samedi 1 mars 2014

« Choc et effroi ». Los Zetas

Los Zetas. Le nom est désormais devenu incontournable de la longue histoire des cartels mexicains. Le groupe, composé d'anciens soldats des forces spéciales mexicaines, est né pour servir, au départ, de garde rapprochée au chef du puissant cartel du Golfe. Ces défecteurs de l'armée ont imposé dans le milieu des cartels des techniques militaires, des tactiques de choc, offensives, tout en faisant usage d'une grande brutalité. Au bout de quelques années, cette élite paramilitaire est devenue suffisamment puissante et sûre d'elle-même pour s'émanciper de son « patron », le cartel du Golfe, et soutenir une véritable guerre contre celui-ci et ses alliés du cartel de Sinaloa, ennemi juré des Zetas. Le groupe a profité de son émancipation pour s'implanter en dehors du Mexique, aux Etats-Unis, mais aussi en Amérique centrale, et notamment au Guatemala. Bien que fragilisé par la mort ou l'arrestation successives de plusieurs chefs en 2012-2013, les Zetas n'ont pas disparu. Ils ont contribué à la militarisation accélérée des autres cartels et groupes mafieux, pour faire face à la menace qu'ils constituaient. C'est au cours de la lutte fratricide avec le cartel du Golfe que sont apparus, par exemple, les premiers véhicules blindés improvisés au Mexique. Un groupe comme la Familia Michoacana a relevé le défi pour affronter à armes égales les Zetas. Ceux-ci se sont davantage imposés par leur excellence militaire et leur capacité à terroriser leurs ennemis plutôt que par la corruption ou les manoeuvres en coulisse. L'une des dernières conséquences du processus enclenché par les Zetas -qui a aussi conduit à faire grimper de manière vertigineuse le taux de violence du pays- est l'apparition, parfois discrètement encouragée par l'Etat, de milices d'autodéfense populaires, en particulier dans l'Etat du Michoacan.


Stéphane Mantoux




Et les Zetas furent : phase 1, les gardes du corps (1997-2004)


Les cartels mexicains se partagent la part du lion dans le trafic d'héroïne, de cocaïne, de marijuana et d'amphétamines qui gagne le sol américain. Les conflits internes aux cartels et avec l'Etat mexicain ont entraîné la mort de plus de 4 500 personnes entre 2006 et 2008. Deux organisations, en particulier, se distinguent par la corruption des autorités, l'amassage de ressources financières et les actes de violence : le cartel du Golfe, qui a sa base dans l'Etat du Tamaulipas, juste au sud du Texas, et son rival, le cartel de Sinaloa, dans l'Etat du même nom, situé entre les montages de la Sierra Madre et l'océan Pacifique.

Source : http://immigrationclearinghouse.org/wp-content/uploads/2010/10/5-17-10_Mexican-drug-cartels-map.jpg


Au début de 1997, le cartel du Golfe commence à recruter des militaires que le général Jesus Gutierrez Rebollo (emprisonné depuis pour corruption) avait envoyés comme représentants de l'armée pour l'Attorney General’s Office (PGR) dans les Etats du nord du pays1. Osiel Cardenas Guillen, qui cherche à s'imposer à la tête du cartel du Golfe, cherche en particulier à débaucher les membres du Groupe des Forces Spéciales Aéroportées (GAFES) afin de se constituer une garde rapprochée, puis d'assumer d'autres rôles. Le lieutenant Arturo Guzmán Decenas (alias Z-1), sa meilleure recrue, emmène avec lui environ 30 hommes attirés par des salaires plus alléchants que ceux de l'armée. Le nom Zetas vient des codes radios utilisés par les commandos : il désigne le commandant supérieur. Les premiers défecteurs, qui adoptent des surnoms comme “El Winnie Pooh” “The Little Mother” ou “El Guerra”, viennent des 15ème et 70ème bataillons d'infanterie et du 15ème régiment de cavalerie motorisée. Guillen fait exécuter, en 1999, le parrain de sa fille, juste après son baptême, par Guzman, qui y gagne le surnom de « Friend's Killer »2. Une fois sa personne protégée, Guillen donne aux Zetas d'autres missions : récupérer les dettes, sécuriser les routes d'approvisionnement et de trafic de cocaïne (les plazas), décourager les défections, exécuter les adversaires -avec beaucoup de sauvagerie. Ce missions sont surtout conduites par les trois membres les plus importants des Zetas : Guzman, Z-1, Pinaza, Z-2, et Lazcano, Z-3. Capitalisant sur leur formation militaire, les Zetas tuent de manière spectaculaire, à des fins psychologiques. Leurs opérations sont organisées sur un mode militaire : convois, tirs groupés, plans de fuite préorganisée, etc.

Guillen lors de son extradition aux Etats-Unis en 2007.-Source: http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/6/66/OsielCardenas-DEA.jpg


Le 14 janvier 2002, l'armée mexicaine arrête finalement le principal comptable de Guillen, Rivera, alias « El Cacahuete ». Les militaires mexicains finissent par abattre Decenas (21 novembre 2002, à Matamoros) puis capturent son second, Rogelio González Pizaña (octobre 2004). L'ex-GAFES Heriberto “The Executioner” Lazcano devient alors le chef des Zetas. L'arrestation, le 14 mars 2003, de Guillen (également à Matamoros), puis son extradition aux Etats-Unis (janvier 2007) pousse les Zetas (dirigés par Lazcano, baptisé « The Executioner » en raison de ses calculs froids et de ses actes de violence, et son bras droit, Jaime “The Hummer” González Durán) à se dégager de l'emprise du cartel du Golfe et des héritiers de Guillen : son frère Antonio Cardenas et l'ancien policier municipal Jorge Eduardo Costilla Sanchez. Los Zetas devient rapidement la force la plus puissante à Matamoros, Reynos et Nuevo Laredo dans le Tamaulipas. Le groupe est bien implanté dans la région du Golfe, sur la frontière, mais aussi dans les Etats du sud, Tabasco, Yucatan, Quintana Roo, et Chiapas, et dans les Etats du Pacifique, Guerrero, Oaxaca, et Michoacán. En outre, il opère aux Etats-Unis.


Comment les Zetas ont contribué à la militarisation des cartels


Initialement, l'entraînement des Zetas constitue leur principal atout. Les GAFES ont été créées au milieu des années 1990 par l'armée mexicaine et formées par des Américains, des Français, des Israëliens. L'entraînement inclut un déploiement rapide, des assauts aériens, le tir, l'embuscade, la collecte de renseignements, les techniques de contre-surveillance, le sauvetage de prisonniers, les communications, l'art de l'intimidation. Le président Calderon, en décembre 2006, a mis l'armée en première ligne dans la lutte contre les cartels. Par une étrange ironie, les GAFES ont contribué à la capture de Guillen, protégé par les défecteurs de leur corps...

