appuyés par les tubes de quatre bataillons d’artillerie. La garnison de la péninsule fut noyée sous un déluge d’obus explosifs et chimiques. Les divisions blindées Hammourabi et Al-Madina al-Munawwara appuyées par la division d’infanterie Bagdad percèrent rapidement le front puis s’engouffrèrent dans la brèche avant de foncer vers Fao. Le vent ayant tourné, les soldats irakiens durent mener l’assaut en portant leurs masques à gaz. Dans le même temps, La 26ièmebrigade de la garde républicaine, spécialement entraînée aux opérations amphibies par des experts étrangers sur les eaux du lac Al-Habbaniyah, et renforcée par des troupes de marine, débarqua sur les arrières de l’ennemi. La résistance des deux divisions défendant la péninsule finit par s’effondrer sous les coups de butoir ennemis. Une part importante des soldats iraniens parvint à s’échapper grâce au dernier ponton reliant les rives irakiennes et iraniennes du Chatt-El-Arab, laissé intact à dessein par les Irakiens, mais durent abandonner la totalité de leur équipement lourd.
Les Irakiens avaient prévu cinq jours pour mener l’opération à son terme mais atteignirent leurs objectifs en 35 heures, au prix de pertes relativement légères. Plusieurs facteurs étaient à l’origine de ce triomphe. Outre une supériorité écrasante en artillerie et en blindés, les Irakiens alignaient environ 100'000 hommes, contre 8'000 à 15'000 soldats iraniens. L’aviation irakienne dominait l’espace aérien au-dessus du champ de bataille et enfin, les Iraniens ne disposaient de rien de similaire à opposer aux armes chimiques irakiennes, si ce n’est les seringues d’atropine et les masques à gaz distribués à la troupe. Le complexe militaro-industriel mis en place par Saddam Hussein était parvenu à produire d’immenses quantités de Sarin, un gaz neurotoxique bien plus efficace que le gaz moutarde utilisé depuis 1984.
Tawakalnah al-Allah
Le 25 mai 1988, les Irakiens débutèrent une nouvelle offensive dans le secteur de Bassora par un des barrages d’artillerie les plus violents de l’histoire, déversant des tonnes de gaz neurotoxiques non-persistants sur le champ de bataille. Des LRM Astros II brésiliens capables de tirer des roquettes à sous-munitions à une distance de 65 kilomètres, furent introduits sur le champ de bataille à cette occasion par les Irakiens.

Là-aussi, les Iraniens avaient été préalablement trompés sur l’axe de l’effort principal ennemi, le secteur visé ayant été dégarni au profit du marais de Hawizeh. La préparation d’artillerie fut suivie par une attaque massive des forces mécanisées irakiennes contre le dispositif iranien densément fortifié. Celles-ci parvinrent, en une dizaine d’heure, à reconquérir l’ensemble des territoires perdus durant Karbala V. Les Iraniens mobilisèrent 30'000 soldats et contre-attaquèrent dans le secteur de Salamcheh le 14 juin, avant d’être repoussés le jour d’après après avoir perdu 4'000 hommes. Les Irakiens capturèrent 100 tanks et 150 pièces d’artillerie durant l’ensemble de la bataille. Les combats s’avérèrent cependant beaucoup plus meurtriers qu’à Fao. Les irakiens perdirent au moins plusieurs dizaines de blindés alors qu’à Bagdad, le nombre de banderoles mortuaires suspendues par les familles en deuil connaissait un accroissement soudain. La division mécanisée Tawakalnah al-Allah de la garde républicaine se distingua en subissant des pertes particulièrement élevées.
Cette attaque était la première d’une série d’offensives collectivement baptisées Tawakalnah al-Allah, littéralement «nous avons mis notre confiance en Allah», qui avaient pour but la dislocation des forces terrestres iraniennes et la reconquête des territoires perdus les années précédentes. Début juin, sur le front central, le IIème corps et des éléments de la garde républicaine s’enfoncèrent de 45 kilomètres en territoire iranien, s’emparant de la ville de Dehloran. Puis, les 17 et 18 juin, près de deux divisions de Pasdaransstationnées dans la région de Mehran furent détruits par les forces irakiennes renforcées par des éléments de l’Armée de Libération Nationale (ALN), la branche militaire de l’Organisation des Moujahidins du Peuple Iranien, composée d’exilés iraniens hostiles à la république islamique et équipée par les Irakiens. Le 19 juin, une centaine d’hélicoptères déposèrent, en plusieurs rotations, une brigade de Maghawir de la garde républicaine sur les arrières des positions iraniennes pour faciliter la pénétration du front par les éléments mécanisés.
Moins de deux semaines plus tard, une attaque en tenaille minutieusement planifiée était déclenchée dans la région des marais du Hawizeh et chassait les troupes iraniennes des îles Majnoon. Les divisions Hammourabi, Al-Madina al-Munawwaraet Nabuchodonosor de la garde républicaine assaillirent frontalement les positions iraniennes tandis que les troupes du IIIème corps de l’armée contournèrent le dispositif ennemi et coupèrent les défenseurs des îles Majnoon de leurs arrières. Les Irakiens lancèrent dans la bataille près de deux mille véhicules blindés, alors que les Iraniens ne pouvaient leur opposer que une petite centaine de tanks. Cette offensive s’avéra décisive; entre six et huit divisions des Pasdarans ou de l’armée régulières iranienne y furent décimées.
Les pertes subies lors de Ramadan Al-Moubarak et Tawakalnah al-Allah,associées au désastre subi par la marine iranienne face aux américains lors ce que ceux-ci lancèrent l’opération Praying Mantis, et enfin la campagne menée par l’armée de l’air irakienne contre les infrastructures économiques iraniennes, ajoutées au tirs de missiles balistiques contre Téhéran, finirent par pousser l’ayatollah Khomeiny à annoncer lors d’une allocution à la radio, le 20 juillet 1988, qu’il se résignait à boire une potion plus mortelle que le poison en consentant à un cessez-le-feu avec l’Irak en acceptant la résolution 598 des Nations-Unies.


Chapitre II : Face à la tempête

D’une guerre à l’autre
L’acceptation par la République Islamique d’Iran de la résolution 598 des Nations-Unies mit donc fin à un des conflits les plus meurtriers de la seconde moitié du XXème siècle. Pour le régime irakien, il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus. Il avait certes survécu à une menace mortelle, contraint son adversaire à jeter l’éponge, et récupéré les territoires perdus avec les accords d’Alger de 1975, mais ces succès avaient été payés au prix fort. Le pays était massivement endetté, à hauteur de 70 milliards de dollars, alors même qu’il fallait reconstruire les nombreuses infrastructures détruites durant la guerre. Aggravant la situation, Saddam Hussein démobilisa son armée au compte-goutte, craignant qu’une injection massive d’hommes sur un marché du travail incapable de les recevoir ne génère une hausse spectaculaire du chômage, et donc, une source potentielle de contestation du régime. En 1990, plus d’un an après la guerre, le budget de la défense se montait encore à 12.9 milliards de dollars. Le couteux développement du complexe militaro-industriel continua à être prioritaire. Il devait permettre à l’Irak de devenir auto-suffisant dans le domaine de l’armement et à accéder à la parité stratégique avec Israël en se dotant de l’arme nucléaire. Entre 1984 et 1990, le pays importa auprès de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Italie et des Etats-Unis pour 14.2 milliards de dollars d’équipements industriels. L’ouverture des portes de l’exposition internationale de matériel de défense à Bagdad le 28 avril 1989 révéla au monde les progrès réalisés par l’Irak dans le domaine des armements, et eut l’effet d’une douche froide pour les services de renseignement occidentaux.

A l’issue de la guerre, la menace iranienne sur les pays du Golfe s’était estompée, et avec elle, la nécessité de soutenir l’Irak à tout prix. L’Irak ne parvenait plus à obtenir de nouveaux financements auprès des riches monarchies pétrolières du Golfe, qui demandaient le remboursement des dettes existantes. Le régime baathiste réagit par une politique de surenchère, se brouillant avec pratiquement tous ses voisins. Le régime irakien choqua le monde occidental en faisant pendre pour espionnage, le 15 mars 1990, un journaliste anglais, Farzad Bazoft. Le 2 avril, dans une allocution, le raïs irakien dénonçant une campagne «psychologique, médiatique et politique» le visant, menaça de brûler la moitié d’Israël en représailles à une éventuelle attaque de ce pays. En juillet, l’Irak accusa le Koweït de dépasser son quota de production pétrolière fixé par l’OPEP, et de pousser ainsi le cours du brut à la baisse. L’Emirat était aussi accusé de pomper du pétrole dans des nappes situées en Irak. Le 25 juillet 1990, le président irakien crût obtenir un « feu orange » de Washington pour régler son contentieux avec le Koweït par la force lors un entretien avec l’ambassadrice américaine à Bagdad, April Glaspie. A ce moment, Saddam Hussein avait déjà ordonné de préparer l’invasion de l’émirat, censé résoudre les difficultés financières du régime. Les satellites américains détectèrent la présence d’éléments de deux divisions de la garde républicaine près de la frontière entre les deux pays dès le 21 juillet 1990.

