C'est
en 1697 par le traité de Ryswick que l'Espagne concède à la France
la partie occidentale de l'ancienne Hispaniola, découverte par
Colomb en 1492, qui prend désormais le nom de Saint-Domingue1.
La culture de la canne à sucre puis du café font la fortune de la
colonie française où prospère une classe de grands propriétaires
blancs. Saint-Domingue est alors la colonie la plus riche des
Antilles grâce à un sol fertile et un climat idéal qui produit
sucre, café, cacao, indigo, tabac, coton, ainsi que certains fruits
et légumes pour la métropole. Pour cultiver les plantations et en
l'absence d'un flux migratoire suffisant en provenance d'Europe, le
commerce triangulaire apporte sur l’île des milliers d'esclaves
venus d'Afrique occidentale qui rapidement deviennent la population
la plus nombreuse de l’île avec 500 000 personnes en 1789. Entre
ces deux groupes sociaux et raciaux se développe peu à peu une
classe de mulâtres ou d'esclaves affranchis, socialement inférieure
aux blancs, mais jalouse de sa distinction vis-à-vis des esclaves
noirs.
Le système colonial fonctionne tant bien que mal avant que la déflagration n'éclate en écho aux événements qui secouent la métropole à partir de 1789. Au bout du chemin, c'est une nouvelle nation qui voit le jour, la première République noire du monde.
David FRANCOIS
La
Révolution française à Saint-Domingue.
Les
échos de la Révolution française qui parviennent dans l’île
remettent rapidement en cause ce fragile équilibre social. Les
nouvelles qui arrivent de métropole soulèvent en effet
l'enthousiasme dans la colonie. Si les colons blancs cherchent la
liberté du commerce et les mulâtres l'égalité politique avec les
blancs, les esclaves aspirent à la liberté tout court. Dès
l'automne 1789, la déclaration des Droits de l'Homme qui proclame
que l'ensemble des hommes libres sont égaux en droit entraînent les
Blancs, qui ne peuvent tolérer cette égalité, dans l'opposition
vis-à-vis de Paris. Mais quand en mars 1790, l'Assemblée
constituante retire aux mulâtres le droit de jouir de cette égalité
des droits, ces derniers se rapprochent des noirs qui organisent une
grande révolte qui éclatent le 21 août 1791 sous la direction de
Dutty Boukman.
Haïti (source: sematawy.unblog.fr)
En
1793 quand les révoltés noirs se rendent définitivement maître de
la colonie, les commissaires civils envoyés par la métropole,
Sonthonax et Polverel, décident d'abolir l'esclavage dans l’île
six mois avant que la Convention ne vote cette abolition pour
l'ensemble des colonies. Du chaos qui emporte alors Saint-Domingue,
entre révolte des esclaves, invasion britannique et espagnole,
conspirations royalistes des colons, émerge un dirigeant noir,
Toussaint Louverture2.
L'esclave affranchi Toussaint Louverture est un de ces chefs de
guerre qui dirigent les révoltés. Mais alors que certains s'allient
à l'Espagne qui déclare alors la guerre à la France, Louverture
choisit le camp de la France. Il combat les adversaires de la
République, repousse les Espagnols et chasse
les Anglais qui se sont emparés en 1794 des principaux ports de la
colonie. En 1796, il est le maître de l'ensemble de l’île de
Saint-Domingue sur lequel il établit son pouvoir. En 1798, les
dernières troupes britanniques quittent l’île. Avec la paix
revenue la colonie retrouve sa prospérité sous l'autorité de
Louverture nommé lieutenant-gouverneur et commandant en chef par la
France. Ce dernier a réussi à évincer toute autorité française
de la colonie, mais il prend des initiatives qui choquent le nouveau
maître de la France, le Premier Consul Napoléon Bonaparte. Ainsi
Louverture envahit, au début de 1801, la partie occidentale de l’île
où la souveraineté espagnole a été cédée à la France par le
traité de Bâle de 1795. Surtout il promulgue une
constitution qui, si elle ne proclame pas l'indépendance, donne une
large autonomie à la colonie. Dans ce texte qui réaffirme
l'abolition de l'esclavage, Louverture devient gouverneur général à
vie et organise une milice devant rassembler l'ensemble des hommes de
14 à 55 ans. Mais ce qui irrite particulièrement Bonaparte c'est
que Louverture promulgue cette constitution sans lui demander son
accord3.