Les GAFES-Source : http://img101.imageshack.us/img101/6480/fuerza1.jpg


Les Zetas ont créé des camps d'entraînement où ils forment des jeunes de 15 à 18 ans en plus d'officiers de police locale, d'Etat ou fédérale. Ils bénéficient des l'aide des « Kaibiles », des mercenaires venus du Guatemala qui se sont distingués de manière assez sordide pendant la guerre civile dans ce pays, par des massacres odieux. Ce sont des spécialistes du combat de jungle. L'arsenal inclut des fusils d'assaut M-16, AR-15 et AK-47, des mitraillettes MP-5, des mitrailleuses de 12,7 mm, des fusils de sniping Barrett de même calibre, des lance-grenades, des SAM portables, des explosifs, des armes antichars et des hélicoptères. En opération, ils s'habillent en noir, se noircissent le visage, conduisent des véhicules utilitaires sport volés aux vitres teintées, sans plaques d'immatriculation, et prennent un malin plaisir à torturer leurs victimes avant de les achever par des tirs groupés et précis, du moins initialement. Certains Zetas portent l'image de Jesus Malverde, « Saint Narco », « l'Ange des Pauvres » du XIXème siècle. Les Zetas contrôlent aussi un ensemble de groupes aux fonctions précises : Los Halcones (les Faucons) qui surveillent les zones de distribution ; Las Ventanas (les Fenêtres), des jeunes gens à moto qui sifflent pour prévenir de l'arrivée de la police ou d'individus suspects près des magasins où se vend la drogue ; Los Manosos, qui achètent les armes ; Las Leopardos, des prostituées qui soutirent des informations à leurs clients ; et Direccion, 20 experts en communication, qui interceptent les appels téléphoniques, suivent les voitures suspectes, conduisent parfois enlèvements et exécutions. En outre, les Zetas ont forgé des liens avec les gangs « La Familia » dans le Michoacan3, qui contrôlent l'importation de cocaïne et des laboratoires de métamphétamines, et qui croisent régulièrement le fer avec le cartel de Sinaloa. Ils sont en outre alliés aux gangs Barrio Azteca, Texas Syndicate, Mexican Mafia, et Mara Salvatrucha (MS-13), aux restes de l'organisation Beltrán-Leyva, à l'organisation Vicente Carrillo-Fuentes et à d'autres groupes en Colombie et au Vénézuela. Pour se financer, les Zetas n'ont pas hésité à prélever du pétrole à la compagnie nationale PEMEX. En deux ans (2008-2010), ils ont siphonné pour un milliard de dollars de pétrole, et le revendent, en particulier, dans les Etats du Veracruz et du Tamaulipas. Le 27 juillet 2010, ils ont tiré sur l'armée qui venait les déloger d'un puits de la PEMEX, à Ciudad Mier, dans le Tamaulipas ; celle-ci a laissé 5 morts sur le terrain. On estime que les profits de cette activité se montent à 715 millions de dollars par an.

Au moment de l'arrestation de Guillen, en 2003, les 31 défecteurs initiaux des GAFES avaient déjà formé plus de 200 sbires pour arriver à 300 Zetas4. En 2008, on estimait leur nombre à 100-200 membres. L'armée possède des dossiers détaillés sur les défecteurs, mais les autorités ont le plus grand mal à déterminer l'effectif du groupe car des criminels moins dangereux empruntent le nom des Zetas, pour effrayer à bon compte leurs victimes. Les Zetas punissent cependant férocément ce genre de comportement. Pour maintenir l'esprit de corps, ils sont très attachés à honorer leurs camarades tombés au combat. Début mars 2007, dans une opération baptisée « invasion of the body snatchers », 4 hommes armés font irruption dans le cimetière de Poza Rica, Veracruz, ligotent le garde, brise à coups de marteaux la tombe de Roberto Carlos Carmona, et emmènent le corps de leur camarade. Trois mois après la mort de Decena, en novembre 2002, une couronne de fleurs et quatre compositions apparaissent sur sa tombe avec ce message : « Nous te garderons toujours dans notre coeur ; de la part de ta famille, Los Zetas ». Les Zetas, au contraire, sont d'une férocité extrême avec leurs adversaires. On cite souvent l'exemple, rapporté par des témoins, de 4 officiers de police de Nuevo Laredo brûlés vifs dans des barrils d'essence. Pour des raisons de sécurité, les Zetas ont une structure décentralisée en petites cellules, de façon à ce que chaque membre en sache le moins possible sur l'ensemble de l'organisation, en cas de capture.

Les Zetas ont tout simplement contribué à la militarisation des cartels mexicains, en important des techniques issues de l'armée : embuscades, positions défensives, tactiques de petites unités. Ils sont connus comme étant les seuls à ne pas se dérober aux échanges de tirs en cas de rencontre avec une patrouille ou un checkpoint. Ils ont contribué à faire diffuser les tactiques et la collecte stratégique de renseignement qui sont devenus depuis la norme au sein des cartels, dans la lutte en interne ou contre les autorités. En plus de l'emploi d'une violence extrême, ils introduisent de nouvelles tactiques, comme les blocus urbains (narcobloqueos). Le 14 août 2010, par exemple, ils bloquent les 13 routes menant à la ville de Monterrey, coupant l'accès à la cité et à l'aéroport, suite à la mort d'un de leurs chefs locaux, « El Sonrics », contre les militaires. Les Zetas sont aussi des adeptes des assauts en masse5.


« Narco Armor » : les véhicules de combat improvisés des Zetas


Les cartels mexicains commencent à utiliser des véhicules de combat improvisés dès la mi-2010 au moins, et jusqu'au début 2012, avec un pic en 2011, année qui voit aussi, par exemple, ce type d'engins fleurir en Libye lors de la révolution contre Kadhafi6. Ces engins ont été surtout utilisés dans l'Etat du Tamaulipas, et en particulier dans le combat entre les Zetas et le cartel du Golfe, voire d'autre factions. Ces véhicules improvisés ont inclus des dispositifs pour tirer à partie de l'intérieur de véhicules utilitaires sport ou pickups avec des mitrailleuses lourdes ou des fusils de sniping en 12,7 mm. Certains impacts sur les véhicules saisis montrent aussi, à l'évidence, l'utilisation contre eux d'armes antichars type RPG. Depuis le début 2012, les cartels semblent utiliser des véhicules utilitaires sport blindés plus discrets que leurs prédécesseurs parfois « monstrueux » dans leur aspect.



