Le
Type 95 Ha-Go, fut, avec le Type 97 Chi-Ha, le principal modèle de
char aligné par l’armée impériale japonaise durant la Guerre du
Pacifique. Déjà à peine capable de faire face aux chars légers M3
Stuart engagés dès 1942 par les Américains durant la campagne des
Philippines, il devint rapidement totalement obsolète de par sa
vulnérabilité à l’ensemble des armes antichars présentes sur le
champs de bataille et symbolisa l’infériorité chronique des chars
japonais face aux modèles alignés par les Alliés. Outre le fait
que les Japonais tardèrent trop à développer puis à mettre en
service de nouveaux modèles de tanks – en sous-estimant leur
utilité et aussi à cause des limites inhérentes à leur industrie
- la performance désastreuse du Type 95 a surtout eu pour cause une
fréquente utilisation à contre-emploi.
Adrien
Fontanellaz
A
l’issue de la Première Guerre mondiale, le Japon fit des efforts
considérables afin de s’initier aux développements nés durant le
conflit, durant lequel il était largement resté spectateur. Des
missions techniques françaises, allemandes et britanniques
arrivèrent ainsi dans le pays alors que des exemplaires d’avions
et de sous-marins récents furent également acquis. Afin de
s’initier à la nouvelle technologie des blindés, l’armée
impériale japonaise se fit ainsi livrer un nombre réduit de tanks
britanniques et français. En 1925, l’armée décida de créer une
force de tanks, limitée dans un premier temps à deux compagnies, et
surtout d’initier le développement de modèles conçus et produits
au Japon. Les ingénieurs japonais conçurent un premier prototype de
char, baptisé simplement « Prototype numéro 1 », qui
fut achevé en 1927. Considéré comme un succès malgré son poids
et sa sous-motorisation, il ne fut pas adopté par l’armée, mais
permit d’acquérir l’expérience suffisante pour mener le
développement d’un char de 10 tonnes, le Type 89, dont la
production en série débuta en 1931. Le Type 89, dont la vitesse
maximale atteignait 25 km/h, était avant tout destiné au support de
l’infanterie.
D’autres
catégories de blindés furent ensuite développées à l’orée des
années trente. A ce moment, la cavalerie, désireuse de se
moderniser, avait déjà étudié différents modèles
d’automitrailleuses avant de constater que le terrain où devrait
opérer l’armée impériale ne se prêtait que peu à l’usage de
tels véhicules. Un modèle d’automitrailleuse amphibie et
semi-chenillée fut ensuite mis au point avant que l’arme ne
finisse par opter pour un véhicule intégralement chenillé, et dont
la conception fut confiée à la société Ishikawajima qui acheva la
mise au point d’un prototype en 1932. Adopté en tant que Sokosha
(voiture blindée) Type 92, ce char
léger destiné à l’éclairage pesait 3.9 tonnes, emportait un
équipage de deux hommes et dans sa première version, était armé
d’une mitrailleuse de tourelle Type 91 de 6.5mm et d’une
mitrailleuse lourde Type 92 de 13mm en caisse. A peine protégé par
un blindage de 6mm, ce véhicule pouvait atteindre une vitesse
maximale de 40 km/h et fut produit à 167 exemplaires entre 1933 et
1936. La carrière du Type 92 fut brève puisqu’à partir de 1937,
il commença à être remplacé par le Type 95 Ha-Go au sein des
brigades de cavalerie. L’achat d’une petite dizaine de
chenillettes Carden-Loyd Mark VI et VIB britanniques à des fins
expérimentales à partir de 1928 suscita un intérêt certain auprès
des militaires nippons qui initièrent le développement d’une
chenillette locale destinée à équiper des compagnies indépendantes
attachée directement aux divisions d’infanterie et devant se
montrer capable à la fois de fournir un appui-feu limité et de
transporter du ravitaillement grâce à une remorque. Un prototype
fut achevé par la société Tokyo Gasu Denki Kogyo en 1934, avant
d’être adoptée par l’armée la même année sous le nom de Type
94. Ses caractéristiques étaient assez proches du Type 92 avec un
poids de 3.2 tonnes, deux hommes d’équipage, une vitesse maximale
de 40 km/h mais un blindage plus épais de 12mm et une seule
mitrailleuse Type 91 de 6.5mm en tourelle. Ce modèle de blindée fut
désigné « tracteur spécial » dans un premier temps,
puis « voiture blindée légère » sous l’insistance de
l’Etat-Major. Avec un coût relativement faible de 50'000 Yen par
unité, le Type 94 fut produit à 823 exemplaires entre 1935 et 1940.
