Le billet a été mis à jour.
Le
front de l'est est un des grands oubliés1
de l'histoire militaire, et en particulier française. Je ne parle
pas du conflit germano-soviétique, de 1941 à 1945, mais bien du
front de l'est de la Première Guerre mondiale, où se font face
Allemands et Austro-Hongrois d'un côté, et Russes de l'autre, pour
l'essentiel. Alors que la commémoration du centenaire voit fleurir
les ouvrages et articles en français consacrés au front de l'ouest,
vu et disséqué sous tous les angles ou presque, ceux qui parlent du
front de l'est sont rarissimes, voire inexistants. Dans l'opinion
commune, l'armée impériale russe reste un « rouleau
compresseur » mis en échec dès le mois d'août 1914 à
Tannenberg, ravagé par l'alcoolisme, la désobéissance et la
désertion, et qui s'effondre comme un château de cartes en 1917.
Cette vision datée se base souvent sur la lecture d'ouvrages
dépassés qui font encore autorité aujourd'hui. Or, l'armée
impériale russe, pendant la Première Guerre mondiale, est loin
d'être ce colosse aux pieds d'argile que l'on se plaît et complait
à peindre encore et toujours. En réalité, les problèmes qu'elle
rencontre sont loin de lui être exclusifs, par rapport aux autres
pays engagés dans le conflit. Les buts de guerre et les objectifs
stratégiques ne font pas l'objet de dissensions. L'armée a reçu
les moyens nécessaires, et la Russie a été capable de mettre en
marche son économie de guerre. La structure stratégique et
opérative est appropriée et la structure opérative-tactique de
l'armée russe correspond à la doctrine d'avant-guerre. Ces
avantages sont éclipsés en 1914-1915 par plusieurs facteurs. Si
ceux-ci sont résolus en 1917, la Russie n'a pas réussi à surmonter
en revanche le problème des effectifs. C'est parce que ces problèmes
se combinent avec l'opposition politique et les contraintes
économiques sur la population qu'a lieu la révolution de février
1917, alors que paradoxalement l'armée russe a fait preuve d'une
grande faculté d'adaptation à partir de 19152.
Partons à la découverte d'une armée dissoute dans la tourmente des
révolutions de 1917, qui n'avait pas été vaincue militairement
jusqu'à cet événement déterminant, mais qui, par le discours des
bolcheviks qui lui ont succédé, parfois des récits des émigrés
« blancs » pourtant issus de cette même armée
tsariste, et d'une historiographie occidentale qui peine parfois à
sortir de son « pré carré », reste encore
largement dans l'ombre.
Stéphane Mantoux.
Une
armée « oubliée »
L'histoire
de la participation de la Russie pendant la Première Guerre mondiale
est souvent considérée comme une litanie de troubles, de
corruption et de défaites militaires. Globalement, on la résume à
la défaite de la 2ème armée de Samsonov à Tannenberg3,
à la « Grande Retraite » de 1915 et à
l'effondrement du régime tsariste en février 1917. Même les
historiens militaires allemands, qui ont pourtant réévalué l'armée
impériale du Kaiser comme une force semi-moderne avec ses
propres limites, continuent souvent de penser que l'armée impériale
russe s'assimile à une « parodie d'armée »4.
En réalité, la Russie a été en proie aux mêmes carences que les
autres belligérants : elle a parié sur une guerre courte, elle
a sous-estimé la dépense de munitions et d'obus, elle a consacré
beaucoup de ressources à une cavalerie qui ne servira jamais pour
des batailles mobiles d'exploitation. La pénurie d'obus en 1915 se
retrouve aussi à l'ouest, alors que les Etats en guerre s'empressent
de mobiliser toutes leurs ressources pour y pallier. L'incompétence
des officiers supérieurs n'est pas le seul fait de l'armée russe5.
Un extrait de L'Illustration, en novembre 1914 : une charge de cavaliers russes sur les lignes austro-hongroises, dans les Carpathes, alors que l'armée impériale s'apprête à entrer en Hongrie. |
Ce
tableau daté ignore aussi les succès remportés par l'armée
impériale jusqu'en février 1917 et les progrès de l'économie de
guerre jusqu'à la même date. Le désastre de Tannenberg6
est compensé par des succès très nets contre les Austro-Hongrois
en Galicie7.
Il est vrai qu'à l'été 1915, l'armée russe semble au bord de
l'écroulement. Elle est pourtant capable, un an plus tard, de monter
son offensive la plus victorieuse de la guerre. Celle-ci montre par
la même occasion que certains officiers russes, influencés par les
théoriciens d'avant-guerre comme Neznamov, sont en avance sur leurs
collègues européens en matière de guerre mobile pour dépasser la
guerre des tranchées au niveau tactique et opératif. Les
difficultés principales de la Russie en guerre demeurent
l'acheminement des vivres, des troupes et du matériel par chemin de
fer, l'inflation à l'arrière et la crise des effectifs. En février
1917, l'armée impériale russe est pourtant bien plus efficace
qu'elle ne l'était en août 1914.
David
R. Jones, grand spécialiste du sujet, divise le parcours de l'armée
russe en quatre phases successives. De juillet 1914 à avril 1915,
l'armée du temps de paix se mobilise, subit un revers en
Prusse-Orientale mais bat les Austro-Hongrois en Galicie et tient
devant Varsovie8,
tout en menaçant d'envahir la Hongrie et en repoussant les Turcs
dans le Caucase. D'avril à août 1915, l'armée russe subit les
coups du renfort allemand qui attaque en Galicie et souffre du manque
d'obus, d'un commandement inepte et de tactiques dépassées. Nicolas
II prend la tête des armées, réorganise la mobilisation de
l'économie de guerre en faisant des concessions à l'opposition
politique ; l'armée russe stabilise le front en Europe et
remporte d'autres succès dans le Caucase. D'août 1915 à
février-mars 1917, la situation s'améliore : l'armée russe
est capable de relancer des offensives dès décembre 1915 et
surtout, elle monte l'offensive Broussilov en juin 1916, qui, si elle
ne débouche pas sur une victoire stratégique et se conclut par le
désastre roumain9,
montre que l'armée impériale a amélioré ses capacités. Mais les
problèmes logistiques demeurent et notamment la Russie n'arrive pas
à alimenter correctement en nourriture et en pétrole ses grands
centres industriels. Le mécontentement, amplifié par les rumeurs,
gonflé par l'inflation, entraîne des grèves et des manifestations.
En pénurie d'effectifs, l'armée russe mobilise des réservistes
âgés qui ne sont pas très indiqués pour affronter les civils en
colère. L'opposition politique s'attaque au régime et jette le
discrédit sur celui-ci au front et à l'arrière.
Source :
Michael
S. NEIBERG et David JORDAN, The Eastern Front 1914-1920. From
Tannenberg to the Russo-Polish War, Amber Books, 2008.
|
Les mouvements initiaux.-Source : Michael S. NEIBERG et David JORDAN, The Eastern Front 1914-1920. From Tannenberg to the Russo-Polish War, Amber Books, 2008. |
Une
armée bien soutenue
L'armée,
historiquement, a eu beaucoup d'influence sur la formation de l'Etat,
du gouvernement et de la société russes. Le service militaire n'a
jamais été populaire mais il est accepté et c'est aussi une voie
d'ascension sociale. L'arriération supposée de la Russie a en fait
entraîné des réformes pour s'adapter à l'adversaire -celles de
Pierre Ier le Grand partent de l'armée pour s'étendre au reste du
pays. Cela signifie aussi que nombre de militaires sont des
réformateurs ou des innovateurs, et que la plupart servent également
dans l'administration. A la fin de la décennie 1840, des 10 des 13
ministres de Nicolas Ier sont des anciens de l'armée ou de la
marine. Le tsar a un rapport particulier avec ces anciens officiers
devenus serviteurs de l'Etat et avec son armée, pilier du régime.
Même avec l'instauration de la première Douma, en 1906,
Nicolas II se considère encore comme le chef des armées -il en
prendra la tête en août 1915. L'élite présente à la Douma,
revigorée par un sentiment antigermanique et nationaliste,
panslaviste pour certains, met l'armée et la flotte au premier rang
des priorités. Cette élite soutient l'armée et même pendant la
guerre, empêchera des négociations séparées avec l'Allemagne ;
mais elle ne constitue, jusqu'aux soviets de 1917, qu'une part infime
de la population10.
Le tsar Nicolas II de Russie. |
Malgré
tout, les ressources pour le développement de l'armée et de la
flotte sont limitées et entravées par l'inefficacité
bureaucratique, la corruption, des rivalités armée-marine, et par
des conflits à l'intérieur du ministère de la Guerre, entre les
différentes branches. Le corps des officiers supérieurs est très
hétérogène, mais se divise moins, comme on l'a souvent dit, entre
des patriciens conservateurs et des réformateurs issus de plus
humbles origines sociales. Un Broussilov ne rentre pas dans ce
schéma, étant noble et n'ayant jamais suivi les cours de l'académie
d'état-major, et se montrant pourtant l'un des plus innovants11.
Les
octobristes de la troisième Douma cherchent à restaurer leur
influence en créant une commission militaire chargée d'examiner les
propositions budgétaires. Excédé, Nicolas II supprime, en 1908, le
conseil d'Etat à la Défense du grand duc Nicolas et nomme
Soukhomlinov d'abord chef de l'état-major général, puis ministre
de la Guerre en 1909. Ce dernier assure son autorité en concentrant
tous les pouvoirs et en réduisant à une coquille vide l'état-major
général, dont le titulaire change quatre fois entre 1909 et 1914...
si l'autorité de ces chefs d'état-major est fragilisée, ceux qui
les dénigrent comme des incompétents oublient aussi que ces
personnages sont surtout faits pour des tâches de temps de paix, et
que certains joueront un rôle important à l'arrière pendant la
guerre – comme Yanoushkevich12,
un spécialiste du ravitaillement dont les idées sont incorporées
dans le manuel de campagne de 1914. Cependant, il est vrai que
l'autoritarisme et les manières de Soukhomlinov le coupent de la
Douma, qui aura tendance à davantage discuter avec la marine.
