samedi 10 mai 2014

Le siège de Port-Arthur, guerre de siège et guerre moderne à l'aube du 20e siècle

La guerre qui opposa le Japon à la Russie en 1904-1905 est un conflit largement méconnu en France, éclipsé en grande partie par les événements révolutionnaires qui ébranlèrent la monarchie des Romanov qui suivirent le désastre militaire russe et qui apparaissent comme les préludes de la Révolution de 1917. Ce conflit ne fut pas seulement une démonstration de la faiblesse de la Russie tsariste mais aussi le révélateur de l'émergence d'une nouvelle puissance, le Japon. A ce titre il modifia les stéréotypes occidentaux concernant les Asiatiques qui démontrèrent qu'ils pouvaient rivaliser, par le biais de la technologie moderne et de l'expansion impérialistes avec les puissances européennes.

David FRANCOIS



Russie contre Japon, le choc de deux impérialismes.
Le développement de l'impérialisme japonais prend sa source dans le renversement du Shogunat en 1868 et la restauration du pouvoir de l'Empereur. Avant cet événement le Japon avait longtemps poursuivi une politique d'isolement, s'interdisant tout contact avec l'Occident. Cette posture fut sérieusement ébranlée quand le président américain Fillmore, après avoir essayé de négocier un traité d'amitié avec le Japon en 1853, envoya une escadre de 7 navires qui obligea les Japonais, sous la pression des armes, à signer un accord d'ouvertures commerciales. Rapidement les autres nations, la France, la Russie, la Grande-Bretagne, la Prusse s'engouffrèrent dans cette brèche et demandèrent à bénéficier des mêmes avantages commerciaux que ceux obtenus par les États-Unis. A la suite de ces événements, qui démontrent l'infériorité japonaise, le pouvoir impérial est restauré et l'Empereur Meiji lance un programme de modernisation de l'ensemble du pays notamment l'armée.

En 1894-1895 avec une marine formée par les Britanniques et une armée modernisée sur le modèle allemand, le Japon mène une courte mais victorieuse guerre contre la Chine, s'assurant ainsi le contrôle de la Corée et dus sud de la Mandchourie, une région stratégique qui est à la fois un tremplin pour envahir l'archipel nippon mais égalent une tête de pont pour les ambitions japonaises sur le continent. Mais ces acquisitions sur la Chine, notamment la péninsule du Liaotung, incluant la ville de Port-Arthur, lui sont vite retirées sous la pression de la France, de l'Allemagne et de la Russie pour retourner dans le giron chinois. Peu après, en 1897, la Russie propose à la Chine, qui ne parvient pas à payer au Japon les indemnités de guerre de se porter garants des emprunts qu'elle fait en échange de concessions en Mandchourie. Le but de cette manœuvre pour la Russie, qui cherche à disposer d'un port libre de glace pour sa flotte dans le Pacifique donnant, est de permettre la construction d'une ligne de chemin de fer prolongeant le Transsibérien à travers la Mandchourie pour atteindre Vladivostok plus rapidement mais également d'une autre ligne traversant la péninsule du Liaotung pour rejoindre le port de Dalny et la base navale de Port-Arthur. La Russie est particulièrement confiante dans la réussite de son projet qui peut lui permettre d'avoir le contrôle économique de la Mandchourie. Surtout il lui semble qu'aucune puissance ne souhaite l'empêcher alors de posséder un port dans une mer chaude.

Le soulèvement des Boxers en 1900 a vu la constitution d'une force internationale, incluant des contingents russes et japonais, pour venir au secours des légations étrangères assiégées à Pékin. La Russie en profite pour envoyer 100 000 hommes en Mandchourie et occuper les trois provinces qui forment la région. Mais les Japonais ont pu, à cette occasion, appréhender les difficultés des Russes à déployer et approvisionner leur armée en Extrême-Orient. En 1902 les Britanniques se retrouvent isolés sur la scène internationale à la suite de la condamnation par les autres puissances européennes de la guerre qu'ils ont mené contre les Boers en Afrique du Sud. Ils acceptent donc volontiers la proposition japonaise d'une alliance défensive qui stipule que la Grande-Bretagne entrera en guerre avec les pays qui se joindront à la Russie contre le Japon. Afin d'assurer la sécurité nippone, le président américain Theodore Roosevelt prévient fermement la France et l'Allemagne que les États-Unis soutiendront le Japon si ce pays avait des démêlés avec eux.

