La guerre qui opposa le
Japon à la Russie en 1904-1905 est un conflit largement
méconnu en France, éclipsé en grande partie par les
événements révolutionnaires qui ébranlèrent la monarchie des
Romanov qui suivirent le désastre militaire russe et qui
apparaissent comme les préludes de la Révolution de 1917. Ce
conflit ne fut pas seulement une démonstration de la faiblesse de la
Russie tsariste mais aussi le révélateur de l'émergence d'une
nouvelle puissance, le Japon. A ce titre il modifia les stéréotypes
occidentaux concernant les Asiatiques qui démontrèrent qu'ils
pouvaient rivaliser, par le biais de la technologie moderne et de
l'expansion impérialistes avec les puissances européennes.
David FRANCOIS
Russie contre Japon,
le choc de deux impérialismes.
Le développement de
l'impérialisme japonais prend sa source dans le renversement du
Shogunat en 1868 et la restauration du pouvoir de l'Empereur. Avant
cet événement le Japon avait longtemps poursuivi une politique
d'isolement, s'interdisant tout contact avec l'Occident. Cette
posture fut sérieusement ébranlée quand le président américain
Fillmore, après avoir essayé de négocier un traité d'amitié avec
le Japon en 1853, envoya une escadre de 7 navires qui obligea les
Japonais, sous la pression des armes, à signer un accord
d'ouvertures commerciales. Rapidement les autres nations, la France,
la Russie, la Grande-Bretagne, la Prusse s'engouffrèrent dans cette
brèche et demandèrent à bénéficier des mêmes avantages
commerciaux que ceux obtenus par les États-Unis. A la suite de ces
événements, qui démontrent l'infériorité japonaise, le pouvoir
impérial est restauré et l'Empereur Meiji lance un programme de
modernisation de l'ensemble du pays notamment l'armée.
En 1894-1895 avec une
marine formée par les Britanniques et une armée modernisée sur le
modèle allemand, le Japon mène une courte mais victorieuse guerre
contre la Chine, s'assurant ainsi le contrôle de la Corée et dus
sud de la Mandchourie, une région stratégique qui est à la fois un
tremplin pour envahir l'archipel nippon mais égalent une tête de
pont pour les ambitions japonaises sur le continent. Mais ces
acquisitions sur la Chine, notamment la péninsule du Liaotung,
incluant la ville de Port-Arthur, lui sont vite retirées sous la
pression de la France, de l'Allemagne et de la Russie pour retourner
dans le giron chinois. Peu après, en 1897, la Russie propose à la
Chine, qui ne parvient pas à payer au Japon les indemnités de
guerre de se porter garants des emprunts qu'elle fait en échange de
concessions en Mandchourie. Le but de cette manœuvre pour la Russie,
qui cherche à disposer d'un port libre de glace pour sa flotte dans
le Pacifique donnant, est de permettre la construction d'une ligne de
chemin de fer prolongeant le Transsibérien à travers la Mandchourie
pour atteindre Vladivostok plus rapidement mais également d'une
autre ligne traversant la péninsule du Liaotung pour rejoindre le
port de Dalny et la base navale de Port-Arthur. La Russie est
particulièrement confiante dans la réussite de son projet qui peut
lui permettre d'avoir le contrôle économique de la Mandchourie.
Surtout il lui semble qu'aucune puissance ne souhaite l'empêcher
alors de posséder un port dans une mer chaude.
Le soulèvement des
Boxers en 1900 a vu la constitution d'une force internationale,
incluant des contingents russes et japonais, pour venir au secours
des légations étrangères assiégées à Pékin. La Russie en
profite pour envoyer 100 000 hommes
en Mandchourie et occuper les trois provinces qui forment la
région. Mais les Japonais ont pu, à cette occasion, appréhender
les difficultés des Russes à déployer et approvisionner leur armée
en Extrême-Orient. En 1902 les Britanniques se retrouvent isolés
sur la scène internationale à la suite de la condamnation par les
autres puissances européennes de la guerre qu'ils ont mené contre
les Boers en Afrique du Sud. Ils acceptent donc volontiers la
proposition japonaise d'une alliance défensive qui stipule que la
Grande-Bretagne entrera en guerre avec les pays qui se joindront à
la Russie contre le Japon. Afin d'assurer la sécurité nippone, le
président américain Theodore Roosevelt prévient fermement la
France et l'Allemagne que les États-Unis soutiendront le Japon si ce
pays avait des démêlés avec eux.
