Les 8
et 9 novembre 1923, Adolf Hitler et le jeune parti nazi dirigent
une coalition de groupes nationalistes qui tente un coup d’État
qui entre dans l'histoire sous le nom de putsch de la brasserie. Il
débute en effet dans la Bürgerbräukeller, une des plus grandes
brasseries de Munich, avec l'espoir de prendre le pouvoir en Bavière
pour ensuite marcher sur Berlin et renverser la République de
Weimar. Le putsch échoue finalement et les autorités bavaroises
parviennent à faire condamner 9 de ses responsables. Cet événement
qui aurait pu passer largement inaperçu dans l'histoire, fort
mouvementée, de l'Allemagne d'après-guerre va néanmoins devenir,
après 1933, une geste héroïque pour le mouvement nazi et faire
partie intégrante de la mythologie qui entoure la course au pouvoir
menée par Hitler.
David FRANCOIS
1923, l'Allemagne au
bord du gouffre.
Les quatre années qui
suivent la défaite de novembre 1918 sont celles du chaos pour
l'Allemagne. Un chaos national d'abord avec l'imposition du traité
de Versailles en juin 1919 qui est ressenti par une grande partie de
la population comme une humiliation et une injustice. Un chaos social
ensuite provoqué par la crise économique qui entraîne chômage,
inflation et misère et dont l'apogée se situe en 1923. Ces deux
traumatismes se rejoignent en 1923 avec l'occupation de la Ruhr.
En avril 1921, la France
et la Grande-Bretagne exigent à l'Allemagne, au titre des
réparations de guerre, environ 33 millions de dollars, causant ainsi
une inflation croissante dans le pays. Le gouvernement allemand
demande alors de pouvoir différer les payements aux Alliés ce que
refuse la France. Quand l'Allemagne menace finalement, à la fin de
1922, de faire défaut, le président du Conseil français, Raymond
Poincaré, fait alors occuper le bassin minier de la Ruhr par l'armée
aggravant ainsi la crise allemande. L'inflation repart en effet de
plus belle. En janvier 1923, un dollar vaut 18 000 marks, puis en
juillet 160 000, en août un million et en novembre 4 milliards de
marks. Les Allemands sont alors payés avec une monnaie qui se
déprécie de jour en jour, les produits de base coûtent des
millions tandis que des émeutes de la faim éclatent dans le pays.
Dans ce climat
d'instabilité les mouvements politiques de gauche et de droite
développent des structures paramilitaires qui recrutent des anciens
combattants, des chômeurs et des jeunes en quête d'action.
Ces formations ont principalement pour objectif à renverser une
démocratie fragile, rendue responsable de tous les maux qui
accablent la population. Pourtant au début de 1923, les Allemands
font confiance dans un gouvernement qui organise la défense passive
face aux Français dans la Ruhr. Mais en septembre, les autorités du
Reich se voient contraintes d'accepter la reprise du payement des
réparations. Cette décision provoque un fort ressentiment dans la
population, incitant les groupes politiques extrémistes à passer à
l'action, ce qui ne fait qu’accroître le chaos qui règne alors en
Allemagne.
La Bavière en
effervescence.
Alors que le gouvernement
central craint que la Thuringe et la Saxe ne tombent entre les mains
des communistes, la Bavière est devenu, depuis l'écrasement de la
République des Conseils à Munich par les corps francs, un refuge
pour les groupes nationalistes. Parmi ceux-ci, le parti nazi est le
plus nombreux avec 55 000 adhérents et surtout il est le mieux
organisé. Adolf Hitler en a pris le contrôle en juillet 1921 et a
réussi à le faire prospérer. Depuis 1920, il possède même une
aile paramilitaire commandée par Ernst Röhm, les Sections d'Assaut
(SA). Hitler parvient également à étendre considérablement le
champ d'influence de son mouvement. Il rallie à lui Hermann Göring,
un des as de l'aviation allemande pendant la Grande Guerre, qui
devient d'ailleurs le chef de la SA en 1922, mais également des
hommes d'affaires comme Ernst Hanfstaengl qui finance le mouvement.
Il a surtout fait la connaissance d'un diplomate, Max von
Scheubner-Richer, un homme qui a de multiples connexions dans les
milieux politiques et militaires mais aussi parmi les Russes blancs.