A
la déclaration de guerre, si l'élite se réjouit, à quelques
exceptions près, les divisions reviennent dès le début 1915, quand
Nicolas souhaite prendre la tête des troupes -ce qui se réalise en
août. L'opposition politique, que le tsar a souhaité neutraliser
par ce geste, répand alors une propagande hostile au régime
jusqu'en février 1917, et en particulier à destination des
officiers subalternes, à l'arrière et au front. Gouchkov, un de ses
leaders, va même jusqu'à écrire au chef d'état-major Alekseev
pour essayer de le gagner à sa cause. L'opposition n'a cependant
jamais réussi à rallier l'armée pour un coup d'Etat ; mais
elle a contribué à la mauvaise image de l'armée et surtout des
officiers, et a accru les divisions et le mécontentement qui
éclateront au grand jour en 1917.
Si
le revenu national russe augmente de 80% entre 1900 et 1913, un tiers
du budget de l'Etat est absorbé par l'armée et par la flotte entre
1909 et 1913. Le ministre des Finances Kokovtsov parle lui de 43%
pour 1909-1910. De 1913 à 1914, les Allemands estiment les dépenses
russes supérieures aux leurs, ce qui n'est pas sans les inquiéter
quant à l'état des forces après que les chantiers russes aient été
bouclés. Ces dépenses se font aussi au détriment de celles
consacrées à l'éducation et à la santé, qui en retour
influencent le potentiel militaire. La « société »
russe est pourtant capable de faire tourner les industries d'armement
d'Etat, les grandes entreprises privées et les plus petites, sans
parler du renfort étranger, pour fournir à l'armée ce dont elle a
besoin. La Russie finance son effort de guerre en augmentant les
impôts directs et indirects, en empruntant, surtout au Royaume-Uni,
mais essentiellement par l'émission de papier-monnaie -qui en retour
entraîne l'inflation, et à long terme fragilise l'économie et la
société jusqu'en 1917, mais pas l'armée13.
La
pénurie de matériels : le prétexte à un jugement expéditif
L'une
des questions qui fait le plus débat, dès la guerre elle-même, et
qui est souvent reprise par la suite, jusqu'à devenir, il faut bien
le dire, un véritable poncif, est celle de la pénurie d'obus
d'artillerie et de fusils. Elle n'est pas forcément due, comme on le
croit trop souvent, à des problèmes de fonds ou à l'incapacité de
l'artillerie d'envisager correctement la consommation des pièces
dans une guerre moderne. En réalité, la Russie a hésité à
développer de vastes arsenaux d'Etat spécialisés en temps de paix
et à solliciter l'industrie privée pour essayer de produire à des
coûts compétitifs. Pourtant, l'aviation russe14,
en 1914, est la deuxième du monde, et 4 compagnies nationales
arrivent à fournir 80% des besoins mensuels entre 1915 et 1916. En
revanche, la Russie est en retard dans la fabrication des moteurs
d'avion, ce qui soulève la question de l'aide inter-alliée.
L'aviation constitue l'exception ; dans aucun autre secteur
l'Etat ne sollicite une petite industrie en plein décollage. Il se
trouve aussi que l'industrie privée d'armement n'est pas un gage
d'efficacité supplémentaire en Russie. La solution consiste donc à
développer les arsenaux d'Etat, comme cela sera fait en 1916 :
le département de l'Artillerie a lui seul crée 37 usines
supplémentaires. L'artillerie, avant la guerre, compense cette
faiblesse en stockant les canons et les obus. En partant d'une base
de 1 000 obus par canon (ce qui est inférieur aux moyennes allemande
et française, elles-même insuffisantes), l'armée russe a 7
millions d'obus stockés en 1914. La pénurie d'obus de 1915
s'explique par d'autres raisons. La première est que les artilleurs
eux-mêmes, alliés au grand duc Nicolas, contraignent Soukhomlinov à
réarmer en artillerie et à moderniser les vieilles forteresses de
Pologne, ce qui détourne des fonds pour le rééquipement en
artillerie de campagne de l'armée. En outre, les Allemands, par la
prise relativement facile en 1915 des forteresses de Kovno et de
Novogeorgievsk, capturent 3 000 canons et 2 millions d'obus. La
pénurie d'obus, réelle, est donc amplifiée par des décisions
d'avant-guerre, les problèmes tactiques et l'incapacité de la
Stavka à gérer les stocks disponibles15.
Ci-dessous, trois cartes montrant les combats initiaux en Prusse-Orientale, jusqu'à la victoire allemande de Tannenberg. -Source : Source : Michael
S. NEIBERG et David JORDAN, The Eastern Front 1914-1920. From
Tannenberg to the Russo-Polish War, Amber Books, 2008.
Pour
les fusils, le ministère de la Guerre estime, avant le conflit,
qu'il a besoin de 4,2 millions de Mosin Nagant M1891 et de 348 000
Berdankas. Le tout complété par une production annuelle de 700 000
fusils par les arsenaux d'Etat au déclenchement de la guerre. Au 2
août 1914, l'armée russe dispose de plus de 4,6 millions de fusils
en réalité. Mais la mobilisation initiale en requiert 5 millions,
et 5,5 millions de plus pour les vagues suivantes, sans parler de 7
200 000 pour compenser les pertes et autres motifs d'élimination. Un
peloton de mitrailleuses de 8 pièces est attaché à chaque régiment
d'infanterie, ce qui fait au total 4 990 mitrailleuses et 500 par an
produites une fois la guerre déclenchée. Mais seulement 4 157 sont
disponibles en 1914 et l'armée a sous-estimé les pertes mensuelles
de ce matériel. Dès 1915, les arsenaux sortent 350 mitrailleuses
par mois et un millier en 1916. L'armée russe aligne 7 650 pièces
de campagne et 7 903 pièces lourdes en 1914, un peu moins que les
totaux prévus avant-guerre. En réalité, une grande partie des
pièces lourdes est immobilisée dans les forteresses, et une
division d'infanterie russe a deux fois moins de canons qu'une
division allemande. Il ne reste que 164 pièces lourdes à
disposition de l'armée... Pour les munitions, l'état-major estime,
après la guerre russo-japonaise, en 1906, qu'il faut produire 1 000
balles par fusil et 300 bandes de cartouches (75 000) par
mitrailleuse, soit plus de 3,3 milliards en tout. L'état-major
descend à 2,8 milliards, et en 1914, il n'y a que 2,446 milliards de
cartouches en stock. C'est le cas le plus flagrant d'impréparation
quant au matériel. En réalité, les pénuries n'ont rien à voir
avec une arriération industrielle ou un manque d'argent, mais
renvoient à des choix et des estimations d'avant-guerre faites sur
le pari d'une guerre courte.
En
réalité, en juin 1914, à la veille de la guerre, l'armée russe se
lance dans un « grand programme » qui doit amener
des changements spectaculaires d'ici à 1917, ce qui ne laisse pas
d'inquiéter von Moltke, le chef d'état-major allemand. La pénurie
de munitions, et en particulier d'obus, se fait jour dès les
batailles de Prusse-Orientale, en août 1914. Le ravitaillement de
l'armée dépend du ministère de la Guerre, en particulier de
l'administration principale de l'état-major général, dirigé par
Beliaev après le départ de Yanoushkevich. Mais ce département, où
l'artillerie est dominante, est coupé de la réalité du terrain ;
en outre les artilleurs ont un dédain pour l'infanterie et le
ministre de la Guerre, et croient que les fantassins exagèrent les
besoins en obus. Ce sont pourtant les mêmes qui ont poussé pour le
renforcement des forteresses en canons et en munitions, cachant même
certains emplacements de stockage à la Stavka de peur que
celle-ci y puise allègrement. La Russie développe donc l'achat à
l'étranger, en particulier dans les pays anglo-saxons, mais se
heurte à des rivalités internes ; en 1915, elle produit 11,2
millions d'obus et n'en importe qu'1,4 millions. En novembre 1916,
seuls 7,1 millions des 40,5 millions d'obus commandés ont atteint la
Russie. Le problème est le même pour les commandes de fusils
américains : sur 3,6 millions commandés en tout, à peine 400
000 sont arrivés en février-mars 1917. La Russie ne produit que 860
000 fusils en 1915 là où il en faudrait 200 000 par mois16.
Une
arme comme l'aviation illustre les choix faits avant la guerre17.
Comme on l'a dit, en 1914, l'aviation russe est la deuxième du
monde : 244 avions répartis en 39 escadrilles, 12 dirigeables,
plus de 300 pilotes formés. Le « grand programme »
de juin 1914 prévoit la formation de 28 escadrilles supplémentaires
et la création de deux nouvelles écoles d'aviation. Des pilotes
russes connaissent une gloire internationale comme Efimov et
Nesterov. En réalité, la flotte d'appareils russes est hétérogène
et âgée, et l'industrie civile ne progresse pas suffisamment pour
servir de tremplin à l'aviation militaire. L'état-major général
de l'armée russe confisque le commandement de l'aviation et confond
son utilisation stratégique et tactique18.
Pourtant,
dès septembre 1911, lors de manoeuvres dans le district militaire de
Varsovie, des pilotes russes conduisent l'interception d'un
dirigeable. En 1913, le lieutenant Poplavko monte une mitrailleuse
Maxim dans le nez du cockpit d'un Farman XV, tandis que
Nesterov travaille les manoeuvres horizontales et verticales.
Nesterov lui-même périt dès septembre 1914 en éperonnant en vol
un Albatros B II biplace austro-hongrois, avec son Morane
Saulnier type G. Nesterov, dont l'escadrille était basée à
Dubno, avait essayé de pallier l'absence d'armement en montant un
couteau sur la partie arrière du fuselage en août, puis une corde
lestée pour détruire, depuis le haut, l'hélice d'un appareil
adverse (!)19.
Au début de 1915, un autre pilote, Kozakov, remplit une ancre de
marine de poudre, l'attache au bout d'une corde, et cherche à la
jeter sur un Albatros allemand, le 18 mars, au-dessus de la rive
droite de la Vistule. Il en vient finalement à l'éperonnage,
parvient à détruire l'appareil ennemi et à se poser tant bien que
mal.
