Le
10 avril 1945, la ville de Königsberg tombe aux mains de l'Armée
Rouge après quatre jours de violents combats. Le maréchal
soviétique Vassilievsky, représentant spécial de la Stavka
qui a pris la tête du 3ème Front de Biélorussie pour mener à bien
le siège de Königsberg, fait amener devant lui les généraux
allemands capturés. Bagramian, qui commande le 1er Front de la
Baltique également impliqué dans l'opération, raconte la scène
dans ses mémoires parus dans la décennie 19701.
Vassilievsky demande aux généraux allemands les noms de leurs
homologues soviétiques dont ils ont entendu parler. Ils donnent les
noms de Vorochilov, Boudienny et Timochenko, autrement dit les
maréchaux qui étaient aux commandes de l'Armée Rouge en 1939-1940,
avant le déclenchement de Barbarossa. L'anecdote montre
évidemment le mépris total dans lequel est tenue l'Armée Rouge par
les Allemands : un vainqueur qui n'a vaincu que par la force
brute du nombre et par la terreur inspirée par les commissaires
politiques et le NKVD. C'est bien la preuve que la Wehrmacht a
été battue par meilleure qu'elle-même. Si les noms des principaux
commandants de fronts de l'Armée Rouge sont assez bien connus du
public francophone2,
en revanche, ce n'est pas forcément le cas pour les officiers situés
juste au-dessous dans la hiérarchie : les commandants d'armées
et en particulier les 6 commandants principaux des 6 armées de
chars, qui sont les outils par excellence de l'art opératif mis en
oeuvre par les Soviétiques. Le plus célèbre est peut-être
Rotmistrov, parce qu'il a conduit la 5ème armée de chars de la
Garde à Prokhorovka, le 12 juillet 1943, affrontement qui a produit
une abondante littérature et un non moins abondant débat
historiographique. De Katoukov en revanche, peu de gens connaissent
le nom. C'est peut-être pourtant celui qui a le plus incarné
l'idéal du général tel que le souhaitait l'Armée Rouge. Dresser
la biographie de Mikhaïl Katoukov, c'est donc remettre à l'honneur
la performance soviétique face à la Wehrmacht mais c'est
aussi mettre en valeur les qualités des hommes qui la dirigent au
combat contre les Allemands, produits d'un système qu'on dépeint
trop souvent comme totalitaire et niant, finalement, l'individu.
Stéphane Mantoux
Défendre
la Mère-Patrie
Katoukov
est né en 1900, dans un petit village à 100 km de Moscou, dans une
famille de paysans. Il est d'abord manouvrier agricole. Puis son père
l'envoie travailler dans une usine à Saint-Pétersbourg. A 17 ans,
il rejoint sur place le mouvement révolutionnaire et s'engage dans
l'Armée Rouge en mars 1919. Il combat au sein de la 54ème division
de cavalerie contre les Blancs pendant la guerre civile et participe
à la guerre russo-polonaise de 1920.
Le colonel-général Mikhaïl Katoukov-Source : Wikipédia. |
Au
retour de la paix, Katoukov décide de rester dans l'armée. En 1925,
il dirige l'école régimentaire du 81ème régiment de la 27ème
division de fusiliers, à Vitebsk. Ses étudiants le décrivent comme
un homme simple, qui attend d'eux des choses précises mais surtout
qu'ils assument correctement leurs responsabilités. En 1932, il
passe dans l'arme blindée alors que les Soviétiques développent
leurs premières grandes formations mécanisées. Il suit les cours
d'officier et passe du commandement d'une compagnie à celui d'un
bataillon. Au déclenchement de Barbarossa, Katoukov commande
la 20ème division de chars du 9ème corps mécanisé.
Son
unité est stationnée près des frontières de l'Ukraine. Quittant
l'hôpital de Kiev où il était en convalescence, Katoukov veut
rejoindre sa division qu'il sait mal préparée aux hostilités. La
production, en pleine réorganisation, n'a pu livrer suffisamment de
nouveaux chars KV-1 ou T-34. Katoukov dispose encore de 33 vieux
chars BT-2 ou BT-5. Le régiment d'artillerie ne compte que des
obusiers et le régiment de fusiliers motorisés n'a aucun canon !
Même les sapeurs n'ont pas leur équipement de pontonniers...
Katoukov rejoint son QG le 23 juin au soir, et l'état-major lui
apprend que son adjoint, le colonel Chernyaev, est déjà engagé au
combat avec deux régiments de chars contre les Allemands près de
Lutsk. Katoukov tente alors vainement de contacter son commandant de
corps, Rokossovsky : quand il y parvient, il demande à être
mis au courant de la situation.
Dans
le secteur de la 20ème division de chars, une longue colonne de
camions et de canons allemands se déplace de Dubno vers Rovno. Le
9ème corps mécanisé doit attaquer les flancs de cette colonne.
Rokossovsky recommande de placer l'artillerie de la division de
Katoukov sur la route et notamment les pièces de 85 mm. Chernayev
les dispose dans des fossés, dans les hauteurs dominant le secteur
et sur la route elle-même. Les canons laissent approcher les
Allemands au plus près et ouvrent un feu dévastateur. Rokossovsky
décrit dans ses mémoires des carcasses d'automitrailleuses, de
side-cars et des piles de corps entassés sur la route. Les
Allemands cherchent alors à percer ailleurs et envoient leurs Stukas
pilonner les défenseurs.
Katoukov
mène son unité pour la première fois au combat le 24 juin, contre
la 13. Panzerdivision, près de Klevan. Attaquant directement
en ordre de marche, il perd 33 de ses chars BT, surnommés avec un
humoir noir par les tankistes soviétiques les « chasseurs
de moineaux » ou « les chevaliers en
contre-plaqué ». Le commandant du régiment de chars est
tué, Chernyaev est blessé à la jambe et meurt de la gangrène à
l'hôpital de Kharkov quelques jours plus tard. Les corps mécanisés
sont des formations trop vastes pour être commandés par les
officiers soviétiques inexpérimentés ; le manque de radios et
les problèmes logistiques, qui empêchent les tirs d'appui en
soutien des attaques, se font cruellement sentir.
En
trois jours, la division de Katoukov subit de lourdes pertes mais se
bat pied à pied pour empêcher les Allemands d'atteindre Dubno.
Katoukov observe avec attention ces affrontements qui sont pour lui
une véritable école du combat. Il prend note des tactiques
allemandes et réfléchit à la façon de contrer leur supériorité
dans l'utilisation des chars et des avions. Il conçoit une
contre-mesure : placer les fusiliers motorisés dans des
tranchées et créer aussi de fausses positions de combat tout en
maintenant les chars à l'arrière, en réserve. Les fausses
positions sont tenues par quelques hommes, pour faire de la
gesticulation ; le dispositif réel est échelonné en
profondeur, les chars défendant les points clés. Les blindés
utilisent le terrain pour se camoufler et prévoient deux ou trois
positions de tirs qu'ils peuvent rejoindre sans être détectés. Ils
doivent disposer d'un bon champ de vision et se soutenir
mutuellement. Les fausses positions attirent le feu de l'artillerie
et de l'aviation, puis les troupes se replient sur les vraies lignes
de défense. Les chars ne tirent sur les Panzer qu'à courte
distance, voire à bout portant, pas avant 300-200 m. Ils envoient
deux ou trois obus puis changent de position. Katoukov se signale
ainsi par sa capacité à trouver des solutions aux problèmes
rencontrés par l'Armée Rouge, une expérience qui lui sera fort
utile un peu plus tard.