L’invasion du Koweït

Le projet 17, nom de code du plan d’invasion de l’émirat, confiait l’exécution de l’opération à la garde républicaine. Le plan irakien prévoyait une avance rapide afin de ne pas laisser le temps à l’ennemi de prendre position le long de la crête de Mitla, seul obstacle géographique propice à la défense le long des 160 kilomètres séparant la capitale koweïtie de l’Irak. L’offensive suivait les grands axes de communications reliant la frontière irakienne à Koweït City. La division Fao, partant d’Um Qasr, devait descendre la route côtière jusqu’ à la capitale de l’émirat. La division Hammourabi, suivie par la division Nabuchodonosor, parties de Safwan, devaient traverser la passe de Mitla avant de déboucher dans la périphérie de Koweït City. Des commandos de la 3ème brigade Maghawiravaient pour mission de faciliter leur progression en étant héliportés sur les hauteurs de la crête de Mitla. La division Tawakalnah al-Allah devait progresser sur le flanc Ouest de la division Hammourabi, s’emparer de la base aérienne d’Ali Al-Salim, puis se laisser dépasser par la division Al-Madina al-Munawwara, avant de se déployer sur la frontière entre le Koweït et l’Arabie Saoudite. La pince Ouest de l’offensive irakienne était composée de la division Al-Madina al-Munawwara, chargée d’ouvrir la voie aux divisions Adnanet Bagdad. Elle avait pour objectif le port de Mina Al-Ahmadi, après être passée par la ville d’Al-Abraq et la base aérienne d’Ali Al-Salim. Enfin, des éléments la 16ième brigade Maghawir devaient être héliportés à l’aube directement aux abords de la capitale, avec pour mission prioritaire la capture de l’émir du Koweït et de sa famille. Chaque division blindée et mécanisée fut renforcée par une brigade d’infanterie, chargée de réduire d’éventuels îlots de résistance ennemis sans ralentir la manœuvre. Des canons de 130 mm étaient placés à l’arrière des formations d’assaut, facilitant leur progression nocturne en tirant des obus éclairants. Afin de limiter les pertes koweïties, le commandement irakien renonça par contre aux barrages d’artillerie massifs qui précédaient habituellement ses offensives.
Une colonne de T-72 de la garde dans Koweït City(via www.theweek.co.uk)

Le combat allait s’avérer inégal ; le Koweït ne pouvait opposer que quatre brigades (les 15ième et 35ième brigades blindées, la 6ième brigade d’infanterie mécanisée, la 80ièmebrigade d’infanterie, un bataillon de commandos et la garde royale) aux sept divisions et aux trois brigades irakiennes engagées dans l’opération. Cette infériorité numérique n’était pas compensée par une supériorité qualitative ; le Chieftain, cheval de bataille des unités blindées koweïties, était considéré par les Irakiens comme inférieur à leurs T-72. Ceux-ci avaient déjà eu l’occasion d’affronter ce char d’origine britannique lors de la guerre Iran-Irak, et en avaient capturé des centaines.
Après deux semaines de préparations intensives, l’assaut débuta dans la nuit du 2 août 1990 à 01h00. Les formations mécanisées irakiennes, déployées en colonnes pour accroître leur vitesse, progressèrent rapidement vers leurs objectifs. Peu après 06h00, la division Hammourabi atteignit la passe de Mitla, après avoir échangé des tirs avec des éléments de la 6ième brigade d’infanterie mécanisée koweïti. Les Irakiens détruisirent plusieurs véhicules blindés ennemis, mais perdirent un T-72 durant l’accrochage, avant que les koweïtis, croyant affronter une simple unité de reconnaissance, ne décrochent.
Les éléments de tête irakiens, après avoir traversé la passe, tombèrent nez-à-nez avec des Chieftain koweïtis, dans la périphérie de la ville de Jahra. Ceux-ci appartenaient à un bataillon de marche hâtivement constitué par la 35ième brigade blindée, casernée dans les environs. Les militaires koweïtis avaient été pris au dépourvu par l’invasion irakienne ; plusieurs compagnies de la brigade avaient été détachées dans d’autres régions du pays, les permissions n’avaient pas été révoquées, et les blindés n’étaient pas approvisionnés en munitions. Vers 07h00 Le commandant koweïti ne parvint donc à déployer aux abords de Jahra vers 07h00 que quatre compagnies de chars avec 38 Chieftain, une compagnie d’infanterie mécanisée montée sur une dizaine de BMP-2 et M-113, une batterie de sept obusiers M-109 et une section équipée de missiles antichars TOW. Les défenseurs ouvrirent le feu et revendiquèrent la destruction de nombreux véhicules de la division Hammourabialors qu’elle suivait l’autoroute à six voies contournant la ville avant de poursuivre vers Koweït City. Le commandant de la 17ième brigade, qui ouvrait la voie au reste de la division, ne rapporta cependant qu’avoir essuyé un feu imprécis et perdu un seul tank. A 09h30 du matin, cette brigade atteignit les rives du Golfe Persique après avoir traversé la capitale, non sans être ralentie par les embouteillages causés par la population paniquée. En fin d’après-midi, la division Nabuchodonosor avait également atteint la ville et avait sécurisé plusieurs de ses quartiers.
Provenant de l’Ouest, la division Al-Madina al-Munawwara, déployée en colonne, arriva à son tour devant Jahra, toujours défendue par la 35ième brigade, vers 11h00. Son avant-garde, ignorant la présence d’éléments ennemis, fut repoussée par les blindés koweïtis, puis soumise aux tirs de leur batterie d’obusiers automoteurs. La réplique de l’artillerie irakienne ne se fit pas attendre, et plusieurs obus touchèrent le poste de commandement de l’unité koweïtie. Face à cette résistance inattendue, la division Al-Madina al-Munawwara déploya ses 10ième et 14ième brigades en formation de combat, puis passa à l’attaque. A court de munitions et menacés d’encerclement, les koweïtis se replièrent en direction de la frontière saoudienne. Le combat fit perdre un temps précieux à la division irakienne, dont la mission était de bloquer les voies de communications entre Koweït City et la frontière saoudienne, et ne s’empara du port de Mina Al-Ahmadi que le 3 août à 01h30. Ce retard permit notamment à la 15ième brigade koweïtie, casernée au Sud de la capitale, de se replier vers l’Arabie Saoudite.
A l’aube du 2 août, une cinquantaine d’hélicoptères de transport, escortés par des hélicoptères de combat Mi-24 et Bo-105, déposèrent des commandos la 16ième brigade de la garde républicaine dans la périphérie de Koweït City. Plusieurs appareils percutèrent des lignes électriques, causant des pertes et perturbant l’assaut des commandos contre le palais Dawan, farouchement défendue par la garde royale appuyée par des automitrailleuses Saladin. L’émir Jaber III et sa famille parvinrent à échapper à la capture. L’arrivée des éléments mécanisés irakiens dans la capitale plus tard dans la journée scella le sort des défenseurs du palais, qui tomba à 13h00 après un nouvel assaut irakien appuyé par de l’artillerie. Enfin, la 26ième brigade navale de la garde républicaine débarqua sans rencontrer d’opposition majeure dans la banlieue Sud de la ville, mais évita in extremis un échange de tirs fratricides avec l’échelon précurseur de la division Al-Madina al-Munawwara qui arrivait dans la zone. L’essentiel de la résistance organisée des forces koweïties cessa le 2 août, même si des combats sporadiques continuèrent les jours suivants.
Les pertes subies durant la conquête furent légères, malgré les combats de Jahra, ceux autour du palais de l’émir, et les attaques des A-4 de l’aviation koweïti qui bombardèrent les divisions Al-Madina al-Munawwara et Bagdad. Les divisions engagées perdirent en moyenne moins d’une centaine de tués, à l’image de la division Hammourabi avec 99 tués, 249 blessés et 15 disparus durant la campagne.

La garde républicaine à son zénith

La garde républicaine démontra ses capacités en improvisant un véritableBlitzkrieg à petite échelle, combinant l’avance de pointes blindées coordonnées avec des héliportages massifs et une opération de débarquement. Le fait que les Koweïtis représentaient un piètre adversaire comparé aux Iraniens n’enlève rien à la performance représentée par la mise en œuvre aussi rapide d’une opération complexe incluant sept divisions et deux brigades.
Contrairement aux calculs du raïs irakien, l’invasion, puis l’annexion pure et simple du Koweït généra une réprobation unanime de la communauté internationale. Sous l’égide de l’ONU, et avec une très forte implication de la diplomatie américaine, de puissantes forces militaires se déployèrent dans le Golfe Persique. Le commandement irakien réagit en augmentant la taille de ses forces armées. C’est ainsi que quatre nouvelles divisions, Al-Quods, Al-Abid, Moustafa et Al-Nida virent le jour. Certaines ne furent jamais complètement établies, et d’autres n’étaient pas encore opérationnelles en janvier 1991. Ainsi, au moment où éclata la guerre du Golfe, le CFGR, toujours dirigé par le général Ayad Al-Rawi alignait huit divisions opérationnelles réparties en deux corps. Deux de ces divisions étaient blindées et une mécanisées. Quant à l’armée régulière, elle comptait, à la fin de 1990, soixante divisions, dont six étaient blindées et quatre mécanisées.

Ordre de bataille de la garde républicaine en décembre 1990

Ier corps
Division blindée Hammourabi
8ième brigade blindée
17ième brigade blindée
15ième brigade mécanisée
Division blindée Al-Madina al-Munawwara
2ième brigade blindée
10ième brigade blindée
14ième brigade mécanisée
Division mécanisée Tawakalnah al-Allah
9ième brigade blindée
18ième brigade mécanisée
29ième brigade mécanisée
Division d’infanterie Al-Fao
24ième brigade d’infanterie
25ième brigade d’infanterie
27ième brigade d’infanterie
IIème corps
Division d’infanterie Bagdad
4ième brigade d’infanterie
5ième brigade d’infanterie
6ième brigade d’infanterie
Division d’infanterie Nabuchodonosor
19ième brigade d’infanterie
22ième brigade d’infanterie
23ième brigade d’infanterie
Division d’infanterie Adnan
11ième brigade d’infanterie
12ième brigade d’infanterie
21ième brigade d’infanterie
Non-rattachée à un corps
Division Maghawir
3ième brigade de commandos
16ième brigade de commandos
26ième brigade navale
Compilé selon Saddam’s war, Saddam’s generals, The Mother of All Battles, Iraq Armed Forces Forum et le forum acig,. Plusieurs sources mentionnent que l’une des divisions d’infanterie aurait été mécanisée, mais sans s’accorder sur son nom.