Les
Russes ne disposent d'une aviation de chasse, à raison d'une
escadrille par armée, qu'à la fin 1916. Comme les Allemands
transfèrent des unités de chasse, en particulier du secteur de
Verdun, après les succès de l'offensive Broussilov à l'est, les
Russes, qui ne peuvent rivaliser en nombre d'appareils, concentrent
leurs chasseurs sur les endroits critiques. Le 1er groupe d'aviation
de chasse, à trois escadrilles de pilotes expérimentés, est formé
en août 1916 : il doit éliminer les chasseurs ennemis,
escorter les appareils de reconnaissance et éventuellement mener des
reconnaissances indépendantes sur les arrières adverses. Le 1er
groupe est engagé au-dessus du Lutsk, sur le Front du Sud-Ouest,
dans la seconde moitié d'août 1916. A la fin de l'année, il n'y a
cependant que 12 escadrilles de chasse pour tout le front, ce qui est
infime. Les chasseurs sont dispersés pour protéger les appareils
d'observation. 3 autres escadrilles seulement sont formées en 1917,
ainsi que deux autres groupes de chasse, un pour le front du
sud-ouest et un pour celui du nord-ouest. Dès le début 1917,
plusieurs pilotes russes publient des textes pour partager leur
expérience et définir les caractéristiques d'un meilleur chasseur
et diffuser l'apprentissage de techniques de combat modernes, sans
parler de réflexions sur l'organisation de la chasse. La Russie
commence à travailler sur des mitrailleuses à tir synchronisé à
travers l'hélice à partir de la fin 1915, mais seuls deux douzaines
d'appareils équipés de ce système sont opérationnels en avril
191720.
Un Morane-Saulnier type I en service dans la chasse russe, probablement en 1916 ou 1917. |
En
mai 1915, des tentatives sont faites pour essayer de créer une
structure coordonnant l'effort de guerre, mais les rivalités
bureaucratiques, de personnes et entre Etat et industrie privée
retardent sa création jusqu'au mois d'août. Le Conseil Spécial
pour la Défense devient l'organisation principale et concentre les
moyens dans les grosses firmes déjà existantes. En 1917, la
production d'obus a explosé à +2 000%, celle de l'artillerie s'est
accrue de 1 000% et celle des fusils de 1 100%. Pendant la guerre, la
Russie sort 20 000 canons de campagne alors que seulement 5 625 sont
reçus de l'extérieur. En septembre 1916, elle fabrique 2,9 millions
d'obus par mois, et 1,482 milliards de cartouches pendant l'année.
L'armée russe passe de 10 000 téléphones de campagne à 50 000 en
1916. Les cinq usines automobiles principales livrent, en 1916, 6 800
véhicules, 1 700 motos. L'usine d'Etat de Toula passe de 60
mitrailleuses produites par mois avant la guerre à 1 200 en octobre
1916. Malheureusement, cet effort impressionnant se fait au détriment
de la production de consommation et entraîne un mécontentement
certain à l'arrière21.
Le
« rouleau compresseur » russe : une illusion
Le
mythe du « rouleau compresseur » russe a la vie
dure. Le manque d'effectifs est pourtant le problème le plus criant
fin 1916, auquel les autorités vont réussir à répondre, encore
une fois, tant bien que mal. Le problème, là encore, remonte à
l'avant-guerre et aux réformes sur la conscription de 1874. Après
le désastre de la guerre de Crimée, l'armée russe commence à se
remodeler pour faire face aux exigences de la guerre moderne. La loi
de conscription de 1874, avancée par le ministre de la Guerre
Milioutine et les réformateurs militaires qui l'entourent, se calque
sur le modèle prussien et cherche à traduire le concept de « nation
en armes »22.
Après 1905, au moins 20% des hommes adultes en âge de servir sont
passés par les forces armées et sont retournés dans la vie civile.
Mais l'ambition de Milioutine est un échec : l'éducation
prévue pour les recrues, qui n'est en réalité traduite dans les
faits qu'après 1905, et pas complètement, n'entraîne pas
l'apparition d'un « sens civique ». Le métier de
soldat est peu attractif et par ailleurs, les classes éduquées sont
pour beaucoup exemptées, ce qui préserve la fracture entre l'élite
étroite et la masse des paysans et artisans non éduqués. A la
déclaration de guerre, si l'élite manifeste sa ferveur patriotique
avec enthousiasme23,
de nombreux observateurs notent que les paysans, eux, sont très
résignés. Une bonne partie des soldats est illettrée, mais cela
n'a pas empêche les soldats d'être sensibles à la propagande de
l'opposition ou, plus tard, à celle des bolcheviks... en réalité,
depuis le XVIIIème siècle, le soldat russe a fréquemment
impressionné ses adversaires, même dans la défaite. « Les
défaites font apparaître l'armée russe comme bien inférieure à
ce qu'elle est en réalité ; prise dans son ensemble, c'est en
réalité une bonne armée », affirme un observateur
britannique à l'issue de la guerre russo-japonaise24.
Chaque
année, l'armée russe absorbe donc environ 20% des hommes en âge de
servir, et encore, en sélectionnant. En 1874, cela donne 150 000
recrues ; 320 000 en 1900 ; et 450 000 en 1906. L'armée
russe n'a en réalité pas les moyens d'intégrer plus de recrues.
Elle cherche à maintenir 800 000 cadres et conscrits permanents
renforcés de 550 000 réservistes. Ce nombre réduit s'explique par
le manque de moyens de transport, l'étendue du pays et la difficulté
à mobiliser les réserves. En 1874, le soldat russe, mobilisé à 21
ans, sert donc 5 ans, passe 9 ans dans la réserve active et, avant
1906, reste dans la milice territoriale jusqu'à l'âge de 38 ans. La
milice territoriale se divise entre ceux qui combleront les trous une
fois la réserve épuisée et ceux qui assurent les tâches de
l'arrière. De 1874 à 1909, le temps de service actif diminue au
profit de la réserve ; les forces armées comptent alors plus
de 1,348 millions d'hommes sous les armes. En 1912, une dernière
réforme cherche à supprimer les différences entre élite et masses
paysannes. Le chef de la section mobilisation de Soukhomlinov,
Loukomskii, fait redéployer des unités de la frontière vers
l'intérieur, dans les zones peuplées ; au lieu de compléter
leurs effectifs à la frontière en attendant les réserves, ces
unités seront acheminées directement au front à effectif plein.
C'est ce facteur qui explique la rapidité de la mobilisation russe
en août 1914, mais également que les militaires plaident alors
devant Nicolas II pour une mobilisation totale, non partielle, ce qui
accélère l'enchaînement qui conduit au conflit. Au 1er janvier
1914, la Russie dispose de 1,423 millions d'hommes sous les armes ;
elle forme seulement 25% des hommes adultes en âge de servir, bien
moins que la France ou l'Allemagne. Avec les réservistes et les
territoriaux, ce sont 6,553 millions d'hommes qui sont mobilisés à
la fin de 191425.
Image célèbre montrant Nicolas II présentant une icône aux troupes. |
En
réalité, jusqu'en 1917, et en dépit de problèmes de sources sur
les chiffres exacts, la Russie ne mobilise que 14 à 15 millions de
soldats26
sur une population d'environ 170-180 millions d'habitants : on
est loin du « rouleau compresseur » rêvé par les
alliés occidentaux. Et ce d'autant plus que la Russie hésite à
mobiliser ses réserves, comme on le voit à la fin 1916. Les pertes
ont été énormes, particulièrement au début de la guerre, avec
300 à 400 000 hommes perdus chaque mois. La Russie perd en tout,
jusqu'en 1917, probablement 7 à 7,5 millions d'hommes, dont 2,4
millions de prisonniers et 1,6 à 1,8 millions de tués. Les pertes
sont de 4 millions jusqu'à décembre 1915. Les militaires piochent
alors dans la réserve et la milice entraînée pour combler les
pertes, mais les deux catégories ne fournissent pas plus de 3
millions d'hommes en deux ans et demi. C'est pourquoi la Russie doit
se résoudre à mobiliser la territoriale, avec 900 000 hommes dès
septembre 1915. Mais cette levée provoque des troubles, et
l'extension de la conscription entraîne une révolte sérieuse en
Asie Centrale en 191627.
Les derniers miliciens entraînés levés en octobre 1917, cantonnés
dans les garnisons à l'arrière, jouent un rôle important dans
l'insurrection à Petrograd.
Le
nombre de personnels compétents peut paraître réduit au regard des
standards occidentaux. Pourtant, la Russie a eu une élite
d'inventeurs pionniers de l'aviation28
et l'industrialisation entraîne l'apparition d'une classe ouvrière
avec des connaissances techniques. Mais l'armée russe manque de
sous-officiers et d'officiers. En avril 1914, le déficit est de plus
de 3 300 dans cette dernière catégorie. Le pire, ce sont les
sous-officiers : deux par compagnie en moyenne en 1903, le taux
le plus faible des futures nations en guerre. C'est le principal
échec de la réforme de Milioutine. Malgré des efforts faits en ce
sens pendant le conflit, pour entraîner et former les meilleurs
soldats à l'arrière, l'armée russe reste encore, en 1916, en
pénurie de sous-officiers. Pour les officiers, la situation est à
peine meilleure. Aux 40 590 réguliers s'ajoutent plus de 20 740
réservistes. 3 000 soldats sont promus en urgence, ce qui augmente
encore la pression sur les sous-officiers ; combinée avec
d'autres actions, la mesure permet de porter à 70 000 le corps des
officiers en 1914. Mais les pertes se montent déjà à 60 000 en
juillet 1915. Le chiffre des officiers en ligne tombe à 15 777 en
septembre, ce qui pénalise aussi l'entraînement à l'arrière. Un
sursaut en 1916 porte le nombre des officiers à 80 000, et 133 000
en mai 1917, alors que 107 000 officiers ont été perdus depuis
1914. Ce renouveau vient de la formation élargie donnée par les
écoles militaires et d'autres nées pendant le conflit : 34
écoles en 1916, qui fournissent quelques 40 000 officiers.
Conséquence : le fort taux de renouvellement du corps ;
en 1917, seuls 10% des réguliers de 1914 sont encore présents,
surtout en état-major. La majorité des officiers est donc issue
directement de la guerre. A la fin de l'année 1916, 70% des
officiers subalternes sont d'origine paysanne et seulement 10% sont
passés par les écoles militaires29.