Mi-août
1941, Katoukov est décoré de l'Ordre du Drapeau Rouge. Il est
convoqué à Moscou pour prendre la tête d'une nouvelle unité de
chars dotée des matériels les plus récents. Il rencontre
Fedorenko, le patron de l'arme blindée et mécanisée soviétique,
qui lui annonce qu'il commandera une brigade. Un peu déçu après
avoir commandé une division, Katoukov est rassuré quand Fedorenko
lui explique que c'est en raison du déménagement de l'industrie et
des leçons tirées de l'emploi désastreux des corps mécanisés que
l'Armée Rouge a décidé de ne constituer pour le moment que des
brigades de chars. Katoukov devient le commandant de la 4ème
brigade, qui va recevoir ses T-34 flambant neufs à l'usine de
Tracteurs de Stalingrad. Il a compris que l'entraînement est
crucial : aussi forme-t-il ses équipages aux tactiques
défensives qu'il a conçues. Il a la chance de bénéficier d'un
état-major talentueux : le capitaine Dyner, qui se charge de
l'entretien des chars et le capitaine Nikitin, son officier
opérations, en particulier.
De
Mtensk à Moscou : Katoukov, le maître de la défensive
Cependant,
Katoukov doit se contenter d'un seul bataillon équipé de T-34 et de
KV-1, l'autre recevant des BT-7. La 4ème brigade de chars est
convoyée par rail, le 23 septembre, vers Kubinka, à 60 km à
l'ouest de Moscou. Katoukov établi son QG dans les bois
environnants. Le 30 septembre, la Panzergruppe 2 de Guderian
attaque le Front de Bryansk. Appuyé par l'aviation, le XXIV.
Panzerkorps enfonce les lignes soviétiques et avance sur Orel,
menaçant la principale route qui, au sud, mène à Moscou. La Stavka
met le général Lelyoushenko à la tête d'une formation de réserve,
le 1er corps de fusiliers de la Garde : cette unité doit
contre-attaquer à partir de Mtensk vers Orel pour faciliter le repli
du front de Bryansk et lui permettre de se mettre en position de
défense le long de la rivière Zusha. Le corps comprend les 4ème et
6ème divisions de fusiliers de la Garde, les 4ème et 11ème
brigades de chars, deux régiments d'artillerie, puis le 5ème corps
aéroporté et 3 bataillons de mortiers de la Garde3,
un détachement de l'école militaire de Toula et une unité
d'aviation d'assaut. La reconnaissance est assurée par le 36ème
régiment de motocyclistes.
Le terrain de la bataille devant Mtsensk. C'est ici que Katoukov mit un coup d'arrêt à la progression de Guderian au sud de Moscou-Source : http://www.edinburghwargames.com/ |
Lelyoushenko
envoie les motocylistes en avant et installe son QG à Mtensk le 2
octobre. Le lendemain, les premières unités allemandes arrivent en
vue d'Orel, butant à 10 km au nord-est de la ville dans un régiment
du NKVD. La veille, la 4ème brigade de chars a été expédiée par
voie ferrée à la gare de Mtensk. Le premier bataillon de Katoukov
arrive sur place au matin du 4 octobre et envoie immédiatement deux
éléments de reconnaissance. Le premier, commandé par le capitaine
Gusev, aligne 11 T-34 et 2 KV-1. Il fonce sur Orel et espère faire
des prisonniers. Le deuxième, commandé par le lieutenant Burda,
avance sur la ville dans une autre direction dans le même but
d'obtenir des informations.
Au
matin du 5 octobre, les Allemands attaquent en direction du nord-est
sur la route Orel-Mtensk. Après 15 minutes de barrage d'artillerie,
40 chars et de l'infanterie s'en prennent aux positions du régiment
du NKVD. Le groupe du capitaine Gusev, qui est arrivé dans faubourgs
d'Orel, se replie et vient protéger les flancs du régiment. Ces
chars combattent les Allemands tandis que le reste de la 4ème
brigade arrive à la gare de Mtensk. Incapables de déloger les
défenseurs, les Allemands envoient leur aviation pilonner la gare et
la ville de Mtensk dans l'espoir d'empêcher les Soviétiques de
continuer à acheminer des renforts. Katoukov ordonne à Gusev et aux
hommes du NKVD de se replier sur un terrain plus propice à la
défense, autour de Naryshkino. Ils y sont rejoints par le reste de
la 4ème brigade de chars et le détachement de l'école militaire de
Toula.
La
1ère brigade aéroportée, déposée non loin, prend à sa charge le
centre du dispositif. Le NKVD tient le flanc gauche, tandis que les
chars protègent les deux flancs à 2-2,5 km en avant des lignes.
Katoukov établit en fait une fausse ligne défensive pour tromper
les Allemands sur l'endroit où la résistance est concentrée. A
10h00, le 6 octobre, la reconnaissance aérienne signale une centaine
de chars accompagnée d'infanterie et d'artillerie motorisée se
dirigeant vers les positions de Katoukov. L'aviation allemande
bombarde la fausse ligne de défense à deux reprises, pendant 15 à
20 minutes. A 11h30, 50 à 60 chars allemands attaquent suivis par 40
autres en deuxième vague. Les Allemands parviennent à s'enfoncer de
2 à 3 km dans les lignes soviétiques ; un bataillon de la
11ème brigade de chars, tout juste arrivée, tenu en réserve, est
expédié sur le flanc droit pour tenir la ligne. Les T-34 et les
KV-1 font merveille contre les Panzer même s'ils subissent
des pertes en s'approchant un peu trop près, dans la poursuite, des
pièces lourdes allemandes. Katoukov, armé d'une mitraillette et
d'un pistolet, inspecte les positions durant la nuit pour être sûr
que la défense s'est bien repositionnée.
Au
matin du 7 octobre, Lelyoushenko, inquiet pour les flancs de son
corps d'armée, déplace Katoukov de 4 à 6 km vers le nord. Dans la
soirée, deux bataillons de Katyushas récemment arrivés
tirent plusieurs salves de roquettes pour couvrir le repli. Sur le
flanc droit, le régiment du NKVD renforcé par un bataillon de chars
de la 11ème brigade ; à gauche, la brigade de Katoukov. La
6ème division de fusiliers de la Garde et le 5ème corps aéroporté,
deux brigades, bâtissent une ligne défensive au nord-est de Mtensk,
derrière la Zusha. L'Armée Rouge consolide ainsi la défense de
Toula et de Moscou. Les Allemands n'insistent pas. Les chars de
Guderian doivent faire le plein de carburant et de munitions pendant
deux jours : la défense coriace et efficace de Katoukov les
contraint à l'immobilité avant que ne tombent les premières
neiges.
