samedi 1 novembre 2014

Les derniers feux d’un soleil se couchant sur l’Empire – 2ème partie


La campagne terrestre des Malouines

Fin mai 1982. La tête de pont de la baie de San Carlos maintenant sécurisée et la première position argentine de Goose Green prise, les troupes britanniques font mouvement vers la capitale Port Stanley. Pour la plupart à pieds et lourdement chargés, Les Royal Marines et les parachutistes s’enfoncent dans un paysage de tourbe baigné par l’hiver austral. Les Argentins ont eu tout le temps de préparer des positions défensives bien équipées, et de nombreux officiers brûlent de faire leurs preuves afin se faire remarquer par la junte au pouvoir…

(Cet article fait suite à celui concernant le débarquement britannique aux Malouines)

Par Jérôme Percheron

Direction Port Stanley ! (source : http://www.militariarg.com/task-force.html)



Le dispositif Argentin et l’approche de la 3rd Commando Brigade


Situation au 30 Mai 1982 (source : l’auteur)
Comme le montre la carte, les moyens Argentins sont resserrés autour de Port Stanley sur plusieurs lignes de défense, s’appuyant sur les petits monts et les collines étagées à l’Ouest de la capitale :

-          Une première ligne d’avant-postes, s’appuyant sur le mont Kent (point culminant de l’île à 333 m) et le mont Challenger, est en cours d’évacuation. En effet, ponctionnées au profit des renforts engloutis à Goose Green, ces positions sont trop faibles et les restes du 2ème Régiment d’Infanterie qui les occupaient viennent renforcer les lignes principales.

-          Deux lignes de défenses principales appuyées sur les monts Two Sisters et Harriet pour la première, ainsi que les monts Longdon, et William pour le seconde. Elles sont garnies principalement par les 4ème et 7ème Régiments d’Infanterie, épaulés par une partie du 5ème bataillon d’infanterie de Marine, ainsi que  de quelques unités de forces spéciales.

-          Enfin une dernière ligne de hauteurs, appuyés sur le mont Tumbledown et les collines de Wireless Ridge et Sapper Hill, est solidement tenue par la majeure partie du 5ème bataillon d’infanterie de Marine et garde l’accès direct à Port Stanley.

Les positions s’appuient sur un réseau de fortins et de bunkers à flanc de montagne, construits en tourbe et en pierres, garnies de mitrailleuses de 12.7mm, mortiers de 81 et 120mm et canons sans recul de 106. Les approches sont copieusement minées[1]. Des lanceurs de missiles anti-aériens portables soviétiques SA-7 ont été récemment acquis... Pour parer aux attaques de nuit, réputées être la spécialité des soldats anglais, quelques radars de surveillance du champ de bataille RASIT[2] ont été installés et des systèmes individuels de vision nocturne ont été distribués.

Aux abords mêmes de Port Stanley, est regroupé l’essentiel de l’artillerie des régiments déployés sur les monts : 32 canons de 105mm et 4 de 155mm, ces derniers étant destinés à compenser le déficit de  portée des 105mm argentins par rapport à leurs homologues britanniques. 3 régiments stationnent en réserve autour de la capitale : les 3ème et 6ème Régiments d’Infanterie mécanisée ainsi qu’une unité d’élite : le 25ème Régiment indépendant d’Infanterie mécanisée, qui garde l’aéroport. 12 blindés légers à roues AML Panhard, de fabrication française, armés d’un puissant canon de 90mm, sont destinés à se porter rapidement sur tout « point chaud »…

Un effectif d’environ 9000 hommes, dont 5000 combattants[3] en première ligne, commandés par le général Jofre (subordonné au général Menendez) s’apprête ainsi à recevoir le choc d’environ 3700 hommes de la 3rd Commando Brigade, qui s’approche en tenaille, afin de contourner les lignes adverses par le sud et le nord, tandis qu’un bataillon de Royal Marines est resté garder la baie de San Carlos, face à un éventuel retour offensif des troupes argentines restées sur l’île de Malouine Ouest (environ 1700 hommes[4]). La pince sud de la tenaille est constituée du 2nd bataillon du Parachute Regiment, qui vient de remporter la victoire de Goose Green. La pince nord, forte de 2 bataillons de Royal Marines et du 3e Parachute bataillon, accompagnés des 8 chars légers Scorpion et Scimitar[5], a déjà dépassé le hameau de Teal Ilnet, depuis lequel sont visibles les contreforts du Mont Kent.

Blindé léger Scimitar (au premier plan) survolé par un hélicoptère Sea King près de San Carlos (source : http://www.thinkdefence.co.uk/2014/06/story-fres-eighties/)
La marche d’approche britannique s’opère dans des conditions très difficiles, dans le vent, la pluie et le froid. Le terrain de tourbe est instable, occasionnant de fréquentes foulures. La nuit, les soldats dorment à la belle étoile dans des sacs de couchage mouillés, en essayant tant bien que mal de se mettre à l’abri du vent. Les chaussures réglementaires s’avèrent totalement inadaptées, gardant l’humidité à l’intérieur depuis le débarquement, et provoquant ainsi de nombreux « pieds de tranchée[6] ».