Toussaint Louverture (source: herodote.net)
Pendant
ce temps l'Europe s'apaise. Au début de 1801, la France fait la paix
avec l'Autriche puis avec la Russie. La Grande-Bretagne se retrouve
alors isolée et, après la chute de William Pitt, les Anglais se
décident enfin à entamer des négociations avec les Français qui
aboutissent le 1er octobre 1801. Bonaparte peut dès lors se
consacrer à rétablir son autorité et celle de la France sur ses
colonies et particulièrement la plus importante économiquement. La
fin des combats en Europe permet en effet de pouvoir consacrer des
troupes pour réaliser ce dessein.
Le
retour des Français: l'expédition Leclerc.
Bonaparte
choisit le général Charles Leclerc, le mari de sa jeune sœur
Pauline, pour rétablir son autorité sur Saint-Domingue4.
Il lui donne avant son départ un ensemble d'instructions secrètes.
Il doit d'abord promettre aux dirigeants noirs des responsabilités
dans une île dominée par les Français. Puis, après s’être
ainsi assuré le contrôle de la colonie, il doit arrêter et
expulser les dirigeants noirs, en particulier Toussaint Louverture.
La troisième et dernière étape de ce plan doit permettre de
désarmer tous les noirs avant de restaurer l'esclavage et l'État
colonial. Leclerc doit donc d'abord se concilier Louverture, le
maître de l’île, en lui confirmant certains pouvoirs et surtout
le maintien de la liberté pour les anciens esclaves. Le Premier
Consul confie également à son beau-frère le commandement d'une
troupe de 30 000 soldats pour faire face au 15 000 hommes de
Louverture.
La
flotte qui doit conduire le corps expéditionnaire est commandée par
Louis Villaret de Joyeuse. Les 21 frégates et 35 navires de ligne de
l'expédition quittent les ports de Lorient, Brest et Rochefort le 14
décembre 1801 avec 8 000 hommes. Le 14 février 1802 l'escadre du
contre-amiral Ganteaume quitte Toulon avec 4 000 hommes. Le 17
février c'est de Cadix que part l'escadre du contre-amiral Linois
avec 2 000 hommes. Plusieurs autres convois suivent qui transportent
des renforts pour Saint-Domingue, soit au total plus de 30 000
soldats.
Une
fois arrivée au large des côtes
de l’île la flotte se regroupe dans la baie de Samana où Villaret
de Joyeuse arrive le 29 janvier suivis par Latouche-Tréville. Sans
attendre le reste de la flotte, les navires présents se séparent
pour permettre à l'infanterie de s'emparer des villes de la côte.
Le général François-Marie de Kerversau doit ainsi prendre le
contrôle de Santo-Dominguo et le général Jean Boudet de
Port-au-Prince. Dans l’île, quand Louverture apprend l'arrivée de
la flotte française, il donne l'ordre à ses lieutenants, Christophe
dans le nord, Jean-Jacques Dessalines dans l'ouest et Laplume au sud
de prévenir les Français qu'en cas de débarquement ils
détruiraient les villes avant de se retirer à l'intérieur du pays.
Mais
Leclerc doit avant tout se préoccuper de l'approvisionnement de ses
troupes. Les réserves de vivres de l'expédition ont en effet été
entamés pendant le voyages et les deux navires chargés de
l'approvisionnement ont sombré prés de Cap-Français5.
À la veille de son entrée en campagne, il fait part à Bonaparte de
sa situation et veut lui faire partager ses inquiétudes: il n'a en
effet pas de vivres pour plus de deux mois, le matériel de santé
est en mauvais état, il manque d'officiers pour le génie, de
chevaux pour la cavalerie, de transports pour l'artillerie et les
réserves de cartouches se limitent à 250 000. Leclerc parvient
néanmoins à s'approvisionner auprès des Espagnols à Cuba mais
aussi des Américains. Il doit également faire face aux manques de
soldats puisque déjà 2 000 hommes sont hospitalisés pour blessures
ou maladies. Pour les remplacer, le général se décide à former 9
compagnies coloniales comprenant 1 200 anciens esclaves.
La
reconquête de Saint-Domingue.