Des Type 94 à Nankin en décembre 1937 (via wikicommons) |
Parallèlement,
des exercices combinant infanterie motorisée, tanks et artillerie
étaient menés en Mandchourie. Une des conclusions qui en furent
tirés était l’inadaptation du char moyen Type 89, trop lent pour
progresser durablement au même rythme que les camions. Dès lors, en
juillet 1933, les services techniques de l’armée initièrent,
après avoir recueillis les désidératas de l’infanterie et de la
cavalerie, le développement d’un nouveau modèle de char de 7
tonnes armé d’un canon de 37mm, protégé par 12mm de blindage,
considéré comme suffisant pour défaire des projectiles de 7.7mm et
devant pouvoir atteindre une vitesse de 40 km/h, soit une forme de
compromis entre les Type 89 et 92. La conception d’un prototype fut
confiée à Mitsubishi qui en acheva la mise au point en juin 1934.
Le blindé, après avoir subi des modifications visant à l’alléger,
fut soumis à une batterie de tests avant d’être suivi par un
second prototype qui fut achevé en novembre. Un de ces exemplaires
fut envoyé durant l’hiver 1934-1935 auprès de la brigade mixte
indépendante de Kungchulin – une unité expérimentale récemment
activée et comprenant un bataillon de char, un régiment
d’infanterie et une batterie d’artillerie, tous deux motorisés –
afin d’évaluer ses performances dans le climat glacial de la
Mandchourie. Satisfaite des résultats de l’évaluation, et bien
que l’école d’infanterie ait émis des réserves quant à la
faiblesse de son blindage et de son armement, l’armée adopta le
nouveau char en 1935 en tant que char léger Type 95 Ha-Go (troisième
modèle), Mitsubishi lançant la production en série dès l’année
suivante. Avec 2’375 exemplaires sortis d’usine entre 1936 et
1943, le Type 95 Ha-Go fut le char le plus produit par le Japon.
Le
blindage du Ha-Go était réparti de manière uniforme avec une
épaisseur de 12mm protégeant l’ensemble du véhicule à
l’exception du toit et du ventre où celle-ci se réduisait à 9mm.
L’armement principal était initialement constitué d’un canon de
37mm Type 94 installé dans la tourelle. Cette arme de 36.7 calibres,
conçue pour le soutien à l’infanterie, projetait ses obus à une
vitesse de 583 mètres/seconde et pouvait percer 45mm de blindage à
une distance de 300 mètres. Le tank emportait également deux
mitrailleuses légères Type 91 de 6.5mm, l’une située dans le
glacis à l’avant et l’autre à l’arrière de la tourelle,
l’absence d’une disposition coaxiale entre canon et mitrailleuse
étant une particularité nippone qui nécessitait à leur servant de
changer de position pour passer d’une arme à une autre. Cet
armement fut par la suite amélioré avec la mise en place d’un
canon Type 98 de même calibre mais dont les projectiles étaient
propulsés à une vitesse initiale de 685 mètres/ seconde,
accroissant ainsi significativement leurs capacités de pénétration,
alors que les deux mitrailleuses Type 91 étaient remplacées par des
Type 97 de 7.7mm. L’équipage était composé de trois hommes ;
le pilote et un mitrailleur étaient installés à l’avant, le
premier à droite et le second à gauche, alors que le commandant du
char, qui faisait aussi office de canonnier, occupait la tourelle. Le
Type 95 était dépourvu de radio, l’équipage communicant par tube
acoustique alors que les ordres entre différents chars devaient être
transmis par drapeaux. La longueur du char était de 4.37 mètres, sa
largeur de 2.06 mètres et sa hauteur de 2.13 mètres.