La Russie, se sentant ainsi de plus en plus isolée faces aux Japonais, décide de faire marche arrière et accepte de retirer graduellement ses troupes de Mandchourie. Mais dès 1903 les Russes reviennent sur leur parole maintenant des forces sous le prétexte de garder la nouvelle ligne de chemin de fer et pour protéger les activités de la Compagnie forestière russe d'Extrême-Orient qui profite des lucratives concessions de bois le long de la frontière avec la Corée et la Chine. Pour les Japonais il devient alors clair que les Russes ne veulent pas quitter la Mandchourie et que la question de l'hégémonie sur cette région ne peut être résolue que par une intervention armée. En juin 1903, l'Empereur du Japon donne son accord pour une guerre avec la Russie. Le 1er février, le général Iwao Oyama demande au Mikado la permission d'entrer en guerre, ce que ce dernier accepte le 5.

Port-Arthur en 1905


La Mandchourie ne semble, à priori, pas adaptée pour une guerre moderne. Elle est accidentée et montagneuse et les routes ne sont rien d'autre le plus souvent que des chemins de terre. La campagne se transforme aussi en une mer de boue durant la saison des pluies de juillet à septembre. Outre ces difficultés naturelles, les Russes doivent également composer avec l'éloignement de leur base de départ puisque les combats vont avoir lieu à plus de 8 000 kilomètres de Moscou. Le Transsibérien est alors l'unique voie de transport dont ils disposent, une voie qui ne comportent d'ailleurs que peu d'installations de déchargement ou de voies d'évitement. D'ailleurs la ligne n'est pas totalement terminée puisque la boucle qui doit contourner le lac Baïkal est encore en construction et que le tunnel sous la montagne du Grand Kingan n'est pas terminée. Cela provoque inévitablement une rupture de charge et il faut donc de quatre à six semaines pour faire le voyage de Moscou à Harbin. A cela s'ajoute l'inefficacité de la logistique de l'armée russe.

La guerre va se jouer également en mer dont le contrôle est déterminant. Les Japonais doivent en effet absolument obtenir la suprématie navale pour pouvoir débarquer en toute sécurité leurs troupes en Corée. La marine russe est certes numériquement supérieure à celle du Japon mais elle est dispersée entre la mer Baltique, la mer Noire et l'océan Pacifique. Sa concentration est rendue difficile par la distance géographique qui sépare les trois escadres et prend donc un temps considérable tandis que la flotte japonaise est prête pour une action immédiate proche de ses bases. Le Japon ne disposant pas sur le plan naval de réserves, ni même de chantier de construction pour ses navires de guerre, est conscient qu'il lui faut éliminer la flotte russe de Port Arthur avant que la flotte de la Baltique ne vienne la renforcer. Les militaires japonais comprennent que pour atteindre cet objectif une attaque terrestre sur la ville est nécessaire pour neutraliser les batteries et les forts qui protègent la flotte adverse. Mais surtout la conquête de Port-Arthur est un enjeu symbolique de taille qui dépasse de loin les seules considérations militaires.

Les Japonais sont également conscients que si la suprématie sur mer est un facteur clé pour la victoire, la Russie ne renoncera pas à son emprise sur la Mandchourie tant qu'elle n'aura pas été battue également sur terre. Mais le commandement japonais surestime ses forces en pensant que Port-Arthur pourra être prise aussi rapidement aux Russes qu'elle fut prise aux Chinois en 1894.

Soldats japonais durant la guerre de 1904-1905



Le déséquilibre des forces en présence.
La Russie dispose alors d'une armée de plus de 4 millions de soldats contre 800 000 au Japon. Cependant quand la guerre éclate, elle ne dispose en Mandchourie que de 130 000 hommes et 200 canons tandis que l'armée japonaise peut faire débarquer en Corée 283 000 soldats et près de 900 canons. Surtout le Japon peut déployer son armée plus rapidement en raison de sa proximité avec le théâtre d'opération et être ainsi prêt bien avant que n'arrivent des renforts russes. La Russie doit également conserver ses meilleurs régiments, la Garde et les grenadiers, à l'intérieur du pays pour faire face à d'éventuelles révoltes notamment de la part des Polonais à l'ouest. L'agitation dans les grandes villes industrielles, alimentée par la propagande révolutionnaire, immobilise aussi une partie de l'armée russe pour des taches de maintien de l'ordre. Le problème de la fiabilité des troupes se pose également dans une armée encore régie par un système de castes où les brutalités et le mépris de l'encadrement entraînent en retour de la part des soldats l'hostilité et l'absence de respect de l'autorité des officiers. Pour aggraver ce tableau, les réservistes russes ne sont pas fusionnés dans l'armée régulière mais forment des unités distinctes sans grande valeur militaire.