La structure de l'ancienne armée impériale a pour bonne partie
disparu en 1915. Ce renouveau spectaculaire a un coût : le
moral bas à l'arrière et au front, que l'on retrouve ailleurs, à
la fin de 1916, est aggravé en Russie par les difficultés
politiques.
Une
stratégie claire
Si
politiquement, la Russie est divisée pendant la Première Guerre
mondiale, les buts de guerre stratégiques, eux, font consensus. La
Russie doit rester une grande puissance, à travers l'action de ses
forces militaires. Après 1870, Moscou pense se rapprocher de
l'Allemagne, mais l'attitude de plus en plus hostile de celle-ci la
pousse vers la France à partir de 1894, et vers la Grande-Bretagne
après 1908. La Russie s'intéresse surtout aux Balkans et à la
Turquie : il s'agit d'empêcher Allemagne et Autriche-Hongrie de
trop grignoter la « sphère slave » et d'accéder
à la Méditerranée via les détroits, en faisant exploser l'empire
ottoman. C'est pourquoi la Russie a plusieurs préoccupations
stratégiques : soutenir l'allié français, conserver les
Balkans, protéger le Caucase. Ces considérations influencent la
planification stratégique d'avant-guerre30.
La
montée de l'Allemagne comme puissance dominante en Europe menace la
frontière ouest de l'empire russe. Les réformes de Milioutine à
partir de 1873-1874 visent à contrer l'influence allemande et à
envisager une guerre contre une coalition germano-austro-hongroise31.
L'Autriche-Hongrie remplace progressivement l'empire ottoman, dans
les Balkans, comme adversaire entrant en collision avec les intérêts
stratégiques russes. L'alliance avec la France place alors la Russie
dans un dilemme stratégique. Celle-ci souhaite en effet frapper
l'Autriche-Hongrie, l'adversaire le plus faible, en premier, au
sud-ouest. Mais, pour soulager la France de l'assaut allemand, il
faut planifier une offensive au nord, contre l'Allemagne, ennemi le
plus fort. Problème : le déploiement initial se fait dans le
saillant polonais, menacé d'être cisaillé par les Allemands depuis
la Prusse-Orientale et par les Autrichiens en Galicie. Pour empêcher
cette manoeuvre, les Russes construisent une série de forteresses en
Pologne dans les années 1880-1890 afin de déployer leurs troupes en
sécurité. A partir de 1902, l'armée russe prévoit un front nord
et un front sud-ouest pour lancer une double offensive simultanée.
Après la guerre russo-japonaise, la Russie revient à une posture
défensive dans le saillant polonais pour achever sa concentration.
Mais en 1909, il est devenu évident que la France sera visée en
premier par les Allemands ; en outre, les emprunts français ont
permis de développer les chemins de fer pour accélérer la
concentration32.
C'est pourquoi en 1912, Soukhomlinov prévoit finalement, à travers
le plan 19, une offensive contre les Allemands avec la majorité des
forces, en déployant les troupes en avant.
La
Russie promet aux Français d'engager 800 000 hommes en quinze jours.
Mais le plan 19 est modifié : le gros des forces, finalement,
attaquera les Autrichiens tandis que des forces plus réduites se
lanceront contre les Allemands. Une réserve est maintenue près de
la capitale, Saint-Pétersbourg. Le plan, en soi n'est pas mauvais.
La faillite principale réside dans le maintien des forteresses
polonaises, qui ne posent vraiment problème qu'à partir de 1915.
L'échec en Prusse-Orientale est surtout dû à un commandement
défaillant et à une mauvaise coordination entre les deux armées
russes ; en Galicie, l'armée impériale remporte des succès
impressionnants face aux Austro-Hongrois33.
La planification d'avant-guerre n'est donc pas en cause. Les Russes
ne peuvent de toute façon pas convaincre les Français de se mettre
en défensive le temps qu'ils aient complètement achevé leur
mobilisation -car ils partagent, comme les Français, un certain
dogme de l'offensive34,
inspiré des leçons de la guerre de 1870-1871 ; les nations
européennes envisagent des guerres courtes, où les armées doivent
remporter rapidement des victoires décisives. Les Russes ont
également tenu compte des exigences d'une guerre de coalition par la
suite : en mars 1916, ils lancent une attaque (infructueuse) sur
le lac Naroch pour soulager les Français à Verdun ;
l'offensive Broussilov en juin est destinée, au départ, à soulager
le front italien pressé par les Austro-Hongrois. Ils coopèrent avec
les Anglais contre les Turcs, participent à l'armée de Salonique et
envoient même une brigade en France.
La Grande Retraite de 1915 devant l'offensive allemande. -Source : Michael S. NEIBERG et David JORDAN, The Eastern Front 1914-1920. From Tannenberg to the Russo-Polish War, Amber Books, 2008. |
La campagne éclair de l'Allemagne en Roumanie.-Source : Michael S. NEIBERG et David JORDAN, The Eastern Front 1914-1920. From Tannenberg to the Russo-Polish War, Amber Books, 2008. |
Les
réformes, depuis 1874, ont en revanche échoué à fournir à la
Russie des structures institutionnelles pour avoir une direction
stratégique de la guerre et des directives opérationnelles pour
l'administration, surtout après la guerre russo-japonaise. Le tsar
assume le commandement des armées, soutenu par le chef de
l'état-major général à la Stavka, tandis que le ministère
de la Guerre fait la courroie avec le monde politique et s'occupe de
l'arrière. En réalité, cette construction simple est bafouée dès
le début de la guerre par Nicolas II qui nomme le grand duc Nicolas
commandant suprême, ce qui complexifie la chaîne et entraîne des
querelles de personnes, vu le caractère du personnage. Aucune des
institutions ne collabore avec les autres et le commandement
stratégique atteint son nadir avec la Grande Retraite de 1915, avant
que Nicolas II ne rétablisse la situation en prenant la tête des
armées. Le nouveau chef d'état-major, Alekseev, stabilise le front,
et l'armée russe est capable de se reprendre et de lancer des
offensives en 1916. La Stavka se montre capable d'intégrer
ses plans stratégiques à une coordination interalliée à
Chantilly, en décembre 1915. A la fin de 1916, l'armée russe est
désormais correctement équipée, avec une base industrielle
reconstruite et hors de portée de l'ennemi, qui tourne à plein
régime. Elle dispose de nombreux dépôts de ravitaillement et
d'hôpitaux de campagne satisfaisants. Le problème le plus important
reste le manque de voies ferrées, en particulier nord-sud, qui
empêche de jouer des lignes intérieures et de transférer des
réserves, comme cela se produit pendant l'offensive Broussilov en
1916. La compétence stratégique de l'armée russe, réelle, est
gâchée par la séparation front-arrière en 1914, le « règne »
désastreux du grand duc Nicolas, avant de s'exprimer plus
franchement après la reprise en main effectuée par le tsar.
Une
avance en termes opératifs... trop précoce ?
Au
niveau opératif, la création des fronts, entre les armées et la
Stavka, est le témoignage des évolutions de la réflexion
doctrinale russe depuis la guerre russo-japonaise, en particulier.
Les fronts ont la tâche d'organiser leur propre ravitaillement et de
surveiller leur arrière. L'autonomie très grande que le commandant
de front peut laisser à ses chefs d'armées explique en partie
l'échec de la 2ème armée russe de Samsonov à Tannenberg35,
celui-ci disposant en outre de peu de moyens de communications ou de
reconnaissance modernes. Les Russes tablent toujours sur une guerre
courte, menée par des colonnes mobiles appliquant la combinaison des
armes : c'est entre autres la traduction des idées de penseurs
comme Neznamov, qui envisage déjà une succession d'opérations, aux
buts bien définis, au niveau du corps d'armée et de l'armée. Cette
théorie est limitée par les conflits entre branches de l'armée
(l'artillerie méprise l'infanterie, comme on l'a dit) et par la
vitesse encore réduite des unités -même la cavalerie, qui
progresse plus rapidement, manque désormais de puissance de feu pour
surmonter tous les obstacles imposés par une guerre moderne. En
réalité, les théories de Neznamov devront attendre la diffusion
massive du moteur pour commencer à connaître un début
d'application36.
Les
Russes ont eu beaucoup de mal à se défaire des principes tactiques
d'un Dragomirov, qui insistait sur la primauté de l'élan et de la
volonté sur le feu ennemi. L'armée russe n'analyse pas ses propres
performances récentes, comme la guerre contre la Turquie en
1877-1878. Elle reste attachée à l'enseignement de Jomini, qui
définit la stratégie comme une chose simple, séparée du
politique, et qui insiste sur les manoeuvres offensives ; elle
néglige Clausewitz qui lui articule stratégie militaire et
politique et reste persuadé de la supériorité de la défense. Les
officiers qui partent se battre contre les Japonais en 1904-1905 sont
influencés par l'enseignement de Leyer, qui officie à l'académie
de l'état-major général et qui voue une admiration sans borne à
Napoléon. Leyer cependant pousse certains officiers, comme
Mikhnevich, à s'interroger sur des concepts comme celui d'opération,
dont celui-ci fournit une définition en 1891. L'année suivante, le
banquier polonais Bloch publie un ouvrage qui influence la pensée
militaire russe : il envisage déjà une guerre d'usure où le
front et l'arrière ne sont pour ainsi dire plus séparés, et
propose une stratégie correspondante d'usure pour l'emporter. A
partir de ce livre, certains officiers russes pensent alors que la
clé pour gagner la prochaine guerre sera la résistance de
l'infrastructure socio-économique et la capacité de l'Etat à
supporter ladite usure. Mikhnevich, bien qu'encore lié à la vision
de Leyer, plaide aussi pour une histoire militaire embrassée comme
une science37.