Cette image met en évidence la taille très réduite du Type 95 (via wikicommons) |
La
motorisation du Type 95 était novatrice au moment de son entrée en
service car il fut, avec le 7TP polonais, l’un des premiers chars
produits en série au monde pourvu d’un moteur diesel. Le choix
d’équiper des chars avec ce type de moteur fut pour beaucoup la
résultante de l’intense lobbying mené par le major Tomio Hara,
alors à la tête du département de l’armée en charge du
développement des chars. Arguant de la plus grande sécurité
offerte par le diesel, bien moins prompte à s’enflammer que le
gasoil, celui-ci convainquit l’armée de confier à Mitsubishi la
mise au point d’un moteur diesel pour chars refroidi par air. Cette
dernière caractéristique éliminait la nécessité d’utiliser de
l’eau pour le refroidissement de l’engin, et donc éviter qu’elle
ne gèle sous les températures glaciales caractéristiques des
hivers en Mandchourie. La firme Mitsubishi acheva la mise au point
d’un moteur d’une puissance de 120 chevaux, dénommé A6120VD
après deux ans et demi de recherches, à temps pour équiper les
premiers Type 95. Le rapport poids/puissance du Type 95 était ainsi
de16.2 chevaux/tonne. De plus, le char était pourvu d’une
suspension et de trains de roulement particulièrement efficaces
conçus par Tomio Hara, lui assurant une bonne mobilité
tout-terrain. Les trains de roulement étaient en particulier
dessinés pour conserver un contact permanent entre les bogies et le
sol. Cependant, les exemplaires destinés à équiper l’armée du
Kwantung durent recevoir des modifications spécifiques car l’espace
entre les sillons des champs de Sorgho, fréquents en Mandchourie,
coïncidait avec celui séparant les galets de roulement du tank. Le
Type 95 était capable d’atteindre une vitesse maximale de 45 km/h
sur route et 29 km/h en tout-terrain. Le carburant était contenu
dans un réservoir principal d’une contenance de 104 litres avec
une réserve supplémentaire de 27 litres, offrant au véhicule une
autonomie de 209 kilomètres.
Le
Ha-Go - peu coûteux avec un prix de 98'000 Yens - devint rapidement
omniprésent dans les régiments de chars (Sensha Rentai),
eux-mêmes de plus en plus nombreux, avec l’activation des trois
premiers bataillons de char de l’armée impériale en 1932 puis la
création régulière de nouvelles unités avec pour résultat
l’existence de 15 régiments en 1940. La pratique japonaise
consistait à mélanger compagnies de chars moyens et légers au sein
des régiments de chars, même si certains d’entre eux furent
constitués presque uniquement de chars légers, à l’image du 4e
régiment engagé durant la bataille du Nomonhan, qui alignait quatre
tankettes Type 94, 29 Type 95 et huit Type 89 répartis entre son
quartier général, ses trois compagnies de chars légers et sa
compagnie de chars moyens. La standardisation, plus ou moins
effective, de l’organisation des régiments de chars en 1941 ne
changea rien à l’omniprésence du Type 95 puisque ceux-ci
restaient articulés autour trois compagnies de chars moyens, qui
comprenaient aussi deux chars légers, et une compagnie de chars
légers, soit typiquement un total de 21 Type 95 sur un total de 52
tanks. Dès lors, à partir de son entrée en service, il n’est
guère surprenant que le petit Ha-Go ai été déployé sur
pratiquement tous les théâtres d’opération où l’armée
impériale engagea des chars, soit du début de l’invasion de la
Chine en juillet 1937 jusqu’à la tentative désespérée de
contre-attaque menée par le 11e régiment de chars contre
une tête de pont soviétique sur l’île de Shimushu le 18 août
1945. En outre, le Type 95 fut l’un des principaux blindés
utilisés par les compagnies de tanks appartenant aux forces
spéciales de débarquement de la marine impériale (Kaigun
Tokubetsu Rikusentai), dont le rôle fut parfois important dans
le Pacifique.
Bien
que nominalement dédié à la reconnaissance, la couverture des
flancs et à l’éclairage, le Ha-Go, du fait de son omniprésence
au sein des formations japonaises, se trouva régulièrement engagé
dans des tâches semblables à celles dévolues aux chars moyens. Si
dans le contexte chinois, cet usage ne présentait pas de problèmes
majeurs face à des troupes nationalistes ou communistes généralement
dépourvues de tanks et d’armes anti-char, les limites du Ha-Go
devinrent vite évidentes durant la bataille du Nomonhan ainsi que
dès le début de la guerre du Pacifique, où il se montra inférieur
aux M3 Stuart alignés par les Britanniques en Birmanie et les
Américains aux Philippines. Le 6 Mars 1942, la 1ère
compagnie du 2ème régiment de tanks se fit étriller
près de Pegu par des Stuart du 7th Hussar au cours d’un
échange de tirs en terrain ouvert, l’engagement débutant alors
que les tanks adverses étaient séparés par une distance de 900
mètres. Quatre Type 95 furent totalement détruits durant
l’affrontement, pour un M3 revendiqué par les tankistes japonais.