En 1921 Hitler est même reçu, grâce à son secrétaire Rudolf
Hess, par le général Erich Ludendorff, le héros allemand de la
Première Guerre mondiale.
Hitler et ses fidèles en 1923 (source: wikipedia.org)
Pour les militants nazis
et les différents groupes de la mouvance völkisch il ne fait
aucun doute à l'automne 1923 que le temps est désormais venu de
frapper à mort la République de Weimar. Hitler, poussé par cette
base impatiente, sait qu'il doit agir s'il ne veut pas prendre le
risque de perdre la direction du mouvement. Il s'inspire également
de la Marche sur Rome qui a permis aux fascistes italiens de prendre
le pouvoir en octobre 1922 et planifie donc une marche sur Berlin qui
doit lui permettre de prendre le contrôle du gouvernement national.
Il espère même pouvoir compter sur le soutien des autorités
bavaroises. En effet les membres du gouvernement de la Bavière
veulent un changement de la politique nationale et protestent contre
la décision de Berlin de mettre fin à la résistance passive dans
la Ruhr et la Rhénanie occupées.
Le 2 septembre 1923, en
compagnie de Ludendorff, Hitler assiste à un défilé de 100 000
hommes issus de différentes formations paramilitaires de droite
comme la Reichsflagge, la SA ou le Bund Oberland et qui se fédèrent
dans le Deutscher Kampfbund sous la direction politique d'Hitler. Les
rumeurs de marche sur Berlin ne cessent alors d'enfler à Munich
tandis que le général von Seeckt, le chef de la Reichswehr,
prévient Stresemann qu'il ne fera rien en cas d'action contre Berlin
de la part de l'armée bavaroise.
Pour éviter que la
situation ne dégénère le premier ministre bavarois, Eugen von
Knilling, nomme le 26 septembre, Gustav von Kahr commissaire général.
Ce dernier forme alors un triumvirat avec le chef de l'armée en
Bavière, Otto von Lossow, et le chef de la police Hans Ritter von
Seisser. Kahr se fait rapidement le champion de la fronde
nationaliste face à Berlin. Il négocie avec les organisations
nationalistes de Berlin tandis que Lossow rencontre Hitler. Ce
dernier lui expose alors son projet de former un directoire dont le
triumvirat ferait partie avec Ludendorff. Mais ces discussions
n'aboutissent pas et le 6 novembre, le triumvirat fait savoir au
Kampfbund qu'il fera tout pour éviter un putsch nationaliste.
Si le triumvirat appelle
publiquement à une marche nationaliste sur Berlin, il espère
néanmoins que les militaires et les civils à Berlin renverseront
eux-mêmes la République afin d'établir un régime autoritaire.
Cela permettrait aux Bavarois de cueillir les fruits de la victoire
sans prendre de risques et de maintenir l'autonomie de leur région.
Il est donc de plus en plus évident pour Hitler qu'il ne souhaite
pas passer à l'action de leur propre initiative.
Fort de l'appui de
Ludendorff, Hitler décide de se lancer dans un coup de force pour le
jour anniversaire de la naissance de la République, le 9 novembre.
Le 7, il réunit donc ses principaux lieutenants et soutiens dont
Ludendorff, Göring et Scheubner-Richter pour mettre l'opération au
point. Il prévoit ainsi de s'emparer des principales villes de la
Bavière comme Ratisbonne, Augsbourg et Nuremberg mais surtout de
Munich où les troupes du Kampfbund doivent s'emparer des principaux
points stratégiques: gares, télégraphes, téléphones, bâtiments
de l'administration civile et de l'armée. Il estime pouvoir compter
pour cela sur 4 000 hommes qui feront face à 2 600 policiers et
militaires.
Mais Hitler se méfie de
von Kahr en qui il voit un potentiel rival et son plan vise aussi à
obliger par la force les chefs du gouvernement bavarois à l'accepter
comme chef suprême. Puis, avec l'aide du général Erich Ludendorff,
il pourra prendre la tête d'une révolution nationaliste pour
renverser le gouvernement de Berlin.
Le putsch commence.