Au
matin du 9 octobre, après une préparation d'artillerie et
d'aviation, 100 chars et l'infanterie motorisée allemande repartent
à l'assaut. Lors d'une bataille intense de quatre heures, les
Allemands contournent le flanc gauche de Katoukov et menacent de
couper ses voies de repli. Les chars soviétiques revendiquent
cependant 41 chars et 13 canons allemands. Le lendemain, Katoukov,
inquiet d'être contourné, replie ses forces à 3-4 km au sud-ouest
de Mtensk. Le 10 octobre, 130 chars allemands s'engouffrent dans
Mtensk et capturent le pont sur la rivière Zusha. La brigade de
Katoukov parvient à s'échapper sur un pont de chemin de fer
endommagé, de nuit, dans des conditions dantesques.
Les
batailles de chars menées devant Mtensk illustrent les tactiques
défensives heureuses mises au point par Katoukov. Ses flancs étant
à découvert, il mène une défense mobile sur des positions
successives. Il conduit des contre-attaques agressives et brise, au
final, l'avance de Guderian au sud de Moscou. Guderian lui-même
reconnaît la qualité de la manoeuvre soviétique, bien qu'il ne
connaisse même pas le nom de l'homme qui en est responsable !
La brigade de Katoukov est ensuite placée en second échelon de la
5ème armée, le 16 octobre : le commandant a obtenu de Staline
un trajet par route et non par chemin de fer, car il craint les
attaques aériennes allemandes. Au soir du 19 octobre, après avoir
parcouru 360 km, la 4ème brigade de chars est à Chismena, à 105 km
de Moscou, sur la route de Volokolamsk. Le 11 novembre, l'unité est
rebaptisée 1ère brigade de chars de la Garde : c'est la
première formation blindée à recevoir pareil honneur. Katoukov est
promu général et reçoit l'ordre de Lénine.
Le
lendemain, les chars de Katoukov attaquent Skirmanovo, un village que
les Allemands utilisent comme tremplin pour leurs attaques contre le
flanc de la 16ème armée. L'attaque est organisée en trois
échelons. La brigade revendique 21 chars allemands détruits et se
paie le luxe de capturer intact un canon antiaérien de 88 mm. Le 13
novembre, l'attaque se poursuit à Kozlovo, libérée le 14 novembre
à 21h00. La brigade est relevée par l'infanterie. On l'envoie
ensuite protéger la retraite d'unité de fusiliers et de cavalerie.
Le matin du 18 novembre, les Allemands avancent sur Istra avec deux
coins blindés d'environ 30 chars chacun. Katoukov n'a que 20 chars
et les embuscades ne permettent pas de freiner les Allemands :
seule l'arrivée d'un bataillon de KV-1 rétablit la situation. Le
combat d'arrière-garde de poursuit pendant cinq jours du 16 au 21
novembre, et la brigade revendique encore la destruction de 33 chars
et 7 canons antichars allemands.
Le
21 novembre, Katoukov prend la tête des 27ème et 28ème brigades de
chars qui ont fusionné, entre Nazarovo et Yadromino, pour couvrir un
corps de cavalerie en retraite. Katoukov bâtit une ligne de défense
avec des chars en embuscade tous les 1,5-2 km. 7 positions avec 3 à
4 chars tirant à bout portant sur les Panzer permettent de
ralentir l'avance allemande. Dans la nuit du 23 novembre, les chars
doivent cette fois protéger des divisions de fusiliers qui gagnent
la rive est de l'Istra. Renforcé par les 23ème et 33ème brigades
de chars, Katoukov crée une réserve et prépare des contre-attaques
dans plusieurs directions. Le 29 novembre, la brigade se replie à
Kamenka et Barantsevo, repoussant pendant 5 jours l'effort allemand
sur Moscou.
Le
3 décembre, Rokossovsky, qui commande la 16ème armée, ordonne à
Katoukov de foncer sur Istra puis de poursuivre au nord-ouest pour
réduire la tête de pont allemand à Kryukov. La 1ère brigade de
chars de la Garde est renforcée par un bataillon du NKVD et par un
autre de chars Matildas du Prêt-Bail. Les 4-6
décembre, l'attaque soviétique s'enlise dans les champs de mines.
Katoukov et les autres commandants soviétiques de l'arme blindée,
experts de la défense, ont du mal à passer sans transition ou
presque à l'offensive. L'attaque démarre vraiment le 7 décembre.
Katoukov, très prudent dans son approche, ne lance l'assaut qu'après
une reconnaissance minutieuse du dispositif ennemi.
Source : http://www.emersonkent.com/ |
Les
défenses allemandes sont enfoncées. Avec la 8ème division de
fusiliers de la Garde, Katoukov prend Kryuvoi, force la 4.
Panzergruppe à décrocher. Deux groupes mobiles ad hoc
sont formés sous les ordres de Katoukov et Rezimov et l'avance vers
Istrin se poursuit. Le 14 décembre, les Allemands sont rejetés du
réservoir d'Istrin. Cinq jours plus tard, Katoukov reçoit de
Rokossovsky la mission de reprendre Volokolamsk, et obtient le groupe
de Rezimov. Katoukov attaque au sud et au sud-est, Rezimov au nord et
au nord-est. La ville est reprise le 19 décembre à 6h00, près de 1
200 Allemands sont mis hors de combat.
Les
combats de la contre-offensive soviétique devant Moscou sont livrés
dans des conditions extrêmes, les températures descendant
fréquemment à -25/-28°. 18 brigades de chars et 19 bataillons
indépendants y prennent part. Ces unités de faible taille ne
peuvent que mener des missions tactiques en coordination avec les
fusiliers. C'est pourquoi les commandants d'armée créent des
groupes mobiles ad hoc avec des chars, de la cavalerie et de
l'infanterie pour tenter l'exploitation. Les brigades de chars
montrent ici leurs limites : elles ne peuvent opérer dans la
profondeur opérative du dispositif allemand ni procéder
correctement à des encerclements.
1942 :
une année de transition
En
avril 1942, Katoukov est rappelé à Moscou. Fedorenko lui annonce sa
nomination à la tête du 1er corps blindé, composé de 3 brigades
de chars, d'une brigade de fusiliers motorisés, d'un bataillon de
Katyushas et d'autres unités de soutien. Soit 170 chars au
total. Katoukov conserve son personnel d'état-major, et Fedorenko
lui recommande de prendre comme chef d'état-major le général
Kravchenko. A l'été 1942, le Front de Bryansk protège un secteur
s'étendant de Moscou et Toula à Voronej. La Stavka craint
une offensive sur Moscou, c'est pourquoi le Front aligne 4 corps
blindés et des brigades indépendantes de chars, 1 500 véhicules au
total. Les Allemands veulent, en fait, nettoyer la rive ouest du Don
et annihiler les troupes soviétiques qui s'y trouvent pour foncer
jusqu'à la Volga. En mai-juin 1942, le 1er corps blindé de Katoukov
se déploie au nord-ouest de Voronej. Golikov, qui commande le Front
de Bryansk, veut l'utiliser pour une contre-offensive éventuelle sur
une pointe allemande. L'attaque de la Wehrmacht démarre le 28
juin à la jonction entre les 13ème et 40ème armées. Le soir même,
Katoukov reçoit l'ordre de contre-attaquer sur le flanc nord de la
percée allemande, en coordination avec le 16ème corps blindé.