L'armée japonaise, bien qu'inférieure en nombre et incapable pour des raisons financières de soutenir une guerre longue, peut s'appuyer sur une troupe animée par une ferveur patriotique voire nationaliste. Les Japonais sont passés dans des écoles primaires où le respect et la discipline sont des valeurs cardinales. Ils y reçoivent un enseignement pour qui le service dans l'armée est présenté comme un devoir héroïque dans la tradition des Samouraïs. En terme de moral, les troupes japonaises sont ainsi supérieures à leurs adversaires dans leur détermination à gagner la guerre et à effacer les humiliations passées du Japon.


Togo maîtrise la mer.
Sans déclaration de guerre officielle, le 5 février 1904, une flotte commandée par le vice-amiral Heihachiro Togo, forte de 10 destroyers se préparent à passer à l'attaque. Elle prend la mer le lendemain quittant le port de Sesebo en compagnie de la 1ere et de la 2e flotte japonaise pour mettre le cap sur Port-Arthur. Le 8 février, les 10 destroyers de Togo surprennent deux navires russes patrouillant à l'extérieur du port qui rentrent alors à leur base rendre compte. Peu avant minuit, le 8 février, un essaim de torpilleurs japonais profite alors de la nuit pour s'approcher de la flotte russe et frapper les navires ennemis qui n'ont pas le temps de déployer leurs filets anti-torpilles. La pagaille se propage rapidement parmi la flotte russe, deux cuirassés et un croiseur sont touchés et endommagé en quelques secondes, laissant le reste de la flotte dans une telle confusion qu'elle ne réussit même pas à riposter. Le lendemain, la flotte russe sort du port pour riposter mais après quarante minutes de combat indécis elle regagne sa base. La suprématie navale de la Russie ébranlée, la flotte de Togo organise le blocus de Port-Arhur.

L'artillerie russe à Port-Arthur


Le 9 février, la 12e division d'infanterie du général Temetoko Kuroki débarque à Chempulo, l'actuel Inchon en Corée. Après avec organiser une solide tête de pont, la 22e division et la Garde débarquent à leur tour. Les trois unités se regroupent alors pour former la 1ere armée japonaise sous les ordres de Kuroki. Rapidement, Pyongyang et Anju sont prises mais le dégel du printemps retarde l'avancée des troupes vers le nord. Le 1er mai, lors de la bataille de la Yalou les troupes russes du général Zasulitch sont repoussées. Même si les pertes sont peu élevées de chaque coté ce premier succès montre aux autres puissances la force de l'armée japonaise. Elle oblige aussi le commandant des forces russes en Mandchourie, le général Alexeï Kouropatkine, à se mettre sur la défensive ce qui l'empêche de s'opposer au débarquement de la 2e armée japonaise du général Yasukata Oku, le 5 mai, dans la péninsule du Liaotung, coupant ainsi les communications entre Kouroptakine et Port-Arthur. Ce débarquement prend les Russes par surprise et les troupes d'Oku avancent rapidement scellant le sort de la péninsule lors de la bataille de Nanshan du 24 au 26 mai où, malgré l'habile défense du colonel Tretyakov, les défenseurs russes, pourtant supérieurs en nombre, sont obligés d'abandonner leurs positions. La première partie du plan japonais est un succès: Port-Arthur est alors isolé et cela sans que le Japon ne rencontre une forte opposition ce qui permet de continuer à croire qu'une attaque rapide permettra une reddition immédiate du port.

Combat naval entre les flottes russes et japonaises


Après la victoire de Nanshan, les Japonais occupent le port de Dalny où les installations portuaires sont intactes permettant le débarquement de la 11e division qui, réunis à la 1ere division forme la 3e armée japonaise commandée par le général Maresuke Nogi. Cette armée reçoit l'ordre de progresser dans la péninsule en direction de Port-Arthur. Alors que Nogi avance sur la ville, le général Oku doit déplacer ses troupes pour faire face à la progression des unités de secours du général Stackelberg qui est finalement battu à Te-Li Ssu le 15 juin. Pendant ce temps Nogi reçoit la 9e division en renfort ce qui lui permet de disposer de 80 000 à 90 000 hommes pour attaquer Port-Arthur.