Mikhaïl Dragomirov a laissé son empreinte sur la tactique de l'armée russe, encore appliquée en 1914. |
La
guerre russo-japonaise ruine l'enseignement de Leyer. En plus de la
découverte de la létalité des armes modernes, due aux progrès
technologiques, les manoeuvres ne correspondent plus à la bataille
d'encerclement comme à Sedan en 1870 ou à celles de la guerre
russo-turque, mais à des fronts très étendus et en profondeur. Les
combats de rencontre sont les plus fréquents. Les Russes découvrent
les enseigements d'un Clausewitz ou d'un Moltke l'Ancien : mais
pour contrer la puissance de feu et remporter les combats de
rencontre, ils misent sur l'offensive. Le colonel Gerua, en 1907,
tente de relier les concepts tactiques de Dragomirov à la stratégie
de Leyer : partant du mot allemand operativ, il forge le
terme d'operatika. Mais c'est le lieutenant-colonel Neznamov,
qui enseigne à l'académie de l'état-major général, influencé
par les écrits allemands, qui réalise le pont entre stratégie,
opératif en cours de définition et tactique. Un de ses étudiants,
Chapochnikov, future figure importante de l'Armée Rouge sous
Staline, se souviendra de cet enseignement. Les étudiants s'en
détournent cependant lorsqu'ils voient que ces idées viennent d'un
Allemand, von Schlichtling, traduit pour la première fois en russe
en 1909. Neznamov est catalogué comme « occidentalisant ».
Mikhnevich, dans sa Stratégie publiée en 1911, envisage
désormais une guerre d'usure, pour laquelle il considère que la
Russie a des atouts en raison de son « arriération »,
dans la lignée des slavophiles ; il prend aussi en compte les
avancées technologiques comme la poudre sans fumée.
Neznamov,
qui comme Mikhnevich étudie la préparation de la prochaine guerre,
pense que celle-ci ne peut-être remportée que par un plan judicieux
combinant des opérations. Plaidant pour la mobilisation de la
société et du politique dans l'effort de guerre, Neznamov, à
l'encontre de Mikhnevich, est aussi pour une concentration des plus
rapides, au lieu d'échanger l'espace contre le temps dans la
profondeur stratégique. Influencé par ses analyses de la guerre
russo-japonaise et la lecture des penseurs allemands, il pense que
les opérations successives doivent être menées par des groupes
d'armées. Les Russes passent ainsi de l'enveloppement, cher à la
pensée militaire allemande, à la notion de rupture du front, grâce
à la combinaison des armes, suivie d'une exploitation dans la
profondeur et d'une désorganisation systémique -concepts que les
Allemands, eux aussi, ont abordé. Le colonel Svietchine, en 1913,
envisage une guerre d'usure, dans le cadre d'un conflit de coalition
où le centre de gravité stratégique se déplace selon lui vers
l'est, et la Russie. Il ne croit pas que la décision puisse être
emportée rapidement et plaide pour un équilibre entre offensive et
défensive. Il sera, avec d'autres, l'un des passeurs de la réflexion
tsariste d'avant-guerre au sein de l'Armée Rouge38.
Un
problème tient au commandement russe, qui semble défaillant en
1914-1915. Entre 1906 et 1909, des efforts ont pourtant été faits
pour améliorer la formation des officiers supérieurs, avec plus ou
moins de succès39.
La qualité des officiers subalternes est également variable et
change selon les armes, aussi. En réalité, beaucoup d'officiers
sont affectés à des tâches d'administration et non de
commandement, ce qui explique certaines lacunes. Les manoeuvres
avaient la réputation d'être plus des parades que de réels
exercices opérationnels. Elles ne prennent pas en compte la
reconnaissance, les fortifications de campagne et la puissance accrue
du feu de l'artillerie. Un exercice militaire dans le district de
Kiev en avril 1914 montre encore l'incompétence de nombreux
officiers. Et pourtant, les officiers, même passés par
l'administration, qui tentent d'appliquer la doctrine de Neznamov et
d'autres, confrontés à la réalité du champ de bataille, arrivent
à remporter des engagements de rencontre comme à Gumbinnen40,
en Prusse-Orientale (avant Tannenberg), ou en Galicie contre les
Autrichiens41.
En réalité, cette vue très négative des manoeuvres russes
d'avant-guerre est corrigée par d'autres sources : un
observateur britannique note ainsi les qualités de l'armée russe
lors d'un exercice dans le district de Saint-Pétersbourg, en 1908.
De
fait, comme toujours, la réalité est plus compliquée que le
tableau très sombre qu'on a souvent dressé du commandement russe. A
côté d'officiers ineptes, il y en a aussi de très prometteurs, que
révèle le conflit -Broussilov, Kaledin, etc. Le choix de
Rennenkampf et de Samsonov comme commandants d'armées en
Prusse-Orientale n'est pas une erreur, d'autant qu'ils ont tous les
deux l'expérience de la guerre russo-japonaise, soit davantage que
les Allemands (von Prittwitz notamment). Si les généraux russes du
front nord sont effectivement assez dépassés par les nouvelles
exigences d'une guerre moderne sur les plans stratégique et
opératif, il n'en va pas de même sur le front sud-ouest où les
officiers russes écrasent régulièrement les Austro-Hongrois42
et repoussent les Turcs dans le Caucase.
La
grande offensive allemande d'avril 1915, baptisée offensive
Garlice-Tarnow du nom des deux localités où elle a lieu, s'attaque
à deux corps russes de la 3ème armée, sur un front étroit, face à
des formations en sous-effectifs, de seconde ligne et mal
retranchées, sans réserves. En outre le commandement tactique est
mauvais et la Stavka est incapable d'envoyer des réserves ou
des obus, ce qui suffit à entraîner la déroute. Par ailleurs, les
Allemands bénéficient d'une meilleure infrastructure ferroviaire
pour déplacer leurs propres réserves. Cependant, cela n'empêche
pas les Allemands de subir de lourdes pertes, particulièrement pour
les régiments présents à l'est depuis une longue période
(renouvellement complet de l'effectif pour certains entre août 1914
et août 1915). Le succès allemand s'explique par l'excellence du
commandement -et notamment le duo formé par von Mackensen,
commandant de la 11. Armee, et son chef d'état-major, von
Seeckt- et par l'emploi de la combinaison des armes. L'aviation de
reconnaissance, dans un ciel nettoyé de la présence adverse, guide
le tir de l'artillerie et renseigne sur les mouvements ennemis, sur
les positions de l'adversaire, compensant des lacunes dans d'autres
secteurs du renseignement allemand. L'artillerie lourde est employée
avec précision grâce à l'utilisation de l'aviation, pour des
préparations courtes ; l'artillerie de campagne est utilisée
au plus près pour détruire les points forts ennemis, chose
impensable à l'ouest. Des communications excellentes assurent une
grande souplesse au commandement (téléphone, aviation, et pour la
première fois de manière intensive, radio). Von Mackensen abandonne
la cavalerie pour l'exploitation : l'artillerie lourde perce,
l'infanterie exploite. Les objectifs opératifs sont bien définis et
chaque percée est suivie d'une pause opérative avant d'attaquer
l'objectif suivant, ce qui tranche quelque peu avec un Ludendorff,
qui déclare en 1918 : « Nous creusons un trou dans
leur ligne. Pour le reste, on voit ensuite. On a toujours fait comme
ça en Russie. ». Von Mackensen a réussi à maintenir la
surprise au niveau opératif, alors que celle-ci était perdue au
niveau tactique43.
Après
la Grande Retraite, les Russes essaient de s'adapter au niveau
opératif. Tirant les leçons de la guerre à l'ouest, ils pensent
que seule la concentration de l'infanterie et de l'artillerie sur un
front étroit peut permettre de percer, avant l'exploitation par la
cavalerie. Mais la concentration préalable prive l'assaillant de
l'effet de surprise, et permet aux défenseurs de déplacer ses
réserves, comme les Russes s'en rendent compte lors de leurs échecs
à Strypa (décembre 1915) et au lac Naroch (mars 1916).
L'artillerie, malgré une forte concentration, n'a pas détruit la
première ligne adverse. Broussilov, sur le front sud-ouest,
développe d'autres idées. Il choisit de frapper en plusieurs points
du front simultanément, en réduisant la préparation d'artillerie
au minimum pour garantir la surprise. Quand il devient commandant de
front, il applique ses choix à plus grande échelle, de façon à
empêcher les Allemands de jouer de leurs lignes intérieures et de
se servir de l'atout principal des Russes, la supériorité
numérique. Broussilov parvient à décrocher d'Alekseev de lancer
une offensive sur son front sud-ouest alors que celui-ci a prévu
d'attaquer au nord-ouest et au centre. Il enjoint à chacune de ses
armées (4) d'attaquer sur le secteur le plus prometteur, pour
désorganiser l'adversaire en cas de succès avec 4 percées
simultanées -bien qu'il place le plus d'espoir dans celle du nord,
autour de Lutsk44.
Par des mesures actives et passives, il prépare son offensive dans
le plus grand secret, avec des moyens qui préfigurent largement la
maskirovka soviétique. Dès le début de l'offensive
Broussilov, le 4 juin, les succès sont spectaculaires, notamment,
aussi, parce que les Russes font face à une armée austro-hongroise
démoralisée et étirée. Malheureusement l'offensive n'atteint pas
ses objectifs opératifs et stratégiques, car Alekseev ne renforce
pas Broussilov à temps avec les réserves affectées aux autres
fronts, les Allemands jouent des lignes intérieures comme de
coutume, et en outre Broussilov revient ensuite à des tactiques plus
classiques. Surtout, il n'a pas d'élément mobile pour exploiter la
percée dans la profondeur, comme il s'est privé de cavalerie pour
obtenir la surprise. On voit encore qu'avant l'arrivée du moteur, la
doctrine russe, aussi novatrice qu'elle soit, vient trop tôt. Les
pertes russes de l'été 1916 sont lourdes (2 millions d'hommes) et
posent le problème criant des effectifs45.
En trois mois, l'offensive Broussilov a pourtant permis une avance
spectaculaire de 125 km vers l'ouest dans la partie sud du front ;
elle a pris 400 000 prisonniers et infligé 1,5 millions de pertes à
l'ennemi. L'armée austro-hongroise, décimée, a perdu la Galicie et
la Bukovine ; démoralisée, elle est au bord de la rupture ;
pour sauver le front, les Allemands doivent en prendre les commandes,
comme l'illustre la campagne en Roumanie46.
Les Austro-Hongrois ont perdu, à l'est, 1,1 millions d'hommes en
1914, 2 millions en 191547 .