La Russie, se sentant
ainsi de plus en plus isolée
faces aux Japonais, décide de faire marche arrière et accepte de
retirer graduellement ses troupes de Mandchourie. Mais dès 1903 les
Russes reviennent sur leur parole maintenant des forces sous le
prétexte de garder la nouvelle ligne de chemin de fer et pour
protéger les activités de la Compagnie forestière russe
d'Extrême-Orient qui profite des lucratives concessions de bois le
long de la frontière avec la Corée et la Chine. Pour les Japonais
il devient alors clair que les Russes ne veulent pas quitter la
Mandchourie et que la question de l'hégémonie sur cette région ne
peut être résolue que par une intervention armée. En juin 1903,
l'Empereur du Japon donne son accord pour une guerre avec la Russie.
Le 1er février, le général Iwao Oyama demande au Mikado la
permission d'entrer en guerre, ce que ce dernier accepte le 5.
Port-Arthur en 1905 |
La Mandchourie ne semble,
à priori, pas adaptée pour une guerre moderne. Elle est accidentée
et montagneuse et les routes ne sont rien d'autre le plus souvent que
des chemins de terre. La campagne se transforme aussi en une mer de
boue durant la saison des pluies de juillet à septembre. Outre ces
difficultés naturelles, les Russes doivent également composer avec
l'éloignement de leur base de départ puisque les combats vont avoir
lieu à plus de 8 000 kilomètres de Moscou. Le Transsibérien est
alors l'unique voie de transport dont ils disposent, une voie qui ne
comportent d'ailleurs que peu d'installations de déchargement ou de
voies d'évitement. D'ailleurs la ligne n'est pas totalement terminée
puisque la boucle qui doit contourner le lac Baïkal est encore en
construction et que le tunnel sous la montagne du Grand Kingan n'est
pas terminée. Cela provoque inévitablement une rupture de charge et
il faut donc de quatre à six semaines pour faire le voyage de Moscou
à Harbin. A cela s'ajoute l'inefficacité de la logistique de
l'armée russe.
La guerre
va se jouer également en mer dont le contrôle est déterminant. Les
Japonais doivent en effet absolument obtenir la suprématie navale
pour pouvoir débarquer en toute sécurité leurs troupes en Corée.
La marine russe est certes numériquement supérieure à celle du
Japon mais elle est dispersée entre la mer Baltique, la mer Noire et
l'océan Pacifique. Sa concentration est rendue difficile par la
distance géographique qui sépare les trois escadres et prend donc
un temps considérable tandis que la flotte japonaise est prête pour
une action immédiate proche de ses bases. Le Japon ne disposant pas
sur le plan naval de réserves, ni même de chantier de construction
pour ses navires de guerre, est conscient qu'il lui faut éliminer la
flotte russe de Port Arthur avant que la flotte de la Baltique ne
vienne la renforcer. Les militaires japonais comprennent que pour
atteindre cet objectif une attaque terrestre sur la ville est
nécessaire pour neutraliser les batteries et les forts qui protègent
la flotte adverse. Mais surtout la conquête de Port-Arthur est un
enjeu symbolique de taille qui dépasse de loin les seules
considérations militaires.
Les Japonais
sont également conscients que si la suprématie sur mer est un
facteur clé pour la victoire, la Russie ne renoncera pas à son
emprise sur la Mandchourie tant qu'elle n'aura pas été battue
également sur terre. Mais le commandement japonais surestime ses
forces en pensant que Port-Arthur pourra être prise aussi rapidement
aux Russes qu'elle fut prise aux Chinois en 1894.
Soldats japonais durant la guerre de 1904-1905 |
Le
déséquilibre des forces en présence.
La Russie
dispose alors d'une armée de plus de 4 millions de soldats contre
800 000 au Japon. Cependant quand la guerre éclate, elle ne dispose
en Mandchourie que de 130 000 hommes et 200 canons tandis que l'armée
japonaise peut faire débarquer en Corée 283 000 soldats et près de
900 canons. Surtout le Japon peut déployer son armée plus
rapidement en raison de sa proximité avec le théâtre d'opération
et être ainsi prêt bien avant que n'arrivent des renforts russes.
La Russie doit également conserver ses meilleurs régiments, la
Garde et les grenadiers, à l'intérieur du pays pour faire face à
d'éventuelles révoltes notamment de la part des Polonais à
l'ouest. L'agitation dans les grandes villes industrielles, alimentée
par la propagande révolutionnaire, immobilise aussi une partie de
l'armée russe pour des taches de maintien de l'ordre. Le problème
de la fiabilité des troupes se pose également dans une armée
encore régie par un système de castes où les brutalités et le
mépris de l'encadrement entraînent en retour de la part des soldats
l'hostilité et l'absence de respect de l'autorité des officiers.