Ces véhicules vont de la copie du char à des véhicules utilitaires sport blindés capables d'arrêter les balles d'AK-47 ou de M-16. Les modifications apportées montrent l'ampleur des combats de rues dans le Tamaulipas. Un camion « rhino » modifié comprend ainsi deux fusils à pompe contrôlés par le conducteur, et des plaques de blindage capables de résister aux éclats de grenade. Des pickups sont équipés de dispositifs pour lâcher de l'huile ou des clous sur la route. Les Zetas achètent des véhicules blindés pour les reconfigurer afin d'y installer des snipers. Ils copient aussi le style des camions et des uniformes de l'armée pour mieux leurrer l'adversaire. Ils se déplacent en convois de 10 à 20 véhicules, chacun comprenant 5 hommes armés. En démontant, ils cherchent à encercler leurs adversaires dans les combats de rues. En mai 2011, un camion blindé capturé par l'armée dans le Tamaulipas pouvait pousser jusqu'à 110 km/h, embarquer 12 passagers, et comprend deux ouvertures pour lancer des grenades, tirer au fusil ou au RPG. A l'arrière, un espace permet aux passagers de jeter de l'huile ou des clous sur des poursuivants. L'armée capture d'autres « monstres » à Ciudad Camargo en juin 2011, lors d'un raid sur une usine de fabrication de ces engins. Deux camions blindés, pouvant embarquer une escouade, sont retrouvés peints en noir. Ce sont des Ford F-350 ou des porte-tracteurs modifiés. Ces « gun trucks » fournissent à la fois une capacité de transport suffisante pour les engagements typiques des Zetas, et un minimum de puissance feu, sur le modèle de ce que pouvaient être leurs prédécesseurs des convois au Viêtnam. L'apparition des véhicules blindés improvisés au Mexique est concomittante de celle des voitures explosives improvisées, apparues à la fin 2010. Ces véhicules répondent donc au besoin de mécaniser, même sommairement, une infanterie engagée dans des combats violents à l'échelle de la section ou de l'escouade.



En juin 2011, l'armée mexicaine avait saisi 2 camions finis appartenant au cartel du Golfe, et 23 autres en attente de fabrication, dans le Tamaulipas. Le cartel du Golfe a été obligé de s'adapter à la militarisation du combat introduite par les Zetas : utilisation d'IED et de grenades à fragmentation, kidnappings massifs, « narcobloceos » (blocus de localités). Comme ceux-ci ont introduit des armes lourdes et des véhicules blindés improvisés, le cartel du Golfe a fait de même. Les véhicules capturés ont eu leur suspension modifiée pour supporter un poids de 30 tonnes. Le moteur, la cabine et l'arrière sont protégés par des plaques de métal. Ces camions blindés peuvent résister aux balles d'AR-15, d'AK-47, de cal.50 et même de lance-grenades de 40 mm. Il y a plusieurs modèles : un qui ressemble à la « Papomobile », avec une cabine blindée embarquant deux tireurs ; d'autres camions peuvent embarquer jusqu'à 20 tireurs. L'intérieur est recouvert de polyurethane pour réduire le bruit des fusils d'assaut. Les véhicules sont d'abord utilisés, début 2010, au moment de la rupture entre le cartel du Golfe et les Zetas, pour transporter la drogue dans les zones de trafic en milieu rural.


Phase 2 : l'émancipation progressive des Zetas (2004-2010)


A partir d'octobre 2004, les Zetas vont s'émanciper progressivement du cartel du Golfe7. Lazcano supervise l'embauche d'anciens des forces spéciales du Guatemala, les fameux Kaibiles, pour renforcer la protection des membres importants de son organisation et les assister pour la sélection de recrues et leur entraînement. Le recrutement est facilité par des contacts secrets au sein de l'armée. Lazcano développe aussi les camps de formation dans le Tamaulipas où les recrues apprennent les bases tactiques des petites unités de combat, l'emploi des armes à feu et des moyens de communication. Il supervise aussi la création d'un réseau radio clandestin. Lazcano élargit également les activités des Zetas au-delà de la simple extorsion : il prend le contrôle, en particulier, des points de contrôle sur les routes principales du trafic de drogue, les plazas, où les rivaux plus faibles doivent acquitter un droit de péage pour convoyer tranquillement leur marchandise.

Lazcano, le stratège des Zetas.-Source : http://www.drugwar101.com/blog/wp-content/uploads/2012/10/image_11.jpg


Pour pérenniser son organisation, Lazcano a également veillé à placer l'argent dans le système bancaire, tout en limitant au maximum les hémorragies internes (pour un peso volé, c'est la mort assurée ou presque) ce qui va permettre de financer les opérations au Mexique et en Amérique Centrale. C'est ce point-là, surtout, qui détermine l'indépendance des Zetas face au cartel du Golfe. Les liens avec ce dernier se distendent encore plus lorsqu'Osiel Guillen est extradé aux Etats-Unis en janvier 2007. Dès le milieu de l'année, les Zetas revendiquent plus de 2 000 hommes, et sont présents dans 24 Etats mexicains. En juin, une attaque coordonnée est montée contre 5 casinos dans 4 Etats différents, et 5 policiers municipaux sont abattus dans le nord du Sinaloa par les Zetas.

Par ailleurs, entre mai et juillet 2007, Lazcano doit participer à des rencontres pour la négociation d'une trêve, aux côtés de Costilla, avec le cartel de Sinaloa. Or Lazcano n'est pas prêt à abandonner sa taxe pour le passage des sicaires de Sinaloa sur son territoire, alors que Costilla, lui, recherche ardemment la trêve. Mi-août 2007, Lazcano s'adresse à 500 de ses hommes rassemblés pour l'occasion et leur fait comprendre qu'il est hostile aux négociations. Dans la seconde moitié de 2007, les Zetas sont particulièrement actifs à Acapulco, Guerrero, où ils cherchent à prendre le contrôle d'un secteur appartenant à l'organisation Beltran-Leyva, qui fait partie de la fédération du Sinaloa.

Costilla ordonne finalement, début 2010, la capture et l'assassinat d'un membre important des Zetas à Reynosa. Il s'agit de Victor Pena Mendoza, un capitaine qui est aussi le bras droit du numéro 2 des Zetas, Miguel Trevino. Celui-ci a demandé la tête du tueur, en vain : dès lors, la guerre est déclarée entre les Zetas et le cartel du Golfe dans le nord du Mexique.

Miguel Trevino, le successeur de Lazcano, lors de son arrestation en juillet 2013. Source : http://static.guim.co.uk/sys-images/Guardian/About/General/2013/7/26/1374821298832/Zetas-cartel-boss-Miguel--008.jpg



Les Zetas au Guatemala : des limites d'une stratégie ?


Los Zetas s'est installé entretemps au Guatemala, minant le pouvoir du gouvernement local, pénétrant l'armée et la police, infiltrant le milieu économique local pour blanchir leur argent sale8. Plutôt que de contrôler les réseaux de distribution et l'infrastructure de gestion quotidienne, ils se sont attachés à obtenir la mainmise directe du territoire. Le 12 mai 2011, 10 véhicules utilitaires sport aux vitres teintées s'arrêtent dans une station d'essence de Coban, la capitale de l'Etat d'Alta Verapaz. Les passagers, lourdement armés, sont tout près du poste de police local ; ils remplissent les réservoirs et commencent une chevauchée de la mort vers le nord. Ils tuent d'abord trois parents de Raul Otto Salguero, un propriétaire terrien éminent de la région. Le 15 mai, ils abattent Haroldo Leon, un chef mafieux, et deux de ses gardes du corps. A30 km au nord-ouest de la ville touristique de Flores, ils s'installent dans la ferme de Los Cocos, tuent 26 des 27 fermiers présents et laissent un message pour Salguero sur la jambe d'un des malheureux. Le 25 mai, de retour à Alta Verapa, ils enlèvent Allan Stowlinsky Vidaurre, un procureur de Coban, et déposent le lendemain son corps dépecé dans des sacs plastiques devant son bureau. Le gouvernement réagit rapidement et capture dans les jours suivants 40 hommes du groupe, dont deux des chefs. Mais le mal est fait : les Zetas ont montré leur intention de mettre le Guatemala en coupe réglée.