Le 5
février face à l'attaque des Français, Henri Christophe évacue
Cap-Français après l'avoir incendié. Leclerc s'installe dans la
ville dévastée. Le 6, Donatien de Rochambeau débarque dans la baie
de Mancenille et prend Fort-Dauphin. Boudet prend Port-au-Prince et
Leogane tandis que le général de Kerversau après avoir pris
Santo-Domingo met la main sur la moitié espagnole de l’île.
Douze
jours après avoir débarqué à Fort-Liberté, Leclerc est donc
maître de tous les ports de Saint-Domingue, à l'exception de
Saint-Marc où Dessalines s'est retranché. Plusieurs lieutenants de
Toussaint Louverture se sont également ralliés ou soumis. Mais les
troupes de Louverture sont loin d'êtres vaincues. Celles qui ne se
sont pas rendues se sont repliées dans les montagnes, en particulier
dans les régions des Gonaïves, de l'Artibonite et du Mirebalais où
elles disposent d'importantes réserves d'armes6.
Louverture
s'est réfugié dans la région de l'Artibonite avec ce qui lui reste
de troupes et quelques fidèles officiers. Sa position paraît
inexpugnable puisque pour atteindre ce refuge les Français doivent
s'aventurer dans des gorges au milieu de la foret tropicale, à la
merci des embuscades des rebelles. Retiré dans le canton d'Ennery où
il possède de nombreuses propriétés, il se prépare à affronter
Leclerc en dirigeant contre ses troupes des opérations de
harcèlement et en créant auprès de la population un climat
permanent d'insécurité. Leclerc reçoit de son coté les renforts
de Ganteaume et de Linois tandis Bonaparte fait parvenir à
Louverture une lettre lui promettant de garder une autorité sur
l’île.
L'arrivée
de 6 600 hommes en provenance de Toulon et Cadix permet à Leclerc de
compléter son armée et de préparer sa campagne contre Louverture.
Son plan est simple, il s'agit de forcer l'ennemi à se replier sur
les Gonaïves et de l'écraser lors d'une bataille. Il dispose pour
cela au nord des 6 500 hommes composant les divisions de Jean Hardy,
de Rochambeau et d'Edme Desfourneaux ainsi que d'une réserve de 1
500 hommes placée directement sous son commandement. Il compte en
outre sur la division de Jean-François Debelle, envoyée au secours
de Jean Humbert en difficulté à Port-de-Paix. À l'ouest, 600
hommes débarqués aux Gonaïves doivent faire leur jonction avec ces
troupes et la division de Boudet qui a reçu l'ordre de s'emparer de
Saint-Marc puis de marcher à leur rencontre par le Mirebalais et
l'Artibonite. Selon les renseignements recueillis, les forces de
Toussaint Louverture sont évaluées, après les récentes
soumissions, à 10 000 hommes et 2 000 cavaliers auxquels s'ajoutent
des paysans dont l'enrôlement est prévu. Malgré l'équilibre des
forces, les troupes françaises souffrent d'une méconnaissance du
terrain, de la sévérité du climat et des difficultés
d'approvisionnement. Les insurgés quand à eux évoluent en colonnes
légères et savent utiliser les moindres sentiers pour échapper à
leurs adversaires ou pour les surprendre tandis que les Français
évoluent à terrain découvert.
Le 17
février, Leclerc et les unités que commandent Hardy, Desfourneaux
et Rochambeau se mettent en marche. Les hommes ont chacun 60
cartouches et six jours de biscuits mais les commandants ont été
autorisés à prélever sur les habitants les vivres nécessaires.
Les soldats de Hardy partent de Cap-Français pour s'emparer de
Marmelade le 19 février puis de Ennery le 21 bousculant Christophe
qui défend ces deux places avec plus de 1 000 hommes et autant de
paysans. Desfourneaux partant de Limbé prend possession le 19 de
Plaisance et rejoint Hardy à Ennery deux jours plus tard. De là,
ils se dirigent vers les Gonaïves que les insurgés ont incendiés
avant de prendre la fuite. Rochambeau partant de la Petite Anse
s'empare les 18 et 19 de Saint-Raphaël et de Saint-Michel. Puis afin
de rejoindre Hardy et Desfourneaux, il prend la direction de l'ouest
par la Ravine à couleuvres. C'est là que Toussaint Louverture
l'attend avec 1 500 grenadiers, 1 200 hommes prélevés dans les
meilleurs bataillons de son armée, 400 dragons et plus de 2 000
paysans. Le passage a été semé d'embûches tandis que ses troupes
se sont retranchées dans de solides positions dominant la Ravine, un
étroit couloir flanqué de montagnes à pic couvertes de bois. Mais
Rochambeau, après de durs combats, l'emporte obligeant Louverture à
fuir à nouveau.