Le soir du 8 novembre
1923, Kahr, Lossow et Seisser se retrouvent à la Bürgerbräukeller
pour parler devant un public d'environ 3 000 personnes composé de
responsables de l'administration et de notables de la ville. Vers 20
heures 30 un détachement des gardes du corps d'Hitler, la Stosstrupp
Adolf Hitler, arrive à la Bürgerbräukeller pour rejoindre les
troupes des Sections d'Assaut (SA) qui se préparent à investir la
brasserie. Hitler, accompagné d'Hermann Göring fait irruption dans
la grande salle de la brasserie avec ses hommes qui lui frayent un
passage dans la foule pour rejoindre la scène. Une mitrailleuse est
mise en batterie à l'entrée ce qui provoque un certain tumulte.
Hitler tire alors un
coup de feu dans le plafond pour ramener le calme et s'adresser à
une assistance tétanisée. Il annonce que la révolution nationale a
commencé mais également que personne ne doit sortir de la brasserie
et que pour cela il est prêt à faire installer une mitrailleuse
dans une galerie qui surplombe salle. Il ajoute que les gouvernements
de Bavière et du Reich sont déposés au profit d'un gouvernement
national provisoire. Il termine enfin en affirmant que les bâtiments
de la Reichswehr et de la police sont occupés tandis que les
policiers et les militaires parcourent Munich sous le drapeau à
croix gammée. Bien entendu rien n'est vrai dans tout cela mais il
cherche ainsi à impressionner les membres du triumvirat.
Les sections d'assaut (source: wikipedia.org)
Ensuite Hitler réunit
les trois triumvirs dans une petite salle où il leur demande de se
joindre à lui, de soutenir sa révolution nazie et les assure qu'ils
auront une place dans le nouveau gouvernement. Mais à sa surprise
les trois hommes refusent de lui parler. Il sort alors son pistolet
et prévient qu'il contient 4 balles, 3 pour les membres du
triumvirat et la dernière pour lui. Mais la menace ne fait pas son
effet. Soudain, Hitler a l'idée de rejoindre le public dans la
grande salle pour annoncer que le gouvernement et le président du
Reich sont déchus, qu'un gouvernement national va être formé à
Munich pour marcher ensuite sur Berlin avec le soutien de l'armée.
Cette ruse permet de faire croire que les membres du triumvirat,
toujours retenus dans une salle séparée, ont rejoint Hitler et les
nazis.
Mais les hommes du
triumvirat se montrent toujours hésitants et cherchent à gagner du
temps. La discussion n'avance pas. Heinz Pernet,
Johann Aigner et Scheubner-Richter sont alors dépêchés pour aller
chercher Ludendorff, dont le prestige personnel doit permettre de
vaincre ces réticences. Pendant ce temps Hermann Kriebel téléphone
à Ernst Röhm qui se trouve dans une autre brasserie, la
Löwenbräukeller, pour lui ordonner de s'emparer des principaux
bâtiments de la ville tandis que Gerhard Rossbach mobilise les
élèves d'une école d'infanterie.
Le général Ludendorff
arrive enfin à la Bürgerbräukeller. Hitler sait qu'il a plus de
chances d'être entendu par les membres du triumvirat que lui. Il
presse donc Ludendorff de les convaincre de rejoindre le coup d'État.
Ludendorff s'entretient donc avec les trois hommes leur conseillant
de rallier la révolution nazie. Ces derniers se laissent finalement
convaincre et se rendent alors dans la grande salle pour annoncer
publiquement leur ralliement à Hitler et l'assurer de leur loyauté
envers le nouveau régime. Le public les acclame et entonne le
Deutschland Über Alles. Hitler est euphorique. Son plan se
déroule comme prévu et il espère bien devenir rapidement le
nouveau chef de l'Allemagne. Dans son enthousiasme Hitler autorise
alors l'assistance à se retirer à l'exception d'un groupe d'otages
formé par des membres du gouvernement et des chefs de la police sous
la garde de Hess.
Une suite d'erreurs
fatales.