Le chef d'état-major de l'armée austro-hongroise, Conrad von
Hötzendorf, lance trois offensives dans les Carpathes, entre janvier
et mars 1915, contre des Russes supérieurs en nombre, en plein
blizzard, avec des soldats mal armés -certains n'ont pas de fusils,
mais des bâtons ! -, mal entraînés et démoralisés : les
pertes se montent à 800 000 hommes48.
L'offensive Broussilov détruit les deux tiers du noyau de l'armée
austro-hongroise en 1916. L'armée russe a en fait pulvérisé les
forces de Vienne et a condamné pour celle-ci toute chance de
victoire militaire, faisant des Allemands l'acteur quasi unique et
incontournable du front à partir de ce moment.
Aleksei Broussilov a sans doute été le meilleur général russe de l'armée tsariste pendant la Grande Guerre, ou en tout cas le plus innovant. |
Les
méthodes de Broussilov se diffusent progressivement dans le reste de
l'armée russe, et certains exemples sont même étudiés à
l'académie de l'état-major en avril 1917. Les officiers russes ont
donc montré, sur le plan opératif, une certaine capacité
d'adaptation, même si pour beaucoup le réflexe « conservateur »
est resté.
Des
tactiques qui évoluent
Sur
le plan tactique, la différence est encore floue avec l'opératif :
l'armée russe se prépare à une guerre mobile de combinaison des
armes49.
Mais la rivalité entre les armes, des méthodes d'entraînements
différentes, la variété du corps des officiers subalternes mettent
à mal la théorie. L'artillerie rechigne à travailler avec
l'infanterie ; en outre les Russes n'ont pas encore compris
l'avantage terrible que donne la puissance de feu à des troupes bien
retranchées. La vertu de la baïonnette, certes répétée dans
l'instruction, ne doit pas masquer le fait que Neznamov lui-même
avait dit que le feu décidait de la bataille, la baïonnette
marquant le point culminant de l'attaque. C'est pourquoi entre 1908
et 1914, l'accent est mis sur l'entraînement au tir, l'emplacement
pour le tir, et les manoeuvres au combat. Les artilleurs russes ont
une excellente réputation. Ces facteurs expliquent sans doute les
succès contre les Austro-Hongrois en Galicie et même la victoire
dans le combat de rencontre de Gumbinnen. Les Russes par contre ne
tirent pas les leçons des enseignements du début de la guerre,
jusqu'en 1915. Ils se heurtent ensuite à des Allemands vétérans du
front de l'ouest qui amènent avec eux un savoir nouveau50.
A l'est, les caractéristiques du front expliquent que l'essentiel
des forces soit concentré en première ligne, avec relativement peu
de réserves. Pour Holger Herwig, l'armée russe, en 1914, est
clairement préparée pour une guerre courte d'annihilation
(sokrushenie). Le manuel prône l'offensive mais laisse une
grande initiative aux subordonnés, tout en insistant sur la force de
la volonté et du moral. L'infanterie doit jouer le rôle-clé, avec
le fusil et la mitrailleuse, mais surtout la baïonnette. La
cavalerie éclaire le chemin de l'infanterie, affronte son homologue
adverse et éventuellement démonte pour combattre au corps-à-corps.
Les cosaques ont reçu un sabre pour ce faire et en 1912, la
cavalerie est équipée de la lance. L'artillerie est entraînée
pour tirer rapidement, au-dessus de l'infanterie. Elle doit détruire
canons et mitrailleuses, bloquer la progression des renforts
adverses, démanteler les contre-attaques51.
Les
Russes ne s'adaptent au nouveau schéma qu'à l'automne 1915, en
traduisant des manuels français et allemands. Les premières
tentatives, sur le fronts centre et nord-ouest, se soldent par des
échecs, pour les raisons déjà expliquées au niveau opératif. Le
18 mars 1916, le général Evert attaque le XXI. Armee Korps du
général Oskar von Hutier en deux pinces, sur le lac Naroch. Malgré
un barrage d'artillerie lourde de deux jours pour préparer
l'attaque, les charges de l'infanterie ne sont pas correctement
appuyées par l'artillerie de campagne. Le lac Naroch, à moitié
gelé, est recouvert de 30 cm de neige et de boue et les soldats
russes s'enlisent. Le brouillard achève de semer la confusion. Les
Russes perdent 100 000 hommes contre à peine 20 000 pour les
Allemands52.
C'est durant cette bataille que le lieutenant-colonel Bruchmüller
introduit le système du « barrage roulant »
(Feuerwalze), à la suite du capitaine Erich Pulkowski : un
barrage d'artillerie violent et très bref, renseigné par
photographies aériennes et bénéficiant d'un commandement
centralisé pour dirigé le feu de chaque batterie sur des cibles
prédéfinies.
Broussilov,
lui, commence par procéder à des observations et des
reconnaissances sur tout le front adverse, pour laisser celui-ci dans
le doute quant à la direction de l'attaque53.
En réalité, il y a plusieurs secteurs d'assaut, dévolus à des
troupes d'assaut spécialement instruites, disposées dans des abris
souterrains. La coopération artilleurs-fantassins est renforcée,
avec échanges d'officiers, les artilleurs servant d'observateurs en
première ligne. Ils dirigent le feu au plus près avec l'observation
aérienne, qui photographie en particulier les batteries d'artillerie
autrichiennes. L'artillerie tire de courtes préparations et fait des
pauses, de façon à désorienter l'adversaire et à le faire
renoncer à sortir des abris pour gagner les tranchées. Toute la
ligne est bombardée pour empêcher l'ennemi de trouver le point
d'attaque principal. Des sapes sont creusées jusqu'à 50 m des
premières lignes ennemies pour réduire le temps de parcours des
fantassins ; les réserves attendent à l'abri, sous terre, près
de la première ligne. Des maquettes des positions austro-hongroises
sont réalisées pour répéter l'assaut et familiariser les troupes
avec le terrain54.
Broussilov fait armer deux corps de la 8ème armée du général
Kaledine avec des fusils autrichiens capturés à l'automne 1915 ;
par ailleurs l'armée russe comprend, dès la fin 1915, un régiment
de fusiliers tchèques déserteurs de l'armée austro-hongroise.
Après un minimum de préparation, les fantassins emportent les
premières lignes adverses et poursuivent, laissant les points forts
restants aux vagues suivantes. L'artillerie russe s'est montrée
particulièrement redoutable contre les constructions en bois et les
barbelés, grâce aux obusiers lourds de 180 mm. C'est en fait une
préfiguration des tactiques que les Allemands emploieront à partir
de l'année suivante – avec le même échec opératif et
stratégique que Broussilov, au final. Certains auteurs, comme Norman
Stone, pensent que l'armée russe n'a tenu jusqu'en 1917 qu'en raison
d'une discipline brutale instaurée par les officiers supérieurs et
subalternes. En réalité, les faits montrent que l'armée russe
garde une cohésion très forte, malgré les problèmes structurels
déjà évoqués, jusqu'à après la révolution de février 191755.
Conclusion :
une armée de moins en moins « oubliée » ?
La
Russie a été le seul belligérant de la Première Guerre mondiale à
faire face à une révolution politique et sociale au beau milieu du
conflit. L'entrée en guerre a pourtant ressemblé, à
Saint-Pétersbourg, à celles des autres nations. Les lourdes pertes
et les pénuries de matériel se retrouvent sur le front de l'ouest.
L'impasse sur le champ de bataille conduit à la mobilisation de
l'économie de guerre. En revanche, les syndicats de travailleurs, de
peu de poids avant la guerre, n'ont pu se manifester en Russie avant
la révolution de 1917, où, de fait, ceux-ci prennent la direction
politique. La mobilisation de l'économie de guerre se fait au
détriment des besoins de consommation. La Russie favorise, plus que
les autres nations, une production dans ses arsenaux publics et bride
le secteur privé. Elle finance son effort de guerre, plus que les
autres également, par des moyens extérieurs au budget. L'aide
alliée n'a pas soulagé la Russie de ses problèmes de consommation.
Il faut noter que la pénurie alimentaire et la perte sèche dans la
production pour les besoins de consommation apparaissent seulement en
1916, lorsque l'économie de guerre tourne à plein régime56.
Paradoxalement, la Russie, qui dispose d'un vaste secteur agricole,
voit ses villes en particulier souffrir de pénurie, car
l'agriculture n'est pas complètement commercialisée, et pendant la
guerre, la nourriture disponible est partagée moins équitablement
entre la population. Le régime tsariste a échoué, comme on l'a
dit, à construire un « sens civique » parmi les
soldats, qui se retournent contre lui en 1917. Une des
caractéristiques majeures de la Russie en guerre tient aussi aux
déplacements très importants de populations (réfugiés,
prisonniers de guerre, etc)57.
Comme
le disait déjà Winston Churchill dans le titre d'un de ses
ouvrages, le front de l'est de la Première Guerre mondiale est
longtemps restée « une guerre inconnue »
(1931). Les Allemands y
ont pourtant consacré un quart à un cinquième de leurs forces
jusqu'en 1917, en plus de 2 millions de soldats austro-hongrois.
Hindenbourg, Ludendorff, von Mackensen, von Seeckt ont tous établi
leur réputation sur le front de l'est. C'est ici que les obus à gaz
ont été employés pour la première fois (à Bolimov, dans l'est de
la Pologne58),
que les Allemands ont développé la technique du « barrage
roulant ». 750 000 Allemands sont mort à l'est, ainsi que
plusieurs millions d'Austro-Hongrois et plus de 2 millions de Russes,
dont 250 000 rien qu'en 1914. Il a pourtant fallu attendre 1975 pour
voir un ouvrage grand public (celui de N. Stone), en anglais,
consacré au front de l'est, et le renouveau historiographie ne date
seulement que de la décennie 1990. Les ouvrages de Hew Strachan et
Holger Herwig ont replacé le front de l'est dans une perspective
plus large. Mais les études de détail sur les campagnes du front de
l'est restent fort peu nombreuses, y compris du côté allemand59,
même si l'on constate un regain d'intérêt pour les opérations
menées par l'Allemagne60
entre 1915 et 191761.
