21
mai 1982. 4500 Royal Marines
et parachutistes britanniques s'apprêtent à débarquer dans la baie
de San Carlos, sur l'île principale des Malouines, au terme d'un
périple maritime de près de 13 000 kilomètres. C'est le premier
débarquement de vive force pour les troupes de sa Majesté depuis
celui de Suez en 1956. En face, les Argentins, trois fois plus
nombreux, les attendent de pied ferme, soutenus par une puissante
aviation.
Côtes Malouines en vue ! source : http://nationalinterest.org/blog/jacob-heilbrunn/refighting-the-falklands-war-margaret-thatcher-versus-jeane-7919 |
En
quoi ce débarquement est-il particulier ? Comment les Anglais
vont-ils finalement l'emporter ? Quels enseignements peut-on en
retirer ?
Jérôme Percheron.
Des îles disputées
Archipel
d’îles perdu dans les cinquantièmes hurlants à environ 500 km à
l’Est des côtes argentines et 1000 km de l’Antarctique, les îles
Malouines (Falklands pour les Anglais) sont un territoire britannique
d’outre-mer, dont les deux plus grandes îles, la Malouine Ouest et
la Malouine Est, quasiment dépourvues d’arbres et balayées par
les vents, regroupent l’essentiel de leur 3000 habitants (un peu
moins de 2000 en 1982), dont les deux-tiers situés dans sa capitale,
Port Stanley. Ils sont les descendants de colons amenés par les
Britanniques au XIXème siècle et vivent principalement de l’élevage
extensif du mouton. Le climat va de tempéré-humide, avec un rude
hiver d’Avril à Juin, pour les deux grandes îles, à quasi
polaire pour la plus méridionale, la Géorgie du Sud, habitée par
seulement quelques scientifiques.
Découvertes
au XVIe siècle par les Anglais et les Espagnols (la controverse
persiste sur la primauté) et revendiquées alternativement par les
uns et les autres, elles furent un temps occupées au XVIIIe siècle
par des Français originaires de Saint-Malo (d’où le nom de
Malouines). Après avoir arraché leur indépendance aux Espagnols en
1816, les Argentins reprennent les revendications de ces derniers sur
les îles. Quand les Anglais s’en emparent en 1833, pour des
raisons stratégiques vu leur position sur les routes maritimes, ils
commencent à les peupler de colons. Depuis, les Argentins ne cessent
de contester cette souveraineté, portant le problème devant l’ONU
en 1964, mais sans parvenir à le régler.
source : http://www.latinreporters.com/argentinepol19022010.html |
L’invasion argentine
En
1982, L’Argentine est depuis 5 ans sous la coupe d’une dictature
militaire, mise à l’index de la communauté internationale pour sa
brutalité assumée, mais soutenue discrètement par les Etats-Unis
dans le cadre de la guerre froide. Confronté à une grave crise
économique et en but à une défiance de plus en plus grande de la
population, le général Galtieri, chef officiel1
de la junte au pouvoir, décide de mettre en œuvre le plan
d’invasion des Malouines préparé depuis plusieurs années par la
marine. Il devrait permettre de redorer son prestige et de ressouder
la population autour d’un but commun. Le moment semble idéal, car
les Anglais, englués eux aussi dans une crise économique, se sont
lancés dans de vastes restrictions budgétaires de leur appareil
militaire, concernant notamment leur flotte et leurs moyens de
projection, pour se recentrer sur le face à face en Europe avec le
bloc soviétique.
Au
mois de Mars, une tentative d’occupation temporaire de la Géorgie
du Sud, sans effusion de sang, menée par des commandos argentins
habillés en civils, permet de tester la résolution des Anglais. Ces
derniers font alors étudier par leur état-major un plan de
reconquête des Malouines au cas où l’invasion se produirait.
Toutefois le premier ministre Margaret Thatcher et son équipe ne
croient pas, dans un premier temps, les Argentins capables d’une
telle extrémité. En effet le système de renseignement britannique
en Argentine (écoutes radio et agents infiltrés) n’a rien détecté
d’anormal. Mais le 31 mars des photos satellites fournies par les
Américains révèlent des mouvements inquiétants de la flotte
argentine, comprenant des navires d’assaut amphibie, qui ne
laissent plus de doute sur sa destination2.
La
phase amphibie de l’opération argentine Rosario
débute 1er
avril au soir, sans déclaration de guerre. Elle consiste, après des
exercices navals à 800 miles au nord de l’archipel destinés à
masquer l’approche de la flotte d’invasion, à débarquer, dans
les îles principales ainsi qu’en Géorgie du Sud, 9043
hommes des troupes d’élite. Les 85 Royal
Marines présents sur place4,
prévenus la veille, ne peuvent qu’opposer une résistance
symbolique, mais résolue. En effet, pour ce qui devait être « une
promenade de libération », les pertes sont lourdes pour les
Argentins, contraints par des règles d’engagement très strictes
afin de ne pas faire de victimes parmi la population : 4 morts
et plusieurs blessés, une frégate endommagée, un hélicoptère
perdu. Les Anglais de leur côté enregistrent 2 blessés.
Royal Marines faits prisonniers le 2 avril (source: http://www.britishempire.co.uk) |
La réaction britannique
Les
photos diffusées par la presse de soldats britanniques faits
prisonniers et fouillés à plat ventre (procédure normale)
déclenchent une vague d’indignation et un désir de revanche dans
l’opinion publique anglaise, sur laquelle le premier ministre est
ravi de surfer, étant donné son impopularité à cette époque.