Pour aggraver ce tableau, les réservistes russes ne sont pas
fusionnés dans l'armée régulière mais forment des unités
distinctes sans grande valeur militaire.
L'armée
japonaise, bien qu'inférieure en nombre et incapable pour des
raisons financières de soutenir une guerre longue, peut s'appuyer
sur une troupe animée par une ferveur patriotique voire
nationaliste. Les Japonais sont passés dans des écoles primaires où
le respect et la discipline sont des valeurs cardinales. Ils y
reçoivent un enseignement pour qui le service dans l'armée est
présenté comme un devoir héroïque dans la tradition des
Samouraïs. En terme de moral, les troupes japonaises sont ainsi
supérieures à leurs adversaires dans leur détermination à gagner
la guerre et à effacer les humiliations passées du Japon.
Togo
maîtrise la mer.
Sans
déclaration de guerre officielle, le 5 février 1904, une flotte
commandée par le vice-amiral Heihachiro Togo, forte de 10 destroyers
se préparent à passer à l'attaque. Elle prend la mer le lendemain
quittant le port de Sesebo en compagnie de la 1ere et de la 2e flotte
japonaise pour mettre le cap sur Port-Arthur. Le 8 février, les 10
destroyers de Togo surprennent deux navires russes patrouillant à
l'extérieur du port qui rentrent alors à leur base rendre compte.
Peu avant minuit, le 8 février, un essaim de torpilleurs japonais
profite alors de la nuit pour s'approcher de la flotte russe et
frapper les navires ennemis qui n'ont pas le temps de déployer leurs
filets anti-torpilles. La pagaille
se propage rapidement parmi la flotte russe, deux cuirassés et un
croiseur sont touchés et endommagé en quelques secondes, laissant
le reste de la flotte dans une telle confusion qu'elle ne réussit
même pas à riposter. Le lendemain, la flotte russe sort du port
pour riposter mais après quarante minutes de combat indécis elle
regagne sa base. La suprématie navale de la Russie ébranlée, la
flotte de Togo organise le blocus de Port-Arhur.
L'artillerie russe à Port-Arthur |
Le 9
février, la 12e division d'infanterie du général Temetoko Kuroki
débarque à Chempulo, l'actuel Inchon en Corée. Après avec
organiser une solide tête de pont, la 22e division et la Garde
débarquent à leur tour. Les trois unités se regroupent alors pour
former la 1ere armée japonaise sous les ordres de Kuroki.
Rapidement, Pyongyang et Anju sont prises mais le dégel du printemps
retarde l'avancée des troupes vers le nord. Le 1er mai, lors de la
bataille de la Yalou les troupes russes du général Zasulitch sont
repoussées. Même si les pertes sont peu élevées de chaque coté
ce premier succès montre aux autres puissances la force de l'armée
japonaise. Elle oblige aussi le commandant des forces russes en
Mandchourie, le général Alexeï Kouropatkine, à se mettre sur la
défensive ce qui l'empêche de s'opposer au débarquement de la 2e
armée japonaise du général Yasukata Oku, le 5 mai, dans la
péninsule du Liaotung, coupant ainsi les communications entre
Kouroptakine et Port-Arthur. Ce débarquement prend les Russes par
surprise et les troupes d'Oku avancent rapidement scellant le sort de
la péninsule lors de la bataille de Nanshan du 24 au 26 mai où,
malgré l'habile défense du colonel Tretyakov, les défenseurs
russes, pourtant supérieurs en nombre, sont obligés d'abandonner
leurs positions. La première partie du plan japonais est un succès:
Port-Arthur est alors isolé et cela sans que le Japon ne rencontre
une forte opposition ce qui permet de continuer à croire qu'une
attaque rapide permettra une reddition immédiate du port.
Combat naval entre les flottes russes et japonaises |
Après la
victoire de Nanshan, les Japonais occupent le port de Dalny où les
installations portuaires sont intactes permettant le débarquement de
la 11e division qui, réunis à la 1ere division forme la 3e armée
japonaise commandée par le général Maresuke Nogi. Cette armée
reçoit l'ordre de progresser dans la péninsule en direction de
Port-Arthur. Alors que Nogi avance sur la ville, le général Oku
doit déplacer ses troupes pour faire face à la progression des
unités de secours du général Stackelberg qui est finalement battu
à Te-Li Ssu le 15 juin. Pendant ce temps Nogi reçoit la 9e division
en renfort ce qui lui permet de disposer de 80 000 à 90 000 hommes
pour attaquer Port-Arthur.