Les Irakiens avaient beaucoup fait évoluer le modèle organisationnel britannique sur lequel leur armée avait été basée en y intégrant des éléments inspirés des pratiques soviétiques, américaines, ou simplement issues de leur propre expérience opérationnelle. En 1990, une division se composait donc théoriquement de trois brigades, bien que durant la guerre contre l’Iran, les Irakiens transféraient régulièrement des brigades d’une division à une autre selon les besoins. Les divisions blindées alignaient deux brigades blindées et une brigade mécanisée, cette proportion s’inversant dans le cas d’une division mécanisée. Les divisions d’infanterie comprenaient, outre leurs trois brigades d’infanterie, un bataillon blindé. Chaque division disposait en sus d’une brigade d’artillerie, de bataillons de génie, de reconnaissance, de commandos et d’unités logistiques.
Les brigades blindées s’articulaient en trois bataillons (katiba, aussi traductible par régiment dans la terminologie irakienne, le terme Lawai désignant une brigade) blindés et un bataillon mécanisé. Les brigades mécanisées, en un bataillon blindé et trois mécanisés. Ces bataillons comptaient trois compagnies. Chaque compagnie mécanisée disposait de treize VCI ou VTT (Véhicules Transports de Troupes) et plusieurs camions.
L’organisation des unités de la garde républicaine différait en plusieurs points de celles de l’armée régulière. Les compagnies de blindés incluaient quatre sections au lieu de trois. Avec les deux chars de sa section de commandement, une compagnie était forte de quatorze chars contre onze pour une unité analogue de l’armée ; un bataillon blindé de la garde républicaine disposait ainsi de 44 tanks. Les brigades blindées et mécanisées se démarquaient également en possédant un bataillon d’artillerie organique. Ainsi, les divisions Hammourabi, Al-Madina al-Munawwara et Tawakalna al-Allah alignaient chacune quatre bataillons d’artillerie autopropulsée et au moins un bataillon d’artillerie tractée à longue portée répartis entre leurs trois brigades de manœuvre et leur brigade d’artillerie ; soit 90 pièces d’un calibre égal ou supérieur à 122 mm, auxquelles s’ajoutaient des LRM.

Dotation théorique en blindés des unités de la garde républicaine
Type d’unité
Chars
VCI / VTT
division blindée
308
200
division mécanisée
220
280

Les unités blindées de la garde républicaine étaient équipée de T-72 modifiés localement, et rebaptisés Assad Babyle (lions de Babylone), par l’ajout d’un brouilleur anti-missiles et d’un système d’enfouissement. Plus d’un millier de ces chars auraient été livrés à l’Irak par l’URSS et la Pologne entre 1979 à 1988. L’infanterie mécanisée était montée sur des VCI BMP-1 et BMP-2 soviétiques. La 26ième brigade navale disposait de VTT amphibies EE-11 Urutu d’origine brésilienne. Le parc d’artillerie était majoritairement russe ; obusiers automoteurs 2S1 de 122 mm, 2S3 de 152 mm et canons tractés M-46 de 130 mm. Les canons G-5 de 155 mm, achetés en Afrique du Sud, faisaient figure d’exception à cet égard. Au 31 janvier 1991, les services de renseignements militaires américains estimaient que la garde républicaine alignait dans ses unités opérationnelles 990 chars d’assaut, 630 canons et 600 véhicules blindés.
L’artillerie anti-aérienne était dotée de l’équipement classique dans les pays fournis par l’URSS : canons tractés d’un calibre allant de 14.5 mm à 57 mm, canons automoteurs ZSU-23/4, missiles anti-aériens à guidage infra-rouge portables SA-7 et 14, et montés sur chenillés SA-13. En règle générale, les systèmes de missiles guidés par radar, même mobiles, dépendaient de la force aérienne irakienne.
Un obusier 2S1 irakien abandonné durant Desert Storm (via Wikimedia)

La garde républicaine avait grandi durant les années de guerre contre l’Iran, et évolué directement en fonction des contraintes nées de ce conflit. Certaines de ses caractéristiques témoignaient de cet héritage. L’existence de ses quatre divisions d’infanterie ne se comprenait que par la nécessité de disposer d’une force bien entraînée pour renforcer les secteurs du front menacés par une percée des Iraniens. Rappelons que ceux-ci, tant qu’ils eurent l’initiative, choisissaient le plus possible des théâtres d’opération peu propices au déploiement de grandes formations mécanisées, et que les Irakiens durent donc s’adapter en disposant d’infanterie en suffisance. Pour les mêmes raisons, l’artillerie bénéficia d’un développement bien plus accentué que la lutte anti-char.
En attendant la tempête
L’invasion du Koweït menée à bien, les divisions de la garde républicaine furent progressivement relevées par des troupes de l’armée régulière et de l’armée populaire, et redéployées entre Bassora et la frontière koweïtie. L’attaque irakienne suscita, contrairement aux espérances du dictateur irakien, un véritable tollé sur la scène internationale. La probabilité d’un conflit armé avec les troupes mandatées par l’ONU pour contraindre les Irakiens à se retirer du Koweït augmenta au fil des mois, au fur et à mesure de la montée en puissance de ces dernières, qui culmina avec l’arrivée du VIIèmecorps américains en provenance d’Allemagne à la fin de l’année 1990. Si la guerre devait éclater, la stratégie du raïs irakien consistait à laisser l’adversaire attaquer puis transformer son offensive en sanglante bataille d’attrition. Cette stratégie reposait cependant sur deux prés requis qui allaient s’avérer erronés. Le premier était que les Américains, à la fois dirigeants et contributeurs largement majoritaires de la coalition, hésiteraient à l’idée de subir des pertes importantes, alors que le second postulait que les méthodes développées durant la guerre contre l’Iran s’avéreraient adéquates contre la coalition.
Le dispositif irakien reflétait cette conception, et se conformait à la doctrine élaborée durant la guerre contre l’Iran. Les divisions d’infanterie, déployées le long de la ligne de front avaient une mission purement statique. Chacune utilisait deux de ses brigades pour tenir son secteur, et gardait sa troisième brigade en réserve. La doctrine irakienne préconisait en effet de contre-attaquer le plus vite possible, sans laisser le temps à l’ennemi de consolider ses gains. Les divisions blindées et mécanisées se tenaient en retrait, prêtes à intervenir en cas de percée ennemie. La ceinture défensive irakienne avait plusieurs faiblesses majeures. Elle ne s’appuyait pas, comme devant Bassora en 1987, sur des obstacles naturels, mais se situait en plein désert. Les Irakiens s’attendaient à un assaut frontal contre le Koweït depuis l’Arabie Saoudite accompagné d’opérations amphibies et aéroportées, et leur dispositif atteignait sa densité maximale le long de la frontière entre ces deux pays, puis se réduisait progressivement le long de la frontière irako-saoudienne. Les Irakiens pensaient en effet que l’immense désert séparant l’Arabie Saoudite des grands axes de communications du Sud de l’Irak offrait une protection suffisante. Enfin, le milieu désertique tend à favoriser l’adversaire le plus mobile, et accentue l’impact de l’aviation. De fait, la force aérienne irakienne ne comptait pas être en mesure de contester la maîtrise des cieux à la coalition si les hostilités éclataient.
La mission de la garde républicaine était double : servir de réserve stratégique prête à contre-attaquer et défendre Bassora. Elle déploya ses divisions en deux lignes lâches. La plus proche du Koweït se composait, d’Ouest en Est, des divisions Tawakalnah al-Allah, Al-Madina al-Munawwara,Hammourabi, Bagdad et de la division de Maghawiralors que la seconde ligne, en retrait plus au Nord, incluait les divisions Nabuchodonosor, Al-Fao et Adnan. Des mesures furent prises pour contrer les inévitables bombardements alliés ; trois bataillons de missiles guidés par radar SA-6 furent affectés à la protection des quartiers généraux de la garde. Pour compliquer le travail de recueil de renseignements américain, les transmissions radios furent strictement limitées et remplacées par l’usage d’estafettes ou de liaisons filaires et des exercices de grande ampleurs, de jour et de nuit, furent menés pour tenter d’échapper à la surveillance des satellites américains. Afin de minimiser l’impact des bombardements, les blindés furent enterrés, et les unités se dispersèrent, à l’image de la 17ième brigade de la division Hammourabi qui répartit ses bataillons sur une surface de 100 kilomètres carré.
Sous les bombes
L’opération Desert Storm débuta dans la nuit du 17 janvier 1991 par une série de frappes visant principalement le réseau de défense aérienne irakien. Néanmoins, sur l’insistance du commandant en chef de la coalition, le général Norman Schwarzkopf, huit bombardiers B-52 déversèrent cent tonnes de bombes sur les positions de la division Tawakalnah al-Allah cette nuit-là. La garde républicaine avait été définie par le général comme un des centres de gravité du régime irakien, et donc une cible prioritaire. Ainsi, le tiers des 18'000 missions dites« stratégiques » lancées par la coalition durant la guerre visa la garde républicaine, alors que 37% de l’ensemble des sorties de B-52 la prirent pour cible. Celle-ci tenta de compliquer la tâche des planificateurs de la coalition en déplaçant une partie de ses effectifs quotidiennement. Les gardes républicains parvinrent à leurrer l’aviation américaine en cessant d’ouvrir le feu sur leurs appareils durant plusieurs semaines. Le 15 février, des avions d’appui rapprochés A-10 attaquèrent les divisions Tawakalnah al-Allah et Hammourabi. Trompés par la ruse irakienne, les A-10 s’aventurèrent à basse altitude. Un premier appareil fut endommagé dans la matinée par un SA-13 tiré par une batterie de la Tawakalnah al-Allah, puis plus tard dans la journée, deux autres appareils du même type furent abattus par la DCA de la division Hammourabi, un des pilotes étant tué et l’autre capturé. Les attaques s’intensifièrent à partir de la deuxième semaine de février, les positions de la garde étant bombardées en moyenne toutes les deux heures. Confrontés à la difficulté d’atteindre des véhicules enterrés, les américains recoururent à des bombes guidées par laser pour toucher les blindés irakiens, les repérant de nuit grâce à leurs appareils de visions thermiques. A la fin de la campagne aérienne, les renseignements militaires américains estimaient avoir diminué la capacité opérationnelle des trois divisions blindées et mécanisées de la garde de 23 à 46% selon les unités.