La
décision est prise dès le soir du 31 mars de mobiliser une flotte
d’intervention, articulée autour des porte-aéronefs HMS5
Hermes
(qui était promis à la ferraille) et HMS
Invincible (entré en service 2
ans auparavant et proposé à l’Australie dans le cadre des
restrictions budgétaires). Ils ont une vocation principalement
anti-sous-marine, et embarquent, même à eux deux, un nombre réduit
d’hélicoptères (22 Sea King)
et d’avions à décollage/atterrissage court/vertical (20 Sea
Harrier). De plus, leur petite
taille ne leur permet pas d’embarquer d’avion-radar d’alerte
avancée. Ils seront renforcés par la suite d’une dizaine de
Harrier GR3
de la Royal Air Force. Les deux seuls Landing
Ship Docks (porte-hélicoptères
d’assaut amphibie, transportant des péniches de débarquement)
HMS Fearless
(transformé en navire-école) et HMS
Intrepid (retiré du service)
sont rappelés en catastrophe et doivent permettre à une brigade de
commandos des Royal Marines,
renforcée d’unité de parachutistes, de pouvoir débarquer. Ces
navires sont escortés par tous les bâtiments nécessaires :
frégate anti-sous marines, destroyers anti-aériens, navires
ravitailleurs, transports de troupes... le tout représentant environ
les 2/3 de la Royal Navy et pratiquement toute la Royal Fleet
Auxiliary6.
De nombreux bâtiments, qui étaient soit désarmés, soit en
refonte, sont remis en condition par des ouvriers des chantiers
navals qui venaient de recevoir leur lettre de licenciement, suite
aux restrictions budgétaires.
La
junte argentine aurait attendu ne serait-ce que quelques mois, les
Britanniques n’auraient eu aucun moyen de reconquérir les îles…
La flotte, sous le commandement du contre-amiral Woodward, appareille
le 5 avril, de manière très médiatique, depuis Portsmouth et
Gibraltar, les cales remplies à la hâte par un véritable tour de
force logistique7.
Elle est précédée par 3 sous-marins nucléaires d’attaque.
« Brittannia rules !» (inscription sur la banderole) : départ du HMS Invincible, 5 Avril 1982 (source: http://www.telegraph.co.uk) |
Les stratégies de chaque adversaire
Une
offensive diplomatique soutenue permet aux Anglais d’isoler
l’Argentine et d’obtenir de l’aide de leurs alliés. L’ONU
condamne l’invasion argentine. Les Etats-Unis, un temps indécis
entre leur plus fidèle allié sur le continent sud-américain et
leur plus fidèle allié en Europe, vont finalement faire le choix de
ce dernier, considérant que leur priorité est de permettre à la
Grande-Bretagne de reprendre rapidement sa place dans le dispositif
de l’OTAN face au bloc Soviétique. Ils vont ainsi mettre à
disposition leurs installations de l’île d’Ascension (possession
britannique louée aux américains, à mi-chemin entre le Royaume-Uni
et les Malouines), qui va s’avérer une précieuse base arrière,
où la flotte pourra se réorganiser et s’approvisionner avant le
trajet final, et d’où la RAF pourra faire décoller des
bombardiers stratégiques. Ils vont également leur fournir les
renseignements obtenus par leurs satellites espions, donnant en
particulier la position des navires argentins, et leur permettre
d’acheter des armements divers comme les derniers missiles air-air
sidewinder
pour équiper les Harrier.
La France va également jouer un rôle important, d’une part en
stoppant ses ventes d’armes à l’Argentine et aux pays
susceptibles de l’aider, en particulier les célèbres missiles
antinavires Exocet,
et d’autre part en permettant à la flotte britannique de
s’entraîner, lors de son passage au large des côtes françaises,
en organisant des attaques simulées par des avions du même type que
ceux équipant les Argentins (Mirage
III et Super-Etendard).
Le périple jusqu’aux Malouines (source: http://web.univ-pau.fr) |
Le
général Menendez, comandant les troupes argentines sur les îles,
est persuadé que le débarquement principal aura lieu près de Port
Stanley. En effet, les conditions climatiques et le sol impraticable
aux véhicules lourds (85 % est constitué de tourbières, le reste
se partage entre marécages et lande), sans oublier l’absence de
couvert (pratiquement aucun arbre) rendrait, dans le cas d’un
débarquement éloigné de l’objectif, une progression terrestre
très difficile et vulnérable aux attaques. Il va donc regrouper
l’essentiel de ses moyens autour de Port Stanley. Un pont aérien
et maritime va permettre de déployer plus de 13000 hommes sur place,
en majorité des conscrits. Des hélicoptères et des avions légers
d’appui tactique (Pucara)
sont également acheminés, mais les aérodromes des îles sont trop
sommaires pour permettre à des avions à réaction d’opérer.
Renforts argentins débarquant à Port Stanley, Avril 1982 (source : http://thebeerbarrel.net) |
Les
Argentins ne comptent pas laisser approcher la Royal Navy les bras
croisés : leur flotte et leur aviation sont puissantes et
récemment modernisées. Leur arme la plus sophistiquée est le
tandem avion/missile antinavire Super-Etendard/AM 39 Exocet, mais ils
ne disposent que de 4 de ces avions et de 5 de ces missiles, car la
France en a stoppé les livraisons sur pression anglaise.
Le plan de
reconquête britannique (opération Corporate)
suit les grands principes des opérations amphibies :
- Isoler le théâtre d’opération (les îles) : il est en effet indispensable d’entraver l’arrivée des renforts dans la zone de la future tête de pont, comme les alliés l’on fait en 1944 avec la Normandie en détruisant méthodiquement les chemins de fer, ponts, … afin d’ « encager » la région. Pour les Malouines, cela revient, dès que le premier sous-marin nucléaire britannique est sur place, à prononcer le 12 avril une zone d’exclusion de 200 miles autour de l’archipel dans laquelle tout navire non autorisé pourra être attaqué.
- Obtenir la suprématie maritime et aérienne dans la zone du débarquement : c’est en effet un préalable si on veut que les navires transportant les hommes à débarquer puissent arriver à destination. En 1944, l’imposante flotte alliée n’a pas vraiment eu ce problème, d’autant qu’elle était très proche de ses bases (de l’autre côté de la manche). Dans notre cas, cela s’avèrera beaucoup plus difficile, la distance entre les bases britanniques et le lieu du débarquement étant sans commune mesure. D’autre part, le pouvoir politique au Royaume-Uni a posé une limite à ne pas franchir : pas d’attaque sur le continent, afin de n’a pas entraîner des complications diplomatiques avec les autres états d’Amérique du sud, ainsi qu’avec les Etats-Unis. Il ne sera donc pas possible de neutraliser, du moins officiellement, les bases aériennes situées en Argentine. Le faible nombre de Harrier sera donc fortement sollicité entre les missions de supériorité aérienne et celles de soutien au profit des troupes au sol, d’autant que cet avion n’est pas réellement polyvalent : le Sea Harrier, initialement emporté, est optimisé pour la chasse, d’où l’ajout de Harrier GR3 pour l’attaque au sol.