Le général
russe en charge de la défense de la ville est l'incompétent baron
Stössel qui refuse de remettre son commandement au plus entreprenant
général Smirnov. Il n'a non plus rien prévu en prévision d'un
siège laissant partir par mer des tonnes de nourriture qui auraient
pu nourrir les habitants et les troupes ne laissant sur les quais que
des caisses d'emballage contenant des milliers de bouteilles de
vodka. Alors que la ville commence à être investie il n'hésite pas
à rédiger une ordonnance déclarant qu'il n'y aurait pas de
retraite, montrant ainsi qu'il n'a aucune conscience de la situation
réelle de la ville. Néanmoins les forces russes disponibles pour
défendre Port-Arthur ne sont pas négligeables. Avec les équipages
de la flotte, Stössel peut ainsi compter sur prés de 50 000 hommes
et 500 canons. Il peut aussi, si les circonstances l'obligent, faire
désarmer les navires à quai et transférer leurs canons, au total
284, à terre pour renforcer la défense. Au total, avec les civils,
Port-Arthur abrite au début du siège une population de 87 000
personnes.
La défense de Port-Arthur |
Le système
défensif de la ville semble également puissant. Il a été dessiné
par le héros de la guerre de Crimée le général Todleben mais de
nombreux forts et redoutes ne sont pas encore terminés tandis que le
matériel pour la fabrication du béton ainsi que le fil de fer
barbelé sont rares. Le périmètre défensif extérieur se compose
d'une ligne de collines fortifiées dont les plus importantes sont
celles de Hsiao-ku-Chan et de Ta-ku-Chan près de la rivière Ta-ho à
l'est et de Namako Yama, Akasaka Yama, la colline 174, la colline 203
et la Fausse colline à l'ouest. En arrière de cette ligne se trouve
une première enceinte, d'origine chinoise, qui entoure la vieille
ville au sud jusqu'à la rivière Lun-ho au nord-ouest. Les Russes,
sous la direction des généraux Smirnov et Kondratienko, ont
prolongé cette enceinte à l'ouest et au sud pour rejoindre les
approches du port et de la ville nouvelle. Ces lignes de défense
sont également renforcées par des forts et des tranchées de
raccordement. A 4 km en arrière se trouve une dernière ligne de
retranchements autour de la vieille ville. Si l'ennemi atteint cette
ultime position la situation du port deviendra intenable.
L'assaut
frontal contre Port-Arthur.
Le général
Nogi toujours confiant dans sa capacité à prendre Port-Arthur sans
difficulté commence, le 7 août, à faire bombarder les
fortifications de Ta-ku-Chan et Hsiao-ku-Chan. Les tirs durent de
4h30 le matin à 19h30 avant que infanterie ne passe à l'attaque.
Mais la forte pluie, l'obscurité et la fumée dense ralentissent les
troupes japonaises qui ne parviennent qu'à gravir la moitié des
pentes des deux collines. Nogi fait recommencer, avec plus
d'efficacité, le bombardement le lendemain obligeant les unités
russes à se retirer. Mais il reste cependant un noyau dur de
défenseurs qui s'accroche avec vaillance à leurs positions
jusqu'à ce qu'elles soient enfin prises par les Japonais. Ta-ku-Chan
tombe à 20h00 et Hsiao-ku-Chan le lendemain 9 aout.