Le
29 juin, les Allemands progressent encore de 30 km et menacent déjà
la deuxième ligne de défense de Golikov. Celui-ci lance ses chars
en contre-attaque de manière désordonnée : le corps de
Katoukov ne peut rattraper les Panzer qui évoluent au sud de
la voie ferrée Koursk-Voronej. Golikov forme un groupe composite
avec les brigades de chars des deux corps blindés qu'il confie à
Katoukov. Les contre-attaques blindées soviétiques échouent,
notamment par manque de soutien de l'aviation. La Stavka,
mécontente de Golikov, le remplace par Vatoutine. Katoukov n'a pas
brillé non plus : les commandants d'unités blindés
soviétiques manquent encore de maîtrise dans le maniement de leurs
formations à l'offensive. Mais il en retient certaines leçons. Il
écrit un court opuscule, Les actions de combat des chars, où
il recommande de faire monter l'infanterie sur les blindés, pour
accompagner la progression : ce sont les fameux « desantniki4 ».
Mi-août,
le 1er corps blindé est envoyé dans la réserve de la Stavka
et stationne près de Toula. L'ordre spécial du commissariat du
peuple à la Défense n°325, paru le 16 octobre 1942, précise
l'emploi futur des chars au vu de l'expérience de l'été. Les
brigades et régiments indépendants seront employés en soutien
d'infanterie. Les corps mécanisés et blindés devront être
utilisés sur les axes principaux de progression pour exploiter les
brèches. Le 17 septembre, Katoukov a rencontré Staline à Moscou,
qui l'a longuement interrogé sur son expérience des combats de
l'été. C'est lors de cette rencontre que Katoukov plaide pour la
suppression du KV-1, trop lent et lourd et qui embarque la même
pièce que le T-34, et pour celle des chars légers T-60 et T-70,
devenus obsolètes. Il évoque aussi l'absence des radios. Staline
confie finalement à Katoukov le commandement d'un corps mécanisé,
qui comprend les brigades de chars de son ancien corps blindé.
L'Armée Rouge a créé moins de corps mécanisés que de corps
blindés, en raison de la pénurie de camions pour transporter
l'infanterie motorisée. Katoukov a eu le privilège de commander à
la fois l'un et l'autre.
Katoukov
conserve toujours son état-major habituel. Le 3ème corps mécanisé
dont il a pris la tête appuie la 22ème armée dont le chef
d'état-major, Shalin, devient un autre membre clé de l'entourage de
Katoukov, tandis que Nikolai. P. Popel reste son officier politique
jusqu'à la fin du conflit. Popel a combattu avec des unités
blindées depuis le début de la guerre, commandant même un groupe
qui a échappé à l'encerclement en juillet-août 1941 près de
Dubno. Il forme un tandem efficace avec Katoukov. Celui-ci s'assure
aussi que ses commandants de brigades sont des hommes de valeur. Fin
novembre 1942, le 3ème corps mécanisé est mobilisé dans le cadre
de l'offensive contre le saillant de Rjev, menée par les Fronts de
l'Ouest et de Kalinine. Le 5 décembre, à la veille de l'attaque,
Katoukov est horrifié de constater que le commandant de la division
de fusiliers à laquelle il est rattaché passe son temps à se
lamenter et n'a pas reconnu les positions allemandes. L'attaque, dans
un terrain marécageux, recouvert de neige, à travers les champs de
mines, se heurte aux défenses allemandes quasiment non entamées par
l'infanterie. Elle s'arrête le 20 décembre. C'est un revers que
Joukov, son concepteur, cherchera à minimiser voire à dissimuler
après la guerre. Le 30 janvier 1943, Katoukov est pourtant nommé à
la tête de la nouvelle 1ère armée de chars, créée dans le Front
du Nord-Ouest, au sud du lac Ilmen, pour lever le blocus allemand de
Léningrad. Elle comprend un corps blindé et un corps mécanisé,
des régiments et brigades indépendants, deux divisions aéroportées
et des brigades de skieurs5.
Katoukov demande à Joukov de prendre comme chef d'état-major
Shalin, ce qui est entériné le 18 février.
Koursk :
le sanglant apprentissage de l'utilisation offensive des blindés
La
1ère armée de chars est finalement transférée, le 7 mars, sans
ses composantes aéroportées et à skis, au Front de Voronej, en
raison de la menace d'une offensive allemande dans la région de
Koursk au printemps. Elle aligne alors le 3ème corps mécanisé, le
6ème corps blindé, la 100ème brigade indépendante de chars et 4
régiments indépendants de chars : 631 blindés en tout. Le 28
mars, elle s'installe dans les environs d'Oboyan, où elle doit
d'abord faire face... au typhus. Puis elle camoufle ses matériels
pour éviter la détection aérienne allemande. Katoukov estime que
les régiments de chars manquent de puissance pour une action
autonome. Il regroupe donc la brigade et les régiments dans un
nouveau corps blindé. L'état-major du Front de Voronej est
réticent, mais Katoukov obtient l'appui de Joukov, représentant
spécial de la Stavka, qui cautionne la naissance du 31ème
corps blindé. Au soir du 4 juillet, alors que Katoukov regarde une
comédie britannique (!) dans un cinéma en plein air, son officier
de renseignements l'informe que l'offensive allemande est sur le
point de commencer.
Source : http://upload.wikimedia.org |
Katoukov
a placé une brigade de chars dans la deuxième ligne de défense de
la 6ème armée de la Garde, qui est en première ligne. La brigade
est bien retranchée : Katoukov a lui-même inspecté les
positions d'une des compagnies, surnommée la « compagnie de
fer », car tous les tankistes sont des vétérans. A
minuit, le 5 juillet, Katoukov reçoit l'ordre d'envoyer deux corps
en soutien de la deuxième ligne de défense de la 6ème armée de la
Garde et de contre-attaquer à l'aube du 6 juillet. Katoukov craint
la puissance des chars Tigres et de leurs canons de 88 mm dans
un combat de rencontre. Il plaide auprès de Vatoutine, qui commande
le Front de Voronej, pour une posture plus défensive. Après
concertation avec Staline, c'est finalement le choix qui est adopté.
Au matin du 6 juillet, la 1ère armée de chars s'est avancée de 30
à 40 km plus au sud. Le 6ème corps blindé et le 3ème corps
mécanisé sont en premier échelon ; derrière, le 31ème corps
blindé ; en réserve, la 112ème brigade de chars tirée du
6ème corps.