Le général russe en charge de la défense de la ville est l'incompétent baron Stössel qui refuse de remettre son commandement au plus entreprenant général Smirnov. Il n'a non plus rien prévu en prévision d'un siège laissant partir par mer des tonnes de nourriture qui auraient pu nourrir les habitants et les troupes ne laissant sur les quais que des caisses d'emballage contenant des milliers de bouteilles de vodka. Alors que la ville commence à être investie il n'hésite pas à rédiger une ordonnance déclarant qu'il n'y aurait pas de retraite, montrant ainsi qu'il n'a aucune conscience de la situation réelle de la ville. Néanmoins les forces russes disponibles pour défendre Port-Arthur ne sont pas négligeables. Avec les équipages de la flotte, Stössel peut ainsi compter sur prés de 50 000 hommes et 500 canons. Il peut aussi, si les circonstances l'obligent, faire désarmer les navires à quai et transférer leurs canons, au total 284, à terre pour renforcer la défense. Au total, avec les civils, Port-Arthur abrite au début du siège une population de 87 000 personnes.

La défense de Port-Arthur


Le système défensif de la ville semble également puissant. Il a été dessiné par le héros de la guerre de Crimée le général Todleben mais de nombreux forts et redoutes ne sont pas encore terminés tandis que le matériel pour la fabrication du béton ainsi que le fil de fer barbelé sont rares. Le périmètre défensif extérieur se compose d'une ligne de collines fortifiées dont les plus importantes sont celles de Hsiao-ku-Chan et de Ta-ku-Chan près de la rivière Ta-ho à l'est et de Namako Yama, Akasaka Yama, la colline 174, la colline 203 et la Fausse colline à l'ouest. En arrière de cette ligne se trouve une première enceinte, d'origine chinoise, qui entoure la vieille ville au sud jusqu'à la rivière Lun-ho au nord-ouest. Les Russes, sous la direction des généraux Smirnov et Kondratienko, ont prolongé cette enceinte à l'ouest et au sud pour rejoindre les approches du port et de la ville nouvelle. Ces lignes de défense sont également renforcées par des forts et des tranchées de raccordement. A 4 km en arrière se trouve une dernière ligne de retranchements autour de la vieille ville. Si l'ennemi atteint cette ultime position la situation du port deviendra intenable.


L'assaut frontal contre Port-Arthur.
Le général Nogi toujours confiant dans sa capacité à prendre Port-Arthur sans difficulté commence, le 7 août, à faire bombarder les fortifications de Ta-ku-Chan et Hsiao-ku-Chan. Les tirs durent de 4h30 le matin à 19h30 avant que infanterie ne passe à l'attaque. Mais la forte pluie, l'obscurité et la fumée dense ralentissent les troupes japonaises qui ne parviennent qu'à gravir la moitié des pentes des deux collines. Nogi fait recommencer, avec plus d'efficacité, le bombardement le lendemain obligeant les unités russes à se retirer. Mais il reste cependant un noyau dur de défenseurs qui s'accroche avec vaillance à leurs positions jusqu'à ce qu'elles soient enfin prises par les Japonais. Ta-ku-Chan tombe à 20h00 et Hsiao-ku-Chan le lendemain 9 aout.