Un assaut japonais |
Quand le
tsar apprend la chute des deux collines il ordonne à l'amiral
Vitgeft, qui a remplacé l'amiral Makarov, de prendre la mer pour
rejoindre Vladivostok. La flotte quitte le port à 8h30 le matin du
10 août avec six cuirassés, trois croiseurs et huit destroyers
laissant à Port-Arthur le croiseur Bayan endommagé par une
mine. Mais les destroyers japonais repèrent la flotte russe à 11h30
et à 12h10 commence la bataille de la mer Jaune. Togo, avec 4
cuirassés, 11 croiseurs et un ensemble de 46 autres navires
comprenant des destroyers et des torpilleurs, ne veut pas engager
l'ennemi de trop prés pour ne pas affaiblir sa flotte avant
l'arrivée de l'escadre russe de la Baltique. Il préfère donc
garder ses cuirassés et croiseurs lourds en réserve et n'engage que
ses destroyers et torpilleurs. S'apercevant que l'amiral russe
cherche à éviter l'affrontement et attend de pouvoir s'échapper en
profitant de la nuit, Togo ordonne à ses navires de se rapprocher de
la flotte russe. A 16h15 le combat s'engage et après une heure et
demie d'un affrontement confus et d'un bombardement incessant, le
navire de l'amiral Vitgeft, le Tsarevitch, est touché par un
obus de 12 pouces tuant l'amiral. En l'absence de son commandant la
confusion s'installe au sein de la flotte russe. Le second amiral, le
Prince Ukhtomski à bord du
Peresvyet, décide de faire demi-tour vers Port-Arthur
mais le Tsarevitch, gravement endommagé, et trois autres
destroyers prennent la fuite en direction du port allemand de
Kiao-chou où ils sont internés tandis que trois autres croiseurs et
un destroyer atteignent Shanghaï et Saïgon où ils sont également
internés. Un autre croiseur, le Novik, atteint les eaux
territoriales russes mais il tombe sur deux croiseurs japonais au
large de Sakhaline. Après un court combat l'équipage préfère
saborder le navire.
La victoire
de la mer Jaune pousse le général Nogi à attaquer Port-Arthur
avant l'arrivée de la flotte russe de la Baltique et empêcher que
cette dernière n'utilise la base pour couper les communications
maritimes entre le Japon et le continent. Il pense alors qu'il est en
mesure de prendre la ville en lançant un assaut contre les
fortifications. C'est là la première tentative d'une attaque de
forteresses avec des mitrailleuses et de l'artillerie à tir rapide,
une tentative risquée face à un ennemi déterminé à résister.
Après avoir
demandé aux Russes de se rendre, ce qu'ils refusent, l'attaque
japonaise démarre à l'aube du 19 août contre la colline 174 et le
long de la ligne reliant le fort de Sung-shu et la batterie de Chi
Kuan. La colline 174 est tenue par deux régiments de Sibérie
orientale et deux compagnies de marins sous le commandement du
colonel Tretyakov. Le combat, qui se déroule de nuit, est acharné.
Tout comme à Nanshan, Tretyakov, bien que ses premières lignes de
tranchées soient prises, s'accroche avec détermination à la
colline 174. Le jour suivant, le 20 août, il demande des renforts
mais aucune unité ne vient à son aide. Avec plus de la moitié de
ses hommes tués ou blessés et des Japonais qui continuent
d'attaquer, une partie de ses soldats se débandent et il ne parvient
à en reprendre le contrôle qu'aprés avoir abandonné la colline.
Le combat a néanmoins été coûteux puisque les Japonais ont perdu
1 800 tués ou blessés et les Russes environ un millier.
Corps à corps lors du siège de Port-Arthur |
Les autres
attaques contre les forts et redoutes russes, menée par les 9e et
11e divisions, ont également provoqué de lourdes pertes chez les
Japonais. Quand Nogi décide finalement de mettre fin à sa tentative
de prendre de front le port, le 24 août, il n'a conquis que la
colline 174 et les forts chinois de Pan-lung-est et Pan-lung-ouest
pour un coût de 16 000 hommes. Toutes les autres positions sont
restées aux mains des Russes. Les combats sont si violents
que les survivants d'un régiment japonais refusent de repartir à
l'assaut. Un autre régiment parti à l'assaut avec 1 800 soldats ne
compte plus que 200 hommes après 4 jours de combats. Nogi décide
alors de se contenter d'un siège en règle.
Alors que
les Japonais s'installent devant Port-Arthur, les principales armées
des deux protagonistes s'affrontent à la bataille de Liaoyang le 25
août. Le combat où s'affrontent les troupes du maréchal Oyama et
celles du général Kouropatkine dure 9 jours. Les Japonais perdent
prés de 18 000 hommes et les Russes environ 20 000 mais cette
nouvelle victoire japonaise oblige Kouroptkine à battre en retraite
afin de ne pas être coupé de Moukden l'éloignant encore un peu
plus de Port-Arthur.
Le siège
de Port-Arthur.
Face à la
ville assiégée, Nogi ordonne la construction de tranchées mais il
fait également creuser des tunnels sous les murs des forteresses
russes afin de faire exploser des mines. Des renforts en artillerie
et prés de 16 000 soldats venant du Japon lui permettent aussi de
compenser les pertes subies lors des premiers assauts. Il reçoit
surtout la nouvelle de l'arrivée prochaine, en provenance du Japon,
de six obusiers Krupp de 11 pouces.