Katoukov,
comme de coutume, a envoyé des reconnaissances en avant vers les
lignes de la 6ème armée de la Garde. Les Allemands avancent sur
deux axes, l'un contre le 3ème corps mécanisé, l'autre contre le
6ème corps blindé, avec l'intention d'enfoncer un coin entre les
deux formations. Pendant que la 1ère armée de chars tient en
défense, le Front utilise deux corps blindés pour frapper le flanc
droit des Allemands, mais ceux-ci avancent de 10 à 18 km. Le
lendemain, les Allemands reprennent la progression au nord-ouest
contre le 3ème corps mécanisé. Katoukov engage sa réserve, la
112ème brigade de chars, et transfère deux des régiments de
Katyushas du 6ème corps blindé. Dans la nuit du 7 juillet,
Katoukov rend visite aux unités engagées. Le 8 juillet, la
situation devient critique pour le 3ème corps mécanisé : mais
le Front de Voronej, qui a reçu en renfort 4 corps blindés de la
Stavka, dépêche le 10ème corps blindé à la 1ère armée
de chars. Le 6ème corps blindé est aussi en difficulté. Katoukov
doit reculer de 4 à 6 km et combat maintenant sur une seule ligne de
front. Vatoutine envoie aussitôt des renforts pour réorganiser une
défense en profondeur.
Le
9 juillet, le II. SS-Panzerkorps refoule encore les formations
de Katoukov, obligé d'engager le 10ème corps blindé pour rétablir
sa ligne. Le 6ème corps blindé est particulièrement malmené et
Katoukov doit lui envoyer un régiment de chars, un régiment de
Katyushas et deux régiments de canons d'assaut. Le 10
juillet, la 112ème brigade de chars est enfoncée et Katoukov doit à
nouveau envoyer le 10ème corps blindé pour sauver la situation à
19h00. Le 12 juillet, Rotmistrov lance finalement sa 5ème armée de
chars de la Garde contre les pointes allemandes, tandis que Katoukov
attaque également, ainsi que le 5ème corps blindé de la Garde de
Kravchenko. Le lendemain, la 1ère armée commence sa reconstitution
pour les offensives à venir ; Vatoutine informe Katoukov
qu'elle a reçu la désignation d'unité de la Garde. Mais la 1ère
armée de chars a perdu près de la moitié de ses blindés et de
nombreux personnels. Fort heureusement, les équipes de réparation
de Dyner font des miracles et remettent en état de nombreuses épaves
récupérées sur le terrain, ce qui en dit long aussi sur les pertes
revendiquées par les Allemands...
Pour
l'opération Roumantsiev, le Front de Voronej attaque sur un
seul échelon pour obtenir plus de punch. Les 1ère et 5ème armées
de chars de la Garde doivent être insérées rapidement à travers
les formations de fusiliers pour l'exploitation. Vatoutine et Joukov
finalisent les plans le 31 juillet. Rotmistrov, Zhadov, qui commande
la 5ème armée de la Garde, et Katoukov se rencontrent avec leurs
états-majors pour assurer la coordination. Zhadov compte percer les
défenses allemandes en profondeur avec 5 divisions de fusiliers
soutenues par une puissante artillerie : 230 pièces au
kilomètre. Problème : le secteur d'attaque est trop étroit,
10 km de front seulement, où vont converger les 4 corps des échelons
avancés des deux armées de chars pour l'exploitation. L'attaque
démarre le 3 août après trois heures de préparation aérienne et
d'artillerie. Katoukov engage le 3ème corps mécanisé et le 6ème
corps blindé en premier échelon, suivis par le 31ème corps blindé.
Source : http://stabswache-de-euros.blogspot.fr |
A
midi, les fusiliers ont creusé une brèche dans la première ligne
allemande. Vatoutine ordonne l'introduction des éléments de tête
des deux armées de chars. Chacun des corps de Katoukov est précédé
d'une brigade configurée en détachement avancé. La 200ème
brigade, qui joue ce rôle pour le 6ème corps, est introduite à
midi mais reste bloquée au milieu de l'infanterie toute la journée.
La 49ème brigade de chars, qui joue le même rôle pour le 3ème
corps mécanisé, a également des difficultés à avancer et bute
sur la deuxième ligne de défense allemande. Ce n'est qu'en milieu
d'après-midi que les brigades percent et avancent de 25 à 30 km.
Mais le délai a permis aux Allemands d'amener leur 19.
Panzerdivision près de Tomarovka. Celle-ci est engagée par le
6ème corps en fin de journée tandis que le 3ème corps, pris à
partie par les chars et antichars allemands, s'arrête. La 6ème
armée de la Garde opère également vers Tomarovka. Joukov souhaite
introduire dans son secteur sa réserve blindée, le 5ème corps de
chars de la Garde. Katoukov craint la congestion des routes mais doit
s'incliner.
Le
4 août, le 6ème corps et le 5ème corps de chars de la Garde, avec
4 divisions de fusiliers, attaquent Tomarovka. La bataille dure toute
la journée. Vatoutine retire le 6ème corps et l'envoie près du
3ème corps qui a trouvé une faille dans la deuxième ligne de
défense allemande. Le corps mécanisé fonce dans la nuit sur
Bogodukhov. Le 6ème corps suit. A midi, le 6 août, ils ont avancé
de 50 km. Le 31ème corps blindé, avec le 5ème corps blindé de la
Garde maintenant assigné à la 1ère armée de chars, encercle
Tomarovka le 5 août. La 19. Panzerdivision est laminée, son
commandant6,
pris dans les échanges de tirs, se suicide pour éviter la capture.
Les pertes sont lourdes aussi côté soviétique. La 242ème brigade
de chars du 31ème corps blindé a perdu 80% de ses chars et 65% de
son personnel. Le 3ème corps mécanisé laisse 90% de ses cadres sur
le terrain. Katoukov forme donc des détachements composites :
au 3ème corps mécanisé, 5 brigades sont renfondues en deux
seulement, une de chars et une de fusiliers motorisés.
Le
6 août, les corps de Katoukov ont pour objectif Bogodukhov. Des
détachements avancés doivent couper la voie ferrée au sud-ouest de
Kharkov, à 30-40 km en avant de l'armée. La ville est atteinte au
soir du 7 août. Le 3ème corps mécanisé tombe sur la 2.
SS-Panzergrenadier Division Das Reich et de féroces combats
prennent place autour de la localité. Katoukov regroupe ses corps au
sud de la ville, se préparant à la contre-attaque allemande
conduite par la Das Reich, mais aussi par les 3.
SS-Panzergrenadier Division Totenkopf et 5. SS-Panzergrenadier
Division Wiking. Quand Katoukov lance ses détachements avancés
plus au sud le 11 août, ils sont anéantis par les Waffen-SS :
30 % du parc de chars restant est perdu. Le 6ème corps blindé,
attaqué de flanc, doit également reculer. Le 3ème corps mécanisé
est également pris à partie. Mais les Soviétiques
contre-attaquent : la 6ème armée de la Garde se jette sur la
Totenkopf pendant que Katoukov tient au sud de Bogodukhov. Le
22 août, épuisée, la 1ère armée de chars est envoyée à
l'arrière, remplacée par la 4ème armée de la Garde, et elle est
intégrée dans la réserve de la Stavka. L'apprentissage de
la manoeuvre offensive pour les grandes formations blindées
soviétiques est coûteux, mais Roumantsiev ne s'est pas
effondrée : les Allemands ont été contraints au repli.