Etat des unités de la garde républicaine, en pourcentage de leur dotation théorique à effectifs pleins à la fin de la campagne aérienne
Division
% de l’effectif théorique
Hammourabi
77
Al-Madina al-Munawwara
54
Tawakalnah al-Allah
58
Al-Fao
100
Nabuchodonosor
88
Adnan
83
D’après Rebecca Grant in Air Force Magazine, mars 2003

La mère de toutes les batailles
La phase terrestre des opérations débuta au petit matin du 24 février 1991. Le plan de manœuvre coalisé mettait à profit les faiblesses du dispositif irakien. Dans un premier temps, deux divisions de Marines américaines, flanquées par des contingents arabes, attaquèrent frontalement les lignes irakiennes au Koweït, pour masquer l’axe d’attaque principal et attirer les réserves ennemies. Quelques heures après, le VIIèmecorps américain du lieutenant-général Franks devait pénétrer en Irak à la hauteur de Bassora, puis bifurquer vers le Koweït et prendre à revers les divisions de la garde républicaine. Déjà assaillie sur son front par les Marines, l’armée d’occupation irakienne se verrait ainsi coupée de ses arrières. Il s’agissait d’une manœuvre classique de débordement de l’adversaire par les flancs associée à une feinte sur l’axe d’attaque escompté par l’ennemi, présentant certaines similitudes avec le plan jaune allemand de 1940.
Simultanément, le XVIIIème corps aéroporté pénétra en Irak depuis la frontière saoudienne avec pour objectif ultime de couper les liaisons terrestres entre Bassora et Bagdad, puis de descendre vers Bassora afin de détruire les unités de la garde républicaine stationnées entre cette ville et la frontière koweïtie en coordination avec le VIIème corps. Le corps aéroporté ne rencontra pratiquement pas d’opposition lors de son avance, et le 25 février, sa 101st Airborne Division établit une position de blocage dans les environs de la ville de Nasiriya. Sa formation la plus puissante, la 24th Infantry Division(infanterie mécanisée), pénétra ensuite dans la vallée de l’Euphrate où elle mena de violents combats contre des éléments bien retranchés appartenant aux 47ième et 49ième divisions d’infanterie de l’armée régulière, à la division Nabuchodonosoret à une brigade de commandos, avant de s’emparer des bases aériennes de Tallil et Jabbah le 27 février. Dans la matinée, le quartier général de la garde républicaine rapportait l’effondrement de la 21ièmebrigade de la division Adnan, dont l’artillerie avait blessé 23 soldats américains la nuit précédente avant d’être réduite au silence par les tirs de contre-batterie de ces derniers. Les divisions Nabuchodonosor, Adnan et Al-Fao avaient été positionnées à 46 kilomètres de Bassora afin de défendre les approches de la digue permettant la traversée du lac Hammar et de l’autoroute reliant Bassora à Bagdad. L’avance de la 24th Infantry Division les contraignit cependant à se replier vers Bassora.
Les Irakiens n’avaient pas détecté les immenses concentrations de troupes faisant face à leur flanc dégarni avant le 18 février, où un rapport urgent des services de renseignement fut adressé au secrétariat de la présidence. Même plusieurs heures après le déclenchement de l’offensive coalisée, le raïsrefusa d’ordonner le retrait de troupes du Koweït pour renforcer les secteurs menacés, de crainte de fragiliser l’ensemble du dispositif irakien. Mais, le 25 février, confrontés à la vitesse de la progression ennemie et prenant conscience de la menace, les Irakiens se résolurent à organiser le retrait de leurs unités du Koweït et la défense de Bassora. La division Tawakalnah al-Allah reçut l’ordre de couvrir la retraite, alors que la division Al-Madina al-Munawwara devait établir une position de blocage au Sud de Bassora, et la division Hammourabi, se replier. Les mouvements irakiens furent compliqués par les chaînes de commandement distinctes de la garde républicaine et de l’armée régulière, cette dernière étant souvent laissée dans l’ignorance des positions occupées par la première. 
  
Le sacrifice de la Tawakalnah al-Allah
L’assaut principal, mené par le VIIème corps du lieutenant-général Franks, démarra le dimanche 24 février, une dizaine d’heure après ceux des Marines et du XVIIIèmecorps. Il était composé des 1st Infantry Division (infanterie mécanisée, surnommée la Big Red One), des 1st and3d Armored Divisions (blindées), de la 1st Armored Division britannique (blindée), du 2d Armored Cavalry Regiment (blindé, équivalent à une brigade) et de la 11th Aviation Brigade, ainsi que de quatre brigades d’artillerie de campagne. Ces unités alignaient un total de 1587 tanks, 1502 VCI, 669 pièces d’artillerie et 223 hélicoptères d’attaque.
Après avoir percé les défenses frontalières, le corps effectua sa rotation vers l’Est le 26 février, laissant à la 1st Armored Division anglaise le soin de réduire les unités de l’armée irakienne situées au Sud de son axe de progression, et se dirigea droit sur les positions de la division Tawakalnah al-Allah. Le jour précédent, cette dernière avait réorienté son dispositif, à environ 130 kilomètres de Koweït City, pour faire face au VIIèmecorps, et s’était vue renforcée par les restes de la 12ième division blindée de l’armée, très affaiblie. Entre le 26 février à 15h30 et la fin de l’après-midi le jour suivant, les gardes républicains furent anéantis par une succession d’assauts menés par le 2d Armored Cavalry Regiment, la Big Red One, puis la 3d Armored Division et la 1st Armored Division. En tout, l’équivalent de neuf brigades américaines participa à la bataille. A lui seul, le 2d Armored Cavalry Regiment comptait 125 tanks M1A1alors que la 3d Armored Division alignait 316 M1A1 et 285 VCI Bradley. En bon tacticien, le lieutenant-général Franks était parvenu à masser puis à lancer une force écrasante contre son objectif. Les combats furent cependant âpres ; à deux reprises, les brigades de la Tawakalnah al-Allah parvinrent à stopper la progression ennemie pendant plusieurs heures, et les américains perdirent durant la bataille neuf M1A1, sept Bradley, onze tués et cinquante-cinq blessés, victimes de tirs irakiens ou fratricides.
La division Al-Madina al-Munawwarane tarda pas à subir à son tour la puissance des formations blindées américaines. Sa 2ième brigade blindée avait pivoté vers l’Ouest et établi une ligne défensive longue d’une dizaine de kilomètres à l’abri d’une crête. Le 27 février, elle fut assaillie par les 166 M1A1 de la seconde brigade de la 1st Armored Division. Après un bref combat, l’unité irakienne fut anéantie, les américains rapportant la destruction de soixante T-72 et de plusieurs dizaines de VCI sans subir de pertes.
La fin des opérations
Le 27 février au soir, prises entre le marteau de la progression des XVIIIèmeet VIIème corps et l’enclume des cours d’eau de la région de Bassora, dont la plupart des points de franchissement avait été bombardés, les unités survivantes de la garde républicaine étaient confrontées à la perspective d’un anéantissement certain durant la journée suivante. Au petit matin, Radio Bagdad avait diffusé un ordre de retrait à toutes les unités au Koweït. Paradoxalement, à ce moment, le commandement irakien ne se considérait pas comme vaincu, estimant que l’état des divisions Hammourabi et Adnan était « bon », et que la division Al-Madina al-Munawwara restait opérationnelle à plus de 50 %. Ces unités auraient pourtant pu être dans un état bien pire ; les attaques aériennes de la coalition visant les secteurs où elles se déplaçaient diminuèrent en effet considérablement ce jour-là.
Une colonne de BMP-1 détruits non loin de l'Euphrate (via Wikimedia)
Pour minimiser les risques de bombardements fratricides, les commandants de corps américains délimitaient avec l’US Air Force un secteur dans lequel seules les frappes aériennes guidées par des contrôleurs aériens avancés accompagnant les troupes étaient possibles, à cause du risque d’imbrication entre unités coalisées et irakiennes dans les secteurs concernés. Hors, anticipant des mouvements rapides et sur de longues distances, les états-majors des XVIIIèmeet VIIème corps délimitèrent des zones très étendues pour la journée du 27 février. Il en résulta que plusieurs des divisions de la garde républicaine se trouvaient à l’intérieur de celles-ci, à l’abri d’attaques dirigées depuis les airs, mais aussi hors de vue des observateurs américains au sol. Ainsi, les divisions Nabuchodonosor,Adnan, Al-Madina al-Munawwara et Hammourabise trouvèrent protégées du gros des frappes aériennes. Alors que les commandants de corps américains se préparaient à donner le coup de grâce aux unités irakiennes dans la journée du 28 février, le général Norman Schwarzkopf, croyant que la garde républicaine avait déjà perdu toute cohésion et l’ensemble de son matériel lourd, ne souleva pas d’objections lorsque fut prise la décision de proclamer un cessez-le-feu pour le 28 février au matin. Grâce à cette erreur d’appréciation, la garde échappa à l’anéantissement, et même diminuée, resta un atout majeur pour le régime de Saddam Hussein.
Les américains prélevèrent cependant un dernier tribut avant de quitter l’Irak. Le 2 mars, un combat de plusieurs heures, causé par des tirs d’armes légères contre des soldats américains au petit matin, opposa la 17ième brigade de la division Hammourabi à la 24th Infantry Division. La brigade irakienne, se déplaçant à l’extrémité Sud de la digue traversant le lac Hammar, était déployée en colonne et fut littéralement massacrée par les tanks américains appuyés par les tirs de cinq bataillons d’artillerie et plusieurs compagnies d’hélicoptères de combat. Les Américains comptèrent 30 carcasses de tanks, 147 d’autres blindés et 400 de camions et Jeeps. Un seul M1A1 fut détruit dans l’affrontement.