La reconquête française (source; histoire-empire.org)
La
bataille de la Crête-à-Pierrot.
Leclerc
doit encore débusquer le chef rebelle. En neuf jours de combats
incessants et de marches harassantes, Toussaint Louverture,
Christophe et Dessalines ont été chassés de leurs repaires, mais
ils ont pu se replier dans les montagnes des Cahos7.
Leur situation géographique en fait une défense naturelle dont
l'accès par une plaine étroite, resserrée entre deux chaînes de
montagne sur lesquelles des fortins ont été placés, est un premier
obstacle. À proximité trois petites villes assurent une certaine
indépendance économique. Toussaint Louverture y entretient des
troupes nombreuses solidement retranchées et veillant sur des
réserves de guerre importantes. S'il a perdu quelques milliers
d'hommes à la suite de la reddition de Laplume, Clervaux, Paul
Louverture et Maurepas, il reste un adversaire redoutable.
Le
1er mars les soldats de Rochambeau et de Hardy se dirigent vers les
Cahos.
Le 4, Debelle s'installe aux Verrettes et tombe sur Dessalines qui se replie en hâte un fort situé près du village, sur un morne appelé Crête-à-Pierrot. Poursuivis et attaqués à la baïonnette, les rebelles bien abrités par des fortifications et soutenus par l'artillerie du fort, tiennent les Français en respect et leur infligent de lourdes pertes. Face à cette résistance, Debelle qui ne dispose d'aucune artillerie et dont 300 hommes sont déjà hors de combat décide de se replier et demande des renforts.
Le général leclerc (source: histoire-empire.org)
Toussaint
Louverture a fait de la Crête-à-Pierrot une position stratégique
puissante, une pièce maitresse de son système de résistance à
l'armée française. La garnison sous les ordres de Dessalines
comprend 1 500 hommes et 9 pièces de canon ce qui fait du fort un
obstacle de taille. Avec les troupes de Boudet, Leclerc quitte
Port-Républicain pour arriver le 9 mars aux Verrettes, tandis que
Dugua, qui a succédé à Debelle arrive à Petite Rivière. Le 11,
Boudet passe l'Artibonite et se dirige vers la Crête-à-Pierrot,
pour reconnaître avec quelques tirailleurs les positions à occuper.
Ses troupes apercevant celles de Dessalines déployées en avant du
fort s'élancent mais sont arrêtées par un feu nourri. Dugua tente
alors une opération de diversion sur la gauche de l'ennemi et
l'oblige à rentrer dans le fort. Les combats sont rudes et Leclerc
se décide à en faire le siège en attendant des renforts pour
attaquer. Il fait ainsi venir de Port-Républicain 10 canons dont un
mortier et demande à Rochambeau et Hardy de se rendre aux Verrettes
où ils arrivent le 19 juillet.
Boudet
s'installe sur l'Artibonite tandis que Rochambeau s'organise sur le
sommet de la Crête-à-Pierrot et dirige 7 pièces d'artillerie sur
les insurgés. Sur la rive droite de l'Artibonite, le chef de brigade
Burck, déploie 400 hommes soutenus par un mortier face au débouché
d'un chemin qui conduit directement au fort rebelle sur
lequel l'étau se referme. Le 22 juillet Leclerc fait donner son
artillerie et, après trois heures de bombardement, Rochambeau
s'élance avant d'être arrêté par un fossé hérissé de pieux.
Au cours de la nuit du 22 au 23, le fort est soumis à un nouveau
bombardement intense, provoquant des incendies et tuant de nombreux
assiégés. Ces derniers commencent également à souffrir de la faim
et de la soif. Lamartinière, qui a succédé à Dessalines, prépare
une sortie. Le 24 mars à 8 heures du soir, exécutant une manœuvre
habile de diversion, il force le passage entre les hommes de
Rochambeau et ceux de Burck. Selon Leclerc, 250 hommes environ
réussissent ainsi à s'échapper tandis que le reste de la garnison,
soit environ 1 200 hommes, est tué ou blessé. Les Français sont
maîtres du fort mais ils ont perdu deux fois plus d'hommes que les
rebelles. Ils ont surtout été surpris par la capacité des rebelles
à combattre en bataille rangée.