Le Guatemala avait déjà été investi par le cartel du Golfe de Guillen. C'est non seulement un pays propice pour faire transiter la drogue, mais le prix de celle-ci y est encore raisonnable. Prendre le contrôle de l'endroit, crucial dans la distribution, peut faire doubler les marges des trafiquants. A partir de 2007, les Zetas font leur apparition à Coban, où ils achètent la drogue à des Guatémaltèques qui la font venir de Colombie. Les Zetas s'associent en particulier avec un mafieux local bien implanté, Horst Walther Overdick. Celui-ci a grandi dans l'Etat d'Alta Verapaz. Cet Etat, montagneux, est au centre du Guatemala : un petit aéroport et les routes relient l'agriculture industrielle aux quatre coins du pays. On y produit en particulier de la cardamome : Overdick est un « coyote », un acheteur itinérant. Mais les agriculteurs, en temps de crise, complètent leurs revenus par des productions illégales. Overdick a les réseaux pour faire circuler les marchandises et c'est là qu'il s'associe au trafic de drogue. Désormais surnommé « le Tigre », Overdick a des contacts dans la police, l'armée et même au congrès. L'arrivée des Zetas lui apporte une utile puissance de feu et une masse d'argent liquide.

Overdick, l'allié des Zetas au Guatemala, arrêté en 2012.-Source : http://fotos.starmedia.com/imagenes/2012/12/horst-walther-overdick.jpg


Au Guatemala, le monde de la drogue, particulièrement au nord et à l'est, est alors contrôlé par trois familles : les Leon, Lorenzana et Mendoza. La famille Leon est la plus ambitieuse. Juan Leon épouse la fille du chef du clan Lorenzana. Il prend la tête du réseau de distribution de drogue, par la menace, la corruption, et l'intimidation, jusqu'à l'encontre d'Overdick. A l'arrivée des Zetas, les alliés de Leon n'hésitent pas à voler les camions d'Overdick. Celui-ci réplique en faisant abattre des hommes de ses adversaires. Leon envoie alors des spadassins qui tuent deux de ses gardes du corps et Overdick n'échappe à la mort avec sa famille qu'en se cachant dans une pièce secrète de sa maison. Les Zetas et Overdick demandent alors à rencontrer Leon. Chaque groupe amène un détachement armé. Côté mexicain, il est fort possible que Miguel Trevino, Z-40, le n°2 des Zetas, ait été présent pour superviser l'opération. Le rendez-vous a lieu à Rio Honda, dans le Zacapa. Le 25 mars 2008, Juan Leon et 10 de ses gardes du corps sont liquidés dans une véritable embuscade montée par les Zetas, à grands coups de fusils d'assaut et de RPG.

Les Zetas installent ensuite une trentaine de leurs membres au Guatemala : un groupe de sécurité et un groupe administratif qui s'occupe de l'argent. Le groupe de sécurité entraîne des habitants du pays sur place ou au Mexique, recrutant principalement des militaires, et moins des membres des gangs de rue, comme on a pu le dire. Ils recherchent en particulier les fameux Kaibiles, des Forces Spéciales conçues sur le modèle des Marines, mais peu nombreux -1 100 ont été formés par l'armée. L'appareil de sécurité a cru jusqu'à compter 10 lieutenants, chacun responsable de 8 à 10 hommes, soit au moins 80 hommes en tout. Ils imposent leur contrôle du territoire selon le même modèle opératoire qu'au Mexique. Par leurs contacts dans l'armée et la police, les Zetas se débrouillent aussi pour récupérer ou voler des armes. Les officiers ou ex-officiers interviennent parfois dans les camps d'entraînement. Le colonel Colonel Edgar Ernesto Muralles Solorzano, un ancien Kaibile, a souvent été vu en compagnie des Zetas. Un ancien Kaibile fait aussi partie des hommes capturés après le massacre des fermiers en mai 2011.

Les Zetas n'ont aucun mal à imposer leur loi à Coban, face à des adversaires beaucoup moins dangereux qu'au Mexique. Ils tuent en pleine rue un vendeur de DVD pirates qui ne travaille pas pour eux, puis un dealer de marijuana. Un homme qui vend de l'essence acquis frauduleusement au Mexique est battu et dépouillé de ses gains. Des oeufs au pétrole, du papier toilette aux tortillas, tout ce qui vient du Mexique est soumis au contrôle des Zetas. L'aile administrative se charge de corrompre la police : 300 dollars par mois, 500 pour l'opérateur radio, jusqu'à 10 000 dollars pour les commandants plus importants. La police couvre l'activité des Zetas, les prévient des barrages militaires, etc. Les Zetas reproduisent aussi un réseau de renseignement, les « halcones », parmi la population, avec plusieurs centaines de personnes. Les habitants parlent des Zetas comme « la compagnie », à l'image de ce qui est parfois dit au Mexique. Les Zetas font venir la drogue du Honduras en petites cargaisons. Grâce aux contacts d'Overdick au congrès, ils ont pu blanchir une partie de leur argent dans les travaux publics. Il apparaît même que les Zetas ont contribué au financement de la campagne électorale du président Alvaro Colom, via Obdulio Solorzano, membre du parti du président, enlevé et tué à Guatemala City en 2010, probablement parce qu'il en savait trop.

Pour imposer leur présence à Coban, les Zetas roulent dans des voitures imposantes, comme les Hummer, et laissent ostensiblement leurs armes en évidence. Un commandant des Zetas menacé par deux policiers sur la place principale en désarme un et pointe son arme sur la tempe de l'autre. Un policier qui refuse de se laisser corrompre est traîné dans toute la ville et battu avant d'être abandonné dans le fossé. Deux étudiants qui s'approchent d'un peu trop près d'une petite amie d'un Zetas sont abattus à une station service. Un Zetas exécute sa petite amie guatelmatèque de peur qu'elle le trompe après son retour au Mexique. Les Zetas pratiquent aussi l'extorsion, ponctionnant des sommes allant de 3 à 6 000 dollars.