La mort des lions de Babylone

L’écrasante défaite subie par les forces armées irakiennes en janvier et février 1991 surprirent le monde. Certes, personne ne pensait qu’elles auraient pu prévaloir contre la coalition, mais bien peu se seraient doutés qu’un effondrement aussi rapide soit possible. Cependant, la dissolution des divisions d’infanterie stationnées le long des frontières n’est pas si surprenante. En plein désert, une armée dépend totalement de son approvisionnement, même pour couvrir ses besoins en eau. Hors, la chaîne logistique irakienne fut annihilée par la campagne aérienne alliée, laissant les soldats isolés et affamés, et soumis de surcroît à des bombardements massifs. Sur ce type de terrain, des unités peu ou pas mécanisées, quel que soit leur taille, sont à la merci d’un opposant plus mobile. Les mêmes causes avaient produit les mêmes effets dans le désert libyen en 1940.
L’ensemble des unités de la garde républicaine et certaines de l’armée se battirent néanmoins avec acharnement, mais sans réussir à infliger des pertes conséquentes à leur adversaire. La cause première de la défaite ne fut donc pas, contrairement à l’impression que pourrait laisser penser les nombreuses images de prisonniers alors diffusées dans les médias, une absence de combativité universelle au sein de l’appareil militaire irakien. La question reste entière, comment une armée nombreuse et expérimentée put-elle être balayée en une centaine d’heures ? La puissance militaire de l’Irak était-elle seulement une illusion ? Les affrontements entre les divisions Tawakalnah al-Allah et Al-Madina al-Munawwara, deux des meilleurs unités irakiennes, et le VIIème corps américain peuvent amener des éléments de réponse.
Le dispositif tactique de la Tawakalnah al-Allah, hâtivement constitué, était classique. Une zone de sécurité faiblement défendue servait à détecter les axes de pénétration de l’ennemi et à le ralentir. Elle était suivie d’une zone d’opération, ou ligne de défense principale, où étaient stationnées le gros de l’unité, et enfin d’une zone arrière, où étaient positionnés les appuis et la logistique. Tant dans le cas de la division Tawakalnah al-Allah que dans celui de la 2ième brigade de la Al-Madina al-Munawwara, les Irakiens avaient établi dans la mesure du possible leurs positions derrière une crête, afin de rendre vulnérables les tanks ennemis au moment où ils en franchissaient le sommet tout en restreignant la distance à laquelle ils pouvaient détecter et engager les blindés irakiens. Pourtant, ces dispositions eurent très peu d’effet sur l’écrasante supériorité tactique détenue par les troupes américaines. Le plan défensif des deux divisions comptait des lacunes, mais les raisons de l’infériorité irakienne doivent avant tout être recherchées dans les caractéristiques de son adversaire.
Ces deux batailles, passées à la postérité sous le nom de 73 Easting et Medina Ridge, impliquèrent des unités du VIIème corps de l’US Army. Cette formation était basée en Allemagne, et sa mission consistait à contrer une éventuelle offensive de l’armée rouge. Il en résultait qu’elle était très bien entraînée et équipée. Les meilleures unités mécanisées irakiennes affrontèrent bien leurs alter egos américains. A niveau égal, les unités américaines avaient une puissance de feu bien supérieure à celle de leurs homologues irakiennes. Une division blindée américaine disposait par exemple d’un bataillon d’hélicoptères de combats Apache pour l’appuyer. Dans l’ensemble, le matériel était bien supérieur, comme l’illustre l’évocation de deux systèmes d’armes dont le rôle allait être prédominant pour déterminer l’issue de ces combats. Les échelons subalternes irakiens avaient de surcroît été laissés dans l’ignorance de l’infériorité de leurs équipements, et par extension, de la nécessité d’élaborer des tactiques pour compenser celle-ci.
Le cheval de bataille des unités blindées américaines était le M1A1 Abrams. Il surclassait les T-72 alignés par les gardes républicains dans deux domaines essentiels: le blindage et la puissance de feu. Les chars du VIIèmecorps disposaient d’une conduite de tir leur permettant d’engager leurs adversaires irakiens à distance de sécurité, soit en restant en dehors de l’enveloppe de tir de l’armement des chars irakiens. De nuit ou dans les conditions visuelles exécrables régnant de jour sur le champ de bataille lors des affrontements, le système de vision thermique des Abrams leur conféra un autre avantage majeur. Les missiles antichars AT-3 Sagger de conception soviétique utilisés par les Irakiens avaient un inconvénient majeur. L’opérateur devait guider le missile jusqu’à sa cible manuellement, à l’aide d’une manette. Il s’agissait d’une procédure bien plus complexe et difficile que pour les missiles TOW américains, qui se calaient sur le faisceau infrarouge émis par le poste de tir, l’opérateur n’ayant qu’à garder sa cible au centre de son réticule de visée.
Les soldats de l’US Army avaient reçu un entraînement beaucoup plus poussé que leurs adversaires de la garde républicaine, en prévision des immenses combats mécanisés susceptibles d’éclater au Centre de l’Europe contre les puissantes forces blindées du pacte de Varsovie. Par ailleurs, l’humiliation de Vietnam avait été à l’origine de profondes mutations au sein de l’institution militaire américaine. La doctrine de l’US Army débuta alors une évolution qui dura plusieurs années, avant de déboucher sur la publication du manuel FM 100-5 dans les années 80. Celui-ci prônait notamment l’usage de la manœuvre, la recherche de la bataille en profondeur et une combinaison interarmes poussée au maximum, le tout connu également sous le nom de doctrine Air Land Battle. La division Tawakalna Ala Allah se trouva ainsi non seulement soumise à des tirs d’artillerie et attaquée sur son front par des blindés supérieurs aux siens, mais fut aussi victime des hélicoptères d’assaut opérant contre ses arrières. Le tempode l’assaut américain satura les capacités de réaction du commandement divisionnaire qui perdit rapidement le contrôle de la bataille. Le fait que les obus tirés par l’artillerie irakienne tendaient à tomber derrière les pointes américaines ou que des équipages de blindés furent surpris en dehors de leurs véhicules à plusieurs reprises illustre l’incapacité des unités de la garde républicaine à réagir à une vitesse adaptée aux mouvements ennemis.
Sur le plan stratégique, le pouvoir politique américain avait aussi compris les dangers de l’interminable montée en puissance des forces engagées au Vietnam ainsi que celle des différentes campagnes de bombardement visant le Nord de ce pays. L’engagement militaire dans le Golfe fut donc massif dès le début et les objectifs donnés aux militaires précis. Le président Bush résista par ailleurs à la tentation de s’immiscer dans le planning opérationnel et tactique des forces armées contrairement à ses prédécesseurs deux décennies auparavant, et à Saddam Hussein, dont le rôle de chef de guerre ressemblait à celui joué par Josef Staline lors de la « grande guerre patriotique ».
Que ce soit sur le plan matériel, celui de l’entraînement, de la doctrine ou encore celui de la stratégie, les forces armées irakiennes durent affronter un adversaire contre lequel elles ne pouvaient pas gagner. Mais, tout comme la défaite française de 1940 fit rétrospectivement et exagérément passer le statut de grande puissance militaire de la France au rang d’ineptie, l’anéantissement des troupes irakiennes défendant le Koweït put induire en erreur. Malgré toutes leurs limites, en 1990, les forces armées irakiennes étaient au moins aussi capables que l’armée égyptienne lors de la guerre du Yom Kippour en 1973, ou que l’armée syrienne en 1982. Hors celles-ci étaient parvenues à mettre sérieusement en difficulté Tsahal dans des guerres conventionnelles. La garde républicaine à elle seule surclassait sans difficultés les armées richement équipées et financées mais peu professionnelles des monarchies du Golfe, Arabie Saoudite en tête. Le raïs irakien imposa donc à ses militaires, pour reprendre la formule consacrée, de combattre le mauvais ennemi au mauvais endroit et au mauvais moment.