Les
Français viennent de remporter un succès décisif. Louverture a en
effet perdu une place forte, des munitions, du matériel de guerre et
beaucoup d'hommes. Surtout son prestige est atteint. Leclerc, qui a
pratiqué l'offensive à outrance chère à la tactique
révolutionnaire, déplore néanmoins la perte de 2 000 hommes, tués
ou blessés.
Les généraux haïtiens (source: aviafi.free.fr)
La
traque de Toussaint Louverture.
La
lutte n'est pas pour autant terminé et Leclerc poursuit ce qu'il
reste des troupes de Louverture. Dans le nord le général Hardy
nettoie la plaine de Cap-Français et la région frontalière.
Rochambeau, entre l'Artibonite et les Cahos, est à la poursuite de
Toussaint. Boudet pacifie le sud de la colonie. Si Louverture a été
abandonné par la plupart de ses lieutenants, il a encore sous ses
ordres environ 5 000 soldats et de nombreux paysans qui jouent de
leur mobilité et de leur parfaite connaissance du terrain. Les
Français contrôlent solidement la partie espagnole et le sud de
l’île. Leclerc verrouille l'ouest au sud de l'Artibonite en faisant
remettre en état la Crête-à-Pierrot et en y laissant 150 hommes
pour garder la plaine du fleuve et le débouché des Cahos. Le
problème demeure le nord où les partisans de Louverture essayent de
provoquer des soulèvements. Leclerc dispose alors de 7 500 hommes
auxquels s'ajoutent 7 000 hommes des troupes coloniales noires. Mais
la troupe est épuisée après 40 jours de campagnes intenses dans la
chaleur, sur un terrain difficile et souvent sans recevoir
d'approvisionnements.
C'est
à ce moment que Louverture fait parvenir aux Français deux lettres
où il fait part de sa fidélité à la France et se plaint des
agissements de Leclerc. Mais il fait toujours régner l'insécurité
dans l’île. Leclerc divise alors ses troupes en deux colonnes
légères qui doivent frapper puis se replier, l'une est confiée à
Hardy dans le nord et l'autre à Rochambeau dans le sud. Louverture
veut quant à lui couper les communications entre les deux colonnes
françaises et concentre ses troupes sur quatre objectifs: les
plaines du nord, les Gonaïves, l'Artibonite et les Cahos. Mais
Louverture sous-estime les moyens de son adversaire et sa volonté de
vaincre. Les rebelles subissent alors de lourdes pertes et les
lieutenants de Louverture pressentent l'issue du conflit.
L'ensemble
de ces opérations militaires se déroulent au milieu des massacres.
Les noirs tuent les colons blancs tandis que les soldats français
massacrent les rebelles. Rapidement les hommes de Louverture manquent
de ressources et abandonnent du terrain. Ses lieutenants sont
découragés et songent à négocier leur reddition. Celle de
Christophe entraîne celle de Dessalines. Seul, Louverture est
contraint également à la reddition. Leclerc lui donne alors le
droit de se retirer sur ses terres. Le 2 mai, Toussaint se rend à
Cap-Français et s'engage à démobiliser ses troupes, à désarmer
les paysans et à les renvoyer sur les habitations. En deux mois
Leclerc a atteint le premier objectif fixé par Bonaparte: la
soumission des dirigeants rebelles. A présent il peut se consacrer à
réaliser le second objectif, l'arrestation et la déportation de
leur chef.
Louverture
ronge son frein dans son domaine d'Ennery. Il entretient des
relations suspectes avec des bandes rebelles regroupées dans Les
Gonaïves et s'entoure de paysans armés. Il sait que la fièvre
jaune fait des ravages dans les rangs des soldats français peu
habitué au climat tropical. C'est en effet prés de 15 000 soldats
qui meurent en deux mois affaiblissant d'autant le potentiel
militaire français. Louverture essaye donc de ranimer l'ardeur de
ses lieutenants mais certains ne veulent pas reprendre la lutte et le
dénoncent. Leclerc invite alors Toussaint à une conférence
militaire aux Gonaïves le 10 juin. Là il est arrêté avec
l'ensemble de ceux qui l'accompagnent. Le vieux général noir est
rapidement embarqué sur un navire à destination de la France et
enfermé au Fort de Joux où il meurt le 7 avril 1803.