Un assaut japonais


Quand le tsar apprend la chute des deux collines il ordonne à l'amiral Vitgeft, qui a remplacé l'amiral Makarov, de prendre la mer pour rejoindre Vladivostok. La flotte quitte le port à 8h30 le matin du 10 août avec six cuirassés, trois croiseurs et huit destroyers laissant à Port-Arthur le croiseur Bayan endommagé par une mine. Mais les destroyers japonais repèrent la flotte russe à 11h30 et à 12h10 commence la bataille de la mer Jaune. Togo, avec 4 cuirassés, 11 croiseurs et un ensemble de 46 autres navires comprenant des destroyers et des torpilleurs, ne veut pas engager l'ennemi de trop prés pour ne pas affaiblir sa flotte avant l'arrivée de l'escadre russe de la Baltique. Il préfère donc garder ses cuirassés et croiseurs lourds en réserve et n'engage que ses destroyers et torpilleurs. S'apercevant que l'amiral russe cherche à éviter l'affrontement et attend de pouvoir s'échapper en profitant de la nuit, Togo ordonne à ses navires de se rapprocher de la flotte russe. A 16h15 le combat s'engage et après une heure et demie d'un affrontement confus et d'un bombardement incessant, le navire de l'amiral Vitgeft, le Tsarevitch, est touché par un obus de 12 pouces tuant l'amiral. En l'absence de son commandant la confusion s'installe au sein de la flotte russe. Le second amiral, le Prince Ukhtomski à bord du Peresvyet, décide de faire demi-tour vers Port-Arthur mais le Tsarevitch, gravement endommagé, et trois autres destroyers prennent la fuite en direction du port allemand de Kiao-chou où ils sont internés tandis que trois autres croiseurs et un destroyer atteignent Shanghaï et Saïgon où ils sont également internés. Un autre croiseur, le Novik, atteint les eaux territoriales russes mais il tombe sur deux croiseurs japonais au large de Sakhaline. Après un court combat l'équipage préfère saborder le navire.

La victoire de la mer Jaune pousse le général Nogi à attaquer Port-Arthur avant l'arrivée de la flotte russe de la Baltique et empêcher que cette dernière n'utilise la base pour couper les communications maritimes entre le Japon et le continent. Il pense alors qu'il est en mesure de prendre la ville en lançant un assaut contre les fortifications. C'est là la première tentative d'une attaque de forteresses avec des mitrailleuses et de l'artillerie à tir rapide, une tentative risquée face à un ennemi déterminé à résister.

Après avoir demandé aux Russes de se rendre, ce qu'ils refusent, l'attaque japonaise démarre à l'aube du 19 août contre la colline 174 et le long de la ligne reliant le fort de Sung-shu et la batterie de Chi Kuan. La colline 174 est tenue par deux régiments de Sibérie orientale et deux compagnies de marins sous le commandement du colonel Tretyakov. Le combat, qui se déroule de nuit, est acharné. Tout comme à Nanshan, Tretyakov, bien que ses premières lignes de tranchées soient prises, s'accroche avec détermination à la colline 174. Le jour suivant, le 20 août, il demande des renforts mais aucune unité ne vient à son aide. Avec plus de la moitié de ses hommes tués ou blessés et des Japonais qui continuent d'attaquer, une partie de ses soldats se débandent et il ne parvient à en reprendre le contrôle qu'aprés avoir abandonné la colline. Le combat a néanmoins été coûteux puisque les Japonais ont perdu 1 800 tués ou blessés et les Russes environ un millier.

Corps à corps lors du siège de Port-Arthur


Les autres attaques contre les forts et redoutes russes, menée par les 9e et 11e divisions, ont également provoqué de lourdes pertes chez les Japonais. Quand Nogi décide finalement de mettre fin à sa tentative de prendre de front le port, le 24 août, il n'a conquis que la colline 174 et les forts chinois de Pan-lung-est et Pan-lung-ouest pour un coût de 16 000 hommes. Toutes les autres positions sont restées aux mains des Russes. Les combats sont si violents que les survivants d'un régiment japonais refusent de repartir à l'assaut. Un autre régiment parti à l'assaut avec 1 800 soldats ne compte plus que 200 hommes après 4 jours de combats. Nogi décide alors de se contenter d'un siège en règle.

Alors que les Japonais s'installent devant Port-Arthur, les principales armées des deux protagonistes s'affrontent à la bataille de Liaoyang le 25 août. Le combat où s'affrontent les troupes du maréchal Oyama et celles du général Kouropatkine dure 9 jours. Les Japonais perdent prés de 18 000 hommes et les Russes environ 20 000 mais cette nouvelle victoire japonaise oblige Kouroptkine à battre en retraite afin de ne pas être coupé de Moukden l'éloignant encore un peu plus de Port-Arthur.


Le siège de Port-Arthur.
Face à la ville assiégée, Nogi ordonne la construction de tranchées mais il fait également creuser des tunnels sous les murs des forteresses russes afin de faire exploser des mines. Des renforts en artillerie et prés de 16 000 soldats venant du Japon lui permettent aussi de compenser les pertes subies lors des premiers assauts. Il reçoit surtout la nouvelle de l'arrivée prochaine, en provenance du Japon, de six obusiers Krupp de 11 pouces. 