Chapitre III : Un déclin de douze ans


Intifada
Alors que le cessez-le-feu entre les troupes irakiennes et la coalition entrait en vigueur, une nouvelle menace mortelle pour le régime apparut. Dans tout le pays, le retour des conscrits de l’armée régulière défaite au Koweït si fit de manière désorganisée, leurs unités s’étant dissoutes dans les combats. Certains de ceux-ci manifestèrent leur révolte en tirant sur des portraits de Saddam Hussein dans le Sud du pays. Ces gestes de rébellion furent l’étincelle qui déclencha un soulèvement qui se répandit au début du mois de mars dans les villes de Bassora, Karbala, Nadjaf et Koufa, dont la population était majoritairement chiite. Les insurgés s’en prirent prioritairement aux antennes locales du parti unique et des organes de sécurité, lynchant les membres sur lesquels ils mettaient la main.
A l’autre extrémité du pays, dans le Kurdistan irakien, la débâcle du Koweït encouragea, à partir du 5 mars, le Front du Kurdistan Uni, composé principalement du PDK (Parti Démocratique Kurde) et de l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan), à faire descendre des montagnes ses 15'000 peshmergas pour soutenir les soulèvements ayant éclaté dans les villes en plaine. A la différence de l’intifada au Sud, l’insurrection avait été planifiée par les mouvements indépendantistes kurdes. Les villes de Ranya, Souleimanie, Arbil et Kirkuk tombèrent entre le 5 et le 20 mars 1991. Les forces gouvernementales présentes dans la région ; armées régulière, milices kurdes progouvernementales et Jeish Al Shabi n’opposèrent pratiquement pas de résistance aux peshmergas. La 24ième division de l’armée s’effondra en quelques heures sans combattre, alors que les soldats de l’armée populaire firent massivement défection. Seules les membres des antennes locales des services de renseignements opposèrent une résistance acharnée, conscients du sort que leur réserverait la population en cas de capture. Deux semaines après le début des soulèvements au Nord et au Sud, le régime ne contrôlait plus que 14 des 18 provinces irakiennes.
Dans le Sud, la progression de l’insurrection fut ralentie par le manque d’organisation inhérent à ce type de soulèvement spontané. Les rebelles ne parvinrent pas à s’organiser pour monter vers Bagdad en mettant à profit le chaos généralisé frappant le pays et les structures répressives du pouvoir. Mais le coup de grâce vint des Américains, qui refusèrent de soutenir l’intifada de crainte qu’elle ne soit manipulée par l’Iran. L’abandon de l’initiative par les insurgés et le« lâchage » politique de Washington permirent au régime de contre-attaquer. La garde républicaine, dont la plupart des divisions étaient restées opérationnelles, servit de fer de lance à la riposte du raïs. Appuyée par des hélicoptères, elle contre-attaqua à partir du 9 mars, et écrasa l’insurrection à Bassora la semaine suivante, la dernière ville révoltée, Karbala, étant reprise le 16 mars. La reconquête menée par les gardes républicains fut brutale ; face à des adversaires munis d’armes légères, ils utilisèrent des chars d’assaut et de l’artillerie de manière intensive, y compris aux alentours des lieux saints présents dans certaines des cités insurgées. A Bassora, les combats puis la féroce répression qui suivit l’intifada firent au minimum un millier de morts dans la population.
Le Sud mâté, les forces de régime se retournèrent contre les peshmergas. Dès le 20 mars, ceux-ci durent affronter 5'000 soldats iraniens de l’Armée de libération Nationale (ALN) autour de Kirkuk. Puis, dans les derniers jours du mois, deux divisions blindées de la garde républicaine lancèrent un assaut frontal contre la ville accompagné d’un mouvement tournant pour couper les voies de retraites ennemies. La dernière ville importante tenue par les peshmergas, Souleimanie, tomba à son tour le 2 avril 1991. Un cessez-le-feu imposé par les Nation-Unies entra ensuite en vigueur le 19 avril, mettant fin à l’exode massif des populations civiles. Les combattants kurdes, équipés d’armes légères, ne pouvaient affronter les forces mécanisées du pouvoir central en terrain ouvert. Bien que des éléments de l’armée et de l’ALN, bras armé de l’Organisation des Moujahidins du Peuple Iranien participèrent à la répression au Kurdistan aux côtés des forces de la garde républicaine, c’est bien cette dernière qui fut le socle sur lequel régime s’appuya pour reprendre le contrôle des provinces perdues.
Les légions d’Ubu
Plusieurs facteurs déterminèrent l’évolution des forces armées irakiennes durant la décennie précédent la chute du régime. Le premier de ceux-ci était la crainte croissante de Saddam Hussein d’être victime d’un coup d’état. De fait plusieurs tentatives eurent lieu durant cette période. Ainsi, en juin 1996, une vaste conspiration, soutenue par la Central Intelligence Agency américaine, fut découverte par les services de renseignement. Des membres de l’armée régulière et de la garde républicaine étaient impliqués dans le complot. Quelques mois plus tôt, le 7 août 1995, Hussein Kamel, l’un des hommes les plus influents du cercle intérieur du pouvoir irakien, gendre du président et responsable de la garde républicaine, avait fait défection en Jordanie avant de revenir en Irak et d’être exécuté. Ces événements ne firent qu’amplifier la tendance du régime à diviser son appareil militaire en branches séparées et rivales. Par ailleurs, les soulèvements de 1991 avaient constitué une alerte sérieuse pour le pouvoir en place, qui consacra une part importante de ses ressources militaires à prévenir la résurrection d’une telle menace. Enfin la définition par Saddam Hussein des adversaires potentiels à l’extérieur du pays joua également un rôle majeur dans l’évolution des forces armées du pays. L’élaboration des grands axes stratégiques de la politique de défense irakienne tendait à être biaisée, car les avis du président irakien ne souffraient d’aucune contestation, et, à partir de 1996, plus personne ne se risquait à énoncer des avis susceptibles de causer son courroux. Par conséquent, une véritable culture du mensonge se répandit à tous les niveaux de l’appareil d’état irakien.
En 1991, le raïs avait redéfini les missions de ses forces armées ; protéger le régime, se préparer à affronter un adversaire régional, l’Iran et Israël étant les adversaires considérés comme les plus probables, et enfin, se prémunir contre une attaque américaine. Le raïs irakien était convaincu que ces derniers, par crainte de subir des pertes, ne se lanceraient jamais dans une invasion terrestre de l’Irak, mais limiteraient leurs éventuelles actions à des frappes aériennes, comme durant l’opération Desert Fox en 1998.

La taille de l’armée régulière avait été drastiquement réduite après Desert Storm, mais d’autres organes virent le jour. Issue de la brigade de la garde républicaine dédiée à la sécurité présidentielle, la garde républicaine spéciale, totalement autonome, fut créée en 1991 et comprenait deux bataillons de chars T-72 ainsi que plusieurs bataillons d’infanterie mécanisées et de commandos. Elle était spécifiquement chargée de la protection de la capitale et des sites présidentiels. Les milices Al-Quods(Jérusalem) naquirent également durant cette période pour pallier à la faillite du Jeish Al Shabi durant l’insurrection de 1991. Leur mission consistait à écraser sans délais toute tentative de soulèvement populaire. Dispersés dans tout le pays, les miliciens de cette organisation étaient aussi chargés d’assurer la défense territoriale. Leurs armes avaient été prélevées sur les stocks de l’armée. Une autre force parallèle, les Fedayin Saddam, apparut en octobre 1994. Dirigée par Oudaï Hussein, elle était aussi chargée de la sécurité intérieure du pays, mais se composait de volontaires engagés à plein temps, contrairement aux miliciens d’Al-Quods. Ses membres étaient entraînés aux opérations de sabotage et de guérilla, mais subissaient une discipline féroce, pouvant inclure l’usage de châtiments corporels.
La garde républicaine en 2002
A la fin de l’année 2002, la garde républicaine alignait encore trois divisions blindées, trois divisions d’infanterie et les 3ièmeet 26ième brigades Magawir. La composition de ces unités reste difficile à établir, mais compte tenu des pertes subies en 1991, la dotation organique en matériel des brigades avait probablement été réduite. Il paraît difficilement concevable que ces divisions aient dans leur ensemble disposé d’une puissance de feu équivalente à ce qu’elle avait été avant Desert Storm, même en tenant compte des équipements rendus disponibles par la dissolution de plusieurs grandes unités entre 1991 et 2002. Malgré cet affaiblissement, le poids relatif de la garde républicaine comparé à celui de l’armée s’était fortement accru, cette dernière ayant été réduite à 17 divisions après 1991.


Divisions blindées
Division Hammourabi
8ième brigade blindée
17ième brigade blindée
15ième brigade mécanisée
Division Al-Nida
41ième brigade blindée
42ième brigade blindée
43ième brigade mécanisée
Division Al-Madina al-Munawwara
2ième brigade blindée
10ième brigade blindée
14ième brigade mécanisée

Divisions d’infanterie
Division Bagdad
4ième brigade
5ième brigade
6ième brigade
Division Nabuchodonosor
19ième brigade
22ième brigade blindée
23ième brigade
Division Adnan
11ième brigade
12ième brigade
21ième brigade

Compilé selon Saddam’s war, Saddam’s generals, The Mother of All Battles, A View of Operation Iraqi Freedom from Saddam’s Senior Leadership, Iraq Armes Forces Forum et le forum acig.

De toutes ces grandes formations, seule la division Al-Nida était, avec 500 blindés et 13'000 hommes, à effectif plein. Son commandant bénéficiait d’une grande autonomie, car natif de Tikrit, la ville d’origine du raïs irakien. Son matériel, chars T-72, VCI BMP-2, canons de 130 mm et 155 mm, était bien entretenu. Mais, dans l’ ensemble, la valeur opérationnelle de la garde républicaine était réduite comparée à ce qu’elle avait pu être à la fin de la guerre Iran-Irak. L’embargo sur les armes frappant le pays depuis 1990 avait rendu le remplacement du matériel perdu impossible et l’approvisionnement en pièces de rechange erratique. L’industrie d’armements locale n’était pas capable de remédier aux effets de l’isolement du pays. Elle avait non seulement été durement frappée durant Desert Storm, mais fut aussi victime d’une gestion calamiteuse après la guerre. Ses capacités déjà insuffisantes furent détournées dans des projets trop ambitieux au détriment des besoins urgents émis par les forces armées. De plus, la garde républicaine avait été affaiblie durant l’opération Desert Fox ; une série de frappes aériennes lancées par les américains et les britanniques en réaction à l’expulsion par les Irakiens des inspecteurs de l’ONU chargés de la destruction des stocks d’armes de destruction massive du pays. Neuf des cent objectifs visés durant l’opération appartenaient à la garde républicaine. 