Au même
moment, Stössel passe son temps à écrire à Nicolas II des lettres
pour se plaindre de la marine alors que le manque de nourriture
commence à se traduire par des épidémies de scorbut et de
dysenterie. Alors que Stössel semble ignorer le désastre qui se
profile, Nogi fait accélérer les travaux de siège. Son plan est
dorénavant de s'emparer des redoutes du Temple et de la station
d'eau à l'est ainsi que de la colline 203 et de Namako Yama à
l'ouest. Il semble qu'à ce moment aucun des deux adversaires ne
s'aperçoivent de l'importance vitale de la colline 203 qui domine la
rade et dont la prise par les Japonais leur permettrait de bombarder
directement la flotte russe dans le port. Mais le général Kodama,
en visite auprès de Nogi, se rend vite compte de l'importance de la
colline faisant prendre conscience à Nogi qu'elle est la clé de
voûte de l'ensemble de la défense russe.
A la
mi-septembre, les Japonais arrêtent de creuser leurs tranchées à
moins de 70 m de la redoute de la station d'eau qu'ils attaquent et
prennent le 19. Ils s'emparent également de la redoute du Temple
tandis que de puissantes attaques sont lancées contre Namako Yama et
la colline 203. La première est prise le 19, mais les épaisses
colonnes d'assaillants envoyés sur la colline 203 sont repoussées
et font retraite après avoir subi de lourdes pertes. Les Russes
commencent alors à renforcer les défenses de la colline tandis que
Nogi entame un bombardement d'artillerie prolongé sur la ville et le
port. Il tente une nouvelle attaque contre la colline 203 à la fin
octobre qui, si elle avait été prise, aurait été offerte en
présent pour l'anniversaire de l'Empereur le 3 novembre. Il perd
dans ce nouvel assaut raté prés de 5 000 hommes.
Défenseurs russes de Port-Arthur |
Alors que
les défenseurs et les habitants de Port-Arthur souffrent de la faim
et des bombardements, Kouropatkine reçoit en renfort deux corps
d'armée avec l'ordre de passer à l'offensive pour soulager la ville
et éviter que sa prise ne libère les troupes de Nogi pour rejoindre
les autres armées japonaises en Mandchourie. Le combat s'engage à
Sha-ho et dure du 7 au 17 octobre. C'est encore un fiasco pour
l'armée russe, notamment en raison des ordres contradictoires du
commandement et du manque de communication. Les Russes perdent 11 000
tués et 30 000 blessés contre seulement 4 000 morts et 16 000
blessés chez les Japonais. Kouropatkine parvient néanmoins à faire
croire au tsar qu'il a remporté un succès mais Port-Arthur semble
définitivement condamné puisque les deux principales armées
ennemies s'installent dans leur quartier d'hiver.
A
Port-Arthur, Nogi a reçu, à la mi-novembre, par la voie ferrée les
18 obusiers Krupp attendus.
Il a dû, avant de les installer, les faire transporter par des
équipes de 800 soldats le long d'une route étroite de 13 km. Ces
obusiers, ainsi que les 450 autres canons et mortiers japonais
entrent en action et pilonnent les positions russes de manière
coordonnées puisque les Japonais ont centralisé leur artillerie en
installant un quartier général relié par téléphone avec
l'ensemble des batteries se trouvant le long du front. Les obusiers
Krupp sont particulièrement redoutables, tirant des obus de 227
kilos à plus de 9 km. Huit obus Krupp tombent ainsi sur les forts de
Erh-Lung-Chan et Chi-Kuan-Shan le 1er octobre causant des dégâts
importants. Durant le siège ils ne tirent pas moins de 35 000 obus.
En outre 1,4 million de projectiles de différents calibres
s'abattent également sur la ville et le port.
Les obusiers japonais contre Port-Arthur |
N'ayant
aucune possibilité de se rendre compte des effets de ce bombardement
sur la flotte russe et conscients de l'arrivée prochaine de
l'escadre de la Baltique, les Japonais comprennent la nécessité de
détruire les navires encore présents. La prise de la colline 203
devient un objectif essentiel. Pour atteindre cet objectif, Nogi
reçoit en renfort la 7e division du général Oseko. Une fois de
plus les défenseurs russes retranchés au sommet de la colline sont
commandés par le colonel Tretyakov. Ce dernier dispose de 5
compagnies d'infanterie avec des détachements de mitrailleuses,
d'hommes du génie, de quelques marins et d'une batterie
d'artillerie. La colline, bien qu'ayant souffert des attaques
précédentes, reste encore redoutable. Outre la pente abrupte, elle
est protégée par une redoute massive entourée de barbelés épais.