- Leurrer l’ennemi quant au lieu réel du débarquement, afin de retarder la réaction ennemie. En 1944, l’opération Fortitude va permettre de tromper jusqu’au dernier moment (et même un peu après) les Allemands sur le lieu exact du débarquement. Aux Malouines, les Anglais ne vont surtout rien faire pour ébranler la certitude argentine d’un débarquement à proximité de Port Stanley.
- Reconnaître avec précision les côtes et les plages. Les Anglais disposent de relevés très précis effectués par un officier passionné de voile qui a été en service aux Malouines quelques années auparavant8, ce qui va leur permettre de choisir avec soin le lieu du débarquement.
- Acquérir le plus possible de renseignement sur les forces ennemies : leur position, leurs effectifs … c’est le rôle des SAS (Special Air Service) et SBS (Special Boat Service), unités de forces spéciales crées lors de la deuxième guerre mondiale, qui, dès que la flotte sera suffisamment proche, seront déposés de nuit par hélicoptère sur les îles et, parfaitement camouflés dans la nature, renseigneront sur tout le dispositif argentin.
- « Ramollir » ou supprimer les défenses ennemies sur les côtes : à la différence des plages normandes, le lieu choisi est faiblement défendu.
- Acquérir rapidement une tête de pont suffisamment profonde pour être viable : elle doit pouvoir résister aux contre-attaques ennemies et permettre l’arrivée de renforts.
Un Sea Harrier décollant du HMS Hermes, en utilisant le tremplin (source: http://tech.uk.msn.com) |
La rencontre des flottes
L’Armada
(marine de guerre) argentine se prépare à rencontrer la flotte
adverse et a sorti ses deux fleurons : le croiseur ARA9
General Belgrano, ex-croiseur
américain datant de la 2ème Guerre Mondiale possédant 15 canons de
152mm, modernisé et équipé de missiles antinavires Exocet, et le
porte-avions ARA 25 de Mayo,
lui aussi construit lors de la deuxième guerre mondiale (à
l’origine pour la Royal Navy…), dont le groupe aéronaval est
constitué de chasseurs-bombardiers à réaction Douglas
A-4 SkyHawk et d’avions radar
Tracker.
Le
2 Mai, le sous-marin nucléaire d’attaque britannique HMS
Conqueror, qui pistait le ARA
General Belgrano depuis
plusieurs jours, reçoit le feu vert du cabinet de guerre pour le
neutraliser et lui envoie 2 torpilles, le vieux croiseur étant
pourtant légèrement en dehors de la zone d’exclusion. Il coule en
moins d’une heure, entrainant la mort de plus de 300 marins. C’est
le premier cas d’un navire coulé par un sous-marin depuis la
seconde Guerre Mondiale, et le premier cas de l’histoire où cela
est dû à un sous-marin nucléaire. Le commandement argentin, se
rendant compte de la vulnérabilité de sa flotte de surface, qui
manque de moyens de lutte anti-sous-marine, décide de replier
rapidement ses autres bâtiments. Il n’y aura donc pas de rencontre
entre les porte-avions adverses. Les Anglais viennent de gagner la
supériorité maritime. Une menace due aux sous-marins (classiques)
argentins demeure, mais la flotte britannique, à la différence de
son adversaire, a largement la capacité d’y faire face.
Le ARA Belgrano en train de couler (source : http://www.rna-10-area.co.uk/belgrano.html) |
N’osant
plus s’aventurer sur mer, les Argentins ne peuvent ravitailler les
îles que par avion, ce qui ne permet plus d’envoyer les moyens
lourds qui auraient pu rendre possible le renforcement et
l’allongement de la piste de l’aérodrome de Port Stanley.
Celle-ci, régulièrement bombardée à partir du 1er
Mai par les Vulcan
opérant depuis l’île d’Ascension, et par les Harrier
dès que la flotte est suffisamment proche, ne permet donc pas
d’accueillir des gros porteurs, ni des avions à réaction. Ces
derniers devront donc partir des bases du continent, soit un trajet
de 700 km au minimum. Ceci ne va pas les empêcher de tenter une
attaque audacieuse sur la flotte d’invasion en approche. Celle-ci,
ne disposant pas d’avions radars d’alerte avancée, compte sur
ses destroyers anti-aériens Type-42 classe Sheffield
pour servir de « piquet radar » : en avant de la
flotte, ils doivent utiliser leur puissant radar pour détecter toute
intrusion ennemie. L’un d’entre eux va être victime, le 4 mai,
de l’attaque de deux Super-Etendard,
venus du continent et ravitaillés en vol. Leur cible prioritaire est
de toucher l’un des deux porte-avions britanniques mais, ne
parvenant pas à les localiser, ils vont se rabattre sur la cible
d’importance la plus proche, le HMS
Sheffield.
Ils tirent leurs missiles Exocet à une cinquantaine de kilomètres
de distance et font immédiatement demi-tour. L’un des deux
missiles, mal configuré, s’abîme en mer. Les avions ont bien été
détectés par le radar britannique, mais pas le second missile qui
continue sa route au ras des vagues. Quand ce dernier, arrivé à
quelques km du navire, allume son autodirecteur radar pour passer en
mode « autonome », il est détecté, mais trop tard :
il lui reste quelques secondes de trajet à 1000 km/h avant
l’impact10.
Le navire touché à mort est évacué quelques heures plus tard, en
proie à un incendie qui va durer plusieurs jours avant qu’il
finisse par couler le 10 mai. Le bilan est de 20 morts et 24 blessés.
Le HMS Sheffield en feu (source : http://fs.huntingdon.edu) |
C’est
la première attaque de ce type de l’histoire et c’est un
tournant dans l’histoire militaire navale : désormais, les
grandes unités de surface, aussi modernes et coûteuses soient
elles, peuvent être victimes d’un seul missile tiré d’un avion
à distance de sécurité.