La faiblesse des défenses du mont Kent, dégarni au profit de Goose Green, n’a pas échappé aux SAS. Le géneral Thomson planifie sa prise en priorité, afin d’y installer une batterie d’artillerie menaçant Port Stanley. Après avoir nettoyé les environs de la présence de forces spéciales argentines[7], les premiers éléments du 42e Commando sont héliportés par 3 Sea King sur le mont dans la nuit du 30 au 31 mai, le Chinook survivant de l’Atlantic Conveyor (voir première partie) transportant sous élingues un canon de 105mm à chaque rotation. A l’aube du 31 mai, le sommet, évacué par les Argentins, est occupé par 200 Royal Marines et 3 canons de 105 dont les tirs parviennent à atteindre les abords de la capitale à 18 km de là. La position, faiblement défendue et dépendante des hélicoptères pour son approvisionnement reste à la merci d’une contre-offensive argentine, qui ne viendra pas.

Les différentes hauteurs sur lesquelles s’appuient les lignes de défense argentines, vues depuis la baie de Port Stanley (source : http://www.raf.mod.uk/history/Actions,lossesandmovementsonlandandsea.cfm)

Mission Invincible


Les Argentins disposent d’un dernier missile Exocet dans sa version Air-Mer (AM39). Obsédés par la destruction des porte-avions ennemis, ils décident une nouvelle fois d’essayer de couler l’un d’entre eux. Un raid de 2 Super-Etendards est planifié le 30 Mai. L’un est équipé du missile, l’autre apportant son soutien radar pour la détection de la cible. La F.A.A[8], qui ne veut pas laisser l’Armada (dont dépendent les Super-Etendards) se couvrir seule de gloire, exige que 4 SkyHawks suivent le missile pour parachever le travail à l’aide de bombes classiques... La propagande argentine ayant laissé s’installer l’idée que l’autre porte-aéronefs, l’Hermes, avait été touché le 25 Mai, l’Invincible est de ce fait l’objectif du nouveau raid[9]. Les Super-Etendards parviennent à contourner l’écran de navires anti-aériens qui protège la flotte. L’activité des radars des 2 avions, qui font immédiatement demi-tour après avoir lancé le missile, est toutefois détectée et la flotte se met en ordre de défense, lançant des leurres. Ce sont les 4 SkyHawks qui suivent qui vont en faire les frais : Deux d’entre eux vont être pulvérisés par les missiles Sea Dart du destroyer HMS Exeter. Les deux autres, encadrés par les tirs de la frégate HMS Avenger, larguent en catastrophe leur bombes sur ce qui leur semble être l’Invincible, noyé au milieu d’une importante fumée, et réussissent à se sauver.

Il s’agit là d’un des épisodes les plus controversés du conflit, encore de nos jours. Le témoignage des deux pilotes argentins survivants indiquent qu’ils on suivi la trainée de l’Exocet les amenant sur l’Invincible, qui, émettant beaucoup de fumée, semblait être touché. Ils prétendent avoir largué leurs bombes et touché une nouvelle fois le porte-avions. Aucun autre témoignage ne vient corroborer ces affirmations, mais plusieurs indices semblent les conforter : dans les jours qui suivent, l’activité aérienne britannique va diminuer

sensiblement. De plus L’Invincible ne vas rentrer en Grande-Bretagne que 3 mois après la fin de la guerre, avec des réparations visibles au niveau de l’îlot (peinture neuve)[10]. De leur côté, les Anglais indiquent que le porte-avions n’a jamais été attaqué, car situé à 30 miles du lieu du combat, et que ce sont les destroyers Exeter et la frégate Avenger seuls qui ont affronté les SkyHawks argentins, et s’en sont sortis indemnes. On ne sait pas ce qu’est devenu l’Exocet, peut-être abattu par les tirs de l’Avenger, comme le prétend son capitaine. Toutefois, si l’Invincible avait bien été touché, sachant qu’il possède un équipage de plus de 1000 marins, il paraît hautement improbable qu’aucun d’entre eux n’ai été tenté de parler depuis, ne serait-ce que pour vendre des livres…

L’arrivée de la 5th Brigade et le coup de force du 2e Para


Le 1er juin, la 5th Brigade, partie du Royaume-Uni le 12 mai, débarque à San Carlos. Elle est précédée du général Jeremy Moore, qui prend le commandement de toutes les troupes terrestres sur place et va donc chapeauter les deux brigades. La nouvelle unité est constituée de bataillons de la Garde (1st Welsh Guards, 2nd Scot Guards et les Gurkha Rifles), unités d’élite de l’armée de terre, plus habitués ces dernières années aux parades qu’au rude entraînement des troupes d’intervention extérieure comme les Royal Marines et les parachutistes. Elle est envoyée immédiatement renforcer la pince Sud, et doit rejoindre au plus vite le 2nd Parachute Bataillon progressant en direction de Fitzroy. Les gardes Gallois sont les premiers à partir, empruntant la route de Goose Green utilisée quelques jours plus tôt par leurs collègues parachutistes. Mais leur résistance physique n’est pas la même et, à mi-chemin, épuisés après 12 heures de marche avec leur lourd paquetage, renoncent à poursuivre plus avant. L’axe sud de l’offensive est donc retardé de manière préoccupante…