La bataille de Vertières (source: wikipedia.org)
La
défaite française et la fin de la colonie.
L'arrestation
de Louverture provoque le mécontentement de la population. C'est
alors que Leclerc commet une erreur tactique en lançant
immédiatement une campagne de désarmement des noirs. Ces derniers
se méfient de plus en plus et de juin à octobre 1802, les
opérations de désarmement échouent.
Mais
c'est la question de l'esclavage qui fait basculer la situation. Le
20 mai 1802, Napoléon décide son rétablissement dans les colonies
françaises. Les Britanniques rendent alors à la France l’île de
la Martinique où l'esclavage perdure tandis qu'il est rétabli par
les autorités françaises en Guadeloupe. La crainte d'un retour de
l'esclavage à Saint-Domingue provoque la colère chez les noirs
pendant que la fièvre décime toujours l'armée française qui ne
compte plus qu'environ 9 000 soldats. Lorsque les autorités
commencent à désarmer les mulâtres qui s'étaient opposés jusque
là à Louverture ces derniers, qui sont particulièrement puissants
dans le sud, s'unissent aux noirs.
Comme
la situation se détériore pour les Français, Dessalines,
Christophe, Pétion et Clairvaux conspirent avec les rebelles. Le 13
octobre 1802, Pétion et Clairvaux passent du coté de l'insurrection
avant d'être rejoint par Christophe et Dessalines. Le 2 novembre
1802 les chefs rebelles se réunissent à Arcahaye, un petit village
au sud de Saint- Marc. Ils élisent Dessalines commandant des forces
rebelles et choisissent le drapeau rouge et bleu comme emblème.
Le
général Leclerc est également frappé par la fièvre. Son épouse
Pauline le fait alors transporter sur l’île de la Tortue au climat
plus doux mais il y meurt le 1er novembre 1802. C'est le général
Rochambeau, le fils du héros de Yorktown, qui prend alors le
commandement des troupes françaises
à Saint-Domingue. Sa tache est compliquée par la guerre qui éclate
à nouveau le 18 mai 1803 entre la Grande-Bretagne et la France.
Dessalines devient un allié des Britanniques qui fournissent des
armes et un soutien naval. Dans le même temps cette guerre annonce
la fin des renforts et des approvisionnements pour les Français. Les
conditions sont posées pour un renversement de situation.
Les
Français tentent de contenir l'insurrection mais ils sont submergés
et ne tiennent plus que Cap-Français, Port-au-Prince et Le Cayes. Le
18 novembre 1803, Dessalines qui dirigent les troupes insurgées
remportent la difficile bataille de Vertières qui lui ouvre les
porte de Cap-Français. Rochambeau négocie alors la reddition de la
ville et les Français reçoivent le droit que quitter l’île sans
encombre8.
Le 4 décembre 1803 les derniers soldats français dans la partie
occidentale de l’île quittent le Môle Saint-Nicolas. Il ne reste
qu'un petit contingent sous les ordres des généraux Ferrand et de
Kerversau pour occuper la partie orientale. Ces hommes doivent faire
face à un soulèvement espagnol en 1808 et quitter définitivement
Hispaniola en 1809 .
Au
final sur les 31 000 soldats envoyés par Bonaparte, il ne reste que
7 000 survivants à la fin de la campagne. Le 1er janvier 1804,
Dessalines proclame l'indépendance d'Haïti, le premier État noir
indépendant sur le continent américain.
Jean-Jacques Dessalines (source: wikipedia.org)
Conclusion.
A
Saint-Domingue, la France est confrontée pour la première fois de
son histoire à une guerre d'indépendance dont elle n'a aucune
expérience d'autant que les généraux qu'elle envoie dans la
colonie ne connaissent que la guerre sur le sol européen. Les
troupes ne sont pas prêtes non plus pour affronter les conditions
spécifiques de la guerre en zone tropicale, l'équipement est
inadapté et l'approvisionnement défectueux. Sur le plan tactique,
généraux et soldats français découvrent la guerre de guérilla où
ils subissent de lourdes pertes. Ce n'est qu'après la coûteuse
victoire de la Crête-à-Pierrot que Leclerc organise ses forces en
colonne mobile et légère. Malgré ses faiblesses les Français
l'emportent sur le plan militaire et battent les troupes de Toussaint
Louverture.