La reconquête de la Géorgie du sud
A
partir du 21 avril, le destroyer HMS
Antrim dépose par hélicoptère
des commandos de SBS
en Géorgie du Sud. Le climat épouvantable entraîne la perte de 2
hélicoptères, heureusement sans victimes. S’apercevant de ces
infiltrations, les Argentins dépêchent le sous-marin ARA
Sante Fe en renfort mais, en
arrivant à destination le 25 avril, il se voit pris en chasse par
les hélicoptères de lutte anti-sous marine du destroyer. Ils
l’obligent à remonter en surface en utilisant des grenades
anti-sous-marines et le mettent hors de combat à l’aide de
missiles antinavires AS 12.
Il vient s’échouer et son équipage perd un marin. C’est la
première fois dans l’histoire militaire qu’un sous-marin est
victime d’un hélicoptère. Profitant du désarroi argentin, les
quelques dizaines de SAS,
SBS
et Royal Marines
présents sur le HMS Antrim
sont héliportés sur l’île et, soutenus par les canons du
destroyer, obligent rapidement les 121 Argentins, surpris par la
rapidité de la manœuvre, à la reddition, sans qu’ils aient pu
tirer un coup de feu.
D-Day
Le
site pour le débarquement est finalement choisi : les plages de
la baie de San Carlos. Bien abritée, relativement isolée et peu
défendue, celle-ci est située à l’opposé de Port Stanley sur
l’île principale des Malouines. Son caractère encaissé devrait
gêner les éventuelles attaques aériennes argentines.
Site du débarquement sur l'île de Malouine Est (source: http://wikitravel.org). En rouge, le trajet final de la flotte d’invasion. |
Sa
situation géographique va entraîner un long trajet vers la capitale
Port Stanley, situé à l’opposé de l’île (environ 80 km à vol
d’oiseau). Cette distance doit être compensée par l’utilisation
d’hélicoptères de manœuvre pour transporter les troupes par
bonds successifs. Le débarquement se déroulera de nuit pour
retarder le plus possible sa détection par les Argentins. Les forces
à débarquer représentent une brigade de soldats d’élite renforcée:
la 3rd Commando Brigade des
Royal Marines, à laquelle sont
adjoints les 2nd
et 3rd bataillon du
Parachute Regiment, soit environ
4500 hommes au total. Vu l’ampleur des effectifs argentins sur
l’île, qui dépassent les 13000 hommes, une seconde brigade (la
5th Infantry Brigade),
regroupant 3500 hommes, a embarqué le 12 mai depuis le
Royaume-Uni sur le paquebot RMS11
Queen Elisabeth 2, mais ne sera
pas sur place avant début Juin.
L’aérodrome
de l’île de Peeble, au Nord-Ouest de la baie, équipé d’avions
Pucara
d’attaque au sol, représente une menace pour l’opération. Il ne
peut être neutralisé à distance par les canons de la flotte en
raison de la présence de familles d’éleveurs de moutons à
proximité. Il fait donc l’objet d’une opération des SAS.
Héliportés de nuit, ils détruisent au sol les avions et placent
des charges de démolition sur la piste.
Une
dernière position argentine, bien équipée en canons sans recul de
106mm et mortiers de 81mm, contrôle l’entrée de la baie, près de
Port San Carlos. Elle est prise d’assaut par des SAS
héliportés à proximité dans la soirée du 20 mai, au cours duquel
2 hélicoptères Gazelle
sont perdus. Mais l’officier argentin en charge de la position a
le temps de voir de nombreuses silhouettes de navires émerger de la
brume et donne l’alerte par radio12.
Barges de débarquement quittant le HMS Fearless (source:http://www.militaryimages.net) |
En
effet, dans la nuit du 20 au 21 mai, vers 3h00 du matin, la force de
débarquement entre silencieusement dans la baie, tous feux éteints.
Il s’agit des Landing Ship
Docks (LSD) HMS
FearLess et
HMS Intrepid qui mettent à
l’eau leurs péniches de débarquement dans lesquelles s’entassent
les Royal Marines
et les parachutistes, suivis des 5 Landing
Ships Logistics (LSL) de la
classe Sir Galahad,
chargés du matériel nécessaire à l’établissement de la tête
de pont. Le tout est protégé par les frégates anti-aériennes et
anti-sous marines de la flotte. Au même moment, à l’opposé de
l’île, le destroyer HMS
Glamoran fait diversion en
bombardant des positions à proximité de Port Stanley.
Les troupes touchent terre (source: http://mickeywerlen.canalblog.com) |
Au
matin du 21 mai, la première vague de 2500 hommes est à terre, sans
réaction de la part des Argentins, attendant toujours le
débarquement principal à Port Stanley. Les premiers habitants sont
libérés. Les Sea Harrier se
relaient pour assurer la couverture aérienne, opérant depuis les 2
porte-avions restés à 150 nautiques au large par sécurité, hors
de portée d’une attaque à l’Exocet. Il est en effet impensable
de risquer la perte de l’un d’entre eux, car cela diviserait par
deux le parc aérien disponible et ne permettrait plus d’assurer la
permanence du rideau anti-sous-marin dressé par les rotations
d’hélicoptères Sea King.
De ce fait, les avions, à la limite de leur rayon d’action, ne
peuvent rester ni très nombreux (2 patrouilles de 2 appareils en
permanence) ni très longtemps (30 minutes) au dessus de la tête de
pont, ce qui est inquiétant vu que la supériorité aérienne n’est
pas acquise. La première tâche des hommes débarqués est donc de
mettre en batterie les systèmes de missiles anti-aériens Rapier,
afin de compléter la protection contre une attaque aérienne. Des
canons de 105mm sont héliportés, et quelques chars légers Scorpion
et Scimitar
sont déposés par les LSL, afin de fournir un appui rapproché aux
fantassins, bien qu’on ne sache pas vraiment si le sol de tourbe et
de marécages supportera leur poids. En revanche, quelques
chenillettes articulées Volvo Bv
202, spécialement conçues pour
les sols peu porteurs ou neigeux, ont été prévues pour la
logistique13.