Le 18 décembre 2010, après que l'équipe du gouverneur de l'Etat ait perdu un match de football contre celle d'Overdick, l'Alta Verapaz est mis en état de siège, des renforts de police et de l'armée sont envoyés sur place. En deux mois, les militaires arrêtent 22 suspects, saisissent de l'argent, 41 véhicules, 39 AK-47 et 23 mitraillettes allemandes. Mais les Zetas, prévenus par la police, se sont repliés à San Miguel Chicaj dans la province voisine du Baja Verapaz, où ils recrutent d'ailleurs de nombreux ex-soldats. C'est la réponse du gouvernement à une pression des Zetas plus grande en raison de l'affrontement avec le cartel du Golfe. Début 2010, l'organisation envoie « Z-200 » au Guatemala. Dès le 26 juin, les Zetas abattent probablement le successeur de Juan Leon, Giovanny Espana, et 4 de ses gardes du corps. Dans les mois suivants, ils montent une expédition dans le Zacapa, s'en prennent aux biens de la famille Mendoza, au clan Leon, et affrontent la police et l'armée. Les Zetas veulent en fait contrôle les deux Etats du Zacapa, qui permet de faire entrer la drogue du Honduras, voire du Salvador, et du Peten, frontalier du Mexique et du Belize, qui représente un tiers du pays, un endroit difficile d'accès, en pleine jungle, idéal pour convoyer des marchandises à travers la frontière. Le Zacapa est sous la coupe de Jairo Orellana, qui a épousé la veuve de Juan Leon, et qui est lié à l'alliance Overdick-Zetas. Dans le Peten, les Zetas sont établis à Poptun et Sayaxche. Poptun, à la frontière avec le Belize, est aussi le lieu où sont formés les Kaibiles. Mais Sayaxche a une plus grande valeur stratégique : c'est le point d'entrée avec le Mexique. De l'autre côté de la frontière, le Playa Grande dans la jungle d'Ixcan, et une autoroute qui suit en parallèle la frontière nord du Guatemala jusqu'au Chiapas. Sayaxche est également bien reliée à l'Alta Verapaz au sud, où une autoroute est-ouest est en construction qui deviendra potentiellement une « autoroute de la drogue » par excellence. Le massacre de mai 2011 s'adresse à Otto Salguero, un allié du clan Legon : les Zetas veulent le contrôle de l'endroit.

Après la fin de l'état de siège en février 2011, les Zetas se font plus discrets : moins de Hummer, mais plus de natifs du Honduras et du Nicaragua pour faire le travail en première ligne. Ils s'allient avec un groupe local, les « chulamicos » qui fournissent armes, renseignement, voitures, hommes de main supplémentaires. Mais le clan Mendoza reste encore fort dans le Peten. A San Marcos, près de la frontière avec le Mexique, plusieurs groupes du Guatemala travaillent avec le cartel de Sinaloa, le grand rival mexicain des Zetas. Ceux-ci n'ont pas réussi à s'implanter dans cette région ni à en déloger les groupes locaux travaillant pour leurs rivaux. L'enjeu pur les Zetas est bien de contrôler un point d'achat à moindres frais de la drogue car contrairement à leurs concurrents du cartel de Sinaloa, ils n'ont pas accès directement aux pays producteurs.

Après mai 2011, l'ascension des Zetas et la fragilisation du monde mafieux local ouvrent une opportunité pour le gouvernement9. Claudia Paz y Paz, du bureau du procureur général, conduit de nombreuses arrestations au Guatemala à partir de juillet 2011 : Hugo Alvaro Gomez Vasquez, Horst Walther Overdick et Abner Milian Quijada, entre autres. D'autres arrestations sont conduites au Mexique : William de Jesus Torres Solorzano, alias "W», le chef financier du groupe au Guatemala, et Mauricio Guizar Cardenas, alias “El Amarillo” ou “Z200.” . En tout, plus de 100 personnes sont arrêtées. Overdick est la prise la plus importante, car il assure l'infrastructure locale des Zetas. Il est extradé aux Etats-Unis.

Source


Depuis, les Zetas restent de gros acheteurs de cocaïne au Guatemala mais sont moins présents. Jairo Orellana Morales, alias "El Pelo." demeure à la tête du groupe le plus important. C'est lui qui vent la cocaïne aux Zetas, mais aussi, probablement, à leurs rivaux du cartel de Sinaloa, preuve que l'entreprise de monopolisation des Zetas a échoué. Orellana doit son succès à la chance : le gouvernement, avec un fort soutien américain, a coupé les liaisons aériennes internationales, ce qui a ralenti les arrivées de drogue via le Honduras et la côte pacifique. Restent les corridors terrestres que contrôlent les gens comme Orellana. Les Zetas, dirigés par « Yanki », ne sont plus présents, de manière résiduelle, que dans le Zacapa, l'Alta Verapaz et le Peten. Le cartel de Sinaloa s'est imposé comme l'acteur majeur au Guatemala : contrairement aux Zetas, il a développé des alliances avec les groupes locaux plutôt que de les asservir ou de les exterminer. En outre, ce cartel a encore pénétré davantage les autorités locales, s'assurant davantage de couverture. Le niveau de violence dans le pays reste donc très important.


Phase 3 : la guerre comme tremplin de l'émancipation/expansion (2010-2012)


Après la mort de Victor Pena Mendoza et la fin de non-recevoir du cartel du Golfe à son ultimatum, Trevino ordonne aussitôt l'exécution des partisans du cartel du Golfe dans le Tamaulipas et le Nuevo Leon, en particulier des policiers municipaux qui sont kidnappés et torturés à mort10. 16 membres du cartel sont ainsi enlevés. Des convois comptant jusqu'à 40 véhicules utilitaires sport sillonnent les rues des villes frontalières ou les autoroutes proches, avec des hommes armés de lance-grenades et d'armes automatiques. Les policiers ou les militaires arrivent généralement après les affrontements, à tel point que certains soupçonnent « El Chapo », le chef du cartel de Sinaloa, d'avoir soudoyé les autorités pour ce faire.

Des bannières annoncent alors la formation d'une nouvelle fédération entre les cartels du Golfe, de Sinaloa et La Familia11. Les halcones, qui travaillent pour les Zetas, se dépêchent de suspendre dans le Tamaulipas des contre-bannières pour braver la nouvelle fédération. Cette guerre symbolique est en outre très médiatisée, d'autant plus qu'en hissant les bannières, chacun en profite pour déposer aussi un morceau de cadavre ou une tête du dernier ennemi abattu. Chassés du Tamaulipas, les Zetas se replient sur Nuevo Laredo au nord-ouest, à Monterrey et Nuevo Leon au sud-ouest, et au sud à Tampico, à la frontière avec Veracruz. Si le Tamaulipas reste entre les mains du cartel du Golfe, les Zetas réussissent à se maintenir, parfois fortement, à Nuevo Laredo, à Torreon, dans le Veracruz, le Puebla, le Campeche, le Tabasco et des parties du Quintana Roo et du Yucatan.

Pour les Zetas, c'est un revers sérieux : en mars 2010, avec la perte du Tamaulipas, ce sont toutes les plazas qui ont été perdues, sauf une. La décision de se replier à Nuevo Laredo et Tampico n'a pas été prise à la va-vite, sur un coup de tête : c'est un pari stratégique réfléchi pour préserver la cohésion du groupe, en conservant le contrôle de deux positions importantes pour le trafic de drogue -un port, Tampico, et un point d'entrée sur le marché américain, Nuevo Laredo. Les Zetas ont réussi à surmonter les assauts des autres cartels et ceux du gouvernement, ce qui prouve leur résistance. A Tijuana, l'organisation Arellano-Felix, l'organisation Beltran-Leyva dans le centre du Mexique, et l'organisation Vincente Carillo-Fuentes, ou cartel de Juarez, ont toutes été réduites en ruines par les coups de poing successifs des autorités mexicaines à la même époque.