Rapidement les conjurés
vont faire une série d'erreurs cruciales. Le succès de l'opération
dépend en effet de leur rapidité à prendre possession des
bâtiments administratifs et des centres de communications mais
également de l'autorité du triumvirat sur la police et l'armée. A
Munich, Wilhelm Frick, le chef de la section politique de la
préfecture de police, parvient un temps à paralyser la réaction
des policiers tandis que Röhm occupe le quartier général de
l'armée mais en oubliant pendant plus d'une heure et demie de
neutraliser le central téléphonique permettant ainsi aux militaires
de faire venir des renforts de l'extérieur. Les nazis négligent
totalement de prendre le contrôle des centres de communications, des
gares, des ministères et des casernes qui restent sous le contrôle
de l'Etat. Ils manquent totalement de coordination. Ainsi, un
bataillon de SA qui a réussi à se procurer des fusils en nombre
reste ensuite l'arme aux pieds A environ 3 heures du matin, les
premières victimes du putsch tombent, deux hommes de la SA tués
lors d'une tentative pour s'emparer de la caserne du 19e régiment
d'infanterie. Les nazis sont également repoussés de la caserne du
7e régiment d'infanterie. Seul les élèves de l'école d'infanterie
rallient les putschistes.
Les SA dans les rues de Munich durant le putsch (source: wikipedia.org)
Du coté des autorités
bavaroises les policiers stationnés vers la Löwenbräukeller
envoient dès le début de la soirée à leurs chefs des rapports sur
les mouvements des SA. Le major Sigmund von Imhoff de la police
d'État met alors en alerte les unités de police et fait occuper le
bureau du télégraphe et le central téléphonique. Il informe
également de la situation le major-général Jakob Ritter von
Danner, le commandant de la Reichswehr de la garnison de Munich qui
est fermement déterminé à faire échouer le putsch. Pour cela il
installe son poste de commandement dans la caserne du 19e régiment
d'infanterie et met en alerte toutes les unités militaires.
L'erreur la plus fatale
pour les putschistes est celle que commet Hitler lui-même. Il décide
en effet, après le ralliement du triumvirat à son entreprise, de
quitter la Bürgerbräukeller pour se rendre auprès de ses hommes et
les aider à faire basculer les militaires. Il laisse ainsi le
triumvirat sous la garde du général Ludendorff qui les laisse
ensuite quitter la brasserie sous le prétexte qu'ils doivent
rejoindre leur poste pour assurer le bon fonctionnement du putsch et
après avoir promis faussement de rester fidèles
à Hitler. Une fois libres,
les membres du triumvirat s'empressent de dénoncer la tentative de
putsch et ordonnent à la police et à l'armée de la réprimer.
Les nazis occupent Munich (source: wikipedia.org)
Hitler ne parvient pas
lui non plus à rallier les soldats qui refusent
de le rejoindre et de sortir des casernes. Devant cet échec il
décide de retourner à la brasserie. C'est alors qu'il prend
conscience du mauvais tour que prend sa tentative. Alors qu'il
prévoit de marcher le lendemain sur Berlin, Munich n'est pas encore
occupé, seul le siège du ministère de la Guerre est contrôlé par
Ernst Röhm et ses hommes.
Dans les premières
heures du 9 novembre, les membres du triumvirat, qui ont trouvé
refuge dans la caserne du 19e régiment d'infanterie font savoir
publiquement que les déclarations extorquées par Hitler sous la
menace d'une arme sont nulles. Il ordonne la dissolution du parti
nazi et de ses troupes paramilitaires. Von Lossow quant à lui fait
venir des troupes en renfort dans la ville. A l'aube l'immeuble du
ministère de la Guerre qu'occupe Röhm est cerné.
La fusillade de la
Feldherrnalle.
La
situation a irrémédiablement tourné. Les conjurés se sont
montrés trop désorganisés pour prendre l'avantage pendant le court
laps de temps où la confusion a régné parmi les autorités.
Hitler passe la nuit du 8 au 9 à ne savoir que
faire sur la suite à donner aux événements. L'armée reste loyale
au régime et les tentatives de coups de force dans le reste du pays
ont échoué. Cette indécision laisse définitivement le
temps aux autorités bavaroises d'organiser la riposte contre les
putschistes. Au petit matin, Hitler, sans espoir,
envoie Max Neunzer demander l'aide du prince Rupprecht de Bavière
mais cette tentative échoue.