Trois Pucara
en provenance de l’aérodrome de Goose Green, situé au sud de la
position, tentent d’attaquer la tête de pont. L’un d’entre eux
est abattu par un missile sol-air Stinger,
les autres rebroussent chemin.
Les habitants de Port San Carlos sont les premiers civils à voir les soldats anglais (source: http://article.wn.com) |
Les Argentins contre-attaquent !
Les
Argentins, dont le gros des forces est toujours massé autour de Port
Stanley, ne disposent pas de moyens terrestres suffisants à
proximité pour attaquer massivement la tête de pont britannique.
Ils décident alors d’interrompre le débarquement en cours en s’en
prenant à la flotte d’invasion dans la baie de San Carlos. Entre
le 21 et le 25 mai, des raids incessants menés par les A-4
SkyHawks de l’Armada, les
Dagger14
et les Mirage III
de la FAA15
vont se succéder.
Dagger attaquant la flotte britannique à très basse altitude dans la baie de San Carlos (source: http://www.roguegunner.com) |
Partis
du continent, ils arrivent au ras des vagues pour échapper aux
missiles anti-aériens, la verrière encroûtée de sel. La baie très
encaissée ne leur laisse que quelques instants pour identifier et
cibler leurs objectifs, puis larguer leurs bombes. Quasiment tous les
navires présents sont touchés à des degrés divers. Heureusement
pour les Britanniques, la plupart des bombes, lancées à trop basse
altitude, n’ont pas le temps de s’armer avant l’impact et, soit
traversent les navires de part en part, soit s’y logent sans
exploser. Malgré tout, plusieurs d’entre eux vont succomber. La
frégate Type-21 HMS Ardent,
touchée à de multiples reprises le 21 mai, fini par couler le 22.
Une autre frégate de la même classe, le HMS
Antelope, reçoit plusieurs
bombes qui n’explosent pas. Malheureusement, le 23 mai, alors que
les artificiers tentent de les désamorcer, l’une d’entre elles
se déclenche, entraînant un incendie qui fini par atteindre une
soute à munitions ou sont entreposés des missiles anti-aériens.
L’explosion qui s’en suit désintègre le navire qui coule
aussitôt. Le 24, les Argentins passent à deux doigts de leur
objectif en surprenant au matin 3 navires de débarquement (LSL) :
les RFA Sir Galahad,
Sir Lancelot
et Sir Bedivere.
Ceux-ci, criblés d’obus, resteront hors service plusieurs jours,
portant un coup de frein au renforcement de la tête de pont, qui ne
peut désormais être ravitaillée que de nuit. Le 25, le destroyer
Type-42 HMS Coventry
(classe Sheffield)
succombe à son tour aux bombes des SkyHawks
de l’aéronavale argentine. Ces derniers ont pu s’entraîner
longuement à attaquer ce type de navire, les Argentins en ayant
acheté à l’Angleterre quelques années auparavant.
Une des photos les plus célèbres du conflit : Le HMS Antelope explosant le 23 mai (source : http://transformersuk.blogspot.fr) |
Le HMS Coventry vient de recevoir une première bombe (source: http://www.dailymail.co.uk) |
Le
même jour, un navire vital pour la suite des opérations doit
délivrer sa cargaison. Il s’agit du RFA
Atlantic Conveyor, un
porte-conteneurs hâtivement converti en navire auxiliaire16.
Il apporte des tentes pour 4500 hommes, une usine de production d’eau
potable, des Harrier
en renfort, les éléments d’un aérodrome de campagne pour ces
derniers, et, surtout, des hélicoptères de manœuvre Chinook
pour les troupes au sol. Pour l’occasion, le groupe de porte-avions
se rapproche des îles pour l’escorter. L’occasion est trop belle
pour les Argentins, qui veulent marquer le coup en ce jour de fête
nationale. Ils décident d’attaquer le porte-avions Hermes
avec deux Super-Etendard
munis d’Exocet.
Cette fois, ces derniers sont bien détectés par les Anglais et tous
les navires lancent des leurres, détournant les missiles du
porte-avions. Tous sauf…le porte-conteneurs qui n’en possède
pas. Un des 2 missiles s’abîme en mer, mais l’autre, dont
l’autodirecteur cherche une nouvelle cible, l’accroche. L’impact
met le feu à sa cargaison. Seuls les Harrier
ont pu rejoindre le HMS
Hermes par leurs propres moyens,
tout le reste gît au fond de l’océan.
Cet
épisode de quelques jours, surnommé « Allée des bombes »
par les Anglais, entraîne de lourdes pertes des deux côtés. Des
dizaines de marins anglais y laissent la vie, alors que l’aviation
argentine va littéralement s’immoler dans sa tentative désespérée
de stopper le débarquement : près de la moitié de la soixantaine
d’avions envoyés va être abattue, principalement par les
Sidewinder
des Harrier
et dans une moindre mesure par les missiles Sea
Dart et Sea
Wolf de la flotte. Les missiles
anti-aériens Rapier
et BlowPipe17
déployés au sol n’ont pas particulièrement brillés par leur
efficacité. Les avions rescapés, criblés d’impacts, sont
tellement endommagés que bien peu pourront être remis en état
rapidement, si bien que les raids vont s’atténuer, faute de
combattants.