De
l'Ukraine à l'opération Lvov-Sandomierz : Katoukov, virtuose
de l'emploi des chars
La
reconstruction de la 1ère armée de chars n'est pas terminée quand
elle est à nouveau engagée à l'ouest de Kiev entre le 29 novembre
et le 20 décembre 1943. Elle dépend alors du 1er Front d'Ukraine,
nouveau nom du Front de Voronej de Vatoutine depuis le 20 octobre. Le
6ème corps blindé devient le 11ème corps blindé de la Garde et le
3ème corps mécanisé le 8ème corps mécanisé de la Garde. Fin
décembre-début janvier 1944, la 1ère armée de chars de la Garde
participe à l'offensive Jitomir-Berditchev : elle aligne aussi
la 64ème brigade de chars de la Garde, le 8ème bataillon de défense
antiaérienne et le 79ème bataillon de mortiers de la Garde. Soit 42
000 hommes, 546 chars et canons d'assaut, 585 canons et mortiers.
Elle doit avancer au sud-est de Broussilov après la percée réalisée
dans le secteur de la 38ème armée.
Katoukov
place le 11ème corps blindé de la Garde sur sa gauche et le 8ème
corps mécanisé de la Garde sur sa droite, la 64ème brigade de
chars de la Garde étant en réserve. Le 31ème corps blindé a été
retiré de la 1ère armée. Le 24 décembre, après une préparation
d'artillerie, les chars de Katoukov attaquent et avancent de 20 km
mais moins rapidement que ce qu'escomptait le commandant de la 1ère
armée. Katoukov avait pourtant réalisé un wargame avec son
état-major pour anticiper les réactions allemandes. Vatoutine
reproche à Katoukov de trop coller à l'infanterie ; Katoukov
visite les premières lignes et passe un savon au chef d'état-major
du 8ème corps mécanisé, qu'il trouve en train de se faire couper
les cheveux devant un poële bien chaud. La progression est meilleure
le lendemain. Dans la nuit du 27 décembre, renforcée par la 68ème
division de fusiliers de la Garde, la 1ère armée dépêche le 8ème
corps sur Kazatin tandis que le 11ème corps protège le flanc d'une
éventuelle contre-attaque allemande. Au matin du 30 décembre, le
11ème corps est à son tour envoyé sur Kazatin. Katoukov s'inquiète
cependant du flanc nord, près de Berditchev, où opère la 18ème
armée. Du 1er au 5 janvier 1944, deux bataillons de la 44ème
brigade de chars sont encerclés dans Berditchev par la 1.
SS-Panzerdivision Leibstandarte et la 20. Infanterie Division
(mot.). La brigade reste cependant avec la 18ème armée jusqu'à
ce qu'elle soit relevée à la mi-janvier.
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Le
6 janvier, alors que la 1ère armée est réorientée vers Vinnitsu,
le général Dremov prend la tête du 8ème corps mécanisé. Le 10
janvier, les Allemands percent le flanc de la 38ème armée et menace
les arrières du 8ème corps. Katoukov fait retrancher ses unités et
envoie sa réserve, la 64ème brigade, pour couvrir le flanc droit.
Quand le 1er Front d'Ukraine prépare la capture de l'ouest de
l'Ukraine, en mars 1944, la 1ère armée de chars est placée en
réserve pour l'exploitation jusqu'aux Carpathes, afin d'encercler le
Groupe d'Armées Sud allemand. Cette fois-ci, Katoukov va se détacher
assez largement de l'infanterie. Il crée un détachement avancé
autour de la 64ème brigade commandée par le lieutenant-colonel
Boiko. En 7 heures, ce détachement avancé avance de 80 km, franchit
le Dniestr et prend la gare de Moshi par une attaque de nuit.
Ayant
rompu les défenses allemandes à l'est de Tarnopol, la 1ère armée
de chars vire au sud le 24 mars et attaque sur 35 km de front le
Dniestr. La 1ère brigade de chars de la Garde opère en détachement
avancé du 8ème corps . Comme tous les ponts ont sauté et que
les moyens du génie font défaut, Katoukov et ses tankistes
improvisent, trouvent une zone guéable, bricolent pour sceller les
chars et plus de 200 traversent le fleuve. Katoukov est prompt au
sarcasme : il reproche ainsi à Getman, le chef du 11ème corps,
sa lenteur, se moquant d'un chef de corps « qui bronze au
soleil sur la rive ». Bientôt Katoukov s'empare de
Chernovitsy, au pied des Carpathes. Dans la pause consécutive à
l'opération, il est victime d'une crise d'appendicite. Joukov veut
l'évacuer sur Moscou mais Katoukov refuse, préférant rester à
l'hôpital de l'armée. Le 26 juin, le nouveau commandant du 1er
Front d'Ukraine, Koniev, ordonne à Katoukov d'être prêt pour une
nouvelle offensive au 12 juillet 1944.
Pour
son regroupement dans ce qui va devenir l'opération Lvov-Sandomierz,
la 1ère armée de chars de la Garde doit se déplacer du flanc
gauche au flanc droit du 1er Front d'Ukraine, soit 300 km ! Les
Allemands ne détectent pas le transfert et ne repèrent la formation
que trois jours après le début de l'offensive, alors qu'elle opère
déjà sur leurs arrières... La 1ère armée de chars doit être
insérée pour l'exploitation dans le secteur des 3ème armée de la
Garde et 13ème armée, une fois la percée réalisée. Mais les
Allemands dépêchent cette fois-ci des réserves en temps et en
heure sur l'axe de progression de Katoukov ; en outre, la 3ème
armée de la Garde ne vient à bout de la deuxième ligne de défense
que le 17 juillet. Katoukov introduit malgré tout son détachement
avancé, la 1ère brigade blindée de la Garde, derrière la 3ème
armée de la Garde, pour sonder les possibilités.
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Dans
l'après-midi du 14 juillet, le détachement avancé progresse et
atteint la rivière Bug au matin du 15. Les Allemands surestiment
l'effectif de la brigade et ne détectent pas le reste de la 1ère
armée de chars. Katoukov ordonne à sa brigade de continuer à fixer
les Allemands. Car plus au sud, l'assaut de la 13ème armée s'est
révélé plus heureux : la 291. Infanterie Division n'a
pu se replier correctement sur la deuxième ligne de défense, un
trou de 12 km est ouvert. Koniev y engouffre un corps de cavalerie
mécanisée et cède aux demandes de Katoukov qui plaide pour
l'introduction de son armée de chars à sa suite. Les premiers
éléments du 11ème corps blindé se mettent en branle le 17
juillet. A 10h00, le 8ème corps mécanisé avance également,
l'infanterie étant portée sur les chars. Il repousse les assauts
des 291 I.D. et 17. Panzerdivision. Dès midi, l'armée de
chars de Katoukov manoeuvre dans la profondeur opérative du
dispositif allemand.