L'armée impériale russe a été l'une des grandes oubliées de ce
renouveau, ou plutôt, les travaux très instructifs des spécialistes
qui s'y sont intéressés (D.R. Jones notamment) n'ont pas encore
reçu toute la publicité qu'ils mériteraient. Cela explique
largement qu'en France, l'ouvrage de Norman Stone, maintenant
dépassé, reste encore fréquemment une référence -d'autant qu'il
est constamment réédité en anglais62.
Des soldats russes équipés de Winchester mod. 1895. |
Les
Russes avaient appelé la guerre, eux, « Seconde Guerre
Patriotique » en 1914, en référence à celle menée
contre Napoléon en 1812, avant que le terme ne s'efface dès l'année
suivante pour celui de « Grande guerre européenne ».
Certains historiens russes, aujourd'hui, considèrent encore que le
front de l'est n'a pas été le front principal de la Première
Guerre mondiale et qu'il est donc moins digne d'intérêt. Après la
prise du pouvoir par les bolcheviks, en 1917, l'histoire de la Russie
pendant la Première Guerre mondiale a souvent été réécrite en
fonction de contingences politiques -pas oubliée, donc, mais
instrumentalisée. Objet de controverses féroces entre bolcheviks et
Blancs émigrés en Europe ou ailleurs, le front de l'est est ensuite
éclipsé par la Grande Guerre Patriotique qui devient constitutive
de ce qu'est l'URSS après 1945. Les historiens russes ne s'y
penchent vraiment, à nouveau, qu'après la fin de l'URSS, à peu
près au moment où le renouveau historiographique s'effectue aussi
en Occident (entre 1988 et 1994)63.
Dès
la guerre elle-même, des intellectuels ou des officiers prennent la
plume pour justifier la guerre entreprise par la Russie. La faute est
évidemment rejetée sur les Allemands, comme en France. Certains y
voient une chance, pour le pays, d'évoluer vers le mieux. Mais dès
1917, le ton des publications est devenu très pessimiste, annonçant
le discours bolchevik qui fera de cette guerre un conflit
« impérialiste ». La guerre civile, la lutte
entre Russes rouges et blancs, empêchent la mémoire des combattants
ou des acteurs de véritablement s'exprimer. Un historien marxiste se
détache ensuite concernant les travaux écrits sur la guerre :
Mikhaïl Nikolaevič Pokrovskij, avec son recueil La guerre
impérialiste (1928). Les travaux soviétiques réinterprétent
souvent les événements en fonction de la révolution d'Octobre et
du contexte international. Après une phase où l'URSS appuie sur le
pacifisme, le ton change dans la décennie 1930 pour préparer les
esprits à la guerre future. Svietchine, bien connu pour être un des
pères de l'art opératif soviétique, participe à l'effort en
publiant sur les leçons à tirer du front de l'est pendant la Grande
Guerre. Pour éviter l'échec tsariste, ces ouvrages préconisent une
mobilisation idéologique de la population et la militarisation de la
société. L'URSS se distingue également par la publication
abondante de sources relatives au conflit. Quant aux Blancs vaincus,
émigrés notamment à Paris, leurs travaux sont souvent des
plaidoyers pro-domo : la révolution n'est qu'un accident de
l'histoire, mais les Blancs ne prennent pas pour autant la défense
du tsar, que l'armée n'a pas soutenu en février 1917. Dans la vie
intellectuelle des exilés, le front de l'est intéresse peu, en
réalité. Les Français restent par contrecoup peu au fait du sujet,
en dépit des travaux de Golovin, qui enseigne à l'Ecole militaire
française, et de Danilov, qui a été intendant en chef de l'armée
impériale. Ces historiens blancs écrivent sur le modèle d'une
histoire de plus en plus datée, privilégiant le récit et les
grands hommes sur les groupes sociaux ou les forces politiques. Par
un discours les posant en victimes héroïques du communisme, les
Blancs réécrivent l'histoire pour se forger une identité.
Après
1945 et jusqu'en 1991, le front de l'est de la Première Guerre
mondiale est presque totalement éclipsé par la guerre civile et la
Grande Guerre Patriotique. Les seules publications concernent la
mémoire de guerre ou des récits d'histoire militaire -les mémoires
du maréchal Malinovsky, publiées deux ans après sa mort en 1969,
font sensation quand il évoque sa participation au corps
expéditionnaire russe en France et sa contribution à la guerre
civile... du côté des Blancs. Les historiens soviétiques
n'arrivent pas à fournir une interprétation différente avec de
nouvelles problématiques ou une vision plus globale. Quelques
travaux, comme la somme dirigée par I. Rostounov, tranchent pourtant
sur un ensemble bien terne et vont alimenter les premiers ouvrages
occidentaux novateurs sur le sujet -comme celui d'Allen K. Wildman,
qui reste une référence. Après 1991, des pionniers, à l'ouest, se
jettent dans l'analyse revisitée du front de l'est, au milieu d'une
masse de travaux sur le front occidental -Hubertus F. Jahn, Peter
Gatrell, Vejas Liulevicius, Peter Holquist, Alon Rachamimov, Eric
Lohr. Les historiens russes bénéficient ensuite à la fois d'un
climat favorable (goût prononcé pour l'histoire impériale et
militaire) et défavorable (nostalgie d'un régime disparu, clichés
populaires confortés par des publications sans appareil critique).
Pour le 80ème anniversaire du conflit, en 1994, les colloques à
Moscou montrent un faible intérêt pour la Russie dans la guerre et
une participation réduite d'historiens étrangers, avec des thèmes
encore une fois limités. Un regain d'intérêt survient en 1998,
avant de retomber jusqu'à cette année. Un complexe mémoriel de la
Grande Guerre doit en effet être achevé à Tsarskoïe Selo,
ancienne résidence des tsars. Depuis le XXIème siècle en effet, un
certain nombre de travaux russes commencent à analyser le conflit
sous des angles inédits. Leur qualité est variable en raison des
problèmes inhérents au monde universitaire. Mais le centenaire a
accéléré l'évolution et, pour A. Sumpf, l'affirmation de
Churchill est déjà moins vraie64.
Le pouvoir politique russe s'est approprié le conflit, de même que
la communauté des historiens et une partie de l'opinion publique.
Reste à espérer, comme le dit A. Sumpf, que cela ne soit pas une
mode, pour permettre enfin une étude en profondeur.
Bibliographie :
Ouvrages :
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Articles :
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Dennis
SHOWALTER, « War in the East and Balkans, 1914–18 », in
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Wiley-Blackwell, 2010, p.66-81.
Alexandre
Sumpf, « L’historiographie russe (et soviétique) de la Grande
Guerre », Histoire@Politique. Politique, culture, société,
n° 22, janvier-avril 2014 [en ligne, www.histoire-politique.fr].
1A
tel point qu'un ouvrage réédité en 2009 -cf les remarques sur
l'historiographie du sujet en conclusion-, écrit à la fin des
années 1920 en URSS, s'intitule La Grande Guerre oubliée.
2David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.314.
3Voir
Dennis SHOWALTER, Tannenberg. Clash of Empires, 1914, Archon
Books, 1991.
4David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.314.
5David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.249-252.
6Voir
Dennis SHOWALTER, Tannenberg. Clash of Empires, 1914, Archon
Books, 1991.
7Pour
un aperçu synthétique du front de l'est, cf Dennis SHOWALTER,
« War in the East and Balkans, 1914–18 », in John
HORNE (dir.), A COMPANION TO WORLD WAR I, Wiley-Blackwell,
2010, p.66-81.
8Les
Allemands déplacent 4 corps d'armée par chemin de fer de Prusse à
Poznan, lance une attaque sur les arrières russes en direction de
Varsovie le 28 septembre 1914. Les Russes échangent cette fois-ci
l'espace contre du temps, contre-attaquent, encerclent un corps
allemand qui parvient à se dégager. Le front se stabilise autour
de Varsovie, dont la région est dévastée par les deux camps, qui
incendient 9 000 villages et font 200 000 sans-abris. Cf Dennis
SHOWALTER, « War in the East and Balkans, 1914–18 »,
in John HORNE (dir.), A COMPANION TO WORLD WAR I,
Wiley-Blackwell, 2010, p.66-81.
9Voir
Michael B. BARRETT, Prelude to Blitzkrieg. The 1916 Austro-German
Campaign in Romania, Indiana University Press, 2013.
10David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.252-261.
11Sur
les tentatives de réforme du contenu à l'académie de l'état-major
général, cf John W. STEINBERG, « The Challenge of Reforming
Imperial Russian General Staff Education, 1905-1909 », in
David SCHIMMELPENNINCK VAN DER OYE et Bruce W. MENNING (dir.),
Reforming The Tsar's Army. Military Innovation in Imperial Russia
from Peter the Great to the Revolution, Cambridge University
Press, 2004, p.232-252.
12Jean
Lopez a des mots particulièrement durs quand il parle de
Yanoushkevich : « une des pires nullités de
l'histoire militaire ». Et ce alors même qu'il mentionne
dans sa bibliographie l'article de D.R. Jones, qui fait preuve de
beaucoup plus de nuance... cf Jean LOPEZ et Lasha OTKHMEZURI,
Joukov. L'homme qui a vaincu Hitler, Paris, Perrin, 2013,
p.41.
13Sur
l'histoire socio-économique de la Russie en guerre, on lira avec
intérêt : Peter GATRELL, Russia's First World War. A
Social and Economic History, Pearson Education Limited, 2005.
14L'aviation
russe, qui naît une décennie avant 1914, n'est pas considérée
comme une arme d'élite au déclenchement du conflit, elle est
peuplée d'officiers subalternes ; sur ce sujet, cf Gregory
VITARBO, Russian Military Aviation before the Great War,
1904–1914, Peter Lang, 2012, p.1-9.
15David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.261-272.
16David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.261-272.
17Une
histoire illustrée de l'aviation tsariste entre 1898 et 1917, parue
récemment : Gennady PETROV, Imperial Russian Air Force
1898-1917, Unicorn Press, 2013.
18Gregory
VITARBO, Russian Military Aviation before the Great War,
1904–1914, Peter Lang, 2012, p.207-219.,
19Victor
KULIKOV, Russian Aces of World War 1, Aircraft of the Aces
111, Osprey, 2013, p.6-13.