Une batterie de missiles Rapier fait feu sur des avions attaquant les navires dans la baie de San Carlos (vue d'artiste, source: http://www.naval-history.net) |
Sortir de la tête de pont – la bataille de Goose Green
La
perte de du RFA Atlantic
Conveyor, avec les hélicoptères
destinées aux troupes
terrestres qu’il
transportait, a
de graves conséquences sur le plan prévu. En effet, les
hélicoptères restant étant majoritairement utilisés par la Royal
Navy pour la lutte anti-sous-marine, l’approvisionnement de la tête
de pont et les missions des forces spéciales, il n’en reste que
quelques-uns à disposition des troupes terrestres. Leur commandant,
le général de brigade Thomson, ne peut espérer en obtenir plus au
détriment de la marine, étant donné que son supérieur direct pour
cette opération est au quartier général à Londres, peu au fait
pour régler ce niveau de détail, et que celui qui assure en
pratique la coordination globale sur place n’est autre que… le
contre-amiral Woodward qui dirige la flotte d’invasion. Ses troupes
vont donc devoir faire la majeure partie du trajet à pied jusqu’à
Port Stanley. La progression sera ainsi beaucoup plus lente et plus
vulnérable aux attaques, d’autant que l’hiver austral approche à
grands pas : il gèle déjà la nuit et la météo prévoit les
premières neiges dans les jours qui viennent. La position argentine
de Goose Green, comprenant un aérodrome et de l’artillerie, qui
devait être initialement contournée, ne peut donc être laissée
sur le flanc sud de l’axe principal, d’autant qu’une forte
pression politique s’exerce pour obtenir un premier succès
terrestre significatif.
Le
26 mai, l’essentiel de la 3rd
Commando Brigade
prend la route de Port Stanley, tandis que le 2nd
Bataillon du Parachute
Regiment prend de nuit la route de Goose Green, distante de
30 km environ. A pieds, sans blindé de soutien, avec seulement 2
mortiers de 81mm, démontés et portés à dos d’homme, s’ajoutant
aux 50kg minimum d’équipement individuel, les 600 parachutistes
arrivent épuisés le lendemain matin sur leurs lignes de départ…
pour entendre à la radio la BBC annonçant leur arrivée prochaine à
Goose Green ! L’effet de surprise est annulé. Pensant faire
face à l’équivalent d’un bataillon de conscrits au moral
chancelant à cause du froid et du manque de nourriture, ils arrivent
sur des positions défensives bien préparées et tenues par
l’effectif d’un régiment (plus de 1000 hommes) bien doté en
artillerie, barrant l’isthme de moins de 2 km de large qu’il leur
faut franchir pour atteindre l’objectif.
Position de mortier argentine défendant Goose Green. A l'arrière plan : le village et la baie (source : http://fdra.blogspot.fr) |
Après
un bombardement imprécis des positions argentines effectué par deux
Harrier,
dont l’un est abattu par des canons anti-aériens, les sapeurs
déminent des points de passage dans la soirée du 27. Dans la nuit,
l’assaut britannique est lancé sous une pluie glacée par deux
compagnies… pour venir se briser devant les tranchées adverses,
sous le feu de mitrailleuses bien abritées et le tir coordonné de
canons de 105mm. Une compagnie (A
Coy sur le plan) est dans une
situation critique, bloquée au pied de la colline de Darwin,
fermement tenue par les Argentins. Les pertes commencent à
augmenter, et il est difficile d’évacuer les blessés sous le feu.
Le lieutenant colonel Jones, commandant du bataillon, rejoint alors
la compagnie bloquée et, voyant qu’il risque de voir ses effectifs
fondre rapidement en restant sur place, prend alors la tête d’un
petit détachement qui va prendre d’assaut, à la grenade et au
corps à corps, les tranchées argentines en contournant la colline
par l’Ouest. Il y laissera la vie. Galvanisés par la perte de leur
chef, les autres parachutistes s’infiltrent dans les tranchées et
réduisent toute opposition à coups de lance-roquettes de 66mm.
Au
matin du 28 mai, les Pucara
argentins s’en prennent à l’échelon logistique du bataillon,
abattant un hélicoptère. A l’Est de l’isthme, l’autre
compagnie d’assaut (B Coy
sur le plan) attaque les fortins argentins qui barrent le passage de
Boca House à coups de missiles antichar Milan,
dont le fort pouvoir de pénétration les fait taire un a un, lui
permettant de contourner la principale ligne de défense. Pris en
tenaille entre les deux compagnies, le dispositif argentin qui barre
l’isthme s’effondre et les soldats commencent à se rendre en
masse. Les deux autres compagnies maintenues en réserve prennent
alors le relais et poussent immédiatement vers le village et son
aérodrome… pour se faire accueillir par le tir tendu de canons
anti-aériens de 20 et 35 mm, auxquels se joignent bientôt les
canons de 105 et les mortiers parfaitement dissimulés au milieu des
habitations. L’aviation argentine intervient alors, mais de manière
imprécise, avec deux MB 339
attaquant à la roquette, dont l’un est abattu par un missile
Blowpipe,
et 3 Pucara
lâchant du… napalm ! L’un d’entre eux est également
abattu.
Les différentes phases de la bataille (source:
http://www.britishempire.co.uk)
|
Les
Britanniques cherchent alors à contourner les positions argentines.
Au milieu de l’une d’elles, un drapeau blanc apparaît. Un
lieutenant et deux sous-officiers anglais s’avancent alors… mais
un tir venant des lignes britanniques passe au-dessus d’eux. Les
Argentins se ravisent et abattent les trois hommes. Les parachutistes
ne vont alors plus chercher à faire de quartier18,
et se ruent sur les positions argentines en les noyant sous les
roquettes et les grenades au phosphore. 3 Harrier
GR3 arrivent alors du HMS
Hermes et pulvérisent les
canons anti-aériens argentins tout en lâchant des bombes à
fragmentation sur l’infanterie. C’en est trop pour les conscrits
argentins dont le moral commence à craquer. Mais la nuit tombe et le
village tient toujours. Au cours de la journée, plusieurs rotations
d’hélicoptère ont amené des renforts argentins, environ 200
hommes19,
prélevés sur la position d’importance la plus proche, le Mont
Kent. Au matin du 29 mai, après une nuit passé à la belle étoile
dans le vent et le gel, la scène est prête pour l’assaut final.
La situation est délicate car des civils libérés informent les
Anglais que 114 d’entre eux sont retenus dans la salle des fêtes.
Devant le risque élevé de pertes civiles et l’épuisement de ses
propres troupes, le commandant britannique, qui vient de recevoir 3
canons et 6 mortiers supplémentaires, décide alors de monter une
opération d’intoxication afin d’entraîner sans combat la
reddition des derniers défenseurs, au moral jugé chancelant. Il
envoie alors deux prisonniers argentins porter un ultimatum, en
prenant soin de les faire circuler au préalable devant l’ensemble
du parc d’artillerie prêt à tirer. L’effet escompté est obtenu
et les troupes argentines se rendent à la mi-journée.