Au même moment, Stössel passe son temps à écrire à Nicolas II des lettres pour se plaindre de la marine alors que le manque de nourriture commence à se traduire par des épidémies de scorbut et de dysenterie. Alors que Stössel semble ignorer le désastre qui se profile, Nogi fait accélérer les travaux de siège. Son plan est dorénavant de s'emparer des redoutes du Temple et de la station d'eau à l'est ainsi que de la colline 203 et de Namako Yama à l'ouest. Il semble qu'à ce moment aucun des deux adversaires ne s'aperçoivent de l'importance vitale de la colline 203 qui domine la rade et dont la prise par les Japonais leur permettrait de bombarder directement la flotte russe dans le port. Mais le général Kodama, en visite auprès de Nogi, se rend vite compte de l'importance de la colline faisant prendre conscience à Nogi qu'elle est la clé de voûte de l'ensemble de la défense russe.

A la mi-septembre, les Japonais arrêtent de creuser leurs tranchées à moins de 70 m de la redoute de la station d'eau qu'ils attaquent et prennent le 19. Ils s'emparent également de la redoute du Temple tandis que de puissantes attaques sont lancées contre Namako Yama et la colline 203. La première est prise le 19, mais les épaisses colonnes d'assaillants envoyés sur la colline 203 sont repoussées et font retraite après avoir subi de lourdes pertes. Les Russes commencent alors à renforcer les défenses de la colline tandis que Nogi entame un bombardement d'artillerie prolongé sur la ville et le port. Il tente une nouvelle attaque contre la colline 203 à la fin octobre qui, si elle avait été prise, aurait été offerte en présent pour l'anniversaire de l'Empereur le 3 novembre. Il perd dans ce nouvel assaut raté prés de 5 000 hommes.

Défenseurs russes de Port-Arthur


Alors que les défenseurs et les habitants de Port-Arthur souffrent de la faim et des bombardements, Kouropatkine reçoit en renfort deux corps d'armée avec l'ordre de passer à l'offensive pour soulager la ville et éviter que sa prise ne libère les troupes de Nogi pour rejoindre les autres armées japonaises en Mandchourie. Le combat s'engage à Sha-ho et dure du 7 au 17 octobre. C'est encore un fiasco pour l'armée russe, notamment en raison des ordres contradictoires du commandement et du manque de communication. Les Russes perdent 11 000 tués et 30 000 blessés contre seulement 4 000 morts et 16 000 blessés chez les Japonais. Kouropatkine parvient néanmoins à faire croire au tsar qu'il a remporté un succès mais Port-Arthur semble définitivement condamné puisque les deux principales armées ennemies s'installent dans leur quartier d'hiver. 

A Port-Arthur, Nogi a reçu, à la mi-novembre, par la voie ferrée les 18 obusiers Krupp attendus. Il a dû, avant de les installer, les faire transporter par des équipes de 800 soldats le long d'une route étroite de 13 km. Ces obusiers, ainsi que les 450 autres canons et mortiers japonais entrent en action et pilonnent les positions russes de manière coordonnées puisque les Japonais ont centralisé leur artillerie en installant un quartier général relié par téléphone avec l'ensemble des batteries se trouvant le long du front. Les obusiers Krupp sont particulièrement redoutables, tirant des obus de 227 kilos à plus de 9 km. Huit obus Krupp tombent ainsi sur les forts de Erh-Lung-Chan et Chi-Kuan-Shan le 1er octobre causant des dégâts importants. Durant le siège ils ne tirent pas moins de 35 000 obus. En outre 1,4 million de projectiles de différents calibres s'abattent également sur la ville et le port.

Les obusiers japonais contre Port-Arthur


N'ayant aucune possibilité de se rendre compte des effets de ce bombardement sur la flotte russe et conscients de l'arrivée prochaine de l'escadre de la Baltique, les Japonais comprennent la nécessité de détruire les navires encore présents. La prise de la colline 203 devient un objectif essentiel. Pour atteindre cet objectif, Nogi reçoit en renfort la 7e division du général Oseko. Une fois de plus les défenseurs russes retranchés au sommet de la colline sont commandés par le colonel Tretyakov. Ce dernier dispose de 5 compagnies d'infanterie avec des détachements de mitrailleuses, d'hommes du génie, de quelques marins et d'une batterie d'artillerie. La colline, bien qu'ayant souffert des attaques précédentes, reste encore redoutable. Outre la pente abrupte, elle est protégée par une redoute massive entourée de barbelés épais.