En avril 2011, Tijuana et Nuevo Laredo sont les deux seules plaza qui ne sont pas encore entre les mains de la nouvelle fédération. Mais les Zetas conservent leur mordant opérationnel : mi-juillet 2010, à Juarez, ils ont organisé le premier attentat à la voiture piégée depuis 15 ans, en utilisant un dispositif de contrôle à distance et en attirant les secours sur place avant de faire exploser l'engin. D'autres attentats à l'explosif suivront, utilisant notamment du C-4, et visant les ennemis des Zetas. En juillet, août et septembre 2010, les Zetas bénéficient des coups portés par le gouvernement au cartel de Sinaloa, avec l'arrestation du n°3 du cartel et de son tueur à gages en chef, La Barbie, ennemi mortel des Zetas. Parallèlement, ceux-ci diversifient leurs activités en s'impliquant dans le trafic humain le long de la côte du golfe du Mexique, puis dans le vol de pétrole à la PEMEX, la compagnie pétrolière nationale.

Dès la fin 2010, les activités d'extorsion et de péage reprennent normalement, augmentées par le trafic de drogue. Cette dernière activité n'est pas prioritaire au sein des Zetas. Mais la séparation avec le cartel du Golfe entraîne l'absence de contacts en Colombie ou d'autres pays andins. Trevino est l'un des principaux promoteurs, au sein des Zetas, du trafic de la cocaïne, notamment parce qu'il dirige l'une des entreprises de fraude immobilière les plus importantes dans les Amériques. Nuevo Laredo, sur l'I-3512, est l'une des voies directes vers l'un des marchés les plus importants de la drogue aux Etats-Unis : Chicago.

Trevino commence à envoyer, en 2005, de la cocaïne et de la marijuana à Chicago, via Nuevo Laredo13 et Houston, développant son réseau à l'est via la I-40 et l'I-10, et au nord via l'I-35, jusqu'à Chicago, mais aussi Atlanta. Il emploie d'abord des gangs d'adolescents, les Zetitas, puis fait appel aux gangs locaux du Texas, et ensuite à gangs répartis sur tout le territoire comme Mara Salvatrucha /MS-13 : ils sont chargés de distribuer le produit et de protéger le retour des fonds au Mexique. C'est ce trafic qui permet aux Zetas de se développer, avec des ramifications dans pas moins de 37 villes du Midwest, du nord-est et du sud-est des Etats-Unis en 2009, selon un rapport des autorités américaines elles-mêmes.

En octobre 2009, le FBI monte l'opération Gator Bait à Houston. La cible, Willie « Gator » Jones Jr, tient une résidence pour les Zetas, safe house pour les armes, la drogue, et lieu de conditionnement en vue des expéditions via le corridor de l'I-10 en direction de la Lousiane, du Mississipi et de la Floride. Le 16 novembre 2011, la police de Chicago et la DEA démantèlent une cellule locale des Zetas, mettant la main sur plus de 12 millions de dollars et 250 kg de cocaïne. A la mi-novembre, un informateur travaillant sous couvert et transportant un chargement de marijuana est attaqué par 3 membres des Zetas qui pensaient trouver plus de marchandise à bord de son véhicule. L'anecdote montre la violence du groupe et la rivalité grandissante avec le cartel du Golfe, auquel appartenait probablement le chargement.

A ce moment-là, on attribue aux Zetas le contrôle sur pas moins de 10 000 exécutants (!), du Guatemala aux Etats-Unis. Au Guatemala, ils recrutent de jeunes désoeuvrés, les fameux Zetitas, qui sont notamment chargés de prévenir les tireurs du groupe en cas de pénétration adverse sur leur territoire. Si on prend le cas d'un des leurs alliés aux Etats-Unis, le Mara Salvatrucha/MS-13, les différences sont notables. Le MS-13, né à Los Angeles, est un réseau de gangs qui s'étend de New York à L.A., en passant par le Salvador et le Guatemala. On décrit souvent son apparition comme une conséquence tragique des guerres civiles en Amérique Centrale à la fin de la guerre froide, mais en réalité, le MS-13 est le produit des dynamiques de gangs urbains. Il a été créé par des Salvadoriens de Los Angeles et opère désormais dans 42 Etats américains. Le MS-13 n'a pas cependant la cohérence organisationnelle des Zetas : c'est une structure très lâche, un réseau de groupes qui communiquement et collaborent en fonction de rapports de force. Cependant, il existe une hiérarchie, et le MS-13 exerce même une domination régionale au Guatemala. Cette structure décentralisée est aussi plus difficile à pénétrer de l'extérieur. Au niveau des gangs locaux, le commandement est assuré par deux responsables, l'un d'ensemble et l'autre plus spécifiquement chargé des opérations. La loyauté est indispensable à l'égard des gangs les plus influents, ce qui se reflète dans le credo du MS-13, qui consacre l'usage de la force : « Tuer, contrôler et violer ». Le MS-13 se distingue aussi, comme gang, par ses relations avec les cartels de la drogue. Au Mexique, ses membres servent de piétaille aux cartels, dont les Zetas, et d'intermédiaires pour le trafic humain.

A la fin 2011, l'élève a enfin dépassé le maître : les Zetas sont devenus la deuxième plus grand organisation criminelle du Mexique, seulement devancés par le cartel de Sinaloa. Les forces paramilitaires des Zetas étendent leur influence dans tout le pays, et leur adversaire perd du terrain, selon les analystes mexicains.


Phase 4 : la stabilisation et la décentralisation ? (2012-)


En 2010 et 2011, les Zetas ont donc résisté à la fois aux assauts de leurs adversaires criminels et à ceux du gouvernement14. La vision stratégique de Lazcano et la capacité à combler les pertes et à s'étendre sur de nouveaux territoires ont incontestablement joué. Paradoxalement, en 2012, les Zetas n'ont pas à affronter le cartel de Sinaloa, ce qui aurait semblé logique, mais une rivalité interne entre les deux hommes les plus importants du mouvement.

Miguel Trevino, ancien policier de Nuevo Laredo et numéro 2 des Zetas, est considéré comme un élément impulsif. Lazcano, au contraire, militaire de formation, base toute son action sur la stratégie, sur l'entraînement et le recrutement, et sur un désir non dissimulé de rester en vie. Certains commencent à penser, alors, que Trevino se lasse d'être le n°2. Les autorités mexicaines arrêtent curieusement une série de hauts-responsables proches de Lazcano, comme s'il y avait eu des fuites. Parallèlement, dans les derniers mois de l'administration Calderon, la lutte anti-cartels reprend de la vigueur et les Zetas sont plus vulnérables que le cartel de Sinaloa. Le 13 janvier 2012, Luis Jesus Sarabia Ramon, un membre important des Zetas, est arrêté dans l'Etat de Nueve Leon.