Le
bilan de ce combat intense, caractérisé par des affrontements
d’infanterie au corps à corps qui ne sont pas sans rappeler ceux
de la seconde guerre mondiale, est lourd : 17 morts et 66
blessés côté anglais, 55 tués, 86 blessés et plus de 1000
prisonniers chez les Argentins. La progression vers Port Stanley est
maintenant sécurisée et les Britanniques, lors de ce premier
engagement terrestre d’envergure, ont pris un indéniable ascendant
moral sur leur adversaire. Toutefois, l’âpreté des engagements et
les pertes élevées laissent augurer une campagne difficile pour la
suite. Il faudra en effet aux Anglais encore 2 semaines de combats
acharnés pour obtenir la reddition des Argentins, qui n’ont pas
dit leur dernier mot. Mais ceci fera l’objet d’un prochain
article.
Analyse et enseignements
Tout
d’abord, tentons de répondre à la première question posée dans
l’introduction : en quoi ce débarquement est-il particulier ?
En premier lieu, ce conflit se déroule entre deux alliés des
Etats-Unis, bien que l’un soit une démocratie et l’autre une
dictature. Tous les deux sont équipés de matériel occidental, et
parfois des mêmes armes (fusils FAL, destroyers classe Sheffield
par exemple). L’affrontement est symétrique, ce qui est devenu
exceptionnel : chaque belligérant va engager des moyens lourds
dans un combat de haute intensité. L’opération aéronavale et
amphibie montée par les Britanniques est remarquable par la distance
qui sépare l’objectif de leurs bases. Aucun soutien n’est à
espérer à proximité. Les seuls moyens à disposition pour le
débarquement sont ceux que la flotte emmène avec elle depuis les
Royaume-Uni et Gibraltar, après escale logistique à Ascension. Le
rapport de force pour les troupes terrestres, chose rare pour un
débarquement, est défavorable à l’attaquant (de l’ordre de 1
contre 3, il sera ramené à 2 contre 3 avec l’arrivé de la 5th
Infantry Brigade début Juin).
Il est largement compensé par l’utilisation de troupes
professionnelles, par opposition aux conscrits qui constituent près
de 75% des effectifs argentins20.
Une autre particularité est la faiblesse des moyens aéronavals
britanniques : deux petits porte-avions à vocation
anti-sous-marine utilisés à contre-emploi en tant que
capital-ships,
emportant un nombre réduit d’avions dont la qualité première est
de pouvoir décoller et atterrir de manière verticale ou courte,
ceci au détriment des performances et de l’autonomie. Ils sont à
opposer au parc aérien argentin, relativement récent et surtout 4
fois plus nombreux. On peut dire que les Anglais ont pris un risque,
calculé certes, mais non négligeable.
Seconde
question : comment les Anglais vont-ils l’emporter ? Tout
d’abord, voyons pourquoi ils avaient de grandes chances de ne pas y
arriver. En effet, au moment de l’invasion argentine, la
Grande-Bretagne est prise en flagrant délit de « solde de
l’empire » : la grave crise économique qu’elle
traverse entraîne des restrictions budgétaires appliquées à son
appareil militaire. Elle ne peut plus se permettre à la fois
d’entretenir une flotte lui permettant d’intervenir dans le monde
entier pour sauvegarder ses intérêts, et de tenir son rang au sein
de l’OTAN face au bloc soviétique. Le ministre de la défense, sir
John Nott, en accord avec le premier ministre, va trancher en faveur
de cette dernière option, et on voit la Royal Navy s’apprêter à
se séparer de ses porte-avions et de ses navires de débarquement en
faveur de ses moyens sous-marins en particulier. Dans ces conditions,
le Royaume-Uni n’aurait pu qu’assister à l’annexion des
Malouines par les Argentins les bras croisés. Mais ces derniers ne
vont finalement pas choisir le meilleur moment pour attaquer :
les moyens aéronavals et amphibies qui allaient être abandonnés
dans quelques mois vont être remis en condition in-extremis, et les
points forts dus à son choix de l’OTAN vont lui être précieux.
En effet, les sous-marins nucléaires d’attaque vont lui permettre
de paralyser la flotte ennemie. Leurs moyens anti-sous-marins,
taillés pour affronter les Soviétiques, vont permettre aux Anglais
de ne jamais être inquiété par les sous-marins argentins. Les
outils de communications au standard OTAN, en particulier par
satellite, vont permettre au cabinet de guerre à Londres de rester
en contact permanent avec la flotte, le corps expéditionnaire, et
les forces spéciales infiltrées sur place, sans risque de
décryptage. Les temps de réactions pour les grandes décisions en
seront donc beaucoup plus courts que pour les Argentins, d’autant
plus que le trumvirat
à la tête de la dictature doit d’abord trouver une position
commune avant d’agir. A cela il convient d’ajouter plusieurs
autres facteurs clés. Outre une brillante intoxication sur le lieu
réel du débarquement, l’utilisation exclusive de troupes d’élite
aguerries comme les parachutistes, les SAS,
SBS
et bien sûr les Royal Marines va
s’avérer décisive. Ces derniers sortent d’un entraînement en
conditions hivernales dans le Nord de l’Ecosse. Cela ne sera pas de
trop pour leur permettre d’endurer les conditions climatiques,
matérielles et humaines dantesques qu’ils devront affronter. Ce ne
sera pas le cas pour les conscrits argentins. Enfin, le succès
anglais n’aurait pas été possible sans l’aide des Etats-Unis
et, dans une moindre mesure, de la France. En effet, les premiers
vont lui fournir les renseignements obtenus par leurs satellites
espions (la Grande-Bretagne n’en dispose pas en propre), en
particulier la position des unités de la flotte argentine. Mais ils
vont aussi lui fournir une des armes clés du succès : la
dernière version du missile air-air sidewinder,
qui va leur permettre de tenir sous les assauts de l’aviation
argentine lors des premiers jours d’existence de la tête de pont
dans la baie de San Carlos. La France joue un rôle important en
interrompant ses ventes de Super-Etendard d’Exocet à l’Argentine,
limitant leur nombre à un niveau qui ne permettra pas d’avoir un
impact stratégique sur le conflit.