20Victor
KULIKOV, Russian Aces of World War 1, Aircraft of the Aces
111, Osprey, 2013, p.13-14.
21Sur
la mobilisation de l'économie de guerre russe, cf « Mobilising
industry : Russia's war economy at ull stretch », in
Peter GATRELL, Russia's First World War. A Social and Economic
History, Pearson Education Limited, 2005, p.108-131.
22Sur
l'effort entrepris par l'armée russe à partir des réformes de
1873/4 jusqu'en 1914, voir David SCHIMMELPENNINCK VAN DER OYE et
Bruce W. MENNING (dir.), Reforming The Tsar's Army. Military
Innovation in Imperial Russia from Peter the Great to the
Revolution, Cambridge University Press, 2004.
23Sur
le rapport de l'élite et de la « société éduquée »
à la guerre, cf « Educated society and the Russian elite »,
in Peter GATRELL, Russia's First World War. A Social and Economic
History, Pearson Education Limited, 2005, p.38-61.
24David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.272-285.
25Sur
la mobilisation de la Russie et de l'armée russe, cf aussi Walter
M. Pintner, « Mobilization for War and Russian Society »,
in Col. Carl W. REDDEL, Transformation in Russian and Soviet
Military History. Proceedings of the Twelfth Military History
Symposium United States Air Force Academy 1-3 October 1986, United
States Air Force Academy, Office of Air Force History, USAF,
Washington, 1990, p.39-51.
26Les
chiffres font débat. Peter Gatrell évoque 18,6 millions d'hommes
mobilisés jusqu'en 1917. « The Front Line : 1914-1916 »,
in Peter GATRELL, Russia's First World War. A Social and Economic
History, Pearson Education Limited, 2005, p.17-37. Mais dans un
autre article écrit en collaboration, plus ancien, il accepte le
chiffre de 15,8 millions : Peter GATRELL et Mark HARRISON,
« The Russian and Soviet Economies in two world wars : a
comparative view », Economic History Review, XLIV, 3
(1993), p.425-452.
27Sur
la révolte en Asie Centrale, cf « Economic Nationalism and
the Mobilisation of Ethnicity », in Peter GATRELL, Russia's
First World War. A Social and Economic History, Pearson
Education Limited, 2005, p.188-192. Lire aussi : Cloé Drieu, «
L’impact de la Première Guerre mondiale en Asie centrale : des
révoltes de 1916 aux enjeux politiques et scientifiques de leur
historiographie », Histoire@Politique. Politique, culture,
société, n° 22, janvier-avril 2014 [en ligne,
www.histoire-politique.fr]
28Sur
ce sujet, cf Gregory VITARBO, Russian Military Aviation before
the Great War, 1904–1914, Peter Lang, 2012.
29Timothy
C. DOWLING, The Brusilov Offensive, Indiana University Press,
2008, p.161.
30David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.285-296.
31David
SCHIMMELPENNINCK VAN DER OYE et Bruce W. MENNING (dir.), Reforming
The Tsar's Army. Military Innovation in Imperial Russia from Peter
the Great to the Revolution, Cambridge University Press, 2004.
32Sur
la modernisation du système ferroviaire russe, cf Jacob W. KIPP,
« Strategic Railroads and the Dilemmas of Modernization »,
in David SCHIMMELPENNINCK VAN DER OYE et Bruce W. MENNING (dir.),
Reforming The Tsar's Army. Military Innovation in Imperial Russia
from Peter the Great to the Revolution, Cambridge University
Press, 2004, p.82-106.
33« The
Front Line : 1914-1916 », in Peter GATRELL, Russia's
First World War. A Social and Economic History, Pearson
Education Limited, 2005, p.17-37.
34Sur
cette question, cf Bruce W. MENNING, « The Offensive
Revisited : Russian Preparation for Future War, 1906-1914 »,
in David SCHIMMELPENNINCK VAN DER OYE et Bruce W. MENNING (dir.),
Reforming The Tsar's Army. Military Innovation in Imperial Russia
from Peter the Great to the Revolution, Cambridge University
Press, 2004, p.215-231.
35Voir
Dennis SHOWALTER, Tannenberg. Clash of Empires, 1914, Archon
Books, 1991.
36David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.296-309.
37Bruce
W. MENNING, « The Imperial Russian Legacy of Operational Art,
1878–1914 », in Michael
D. KRAUSE et R. Cody PHILIPS (dir.), Historical
Perspectives of the Operational Art, Center of Military History
United States Army,
Washington, D.C., 2005, p.189-212.
38Sur
ce sujet, cf Jacob W. KIPP, « The Origins of Soviet
Operational Art, 1917–1936 », in Michael
D. KRAUSE et R. Cody PHILIPS (dir.), Historical
Perspectives of the Operational Art, Center of Military History
United States Army,
Washington, D.C., 2005, p.213-246.
39Sur
les tentatives de réforme du contenu à l'académie de l'état-major
général, cf John W. STEINBERG, « The Challenge of Reforming
Imperial Russian General Staff Education, 1905-1909 », in
David SCHIMMELPENNINCK VAN DER OYE et Bruce W. MENNING (dir.),
Reforming The Tsar's Army. Military Innovation in Imperial Russia
from Peter the Great to the Revolution, Cambridge University
Press, 2004, p.232-252.
40Voir
Dennis SHOWALTER, Tannenberg. Clash of Empires, 1914, Archon
Books, 1991.
41Graydon
A. TUNSTALL, Blood on the Snow. The Carpathian Winter War of
1915, University Press of Kansas, 2010.
42Graydon
A. TUNSTALL, Blood on the Snow. The Carpathian Winter War of
1915, University Press of Kansas, 2010.
43Richard
L. DINARDO, Breakthrough. The Gorlice-Tarnow Campaign, 1915,
Praeger, 2010, p.138-143.
44Dennis
SHOWALTER, « War in the East and Balkans, 1914–18 »,
in John HORNE (dir.), A COMPANION TO WORLD WAR I,
Wiley-Blackwell, 2010, p.66-81.
45Timothy
C. DOWLING, The Brusilov Offensive, Indiana University Press,
2008, p.160.
46Voir
Michael B. BARRETT, Prelude to Blitzkrieg. The 1916 Austro-German
Campaign in Romania, Indiana University Press, 2013.
47Graydon
A. TUNSTALL, Blood on the Snow. The Carpathian Winter War of
1915, University Press of Kansas, 2010.
48Cf
Graydon A. TUNSTALL, Blood
on the Snow. The Carpathian Winter War of 1915,
University Press of Kansas, 2010.
49Sur
l'organisation et l'équipement de l'armée russe, cf Nik
CORNISH et Andreï KARACHTCHOUK,
The Russian Army 1914-1918, Men-at-Arms
364, Osprey, 2001.
50Richard
L. DINARDO, Breakthrough. The Gorlice-Tarnow Campaign, 1915,
Praeger, 2010.
51Holger
H. HERWIG, The First World War. Germany and Austria-Hungary
1914–1918 (2nd edition), Bloomsbury
Press, 2014, p.62-65.
52Holger
H. HERWIG, The First World War. Germany and Austria-Hungary
1914–1918 (2nd edition), Bloomsbury Press, 2014, p.201.s
53T.
Dowling affirme que Broussilov s'est inspiré des tactiques mises en
oeuvre par les Français pendant l'offensive en Champagne de
septembre 1915 ; des instructeurs envoyés auprès de l'armée
russe auraient servi pour le « passage de témoin ».
D.R. Jones souligne cependant que Broussilov combine l'emploi de
cette expérience avec d'autres idées qui lui sont propres.
54Nik
CORNISH et Andreï KARACHTCHOUK, The Russian Army 1914-1918,
Men-at-Arms 364, Osprey, 2001, p.38. Voir aussi Timothy C.
DOWLING, The Brusilov Offensive, Indiana University Press,
2008.
55David
R. Jones, « Imperial Russia's Forces at War », in Allan
R. MILLETT et Williamson MURRAY, Military Effectiveness. Volume
1 : the First World War, Cambridge University Press, 2010,
p.309-314.
56Peter
GATRELL et Mark HARRISON, « The Russian and Soviet Economies
in two world wars : a comparative view », Economic
History Review, XLIV, 3 (1993), p.425-452.
57Cf
« Conclusion : Russia's First World War in comparative
perspective », in Peter GATRELL, Russia's First World War.
A Social and Economic History, Pearson Education Limited, 2005,
p.264-276.
58Le
31 janvier 1915, les Allemands tirent des obus de 150 mm à gaz
lacrymogène, conçus par le chimiste Hans Tappen, lors d'une
offensive à Bolimov, en Pologne, entre Lodz et Varsovie. Le vent
rabat le gaz vers les lignes allemandes mais, en raison du temps
très froid, le liquide ne se vaporise pas. Les Allemans doivent
perfectionner leur matériel. Cf Simon JONES et Richard HOOK,
World War I Gas Warfare Tactics and Equipment, Elite 150,
Osprey, 2007, p.3.
59Un
des ouvrages précurseurs, à la fois dense et complexe :
Dennis SHOWALTER, Tannenberg. Clash of Empires, 1914, Archon
Books, 1991.
60L'ouvrage
plus récent, par un auteur intéressé par la thématique, très
descriptif et peut-être pas assez analytique dans ses conclusions :
Michael B. BARRETT, Prelude to Blitzkrieg. The 1916 Austro-German
Campaign in Romania, Indiana University Press, 2013.
61Richard
L. DINARDO, Breakthrough. The Gorlice-Tarnow Campaign, 1915,
Praeger, 2010, p.1-2.
62Timothy
C. DOWLING, The Brusilov Offensive, Indiana University Press,
2008, p.xi-xiv.
63Alexandre
Sumpf, « L’historiographie russe (et soviétique) de la Grande
Guerre », Histoire@Politique.
Politique, culture, société, n° 22, janvier-avril 2014 [en
ligne, www.histoire-politique.fr].
64Alexandre
Sumpf, « L’historiographie russe (et soviétique) de la Grande
Guerre », Histoire@Politique.
Politique, culture, société, n° 22, janvier-avril 2014 [en
ligne, www.histoire-politique.fr]
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