La prise sanglante de la colline 203.
Après les coûteuses attaques d'octobre où des milliers d'hommes ont été perdu, Nogi, qui se trouve sous la menace d'être relevé de son commandement, subi les pressions de son supérieur, le général Kodama, qui veut enfin une victoire. Nogi n'a donc plus d'autres choix que de partir à l'assaut de la colline 203. Après avoir creusé pendant des semaines des tunnels, les sapeurs japonais doivent dorénavant se battre pour neutraliser les défenses souterraines de la colline tandis que des unités vont mener des attaques de diversion en attaquant la muraille chinoise.

Le jour où la flotte russe de la Baltique pénètre dans l'Océan Indien, le 26 novembre, commence l'attaque de la colline. Le bombardement des positions ennemies dure jusqu'à 17h le 27 novembre. Puis, quand le feu des canons cesse, des masses de soldats japonais sortent de leurs tranchées sur les cotés de la Akasaka Yama et de la colline 203. L'attaque est déclenchée de nuit pour permettre aux soldats d'avancer jusqu'à la ligne russe de barbelés. Là les troupes restent en position tout au long de la journée suivante tandis que l'artillerie, dont 4 des obusiers Krupp, reprend ses efforts pour réduire en ruine les défenses russes. Les soldats japonais de la 1ere division et des unités venant d'autres divisions partent alors à l'attaque. Les combats sont acharnés. Les troupes nippones parviennent à entrer dans les deux forts mais elles en sont chassées avec des pertes énormes. Les Russes font pleuvoir des grenades sur la masse des soldats ennemis tandis que les mitrailleuses bien placées fauchent des centaines de soldats qui essayent d'avancer, les obligeant à renoncer à prendre la colline. Dans les combats, un bataillon japonais entier disparaît. De nouveaux assauts sont lancés le 30 novembre et cela jusqu'au 4 décembre. La colline ainsi que celle voisine d'Akasaka Yama changent plusieurs fois de mains. Mais les Russes tiennent. Enfin le 5 décembre, à 10h30, après un terrible bombardement, la colline est prise. Les Japonais ne trouvent dans ses ruines qu'une poignée de défenseurs hébétés alors que Tretyakov a été gravement blessé. Plus de 11 000 Japonais sont morts et prés de 10 000 sont blessés pour prendre cette position vitale où les Russes ont perdu 6 000 soldats. Mais ce prix élevé est justifié pour Nogi qui peut désormais bombarder la flotte russe mouillant dans le port.

Les cadavres japonais après un assaut


Les lourds obusiers japonais installés sur la colline 203 détruisent alors méthodiquement les derniers navires russes en état, permettant ainsi à la flotte de l'amiral Togo de repartir pour le Japon afin de se préparer à affronter la flotte russe de la Baltique.

Dans Port-Arthur, Stössel, lors d'un conseil de guerre, apprend que la ville ne pourra pas tenir au delà de la mi-janvier 1905. Ne tenant pas compte des avis contraires il décide de tenir jusqu'à la dernière extrémité. Mais le 29 décembre lors d'un autre conseil de guerre il est convaincu que la reddition est la seule solution alors que les Japonais se sont déjà emparés de 4 forts de la muraille chinoise et se préparent à lancer l'assaut final sur la dernière ligne de défense russe.

Le 1er janvier 1905, Stössel envoie un message à Nogi pour lui demander les termes de la capitulation. Nogi accepte et la reddition est signée le 2 janvier. La garnison est amenée en captivité tandis que les civils sont libres de partir où ils veulent. Les officiers reçoivent également le choix soit de partager le sort des soldats, soit de donner leur parole de ne plus prendre part à la guerre. Au total, 878 officiers, 23 500 soldats, 9 000 marins mais aussi 14 000 malades et blessés sont faits prisonniers par les Japonais.