Le
général Ludendorff lui propose alors d'organiser une marche dans la
ville pour rallier directement la population à son coup d'État. Il
ajoute qu'en raison de son prestige militaire personne n'osera ouvrir
le feu sur le cortège. Hitler conduit alors environ 2 000
nazis et membres du Kampfbund dans une marche sur la Feldherrnhalle
en direction de la Ludwigsstrasse. Il est entouré par Ludendorff et
Göring, tandis que l'un des drapeaux du parti est porté par
Heinrich Himmler. Le cortège est majoritairement composé d'hommes
de la Stosstruppe, de la SA et de l'organisation Oberland. Des élèves
de l'école d'infanterie sont également présents. Quand ils
atteignent l'Odeonsplatz prés de la Feldherrnhalle, ils se heurtent
à un barrage d'une centaine de policiers. Hitler leur demande alors
de se rendre. Une fusillade partant de chaque
cotée éclate durant une minute.
L'Odeonsplatz lors du putsch de novembre (source: Bundesarchiv)
Seize
nazis et trois policiers sont tués lors de cet échange de coups de
feu. Göring est grièvement touché à l'aine mais parvient à
prendre la fuite. Hitler est victime d'une luxation de l'épaule
quand Scheubner-Richter, qui lui tenait le bras, s'effondre,
mortellement touché et l’entraîne avec lui dans sa chute contre
le trottoir. Le garde du corps d'Hitler, Ulrich Graf, s'est aussi
jeté sur lui, recevant à sa place plusieurs balles et lui sauvant
ainsi la vie. Hitler rampe alors sur le trottoir pour rejoindre une
voiture qui l'attend et s'enfuir. La troupe nazie est dispersée,
certains membres arrêtés. Ludendorff, malgré la fusillade, a
continué à marcher tranquillement droit devant lui et parvient à
atteindre indemne le barrage de police où il est finalement arrêté.
Pendant ce temps des
unités de l'armée venant d'Augsbourg encercle le quartier-général
encore tenu par les hommes de Röhm. Ces derniers, en apprenant la
fusillade sur la Feldherrnhalle acceptent finalement de se rendre
mais en recevant les honneurs militaires. Hitler
quant à lui a trouvé refuge dans le grenier de ses amis, les
Hanfstaengls, où il parle de se suicider. Il s'attend même à être
fusillé par les autorités. Le 11 novembre, la police vient
finalement l'arrêter.
Le procès des
putschistes.
En février 1924 s'ouvre
le procès des chefs du putsch de la brasserie. Les cinq juges du
tribunal du peuple de la Bavière ont pour président Georg Neithard
qui, dans les cas de haute trahison, se montre généralement clément
avec les accusés de droite qui déclarent agir au nom de
considérations patriotiques. Portant sa croix de fer obtenu durant
la Grande Guerre, Hitler fait du prétoire une tribune d'où il
dénonce la République de Weimar qui a trahi l'Allemagne en signant
le traité de Versailles il justifie son action en dénonçant
l'inéluctabilité d'une insurrection communiste prochaine. Il
s'attire ainsi la clémence des juges qui le condamnent pour haute
trahison à la peine la plus légère soit 5 ans d'emprisonnement
dans la prison à sécurité minimale de Landsberg. Hitler ne fera
que seulement 8 mois de détention.
La presse, tant à gauche
qu'à droite, critique cette clémence et un éminent professeur de
droit publie même un article qui met en avant les vices du procès.
Mais le gouvernement bavarois, pourtant lui aussi mécontent du
verdict, se refuse à intervenir pour ne pas donner l'impression
qu'il cherche à influencer les décisions de la justice bavaroise.
Durant son court séjour
en prison, Hitler reçoit un traitement de faveur. Il obtient le
droit de porter des vêtements civils, de rencontrer les autres
détenus autant qu'il le veut, de recevoir et d'envoyer une
volumineuse correspondance. Les autorités de la prison lui donnent
même la permission d'utiliser les services de son secrétaire
personnel, Rudolf Hess, lui aussi détenu pour haute trahison. Hitler
en profite pour lui dicter le premier volume de Mein Kampf.
Hitler à sa sortie de la prison de Landsberg (source: wikipedia.org)
Le putsch dans la
mythologie nazie.