Des gardes républicains photographiés en 2003 (via Wikimedia)
Ses difficultés n’étaient pas seulement d’ordre matériel. Après la défection d’Hussein Kamel, la supervision de la garde républicaine échut à Koussaï Hussein, un des deux fils du dictateur. Elle était continuellement espionnée par les différents services de renseignements du régime, eux-mêmes mis en situation de rivalité. Enfin, la taille de son propre bureau de surveillance fut multipliée plusieurs fois après 1991, et finit par compter plusieurs centaines d’hommes. Les commandants de divisions et de corps ne pouvaient normalement pas déplacer leurs unités sans l’aval de l’état-major de la garde républicaine. Ces officiers évitaient par ailleurs de se rencontrer de manière informelle, de peur d’éveiller les suspicions. Cette atmosphère délétère ou être soupçonné équivalait à être reconnu coupable ne pouvait que tuer tout esprit d’initiative chez les cadres de la garde, leur survie dépendant d’une obéissance aveugle et inconditionnelle aux ordres reçus. Autre exemple de cette culture du cloisonnement et du soupçon, les officiers de la garde républicaine ne disposaient pas de cartes de Bagdad, domaine réservé de la garde républicaine spéciale, alors qu’ils étaient chargés de la défense de sa périphérie. Une perte de professionnalisme et de compétence découla inévitablement de la conjugaison entre paranoïa ambiante et pénuries matérielles.
L’expérience durement gagnée durant Desert Storm ne se traduisit pas en évolution doctrinale significative. Pour Saddam Hussein, l’arrêt de l’offensive de la coalition le 28 février 1991 était le fruit de la résistance héroïque des forces armées irakiennes, et non un choix politique délibéré du président américain. Cette version, que nul ne pouvait se risquer à contester, paralysa le processus de retour d’expérience des cadres de la garde républicaine. Les principales leçons retenues se limitèrent donc à l’importance de la dispersion et du camouflage des unités.
La montée des périls
Les attentats du 11 septembre 2001 offrirent à l’administration Bush junior un contexte politique favorable à une politique étrangère agressive. Après le renversement rapide du régime des talibans en Afghanistan, l’attention des idéologues entourant le Président américain se tourna vers l’Irak. A leurs yeux, renverser le régime baasiste et le remplacer par un système politique modelé sur celui des Etats-Unis serait la première étape d’un vaste remodelage du Moyen-Orient. « Contaminés » par les succès du nouveau pouvoir irakien, les autres pays de la région ne pourraient qu’adopter le même modèle. Au terme de ce processus, Washington ne compterait plus que des pays amis dans la région stratégique du Moyen-Orient.
Cette ambition se concrétisa, à partir de 2002, par une intense campagne de dénonciation de l’Irak sur la scène internationale, et une longue série de manœuvres diplomatiques visant à obtenir le soutien d’autres pays et la bénédiction des Nations-Unies à une invasion de l’Irak. Parallèlement, la pression militaire sur les forces irakiennes s’accrût. A partir du mois de juin 2002, la lutte opposant l’aviation américaine et le réseau de défense anti-aérienne irakien dans le Sud du pays s’accentua fortement. Le 11 janvier 2003, le secrétaire d’état américain à la défense, Donald Rumsfeld, ordonna le déploiement de 60'000 hommes dans le Golfe Persique. La Grande-Bretagne suivit quelques jours plus tard en annonçant l’envoi de 26'000 hommes et 100 avions. Parallèlement, le Koweït accepta de servir de base de départ à une invasion de son grand voisin du Nord. Officiellement, cette montée en puissance s’inscrivait dans une stratégie de coercition visant à garantir l’abandon par le pouvoir irakien de toute capacité de stockage, de développement ou de production d’armes de destructions massives. Saddam Hussein contribua à offrir un casus belli à l’administration Bush à cause des contradictions inhérentes à sa rhétorique. Il tendait à vouloir simultanément convaincre l’Occident qu’il ne disposait plus de ce type d’armes, tout en laissant entendre le contraire à d’autres publics pour rehausser son prestige.
Le raïs irakien réagit à la menace en définissant une nouvelle stratégie défensive qui prenait à contre-pied la planification établie par les états-majors irakiens durant les années précédant la crise. Le 18 décembre 2002, le nouveau plan fut présenté aux cadres de la garde républicaine. Bagdad devait être protégée par une série de lignes défensives concentriques dont elle constituait le noyau. Les troupes de la garde devaient commencer par défendre la plus éloignée, puis retraiter en bon ordre d’un cercle défensif à un autre tout en épuisant l’ennemi. Etabli par Saddam Hussein et son entourage immédiat sans consulter les militaires, ce plan était vague et ne tenait aucun compte des caractéristiques géographiques du théâtre des opérations. Les officiers présents le 18 décembre durent se contenter de prendre des notes. Le président irakien attendait des chefs de sa garde qu’ils sachent faire preuve d’initiative et d’autonomie ; des comportements qu’il avait pourtant découragé à des degrés divers tout au long de son règne. Avant même que la guerre ne débute, la garde républicaine se trouva ainsi dépourvue d’une stratégie cohérente et conforme à ses moyens. Les préparatifs concrets pour faire face à l’invasion imminente furent limités.
A partir de la mi-février 2003, des positions défensives furent préparées et les unités se dispersèrent et se camouflèrent. Chaque blindé devait disposer de plusieurs emplacements préparés à l’avance. Les soldats reçurent des rations et des munitions pour un mois de campagne, et se virent alloués trois mois de solde. La garde républicaine, déployée pour défendre les approches de Bagdad, était divisée en deux corps. Le Ier corps, avec les divisions Hammourabi, Adnan, Nabuchodonosor et la 26ièmebrigade de commandos, défendait le Nord de la capitale alors que le IIème corps protégeait le Sud. Celui-ci comprenait les divisions Al-Madina al-Munawwara, Al-Nida, Bagdad, la 3ième brigade de commandos et une division de marche recrutée parmi les cadets des écoles militaires de la garde.
Iraki Freedom
A la mi-mars 2003, les américains et les britanniques avaient achevé leur montée en puissance dans le Golfe Persique. Le refus de la Turquie de servir de base de départ pour des opérations contre l’Irak contraignait les Alliés à mener leur invasion sur un seul front, en partant du Koweït, où leurs troupes se massèrent. La direction globale de l’opération, baptisée Iraqi Freedom, était placée sous l’égide du Central Command américain du général Tommy Franks, également chargé des actions menées en Afghanistan. La mise en œuvre de l’invasion relevait de la 3ième armée du lieutenant-général David Mc Kiernan, chapeautant à son tour le Vème corps de l’US Army, la 1st Marine Expeditionary Force et le contingent fourni par les Anglais.
Le fer de lance du Vème corps américain était la 3rd Infantry Division. Contrairement à ce que son nom laisserait supposer, elle alignait près de 270 chars de combat Abrams, et l’ensemble de son infanterie était transportée par des VCI Bradley. La majeure partie de la 101st Airborne Division et une brigade de la 82nd Airborne Division, moins lourdement équipées, complétaient les effectifs du corps. La 1st Marine Expeditionary Forcese composait de la 1st Marine Division et de la Task Force Tarawa, un groupement ad hoc de la taille d’une grosse brigade. Enfin, une unité hybride de blindés et d’infanterie légère, la 1st Armoured Division regroupait les troupes anglaises.
L’ouverture des hostilités approchant, des équipes de forces spéciales s’infiltrèrent en Iraq pour recueillir du renseignement susceptible de favoriser l’avance coalisée. La guerre éclata le 20 mars 2003 par des frappes aériennes d’opportunité sur Bagdad, un renseignement ayant fait croire aux américains qu’ils connaissaient la position précise de Saddam Hussein à ce moment. Contrairement aux attentes irakiennes, les forces terrestres coalisées passèrent à l’attaque dans les 24 heures suivantes, sans longue préparation aérienne comme cela avait été le cas en 1991. En effet, le rendement militaire d’une telle campagne aurait été amoindri par la dispersion des forces irakiennes dans des zones habitées, contrairement à 1991, où elles étaient majoritairement concentrées dans des régions désertiques. De plus, les Alliés craignaient que les dommages collatéraux inhérents à ce type d’action ne permettent au dictateur irakien de marquer des points sur le plan médiatique, devenu un front à part entière dans toute guerre contemporaine.
Les commandos de marine britannique de la 3rd Commando Brigade, soutenus par les Marines américains, débarquèrent sur la péninsule de Fao le 21 mars 2003, puis s’emparèrent du port d’Umm Qasr après de durs combats. Les fusiliers marins anglais rejoignirent ensuite les gros de la 1st Armoured Division, dont la tâche était de s’emparer de Bassora. Simultanément, la 3rd Infantry Division débutait son avance parallèle à la vallée de l’Euphrate à travers le désert alors la 1st Marine Division entamait sa progression vers Kut. L’objectif ultime des deux divisions américaines était de prendre Bagdad le plus rapidement possible.
Ainsi sonne le glas
Le début de la guerre surprit la division Nabuchodonosor alors qu’elle était en transit entre ses casernements habituels de Kirkuk et le sud de la capitale où elle devait renforcer le IIème corps. Au cours de son périple de plusieurs centaines de kilomètres, la division dut abandonner son matériel lourd de crainte de le voir détruit par les frappes aériennes ennemies, et ses soldats furent contraints de se déplacer en petits groupes pour minimiser cette menace. Malgré cela, lorsqu’elle se regroupa à Al-Hilla, sa destination, l’unité avait perdu 10 % de ses effectifs et la majeure partie de sa puissance de feu organique.
En général, les mesures de camouflage et de dispersion des unités irakiennes limitèrent leurs pertes tant qu’elles restaient statiques. Mais, le moindre mouvement était fatal ; aussitôt détectées, elles subissaient les tirs extrêmement précis de l’aviation. Lors de Desert Storm, 10 % des armes tirées par les avions coalisés étaient guidées, alors que durant Iraqi Freedom, cette proportion était montée à 70 %. Les militaires américains avaient fait aussi d’immenses progrès dans le recueil de renseignements durant la décennie séparant les deux guerres. Ainsi, des drones surveillaient constamment le champ de bataille. Les officiers irakiens ne pouvaient pas utiliser leurs moyens de communications non-filaires de crainte d’être détectés, puis bombardés. L’effet sur le moral de la troupe de la capacité ennemie à les frapper avec une extrême précision de jour, de nuit et par tous les temps fut dévastateur.
Le sort de la division Al-Nida illustre les effets de la campagne aérienne. Bien camouflée et dispersée, elle subit peu de dégâts durant la première semaine de guerre, seul un de ses bataillons d’artillerie étant détecté et détruit. Les Américains parvinrent cependant à localiser ses 42ième et 43ième brigades au début de la deuxième semaine, et les soumirent à des attaques intensives durant plusieurs jours. La division fut ensuite détachée pour renforcer le Iercorps, mais, à la fin de son transfert, elle ne comptait plus, de l’aveu de son commandant, que 1'500 hommes sur 13'000, 70 % des soldats ayant déserté. La plus puissante division de la garde républicaine fut littéralement dissoute par l’aviation de l’ennemi, sans même avoir pu affronter ses forces terrestres. Dans les derniers jours du mois de mars, une autre unité, la division Bagdad, chargée de la défense d’Al-Kut, affronta brièvement les Marines avant de retraiter vers Abou Ghraib. A la fin de son repli, sa taille était inférieure à celle d’une brigade.
Les gardes républicains réussirent cependant à riposter contre l’armada aérienne alliée à une reprise. Dans la nuit du 23 mars au 24 mars, 30 hélicoptères de combat AH-64 Apaches du 11th Aviation Helicopter Regiment de l’US Army furent envoyés pour frapper la division Al-Madina al-Munawwara. La formation fut prise à partie par un violent barrage de tirs d’armes automatiques et de missiles portables après avoir survolé Karbala. Les Irakiens avaient éteint puis rallumé l’éclairage de la cité pour donner le signal de l’ouverture du feu à l’ensemble de leurs unités. Tous les appareils engagés furent endommagés à des degrés divers par les tirs irakiens, même si un seul d’entre eux fut abattu et son équipage capturé. Réutilisant la ruse appliquée avec succès en 1991, les gardes républicains s’étaient abstenus de dévoiler leurs positions anti-aériennes avant que des cibles vulnérables ne s’aventurent à portée de tir. Contraints dès le début de l’affrontement à se lancer dans des manœuvres évasives, les pilotes américains ne purent revendiquer que la destruction d’une douzaine de chars, de quelques véhicules divers et six canons antiaériens S-60 de 57 mm, un maigre bilan compte tenu de la puissance de feu phénoménale de leurs AH-64.
T-72, abandonnés par leur équipages et qui survécurent aux frappes aériennes (via Wikimedia)