Trevino, qui a joué un rôle certain dans l'affrontement avec le cartel du Golfe et le trafic de drogue, sans parler d'un comportement excessivement violent, n'est probablement pas le seul responsable de l'éclatement progressif des Zetas. En août 2010, le chef régional des Zetas à San Fernando, au Tamaulipas, avait procédé à l'exécution de 72 immigrants clandestins puis à celle de passagers de bus détournés -193 morts au total, ensevelis dans des fosses communes. Or les chefs des Zetas lui avaient expréssément demandé de réduire les assassinats pour ne pas trop attirer l'attention de l'armée. L'incident semble donc montrer qu'il existe un découplage entre l'échelon supérieur et les groupes locaux des Zetas.

Un an plus tard, le 25 août 2011, 8 membres des Zetas font irruption dans un casino de Monterrey, au Nuevo Leon, y versent de l'essence et mettent le feu : 52 personnes sont brûlées vives. Le motif : le propriétaire du casinon avait refusé de céder à l'extorsion. L'initiative a visiblement été prise par un sous-fiffre, sans que les chefs de l'organisation l'aient approuvée. En mai 2012, 49 corps décapités sont retrouvés sur le bord d'une route, dans le Nuevo Leon, près de Cadereyta Jimenez : mais Trevino avait ordonné au chef local des Zetas de déposer les corps au beau milieu de la ville... ce qui là encore, montre des dissensions.

En juin 2012, une guerre des bannières fait rage dans les rangs des Zetas, entre ceux hissant celles qui arborent le portrait de Lazcano et d'autres qui défendent plutôt Trevino. Mais certains experts doutent, en fait, d'une possible guerre intestine au sein du mouvement, à l'exception de tensions peut-être bien présentes parmi la troupe. Le problème réside probablement dans l'expansion fulgurante des Zetas, qui ne tirent que la moitié, tout au plus, de leurs revenus du trafic de drogue. Les immenses rentrées d'argent engendrent certainement une grande frustration parmi les cellules locales, qui assurent l'essentiel des activités, et qui rechignent à voir partir l'essentiel des bénéficies entre les mains des chefs. On assisterait donc, peut-être, à la naissance d'un modèle de « franchise » Los Zetas, avec des cellules locales reproduisant le schéma du groupe.

Pourtant, le 9 août 2012, la police mexicaine découvre les cadavres de 14 membres des Zetas près de San Lui Potosi. Il s'agit d'hommes de main de Caballero, un chef des Zetas dans l'Etat voisin du Coahuila. Ses hommes auraient été tués par la faction de Trevino, qui pense que Caballero a l'intention de quitter les Zetas pour le combattre en s'alliant avec le cartel du Golfe. Ce même mois, les analystes américains multiplient les compte-rendus selon lesquels Trevino aurait bien évincé Lazcano, dernier fondateur historique des Zetas.

En réalité, il semblerait bien que les deux dirigeants des Zetas aient maintenu leur association, et que nombre de rumeurs à propos d'un affrontement interne soient venus des partisans de Trevino qui n'étaient pas satisfaits du leadership de ce dernier. Lazcano est finalement abattu le 7 octobre 2012 par des Marines mexicains à Progreso, dans le Coahuila. Il est ainsi le premier chef important de cartel à être tué dans un échange de tirs depuis 2006. La mort de Lazcano, qui suit la capture de Costilla, le chef du cartel du Golfe, en septembre 2012, là encore par les Marines, et l'arrestation de Caballero, l'adversaire de Trevino, semblent profiter au cartel de Sinaloa, dont le chef, « El Chapo », peut espérer s'emparer de Nuevo Laredo, la place forte de Trevino.

Lazacano était le dernier membre originel des Zetas qui maintenait un semblant de cohésion15. Les incertitudes recouvrant sa mort et la disparition de son corps ouvrent déjà des polémiques, mais sans Lazcano, il n'y a plus de commandement stratégique à Los Zetas, qui devient une organisation sans chef. Miguel Trevino, le n°2, n'est pas un membre d'origine des Zetas, et n'a pas le respect de l'ensemble de l'organisation. Il est à la merci des rivaux et des autorités. Les Zetas ont probablement atteint leur apogée à la mi-2008, alors qu'ils s'émancipaient du cartel du Golfe tout en restant encore, théoriquement du moins, sous sa coupe. Depuis 2010, les Zetas se sont concentrés sur le trafic de drogue : la cocaïne est achetée au Honduras, puis transportée par le Guatemala, le sud du Mexique jusqu'à Veracruz. Arrivée à Nuevo Laredo, elle est acheminée au nord, vers les Etats-Unis. Jusqu'à la mort de Lazcano cependant, les Zetas ont réussi à conserver leur cohésion issue de leur origine militaire : le vol du corps de Lazcano illustre le maintien de leurs traditions.

Source : http://www.stratfor.com/sites/default/files/main/images/Cartels_2013.jpg


Miguel Trevino, qui a tout fait pour conserver la place forte de Nuevo Laredo, est intimement lié au trafic de drogue. Il est aussi de tempéraement beaucoup plus impulsif et violent que ne l'était Lazcano. Ce qui explique qu'il est moins respecté par la troupe des Zetas. D'ailleurs, dès la mi-octobre 2012, des membres de l'organisation qui se font appeler « les Légionnaires » annoncent leur intention de lui contester la plaza de Nuevo Laredo. 3 des chefs locaux de plazas peuvent incarner le futur des Zetas : Sergio “El Grande” Ricardo Basutro Pena, Maxiley “El Contador” Barahona Nadales, et Roman “El Coyote” Ricardo Palomo Rincones. Sur un historique similaire à celui des Zetas, dans les grandes lignes, l'organisation Beltran-Levya a tenu jusqu'en décembre 2009 grâce à son chef, Arturo Beltran-Leyva, avant de se scinder en deux factions, une dirigée par l'homme de main d'Arturo, Edgar “La Barbie” Valdez Villareal, et l'autre par son frère Hector. Lesquelles ont également éclaté et se sont disputées le contrôle de territoires, notamment à Acapulco.

L'organisation subit un nouveau coup avec l'arrestation, le 15 juillet 2013, de Trevino, le successeur de Lazcano. Trevino a été pris par les Marines mexicains à l'ouest de Nuevo Laredo, sans qu'un coup de feu soit tiré. Il a été arrêté avec deux autres hommes et avec, sur lui, plus de 2 millions de dollars, et également 8 armes à feu avec plus de 500 cartouches16. C'est la capture la plus importante parmi les responsables de cartels mexicains depuis 2008. Jusqu'ici, la succession s'était faite sans trop de heurts au sein de la hiérarchie des Zetas, en raison de la culture militaire de l'organisation -encore que Trevino, comme on l'a dit, ne fasse pas partie des ex-GAFES d'origine17. Il faut noter que malgré son profil, Trevino semblait avoir réduit volontairement les actes de violence les plus spectaculaires et la mise en place des bannières (narcomanta), sans doute pour diminuer la pression des autorités mexicaines sur l'organisation. Los Zetas n'a pas perdu la plaza de Nuevo Laredo, d'importance vitale, face au cartel de Sinaloa d'El Chapo, qui reste le cartel le plus puissant, mais qui a aussi subi des coups18. En janvier 2014, les Zetas restent le groupe le plus important du nord-est du Mexique, mais sont toujours en conflit avec le cartel de Sinaloa, très présent lui au nord-ouest, et avec les Chevaliers Templiers19. Jusqu'en 2012, le nord-est mexicain était au centre de l'activité des cartels en raison du conflit entre les Zetas et le cartel du Golfe et ses alliés. Le cartel du Golfe n'a plus d'organisation cohérente centralisée depuis 2012, mais ses groupes existent encore et les trafiquants de drogue parviennent encore à faire entrer leur cargaison aux Etats-Unis à partir de Reynosa et de Matamoros, dans le Tamaulipas, en faisant appel au service du cartel de Sinaloa ou des Chevaliers Templiers.