De l'échec du putsch de
la brasserie Hitler tire la leçon que le mouvement nazi ne peut
détruire la République par un assaut direct sans le soutien de
l'armée et de la police. Il comprend également que le succès
dépend de la capacité du parti nazi à devenir le leader indiscuté
du mouvement völkisch et de sa capacité à devenir le chef
incontesté des nazis. Finalement l'expérience du putsch lui apprend
qu'une tentative de renversement violent du régime de Weimar
entraînera une réponse militaire des autorités. Il préfère donc
profiter des avantages de la démocratie pour la subvertir de
l'intérieur en cherchant à prendre le pouvoir par le biais des
élections et en usant de la liberté d'expression et de réunion
garantie par cette même démocratie.
A la suite du putsch le
gouvernement bavarois et celui du Reich interdisent le parti nazi,
ses formations et sa presse. Mais les déclarations d'Hitler sur sa
volonté de parvenir au pouvoir légalement parviennent à convaincre
les autorités de lever cette interdiction en 1925. La marche vers le
pouvoir reprend.
Les nazis cultivent la
mémoire du putsch de la brasserie qui prend une dimension mythique
dans l'histoire du mouvement. Parmi ceux qui marchèrent vers
l'Odeonsplatz le 9 novembre se trouve également des hommes qui
occuperont des postes clefs au sein du IIIe Reich: Hermann Göring,
Heinrich Himmler, Rudolf Hess, Julius Streicher et Wilhelm Frick.
Quatre d'entre eux se trouveront en 1945 sur le banc des accusés au
procès de Nuremberg.
Après la prise du
pouvoir par Hitler en janvier 1933, l'Allemagne célèbre le 9
novembre comme le Jour du Deuil. Chaque année à Munich des
commémorations entretiennent le souvenir du putsch et des victimes
nazies qui deviennent des martyrs de la cause. Le Blutorden, la
médaille qui est décernée aux vétérans du putsch devient alors
la plus haute distinction au sein du parti nazi tandis que le drapeau
porté lors du putsch et qui fut taché par le sang d'une des
victimes, Andreas Bauriedl, devient la Blutfahne, le drapeau du sang,
qui sert à consacrer les autres drapeaux du parti nazi lors des
cérémonies organisées par le mouvement. En 1935, Hitler fait
construire sur la Königsplatz de Munich deux mausolées où sont
inhumées les 16 victimes nazies du putsch tandis qu'une plaque est
déposée sur la Feldherrnhalle devant laquelle les passants sont
obligés de saluer le bras tendu.
Un des deux mausolées sur la Feldherrenhalle (source Bundesarchiv)
Après la chute du IIIe
Reich, en juin 1945, la Commission de contrôle alliée en Allemagne
fait enlever les corps des mausolées qui sont dynamités le 9
janvier 1947. Depuis 1994, une plaque commémorative sur le trottoir
en face de la Feldherrnhalle rappelle également les noms des quatre
policiers bavarois qui sont morts en défendant la République contre
les nazis.
Hitler
a réussi à rassembler dans le Kampfbund les militants nationalistes
prêts à en découdre contre la République. Mais le soutien d'une
troupe paramilitaire décidée n'a pu parvenir à ébranler un
pouvoir en place déterminé à se défendre. En 1917, Lénine a
réussi la Révolution d'Octobre avec le soutien d'unités de l'armée
et face à un pouvoir quasi-inexistant tandis qu'en 1922, Mussolini a
bénéficié de la neutralité de l'armée et du soutien des
dirigeants de l'État. Hitler, en novembre 1923, n'a réuni aucun de
ces éléments favorables. L'absence de soutien de la police et de
l'armée et la capacité de résistance d'un État solide ont conduit
son entreprise à la faillite. Mais Hitler saura tirer les leçons de
ce désastre.
Bibliographie.
Harold J. Gordon, Hitler and the Beer Hall Putsch,
Princeton University Press, 1972.Joachim Fest, Hitler, jeunesse et conquête du pouvoir, Gallimard, 1974.
Ian Kershaw, Hitler: 1889-1936: tome 1: 1889-1936, Flammarion, 1999.
Didier Chauvet, Hitler et le putsch
de la brasserie: Munich, 8/9 novembre 1923, Paris, L'Harmattan
2012.
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