Désormais que Port-Arthur est perdu Kouropatkine n'a plus pour tache que de sauver la Mandchourie. Pour cela il dispose de 3 armées totalisant 310 000 hommes. Face à lui se retrouve l'ensemble des forces japonaises, y compris la 3e armée de Nogi, ce qui représente prés de 300 000 soldats. Le 23 février 1905 s'engage la bataille de Moukden sur un front de 65 kilomètres. Chaque camp s'est installé dans des tranchées tandis que des centaines de pièces d'artillerie pilonnent le champ de bataille. Le combat dure jusqu'au 10 mars quand une poussée japonaise permet finalement de couper la ligne de chemin de fer en direction de Moukden. Face aux risques d'encerclement, Kouropatkine ordonne la retraite pour protéger la voie ferrée qui le relie à Harbin. Moukden reste, par les effectifs engagés, la plus grande bataille de la guerre où les Japonais perdent plus de 15 000 tués et prés de 60 000 blessés tandis que les Russes ont 40 000 tués ou capturés et 48 000 blessés.

Le dernier acte de la guerre a lieu en mer quand la flotte de Togo attaque la flotte russe de la Baltique qui est entrée en mer de Chine le 9 mai. Cette dernière est détruite à la bataille de Tsushima. Finalement les deux adversaires s'assoient à la table des négociations grâce à l'entremise du président américain Roosevelt. La Russie est en proie à la révolution depuis le dimanche sanglant du 9 janvier 1905 quand les soldats ont tiré sur la foule devant le Palais d'Hiver à Saint-Petersbourg. Le Kaiser, craignant que la révolution en Russie ne s'étende à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie a poussé son cousin Nicolas dans la voix de la paix. Le Japon quant à lui n'a pas les moyens de continuer la lutte. Néanmoins, alors que les négociations débutent, il envahit l’île de Sakhaline le 7 juillet. La paix est conclu par le traité de Portsmouth le 29 août 1905. Les droits du Japon sur la Corée sont reconnus, la Russie doit évacuer la Mandchourie, céder Port-Arthur, Dalny, le chemin de fer du sud de la Mandchourie et la moitié sud de l'ile de Sakhaline.


Pour les Japonais la victoire sur les Russes est le symbole de la puissance nouvelle du Japon modernisé. Les anniversaires des victoires remportées en 1904-1905 sont désormais célébrés chaque année jusqu'en 1945. Une statue du général Nogi, l'homme qui a pris deux fois Port-Arthur, en 1894 et en 1905, et qui s'est donné rituellement la mort en 1912, après le décès de l'Empereur Meiji, est érigée à Tokyo en 1923. Sur la scène internationale, le Japon se hisse définitivement au rang de grande puissance. Mais cette victoire a aussi un grand retentissement en Asie en démontrant qu'il est possible de vaincre une nation « blanche ». Le Japon devient alors un modèle pour les mouvements nationalistes. 

La reddition de la garnison.




 Sur le plan militaire, la guerre sur terre entre le Japon et la Russie a vu pour la première fois s'affronter de grandes armées équipées d'armes modernes dont des canons à tir rapide et des mitrailleuses. Cette puissance de feu nouvelle a démontré tout au long du conflit la nécessité de s'en protéger par la construction de tranchées, la nécessité également de maintenir les soldats à couvert, dispersés et camouflés pour minimiser les pertes. Pourtant les observateurs militaires étrangers semblent ignorer cela et préfèrent exalter l'esprit d'offensive des Japonais. Ils estiment en effet que c'est la stratégie essentiellement défensive des Russes a causé leur perte. Pourtant face à Port-Arthur, où la défense russe a été généralement mal organisée, les Japonais sont restés longtemps bloqués subissant des pertes plus élevée que celle des Russes. Mais cette expérience de Port-Arthur, qui se résume à une hécatombe de soldats pour des gains mineurs face à des défenseurs bien armés, retranchés et déterminés est le plus souvent perçue comme une exception. Pour les États-Majors des grandes puissances, la guerre de mouvement en Mandchourie du nord est la règle de la guerre moderne. Les combats de l'été et de l'automne 1914 feront voler en éclats cette certitude. Seul le Japon, qui ne connut pas la guerre de tranchées de la Première Guerre mondiale, resta convaincu que la supériorité de son esprit offensif pouvait lui permettre de l'emporter contre un adversaire plus puissant. Il mit en pratique ce credo à partir de décembre 1941.


Bibliographie:
Geoffrey Jukes, The Russo-Japanese War, 1904-1905, Osprey Publishing, 2002.
Peggy Warner, The Tide at Sunrise: A History of the Russo-Japanese War, 1904-1905, Routledge, 2004.
Richard Connaughton, Rising Sun and Tumbling Bear: Russia's War with Japan, Cassell, 2007.

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