La prise
sanglante de la colline 203.
Après les
coûteuses attaques d'octobre où des milliers d'hommes ont été
perdu, Nogi, qui se trouve sous la menace d'être relevé de son
commandement, subi les pressions de son supérieur, le général
Kodama, qui veut enfin une victoire. Nogi n'a donc plus d'autres
choix que de partir à l'assaut de la colline 203. Après avoir
creusé pendant des semaines des tunnels, les sapeurs japonais
doivent dorénavant se battre pour neutraliser les défenses
souterraines de la colline tandis que des unités vont mener des
attaques de diversion en attaquant la muraille chinoise.
Le jour où
la flotte russe de la Baltique pénètre dans l'Océan Indien, le 26
novembre, commence l'attaque de la colline. Le bombardement des
positions ennemies dure jusqu'à 17h le 27 novembre. Puis, quand le
feu des canons cesse, des masses de soldats japonais sortent de leurs
tranchées sur les cotés de la Akasaka Yama et de la colline 203.
L'attaque est déclenchée de nuit pour permettre aux soldats
d'avancer jusqu'à la ligne russe de barbelés. Là les troupes
restent en position tout au long de la journée suivante tandis que
l'artillerie, dont 4 des obusiers Krupp, reprend ses efforts pour
réduire en ruine les défenses russes. Les soldats japonais de la
1ere division et des unités venant d'autres divisions partent alors
à l'attaque. Les combats sont acharnés. Les troupes nippones
parviennent à entrer dans les deux forts mais elles en
sont chassées avec des pertes énormes. Les Russes font
pleuvoir des grenades sur la masse des soldats ennemis tandis que les
mitrailleuses bien placées fauchent des centaines de soldats qui
essayent d'avancer, les obligeant à renoncer à prendre la colline.
Dans les combats, un bataillon japonais entier disparaît. De
nouveaux assauts sont lancés le 30 novembre et cela jusqu'au 4
décembre. La colline ainsi que celle voisine d'Akasaka Yama changent
plusieurs fois de mains. Mais les Russes tiennent. Enfin le 5
décembre, à 10h30, après un terrible bombardement, la colline est
prise. Les Japonais ne trouvent dans ses ruines qu'une poignée de
défenseurs hébétés alors que Tretyakov a été gravement blessé.
Plus de 11 000 Japonais sont morts et prés de 10 000 sont blessés
pour prendre cette position vitale où les Russes ont perdu 6 000
soldats. Mais ce prix élevé est justifié pour Nogi qui peut
désormais bombarder la flotte russe mouillant dans le port.
Les cadavres japonais après un assaut |
Les lourds
obusiers japonais installés sur la colline 203 détruisent alors
méthodiquement les derniers navires russes en état, permettant
ainsi à la flotte de l'amiral Togo de repartir pour le Japon afin de
se préparer à affronter la flotte russe de la Baltique.
Dans
Port-Arthur, Stössel, lors d'un conseil de guerre, apprend que la
ville ne pourra pas tenir au delà de la mi-janvier 1905. Ne tenant
pas compte des avis contraires il décide de tenir jusqu'à la
dernière extrémité. Mais le 29 décembre lors d'un autre conseil
de guerre il est convaincu que la reddition est la seule solution
alors que les Japonais se sont déjà emparés de 4 forts de la
muraille chinoise et se préparent à lancer l'assaut final sur la
dernière ligne de défense russe.
Le 1er
janvier 1905, Stössel envoie un message à Nogi pour lui demander
les termes de la capitulation. Nogi accepte et la reddition est
signée le 2 janvier. La garnison est amenée en captivité tandis
que les civils sont libres de partir où ils veulent. Les officiers
reçoivent également le choix soit de partager le sort des soldats,
soit de donner leur parole de ne plus prendre part à la guerre. Au
total, 878 officiers, 23 500 soldats, 9 000 marins mais aussi 14 000
malades et blessés sont faits prisonniers par les Japonais.