Mais,
plus tard dans la journée, le détachement avancé du 11ème corps
blindé, la 44ème brigade de chars, est intercepté par des Tigres
sur la rive ouest du Bug occidental. Il faut deux jours de combat
pour faire reculer les Allemands. Katoukov lance des reconnaissances
offensives contre les colonnes en retraite. Le 18 juillet, à midi,
il ordonne au 8ème corps mécanisé de suivre le 11ème corps au
sud-ouest, de traverser le Bug derrière lui et de pousser sur
Yaroslav. Les corps de Katoukov font s'effondrer la défense
allemande sur la frontière soviéto-polonaise. Le 24 juillet, les
Allemands sont encerclés dans Yaroslav ; la ville est nettoyée
trois jours plus tard.
Katoukouv
reçoit ensuite pour mission de Koniev de traverser la Vistule au sud
de Sandomierz et d'établir une tête de pont sur la rive ouest pour
le 1er août. Les détachements avancés se mettent en branle dans la
matinée du 29 juillet, suivis par les corps dans l'après-midi. A
15h30, la 1ère brigade de chars de la Garde, détachement avancé du
8ème corps, atteint la Vistule dans le secteur de Baranov. La 44ème
brigade de chars, détachement avancé du 11ème corps, atteint
également le fleuve quelques heures plus tard. Mais l'équipement du
génie fait à nouveau défaut pour traverser. Le lendemain,
l'infanterie motorisée franchit cependant la Vistule sur des
équipements de fortune. Les 15ème et 1 134ème bataillons de
pontonniers arrivent à la suite du gros des corps en fin de journée
et les chars traversent le fleuve le 31 août à l'aube. Le
franchissement a été facile car les Allemands n'ont pas établi de
défense solide sur l'autre rive de la Vistule.
Les
Allemands contre-attaquent violemment ensuite la tête de pont de
Sandomierz, sans jamais parvenir à la réduire. Ils y engagent, pour
la première fois, sur le front de l'est, des Tigres II du s.
Panzer-Abteilung 501 qui ne rencontrent guère de succès, mais
impressionnent Katoukov qui peut examiner des véhicules capturés7.
Les combats font rage jusqu'à la mi-août. La tête de pont atteint
alors 75 km de large sur 50 km de profondeur. Elle est d'une
importance cruciale dans l'optique d'une nouvelle offensive vers la
Silésie. Pendant l'opération Lvov-Sandomierz, bien qu'ayant subi de
lourdes pertes, la 1ère armée de chars a fait preuve d'une maîtrise
consommée de la manoeuvre : détachements avancés,
exploitation dans la profondeur opérative... qui valent à Katoukov
le titre de Héros de l'Union Soviétique. Ses hommes lui ont donné
un surnom approprié : « général Malin ».
Les
derniers combats : en pointe de la manoeuvre opérative
La
1ère armée de chars est envoyée à nouveau dans la réserve de la
Stavka, puis attribuée au 1er Front de Biélorussie de Joukov
pour l'offensive Vistule-Oder qui démarre pour ce Front le 14
janvier 1945. Elle doit exploiter la brèche ouverte par la 8ème
armée de la Garde. Les premiers éléments sont introduits pour
l'exploitation dès l'après-midi du 14 janvier. Le lendemain, la
1ère armée de chars déboule à travers la 8ème armée de la Garde
et franchit la Pilitsa. Les unités contournent Varsovie par le
sud-est. Elles affrontent des « chaudrons roulants »
allemands, des formations débordées par l'offensive soviétique qui
se replient tant bien que mal vers l'ouest. Après avoir parcouru 240
km, la 1ère armée de chars est proche de Lodz, et fonce vers la
rivière Warta près de Poznan. Les reconnaissances détectent les
fortifications autour de Poznan et un regroupement d'unités
allemandes. La Warta est franchie le 22 janvier et Katoukov attaque
les positions au sud de Poznan. Il doit maintenir l'encerclement des
62 000 défenseurs jusqu'au 29 janvier, moment où arrivent les
fusiliers de la 8ème armée de la Garde qui vont se charger de
l'investissement de la place. Le 30 janvier, la 1ère armée de chars
est sur l'Oder. Katoukov reçoit sa deuxième étoile d'or de Héros
de l'Union Soviétique.
Des canons de 122 mm tirent sur la forteresse de Poznan, en février 1945.-Source :
pictureshistory.blogspot.com
|
Le
1er février, la formation avance sur un large front au nord et au
sud de Francfort-sur-l'Oder. Elle n'est plus qu'à 70 km de Berlin.
Mais un nouveau problème se fait jour avec le balcon poméranien, le
flanc droit exposé du 1er Front de Biélorussie, d'où pourrait
surgir une contre-attaque allemande. Rokossovsky lance son 2ème
Front de Biélorussie dans le nettoyage du balcon en mars, mais son
élan manque de chars. Aussi, le 8 mars, bien que ne disposant plus
que de 400 blindés aux moteurs surchauffés, la 1ère armée de
chars est-elle réorientée vers le nord pour contribuer à l'effort
de Rokossovsky. L'opération dure jusqu'aux 28-29 mars avant le
retour sur l'axe principal du 1er Front de Biélorussie. Katoukov en
a profité pour centraliser la maintenance afin de la rendre plus
efficace : au 1er février, 577 chars et canons d'assaut (76% du
total théorique) sont opérationnels. Les efforts du « Docteur
Tank », Dyner, ont payé.
Source : http://www.ibiblio.org/ |
Pour
l'offensive sur Berlin, Katoukov doit à nouveau percer à travers la
8ème armée de la Garde. Le problème réside dans le caractère
étroit du secteur d'attaque dans la tête de pont de Küstrin :
les chars devront s'engager dans un corridor de 8 à 9 km.
L'offensive démarre le 16 avril. Mais les fusiliers de Tchouïkov
butent sur les défenses allemandes des hauteurs de Seelow. Malgré
tout, Katoukov reçoit l'ordre d'introduire les premiers éléments
et les détachements avancés franchissent l'Oder pour aller
s'engluer devant les hauteurs. Les brigades de tête combattent avec
les fusiliers pour la prise des sommets le 17 avril. Les pertes sont
encore lourdes le lendemain. Katoukov fait un usage massif de
l'aviation pour soulager ses tankistes. Le 20 avril, une fois la
percée réalisée, Katoukov reçoit la mission d'envoyer ses
brigades de tête pour atteindre Berlin dès 04h00 le 21 avril. Les
1ère et 44ème de brigades de chars sont immédiatement expédiées
en avant. Le 8ème corps mécanisé entame la bataille de Berlin le
22 avril. Le 24 avril, à 03h00, le commandant du régiment de
motocyclistes signale qu'il a rencontré des éléments de la 3ème
armée de chars de Rybalko sur le canal de Teltow. Joukov est en
rage : les coûteux combats pour les hauteurs de Seelow ont
permis aux chars de Rybalko, qui appartiennent au 1er Front d'Ukraine
de Koniev, de devancer Katoukov dans Berlin...
Une colonne de SU-152 dans les rues de Berlin, avril 1945.-Source : http://www.lonesentry.com |
Dans
les combats de rues de Berlin, la 1ère armée de chars utilise une
méthode bien particulière. Elle attaque à trois blindés de
front : l'un se déplace à gauche et tire à droite, un autre
se déplace à droite et tire à gauche, et celui du centre couvre
les deux autres. Une réserve de 10 chars se tient en arrière pour
remplacer les blindés touchés. Les combats les plus durs ont lieu à
la gare et près de la porte de Brandenbourg. Le 1er mai 1945, la
1ère armée de chars s'empare des jardins du Zoo : elle est à
200 m de la Chancellerie. Le 2 mai, elle a déjà fait 15 000
prisonniers. C'est dans la capitale allemande qu'elle termine le
conflit.