Les Zetas doivent faire face à la faction Velazquez, de Zacatecas, un ancien chef régional des Zetas qui a rallié le cartel du Golfe début 2012. Velazquez a été arrêté en septembre 2012 mais ses deux frères dirigent la faction, la plus puissante des restes du cartel du Golfe. L'objectif du groupe est de chasser les Zetas du Tamaulipas, et en particulier de Nuevo Laredo, un objectif probablement au-dessus de ses moyens actuels. Les Chevaliers Templiers, un groupe issu de l'Etat du Michoacan dans le sud-ouest, ont aidé le cartel du Golfe à combattre les Zetas dès 2012 : ils se servent de Reynosa et Matamoros pour passer drogue et migrants illégaux aux Etats-Unis, mais n'ont pas une présence aussi établie que les Zetas dans le nord-est. Le frère de Miguel Trevino, Omar, alias Z-42, chapeaute désormais les Zetas. Ceux-ci se sont imposés, de plus en plus, dans la ville de Reynosa, pourtant considérée comme un bastion du cartel du Golfe, en 2013. En outre, ils ont fait leur apparition dans le nord de l'Etat du Chihuahua, à Ciudad Juarez, au sud-est de la ville, prenant sous leur coupe des gangs qui dépendaient du cartel de Juarez20.



Bibliographie :


Ouvrage :


George W. GRAYSON et Samuel LOGAN, The Executioner's Men. Los Zetas, Rogue Soldiers, Criminal Entrepreneurs, and the Shadow State They Created, Transaction Publishers, 2012.


Articles :


Robert J. BUNKER et Byron RAMIREZ, Narco Armor. Improvised Armored Fighting Vehicles in Mexico, The Foreign Military Studies Office, mars 2013.

Steven DUDLEY, The Zetas in Guatemala, InSight Crime Special Report, 8 septembre 2011.

Steven DUDLEY, « Guatemala's New Narco-map: Less Zetas, Same Chaos », InSight Crime, 16 septembre 2013.

Georges W. GRAYSON, « Los Zetas: the Ruthless Army Spawned by a Mexican Drug Cartel », Foreign Policy Research Institute E-Notes, mai 2008.

Samuel LOGAN, « Los Zetas: Evolution of a Criminal Organization », ISN Security, 12 mars 2009.

Samuel LOGAN, « A Profile of Los Zetas: Mexico’s Second Most Powerful Drug Cartel », CTC Sentinel, février 2012, volume 5, numéro 2, p.5-7.

Samuel LOGAN, « The Future of Los Zetas after the Death of Heriberto Lazcano », CTC Sentinel, octobre 2012, Vol 5. Issue 10, p.6-9.

Tristan REED, « Mexico's Drug War: Balkanization Continues in the Northeast and Northwest », Security Weekly, Stratfor, 16 janvier 2014.

Scott STEWART and Tristan REED, «  Mexico's Zetas Are Not Finished Yet », Security Weekly, Stratfor, 24 octobre 2013.

John P. SULLIVAN, Samuel LOGAN, « The Gulf-Zeta Split and the Praetorian Revolt », ISN Security, 4 juillet 2010.

John P. SULLIVAN et Samuel LOGAN, « Los Zetas: Massacres, Assassinations and Infantry Tactics », The Counter Terrorist, 24 novembre 2010.






1Georges W. GRAYSON, « Los Zetas: the Ruthless Army Spawned by a Mexican Drug Cartel », Foreign Policy Research Institute E-Notes, mai 2008.
2Samuel LOGAN, « A Profile of Los Zetas: Mexico’s Second Most Powerful Drug Cartel », CTC Sentinel, février 2012, volume 5, numéro 2, p.5-7.
3La Familia Michoacana se caractérise par ses tactiques brutales, une solide base d'opérations dans le Michoacan et par une pseudo-idéologie religieuse qui assure un esprit de corps. Le groupe a émergé en fusionnant des trafiquants de drogue et des vigiles, avec l'appui des Zetas. La Familia bénéficie de leur appui pour éliminer la famille mafieuse dominante du Michoacan, les Valencias, avant de s'émanciper à partir de 2006. Le groupe rejoint ensuite la coalition anti-Zetas en 2010. Il est affaibli par une scission rivale, les Chevaliers Templiers. Son activité se concentre surtout sur les drogues synthétiques, et il a son propre réseau de distribution aux Etats-Unis.
4Samuel LOGAN, « Los Zetas: Evolution of a Criminal Organization », ISN Security, 12 mars 2009.
5John P. SULLIVAN et Samuel LOGAN, « Los Zetas: Massacres, Assassinations and Infantry Tactics », The Counter Terrorist, 24 novembre 2010.
6Robert J. BUNKER et Byron RAMIREZ, Narco Armor. Improvised Armored Fighting Vehicles in Mexico, The Foreign Military Studies Office, mars 2013.
8Steven Dudley, The Zetas in Guatemala, InSight Crime Special Report, 8 septembre 2011.
9 Steven Dudley, « Guatemala's New Narco-map: Less Zetas, Same Chaos », InSight Crime, 16 septembre 2013.
11John P. SULLIVAN, Samuel LOGAN, « The Gulf-Zeta Split and the Praetorian Revolt », ISN Security, 4 juillet 2010.
12Interstate 35, une autoroute qui traverse le centre des Etats-Unis, du Texas au Minnesota.
13Dès le début 2005, les Zetas, profitant des arrestations qui ont désorganisé le cartel du Golfe, s'installent en force à Nuevo Laredo. Le cartel de Sinaloa tente de s'y implanter et la ville se transforme en champ de bataille. A l'automne, les Zetas sont maîtres du terrain, au prix d'une formidable démonstration de violence.
15Samuel LOGAN, « The Future of Los Zetas after the Death of Heriberto Lazcano », CTC Sentinel, octobre 2012, Vol 5. Issue 10, p.6-9.
18Scott Stewart and Tristan Reed, «  Mexico's Zetas Are Not Finished Yet », Security Weekly, Stratfor, 24 octobre 2013.
19Les Chevaliers Templiers sont une scission de La Familia Michoacana apparue en mars 2011. Ils se présentent comme un mouvement d'auto-défense et reprennent l'idéologie religieuse du groupe d'origine. Par certains côtés, et en raison de leur enracinement dans le Michoacan, ils ont plus les caractéristiques d'une insurrection que d'une mafia.
20Tristan Reed, « Mexico's Drug War: Balkanization Continues in the Northeast and Northwest », Security Weekly, Stratfor, 16 janvier 2014.

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