Les
Britanniques ont malgré tout commis des erreurs qui permettent de
tirer plusieurs leçons. En premier lieu, quand on veut conserver une
ambition stratégique internationale, il convient de garder des
moyens de projection importants (porte-avions, navires d’assaut
amphibies). Ensuite, il manque clairement un commandant « de
théâtre » qui aurait chapeauté à la fois la flotte et les
troupes débarquées. Il aurait pu ainsi trancher les demandes
concurrentes d’allocations de ressources, en particulier quand
celles-ci deviennent rares comme les hélicoptères de manœuvre
suite à la perte du RFA Atlantic
Conveyor. Pour continuer, on a
assisté à une nouvelle forme de guerre aéronavale dans laquelle
les navires sont très vulnérables aux assauts aériens, en
particulier les « piquets radars », comme les HMS
Sheffield et Coventry.
Le manque criant d’avions d’alerte avancés et la faible
autonomie des intercepteurs (découlant du choix de petits
porte-aéronefs de type STOVL21)
ne permet pas de créer la bulle de protection nécessaire à une
flotte pour se tenir à l’abri des attaques aériennes et des
missiles antinavires. Autre leçon : le rôle majeur des
sous-marins nucléaires d’attaque. Ces derniers pouvant apparaître
comme les nouveaux capital-ships
dans une stratégie de déni d’accès à une zone, par leur
capacité à rester cachés de longs mois, leurs moyens de détection
et leur capacité de destruction. Pour finir, tout cela n’aurait
pas été possible sans les informations fournies par les satellites
d’observations militaires, gracieusement mises à disposition par
les Américains. On peut voir le satellite espion comme un nouveau
marqueur d’indépendance nationale en matière militaire.
Bibliographie
Admiral
Sandy Woodward, One
hundred days,
HarperPress, revised edition, London, 2012
Henri
Masse, Une guerre pour les
Malouines, thèse de doctorat en
histoire, Université de Metz (accessible en pdf à cette adresse :
ftp://ftp.scd.univ-metz.fr/pub/Theses/1997/Masse.Henri.LMZ9710.pdf)
Stephen
Badsey, Mark Grove, Rob Havers, The
Falklands Conflict Twenty Years On: Lessons for the Future (Sandhurst
Conference Series),
Franck Cas, 2005
Martin
Middlobrook, The
fight for the Malvinas,
London, Viking, 1989
Julian
Thompson, 3rd
Commando Brigade in the Falklands, No Picnic,
Pen & Sword Military, Barnsley, 2008
1Il
s’agit dans les faits plutôt d’un triumvirat
regroupant les chefs des 3 armes (air, mer, terre), dans lequel
toute décision importante est le résultat d’un compromis entre
leurs intérêts
2Stephen
Badsey, Mark Grove, Rob Havers, The
Falklands Conflict Twenty Years On: Lessons for the Future
(Sandhurst Conference Series),
Franck Cas, p 67.
3Martin
Middlobrook, The
fight for the Malvinas,
London, Viking, 1989, p.19
4D’après
le site officiel de la Royal Navy :
http://www.royalnavy.mod.uk/sitecore/content/home/about-the-royal-navy/organisation/life-in-the-royal-navy/history/battles/the-falklands-conflict-1982/the-time-line
5HMS :
Her Majesty’s Ship
6Royal
Fleet Auxiliary (RFA) : navires de servitude avec des équipages
civils mais dépendant du ministère de la défense.
7Les
moyens logistiques, rapidement débordés, sont ceux de la brigade
des Royal Marines, et ne sont pas dimensionnés pour gérer tous les
renforts lui ont été adjoints (Benoist Bihan, De
la mer à la terre,
Histoire et Stratégie n°7, pp. 81-82)
8Dereck
Oakley, The
Falklands military machine,
London, Spellmount, 1989,p.120.
9ARA :
Armada de la República Argentina
10Jean-Robert
Daumas et Sven Ortoli, La
leçon d'électronique des Malouines,
Science et Vie N° 778, Juillet 1982, p.70
11RMS :
Royal Mail Ship
12Henri
Masse, Une
guerre pour les Malouines,
Thèse de doctorat en histoire, Université de Metz, p. 307
13David
Brown, The
Royal Navy and the Falkands war,
London, Leo Cooper, 1987, p.68
14Version
israélienne du Mirage 5
15Fuerza
Aérea Argentina : Force Aérienne Argentine
16Avec
notamment une plate-forme de décollage pour les Harrier
17Système
lance-missile anti-aérien portable à guidage optique, peu
performant par rapport au Stinger
américain
18Max
Arthur, Men
of the red beret,
Wamor, London, 1990, p.574
19Henri
Masse, Une
guerre pour les Malouines,
Thèse de doctorat en histoire, Université de Metz, p. 370-373.
20Martin
Middlobrook, The
fight for the Malvinas,
London, Viking, 1989, p.147
21Short
Take Off and Vertical Langing : décollage court et atterissage
vertical
Excellent résumé. =)
RépondreSupprimerQuelques pinaillages de détail :
- à l'époque le SBS est encore appelé Special Boat Squadron et non Service
- à Pebble Island, ce ne sont pas les SAS qui "placent des charges de démolition sous la piste" mais les Argentins qui, craignant que l'attaque soit suivie d'un poser d'assaut de forces britanniques supplémentaires, font sauteurs les charges qu'ils avaient placées préventivement sous la piste.
- Fanning Head, le point qui contrôle l’entrée de la baie de San Carlos, a été pris par le SBS au lieu du SAS.
Cordialement
Autre pinaillage, le premier navire coulé par un sous-marin depuis la seconde Guerre Mondiale n'est pas le Belgrano, mais la frégate indienne INS Khukri, coulée par le sous-marin pakistanais PNS Hangor lors de la guerre de 1971.
RépondreSupprimer