Désormais
que Port-Arthur est perdu Kouropatkine n'a plus pour tache que de
sauver la Mandchourie. Pour cela il dispose de 3 armées totalisant
310 000 hommes. Face à lui se retrouve l'ensemble des forces
japonaises, y compris la 3e armée de Nogi, ce qui représente prés
de 300 000 soldats. Le 23 février 1905 s'engage la bataille de
Moukden sur un front de 65 kilomètres. Chaque camp s'est installé
dans des tranchées tandis que des centaines de pièces d'artillerie
pilonnent le champ de bataille. Le combat dure jusqu'au 10 mars quand
une poussée japonaise permet finalement de couper la ligne de chemin
de fer en direction de Moukden. Face aux risques d'encerclement,
Kouropatkine ordonne la retraite pour protéger la voie ferrée qui
le relie à Harbin. Moukden reste, par les effectifs engagés, la
plus grande bataille de la guerre où les Japonais perdent plus de 15
000 tués et prés de 60 000 blessés tandis que les Russes ont 40
000 tués ou capturés et 48 000 blessés.
Le dernier
acte de la guerre a lieu en mer quand la flotte de Togo attaque la
flotte russe de la Baltique qui est
entrée en mer de Chine le 9 mai. Cette dernière est détruite
à la bataille de Tsushima. Finalement les deux adversaires
s'assoient à la table des négociations grâce à l'entremise du
président américain Roosevelt. La Russie est en proie à la
révolution depuis le dimanche sanglant du 9 janvier 1905 quand les
soldats ont tiré sur la foule devant le Palais d'Hiver à
Saint-Petersbourg. Le Kaiser, craignant que la révolution en Russie
ne s'étende à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie a poussé son
cousin Nicolas dans la voix de la paix. Le Japon quant à lui n'a pas
les moyens de continuer la lutte. Néanmoins, alors que les
négociations débutent, il envahit l’île de Sakhaline le 7
juillet. La paix est conclu par le traité de Portsmouth le 29 août
1905. Les droits du Japon sur la Corée sont reconnus, la Russie doit
évacuer la Mandchourie, céder Port-Arthur, Dalny, le chemin de fer
du sud de la Mandchourie et la moitié sud de l'ile de Sakhaline.
Pour les
Japonais la victoire sur les Russes est le symbole de la puissance
nouvelle du Japon modernisé. Les anniversaires des victoires
remportées en 1904-1905 sont désormais célébrés chaque année
jusqu'en 1945. Une statue du général Nogi, l'homme qui a pris deux
fois Port-Arthur, en 1894 et en 1905, et qui s'est donné
rituellement la mort en 1912, après le décès de l'Empereur Meiji,
est érigée à Tokyo en 1923. Sur la scène internationale, le Japon
se hisse définitivement au rang de grande puissance. Mais cette
victoire a aussi un grand retentissement en Asie en démontrant qu'il
est possible de vaincre une nation « blanche ». Le Japon
devient alors un modèle pour les mouvements nationalistes.
La reddition de la garnison. |
Sur le plan
militaire, la guerre sur terre entre le Japon et la Russie a vu pour
la première fois s'affronter de grandes armées équipées d'armes
modernes dont des canons à tir rapide et des mitrailleuses. Cette
puissance de feu nouvelle a démontré tout au long du conflit la
nécessité de s'en protéger par la construction de tranchées, la
nécessité également de maintenir les soldats à couvert, dispersés
et camouflés pour minimiser les pertes. Pourtant les observateurs
militaires étrangers semblent ignorer cela et préfèrent exalter
l'esprit d'offensive des Japonais. Ils estiment en effet que c'est la
stratégie essentiellement défensive des Russes a causé leur perte.
Pourtant face à Port-Arthur, où la défense russe a été
généralement mal organisée, les Japonais sont restés longtemps
bloqués subissant des pertes plus élevée que celle des Russes.
Mais cette expérience de Port-Arthur, qui se résume à une
hécatombe de soldats pour des gains mineurs face à des défenseurs
bien armés, retranchés et déterminés est le plus souvent perçue
comme une exception. Pour les États-Majors des grandes puissances,
la guerre de mouvement en Mandchourie du nord est la règle de la
guerre moderne. Les combats de l'été et de l'automne 1914 feront
voler en éclats cette certitude. Seul le Japon, qui ne connut pas
la guerre de tranchées de la Première Guerre mondiale, resta
convaincu que la supériorité de son esprit offensif pouvait lui
permettre de l'emporter contre un adversaire plus puissant. Il mit en
pratique ce credo à partir de décembre 1941.
Bibliographie:
Geoffrey
Jukes, The Russo-Japanese War, 1904-1905, Osprey Publishing,
2002.
Peggy
Warner, The Tide at Sunrise: A History of the Russo-Japanese War,
1904-1905, Routledge, 2004.
Richard
Connaughton, Rising Sun and Tumbling Bear: Russia's War with
Japan, Cassell, 2007.
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