Après
la Seconde Guerre mondiale, Katoukov prend la tête d'une armée,
puis commande les forces blindées et mécanisées du Groupe des
Forces Soviétiques en Allemagne. En 1951, il sort diplômé de
l'académie de l'état-major général de l'Armée Rouge. A partir de
1955, il est l'Inspecteur Général du ministère de la Défense
avant de devenir, en 1957, adjoint du commandant de l'école
d'entraînement de l'Armée Rouge. En 1963, il retourne dans le
groupe des inspecteurs généraux du ministère de la Défense. Il
publie ses mémoires de guerre en 1974. Résidant à Moscou, c'est là
qu'il meurt le 8 juin 1976 : il est enterré dans un cimetière
de la ville. Maréchal de l'arme blindée depuis 1959, il a été
décoré pendant sa carrière de 4 ordres de Lénine, 3 ordres du
Drapeau Rouge, de deux ordres de 1ère classe de Souvorov, de l'ordre
de Koutozov 1ère et 2ème classe et de l'ordre de l'Etoile Rouge, en
plus de ses deux étoiles d'or de Héros de l'Union Soviétique.
Katoukov :
un «renard» parmi les commandants d'armées de chars ?
Les
commandants d'armées blindées de la Garde soviétique pendant la
Seconde Guerre mondiale ont formé l'épine dorsale de l'expérience
et de l'expertise pour les opérations blindées à grande échelle
développées pendant le conflit. Leurs performances prouvent que
loin des préjugés nazis de leurs adversaires, ces hommes se sont
montrés de brillants officiers, opérant à l'échelle du front avec
leur groupe mobile exploitant les brèches réalisées par les unités
de fusiliers, sur 500 km de profondeur pour certaines offensives de
1945 ! Ce sont de tels hommes qui ont entre autres permis à
l'Armée Rouge de se restructurer alors que Barbarossa
décimait le dispositif du temps de paix.
Katoukov
a développé pendant la guerre un style de commandement très
particulier. Il travaille surtout à partir de son PC principal et se
repose beaucoup sur son état-major. Il n'hésite pas à prendre des
risques si nécessaire mais on lui reconnaît surtout un talent pour
la planification méticuleuse, et pour une certaine retenue. C'est
particulièrement vrai au début de la guerre, lors de la phase
défensive : Katoukov préfère laisser l'ennemi venir à lui
sur un terrain connu et selon ses propres règles du jeu. Il
concentre rapidement les chars pour obtenir un avantage tactique. Il
ne recherche pas l'assaut frontal, mais des solutions ingénieuses
pour faire face aux problèmes rencontrés. Il emploie fréquemment
les détachements avancés pour évaluer la situation et empêcher
les attaques ennemies. C'est un bon exemple du style de commandement
collectif vanté par l'Armée Rouge.
Katoukov
est conscient, dès l'été 1941, de la nécessité d'entraîner
correctement les équipages de chars. Il sait insuffler de l'énergie
à ses subordonnées, et n'hésite pas à recourir aux sarcasmes pour
les piquer au vif et les inciter à être plus mordants. Il délègue
les responsabilités lorsqu'il donne des ordres mais attend que ses
subordonnés accomplissent correctement les missions qui leur sont
attribuées. Katoukov veille aussi à assurer la coordination de son
armée de chars avec les autres formations engagées et en
particulier à déterminer les routes qui seront employées pour
l'introduction des blindés. Il a également réfléchi au besoin de
médecins spécialistes des blessures provoquées par les combats
entre blindés et à celui d'augmenter l'artillerie et les unités de
construction de routes au sein des armées de chars.
Le
moment de l'introduction des armées de chars après la rupture du
front par les armées de fusiliers est d'une importance cruciale.
Katoukov privilégie l'utilisation de détachements avancés, voire
de raids, pour dégager la voie avant d'engager le gros de ses corps.
En raison des pertes importantes subies par les armées de chars,
constamment engagées au coeur des offensives soviétiques, les
services de maintenance et de réparation jouent un rôle crucial :
en choisissant et en faisant confiance à Dyner, le « docteur
Tank », Katoukov s'est assuré une disponibilité optimum
en chars et canons d'assaut. Il a également souvent dirigé les
opérations depuis un poste de commandement avancé, pour surveiller
en particulier les échanges radios. Pour anticiper les offensives et
les possibles réactions de l'ennemi, il favorise les wargames
collectifs avec son état-major, un véritable « brainstorming ».
Contrairement à Rybalko ou Bogdanov8,
Katoukov n'a rien d'un fonceur à la Patton : il se prépare à
chaque fois au pire et ne prend des risques que lorsque la situation
l'exige. Comme ses 5 collègues commandants d'armées de chars,
Katoukov résume à lui seul toute la valeur des hommes qui ont mené
l'Armée Rouge à la victoire pendant la Grande Guerre Patriotique.
Bibliographie
indicative :
ARMSTRONG,
Richard N., Red Army Tank Commanders. The Armored Guards,
Schiffer Military/Aviation History, 1994.
GLANTZ,
David M. et HOUSE, Jonathan, When Titans Clashed. How the Red Army
Stopped Hitler, University Press of Kansas, 1995.
GLANTZ,
David M., Slaughterhouse. The Handbook of the Eastern Front, The
Aberjona Press, 2005.
Катуков
М.Е. На острие главного удара. / Литературная
запись В. И. Титова. — М.: Воениздат, 1974
[l'ouvrage de Katoukov, disponible en ligne :
http://militera.lib.ru/memo/russian/katukov/index.html
] .
Courte
biographie :
http://victory.sokolniki.com/eng/History/HeroesOfWar/TwiceHeroes/10257.aspx
1Cf
Jean LOPEZ, Berlin. Les offensives géantes de l'Armée Rouge
Vistule-Oder-Elbe (12 janvier-9 mai 1945), Paris, Economica,
p.397-398.
2Comme
Joukov, Koniev, Rokossovsky, Vatoutine...
3Nom
donné aux nouvelles formations comprenant des lance-roquettes
multiples Katyusha.
4Littéralement,
le mot désigne les parachutistes, mais on l'emploie aussi pour
nommer cette infanterie portée montée « à la russe »
sur les chars.
5L'état-major
est fourni par la 29ème armée. Au départ, elle comprend les 6ème
corps blindé, 3ème corps mécanisé, 112ème brigade de chars, 3
brigades légères et 4 régiments de chars indépendants.
6Le
général Gustav Schmidt.
7Cf
le dossier du magazine 2ème Guerre Mondiale n°47
(janvier-mars 2013), « Tigres de papier », où je décris
en détail l'engagement de Sandomierz impliquant les Tigres
II.
8Qui
commandent respectivement les 3ème et 2ème armées de chars.
Merci pour ce travail rare, précieux et sérieux.
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