C'est
sur le plan politique que la guerre est rapidement perdue.
L'arrestation de Louverture, le désarmement des noirs et des
mulâtres, et surtout la volonté de restaurer l'esclavage soulèvent
la majorité de la population de l’île alors que les anciens
lieutenants de Louverture avaient ralliés les Français. La question
de l'esclavage, contre lequel les noirs s'étaient battus depuis
1791, scella le sort de la colonie française.
Mais
la leçon de Saint-Domingue ne fut pas perdu. Quelques-uns des
principaux acteurs de la conquête de l'Algérie avaient fait leurs
premières armes à Saint-Domingue. Duguet-Thouars, fils d'une
famille de colons de Saint-Domingue organisa et participa activement
à la prise d'Alger. Le maréchal Clauzel, commandant de l'armée
d'Afrique et gouverneur général de l'Algérie en 1835 fut officier
dans l'armée de Leclerc. Quant au général Boyer, commandant
militaire d'Oran en 1832, il fut le chef d'état-major de Rochambeau.
En Algérie il prend soin d'appliquer les méthodes de pacifications
apprises à Saint-Domingue9.
Ces hommes semblent, en relançant l'aventure coloniale française,
exorciser le syndrome Leclerc en appliquant, cette fois-ci
victorieusement, l'expérience acquise à Saint-Domingue, sur un
nouveau champ d'expansion colonial, l'Algérie, avant le reste de
l'Afrique.
Bibliographie.
-Henri Castonnet Des Fosses, La perte d’une
colonie : La révolution de Saint-Domingue, Paris,
A. Faivre, 1893,
-Jean-François
Brière, Haïti et la France, 1804-1848: le rêve brisé,
Karthala, 2008.
-Laurent
Dubois, Les
Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Révolution haïtienne,
Rennes, Les Perséides, 2005.
-Catherine
Ève Roupert, Histoire
d'Haïti : la première république noire du Nouveau monde,
Paris, Perrin, 2011.
-Henri
Mézière, « L'expédition de Saint-Domingue. Les opérations
terrestres (février-juin 1802) », Revue
du Souvenir Napoléonien
, n° 440, avril-mai 2002, pp. 29-36.
-François
Blancpain, La
colonie française de Saint-Domingue: de l'esclavage à
l'indépendance,
Paris, éditions Karthala, 2004.
-Philippe
R. Girard,
Ces
esclaves qui ont vaincu Napoléon. Toussaint Louverture et la guerre
d’indépendance haïtienne (1801-1804),
Les Pérseides, 2013.
Notes
1 La
colonie de Saint-Domingue ne prend le nom d'Haïti qu'au moment de
la proclamation de l'indépendance en 1804. La partie espagnole de
l’île correspond à l'actuelle République dominicaine.
2 Toussaint
est né vers 1743, esclave, sur la plantation Breda dans le nord de
l’île. En 1776 il est affranchi et dirige une habitation
produisant du café signe d'une ascension sociale certaine mais
assez rare dans une société esclavagiste.
3 Catherine
Ève Roupert, Histoire
d'Haïti : la première république noire du Nouveau monde,
Paris, Perrin, 2011.
4 Sur
le général Leclerc voir Henri
Mézière, Le
général Leclerc (1772-1802) et l'expédition de Saint-Domingue,
Tallandier, 1990.
5 Cap-Français,
de nos jours Cap-Haïtien, fut durant la période coloniale la
capitale de Saint-Domingue.
6 Pour
le récit des différentes phases de l’expédition de Leclerc nous
nous appuyons sur Henri
Mézière, « L'expédition de Saint-Domingue. Les opérations
terrestres (février-juin 1802) », Revue
du Souvenir Napoléonien
, n° 440, avril-mai 2002, pp. 29-36.
7 Sur
Toussaint Louverture et ses lieutenants voir Laurent
Dubois, Les
Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Révolution haïtienne,
Rennes, Les Perséides, 2005.
8 Marcel
Dorigny, Révoltes et Révolutions en Europe et aux Amériques
(1770-1802), Belin, 2004, p.94.
9 Jean-François
Brière, Haïti et la France, 1804-1848: le rêve brisé, Karthala,
2008, pp. 314-315.
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