Le 25 avril 1942, trois autres Ha-Go du 1er régiment de
tanks parvinrent à détruire un Stuart du 2nd
Royal Tank Regiment sans subir de pertes, mais après s’être
soigneusement embusqués et en ouvrant le feu à bout portant. Si, de
manière générale, la présence d’armes anti-char, aussi faibles
soient-elles, ou même de mitrailleuses lourdes, sur le champ de
bataille représentait un danger mortel pour le Type 95, celui-ci
rendit par ailleurs d’immenses services grâce à sa fiabilité
inhérente à sa rusticité et à sa grande mobilité – il était à
ce titre très apprécié des équipages - surprenant régulièrement
l’ennemi en apparaissant dans des endroits considérés comme
infranchissables pour des chars. Malgré ses défauts, sa
contribution aux opérations offensives en Malaisie, en Birmanie et
aux Philippines ne saurait être sous-estimée. En revanche, lorsqu’à
partir de la fin de l’année 1942, la marine et l’armée
impériale se trouvèrent de plus en plus contraintes à une posture
défensive sur le plan terrestre, le rôle du char léger devint
illusoire, car bien trop vulnérable pour être utilisé efficacement
dans les contre-attaques lancées contre les têtes de pont adverses,
du surcroît sans disposer d’un espace suffisant pour manœuvrer, à
l’image de ce qui se produisit sur l’île de Peleliu le 15
septembre lorsque une compagnie de Ha-Go lancée contre les unités
de Marines qui venaient de débarquer fut rapidement anéantie sans
aucun résultats probants (1). Dans le Pacifique et face aux
américains, le rôle des tanks en général et celui du Ha-Go en
particulier se réduisit ensuite largement à celui de casemates
semi-enterrées, à l’image des blindés du 26e régiment
de tanks déployés à Iwo Jima.
Un Type 95 détruit durant la campagne de Malaisie (Australian War Memorial via wikicommons) |
En
guise de conclusion, l’intérêt que présenta la possession en
relativement grandes quantités d’un char comme le Ha-Go pour
l’armée impériale japonaise reste difficile à déterminer, même
si il est certain que sa configuration, notamment avec une tourelle
monoplace imposant un nombre simultané de tâches bien trop grand à
son commandant, devint rapidement obsolète, et renvoie à une
problématique récurrente pour ce type d’engins ; leur faible
empreinte logistique et leur capacité à évoluer sur des terrains
peu praticables représentent des atouts certains, alors que leur
faible puissance de feu et un blindage par essence inférieur à
celui offert par de véritables tanks les rendent vulnérables. En
principe dédiés à la reconnaissance, des véhicules de cette
catégorie se retrouvent régulièrement engagés dans des combats
pour lesquels ils ne sont que peu adaptés, à l’image des Eland,
la version sud-africaine de l’AML-90, engagées à plusieurs
reprises par les South African Defence Forces contre des
T-34/85 et des T-55 à partir de 1975. Ce type de paradoxe intervint
aussi en 1968 au Vietnam où des PT-76, très vulnérables aux armes
anti-char d’infanterie mais suffisamment mobiles pour être
utilisés dans des montagnes recouvertes de jungle, furent utilisés
pour attaquer frontalement le poste fortifié de Lang Vei, tenu par
des bérets verts américains.
Bibliographie
Gordon
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Osprey Publishing, 2008
Steven
J. Zaloga, Japanese Tanks 1939-1945, Osprey Publishing, 2007
Tomio
Hara, Japanese Medium Tanks, AFV Profiles 49, 1972.
Andrzej
Tomczyk, Japonske Bron Pancerna/Japanese Armor, vol. 1, AJ
Press, Gdansk.
Leland
Ness, Rikugun: Guide to Japanese Ground
Forces 1937-1945 Volume 1, Helion
and Company, 2014
Taki
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