Le 2 avril, La 1st Brigade de la 3rd Infantry Division parvient à traverser l’Euphrate non loin de Karbala grâce un pont laissé intact par le génie irakien sur ordre de Saddam Hussein. Le fleuve représentant le dernier obstacle géographique majeur avant Bagdad, la réaction du commandement irakien fut de mobiliser tous les moyens disponibles pour réduire la tête de pont américaine. Des éléments de la 10ièmebrigade de la division Al-Madina al-Munawwara, de la 22ièmebrigade de la division Nabuchodonosoret de la 3ième brigade Magawir, soutenue par les unités d’artillerie disponibles, furent dépêchés par le IIème corps pour contre-attaquer. L’assaut irakien eut lieu dans la nuit du 2 au 3 avril, les éléments mécanisés progressant sur deux axes et les fantassins sur un autre. Peinant à coordonner leurs mouvements en pleine nuit, les soldats irakiens se firent massacrer par la puissance de feu américaine. Leurs blindés, équipés d’équipements de vision nocturne obsolètes, furent détruits à longue portée par les tirs à longue portée des Abrams, alors que leurs voies de retraites étaient pilonnées par les LRM ennemis. A l’aube, les unités déjà décimées furent encore soumises aux attaques aériennes. Les forces irakiennes laminées, la 3rd Infantry Division reprit sa progression et s’empara de l’Aéroport International Saddam, dans la périphérie de Bagdad, dans la nuit du 3 au 4 avril 2003.

Simultanément, la 2nd Brigadede la 3rd Infantry Division fut détachée au Sud-Est de la capitale pour éliminer les 2ième et 14ièmebrigades de la division Al-Madina al-Munawwara, laissés en arrière par la progression américaine. Progressant sur deux axes, les blindés américains prirent à revers les deux brigades simultanément. Les Irakiens, attaqués par derrière et dont les blindés étaient dispersés dans les palmeraies, furent incapables de réagir de manière coordonnée. Les soldats des deux brigades désertèrent en masse sous le choc. La 17ième brigade de la division Hammourabi fut également anéantie à l’Ouest de la capitale par d’autres éléments de la 3rd Infantry Division. Dans les jours suivants, des colonnes blindées américaines pénétrèrent dans Bagdad, surmontant facilement l’opposition fanatique mais désorganisée des éléments irréguliers cherchant à les stopper. Le 9 avril, une statue de Saddam Hussein fut renversée sur la place Firdos, symbolisant la chute de la ville, tombée sans être devenue le « Stalingrad sur le Tigre » que beaucoup craignaient. La résistance organisée cessa avec la disparition du raïs irakien.
L’inéluctable défaite
En 2003, les gardes républicains ne se battirent pas avec le même acharnement que lors de Desert Storm. A la différence de la guerre précédente, ils connaissaient l’étendue de leur infériorité face aux Américains. Usés par l’omnipotence de la menace aérienne, la plupart mirent à profit la confusion due aux combats pour déserter. Ainsi, en 2003, la résistance la plus acharnée fut le plus souvent l’œuvre des Fedayin Saddam. Il faut néanmoins tenir compte du fait que ces derniers combattirent fréquemment en milieu urbain, plus favorable que la campagne où les gros de la garde républicaine étaient déployés.
Mais, la faillite de la garde républicaine fut avant tout celle de son haut-commandement. Il s’avéra, dès le déclenchement des opérations, complètement coupé des réalités du terrain. Les informations transmises par les chefs des Fedayin Saddam et les dirigeants locaux du régime étaient le plus souvent lacunaires et d’un enthousiasme trompeur. Le 1er avril 2003, alors que l’US Army débouchait de la trouée de Karbala, Saddam Hussein ordonna le transfert de la division Al-Nida du IIème corps vers Ier. Le raïs était convaincu que la progression ennemie venant du Koweït était une diversion, et que l’offensive réelle proviendrait du Nord en partant de la Jordanie.
Le volume des forces terrestres coalisées était bien inférieur à ce qu’il avait été douze ans plus tôt, mais la rapidité de leurs mouvements désorienta les Irakiens. Ceux-ci ne disposaient pas de remède face à la mobilité alliée ; leur suprématie aérienne interdisant à leurs brigades de manœuvrer. Avant même que la guerre n’éclate, la seule liberté des Irakiens était de choisir leurs positions défensives et d’abandonner l’initiative à l’ennemi sans même pouvoir s’y adapter. Avec de tels désavantages, bien peu d’armées auraient pu mettre les Américains en difficulté dans un combat conventionnel. De surcroît, comparé à ses adversaires, la garde républicaine était mal armée et mal entraînée.


Conclusion

« Oui, les gardes jouent un rôle très important et nous en remercions Dieu. Quand les historiens écriront sur la garde de Napoléon, ils la placeront aux côtés de la garde républicaine irakienne »
Saddam Hussein

Cette affirmation du dictateur irakien peut faire penser, dans un premier temps, à une de ces fanfaronnades dont il était coutumier mais sa comparaison contient paradoxalement des éléments de vérité. Comme la garde consulaire puis impériale, la garde républicaine recruta en partie en puisant parmi les meilleurs éléments de l’armée régulière. Engagée dans les situations les plus critiques, elle servit aussi de dernier rempart avant l’effondrement. Comme pour sa consœur deux siècles plus tôt, sa montée en puissance eut nécessairement pour effet symétrique un affaiblissement de l’armée. Néanmoins, la garde républicaine, contrairement à son ancêtre française, portera toujours une tache indélébile ; celle d’avoir aussi été un instrument de répression au service d’un système totalitaire, et massivement utilisé en tant que tel. Mais, il est vrai qu’aux yeux du dictateur irakien, les massacres de civils n’avaient guère d’importance.
Cette brève histoire de la garde républicaine montre à quel point l’efficience d’un corps militaire ne peut être jaugée qu’en prenant aussi en compte le contexte politique dans lequel il évolue. En effet, les attentes, ou en d’autres termes, les missions implicites qu’il reçoit du pouvoir déterminent ensuite ses capacités purement militaires. De fait, la garde républicaine navigua constamment entre deux exigences antagonistes ; l’efficacité sur les champs de bataille et une soumission absolue au régime. A l’origine simple organe de protection des lieux de pouvoir, elle devint en quelques années une puissante force armée capable de mener des opérations interarmes à l’échelle du corps. Durant la longue guerre contre l’Iran, la survie politique du raïs reposait sur le succès de ses troupes. Conscient de cela, il accepta le retour d’une relative autonomie professionnelle au sein de celles-ci. Cette évolution chez Saddam Hussein rappelle celle de Staline après l’enclenchement de l’opération Barbarossa. Face à un ennemi extérieur et par pur pragmatisme, le dictateur redonne, à contrecœur, un peu de liberté et d’autonomie à ses officiers. Puis, dès la fin de la guerre Iran-Irak et encore plus après la défaite de 1991, le mouvement de balancier s’inversa, et autant qu’un atout, la garde devint une menace potentielle. La surveillance exercée à son encontre ne fit alors que s’accroître. Que cela se fisse nécessairement au détriment de sa capacité militaire devenait secondaire. Pour le raïs, la menace interne était devenue plus forte que la menace externe.
Enfin, le contraste entre l’efficacité de la garde républicaine en 1988 et ses cuisantes défaites de 1991 et 2003 souligne qu’il est vain d’évaluer les performances d’une armée sans prendre en compte les caractéristiques de ses adversaires.


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