Les Gurkhas de la 5th Brigade déparquent à San Carlos (source : http://edition.cnn.com/2013/06/14/world/asia/nepal-gurkha-falklands-war/)
Le même jour, un porte-conteneur, l’Atlantic Causeway, apporte enfin les éléments d’un aérodrome de campagne pour remplacer ceux reposant au fond de la mer suite au désastre de l’Atlantic Conveyor le 25 mai (voir 1ère partie). En une semaine, un terrain est aménagé à San Carlos, permettant aux Harrier de s’y poser régulièrement pour refaire le plein de carburant, augmentant leur temps de patrouille par trois[11].

Pendant ce temps, le 2nd Para arrive à Swan Inlet House vide d’Argentins et, utilisant simplement une ligne téléphonique civile laissée en état, apprend par les habitants de Fitzroy que les Argentins on également évacué cette localité. Le général Wilson, commandant la 5th Brigade auquel le bataillon de parachutistes a été rattaché, saisit immédiatement l’occasion : il réquisitionne l’hélicoptère Chinook venu apporter des munitions pour transporter en quelques rotations 2 compagnies de parachutistes et le poste de commandement du bataillon à Fitzroy, lui permettant d’éviter ainsi 5 jours de marche. Le général Moore n’apprécie pas du tout cette initiative prise sans qu’il en ait été averti, car elle expose des troupes très en avant, sans soutien d’artillerie, ni défense anti-aérienne, ni lien direct avec le reste de la brigade autrement que par air. De plus, le retard du gros de la 5th Brigade sur le 2nd Para, qui était déjà préoccupant, devient maintenant impossible à combler par voie terrestre dans des délais raisonnables…

Les Welsh Guards dans la tourmente


Le seul moyen pour permettre à la 5th Brigade de rejoindre rapidement Fitzroy est de la transporter par mer à l’aide des porte-hélicoptères de débarquement (LSD[12]) HMS Fearless et Intrepid. Mais des SAS infiltrés ont repéré l’installation près de Port Stanley d’une batterie terrestre improvisée permettant de tirer des missiles MM38 Exocet (version mer-mer), pris sur un navire de la flotte argentine. Il faudra donc maintenir les deux précieux bâtiments hors de portée de ce danger mortel, et faire le reste du trajet en barge, de nuit. Le transfert des gardes écossais et gallois débute dans la nuit du 5 Juin, des vents de 70 nœuds secouant violemment les barges qui mettent 5 heures à rejoindre la côte. La nuit suivante, l’opération se poursuit, et au matin du 7 Juin il ne reste plus que la moitié des gardes gallois à acheminer. C’est à ce moment que l’état major de Londres, appuyé par le contre-amiral Woodward, ordonne que les précieux LSD ne soient plus risqués à l’Est de San Carlos. Il conseille d’utiliser à la place les navires logistiques Sir Galahad et Sir Tristam, de la Royal Fleet Auxiliary, donc à équipage civil, pourtant plus lents et beaucoup moins bien défendus que les LSD.

L’opération a lieu le 8 Juin. Le Sir Tristam débarque le matériel lourd et les approvisionnements tandis que le Sir Galahad arrive dans la nuit pour débarquer les 470 gardes gallois restants. Mais les opérations prennent du temps et un jour ensoleillé se lève alors que les navires sont encore à l’ancre, avec les soldats à l’intérieur. Ils préfèrent attendre de débarquer directement à Bluff Cove, maintenant investi par les Anglais, afin d’éviter un trajet 25 km à pieds, alors que la prudence serait plutôt d’évacuer les navires au plus vite devant le risque d’une attaque aérienne … Comble de malchance, ce jour là, la couverture aérienne est réduite au minimum : l’aérodrome de campagne a été endommagé par un Harrier au décollage, le rendant indisponible pour la journée, et le porte-avions Hermes s’est éloigné pour effectuer la maintenance de ses chaudières[13].

Les deux navires à l’ancre ont été repérés par les Argentins situés sur le Mont Harriet. Un raid aérien est lancé : des Mirage III attirent les Harrier, permettant aux Dagger et SkyHawks de bombarder les navires. 3 bombes touchent de plein fouet le Sir Galahad. Leur explosion met feu au réservoir de gas-oil et à la cale. Le Sir Tristam est touché à son tour, déclenchant un incendie, qui par chance, n’atteint pas d’organe vital et pourra être maîtrisé. Le navire devra tout de même être remorqué jusqu’en Grande-Bretagne pour être réparé, ses superstructures ayant fondu. Les avions argentins, endommagés par les tirs d’armes légères, rentrent tous à leur base. Une deuxième vague de SkyHawks vient parachever le travail, mais cette fois les Rapier et les Sea Harrier les attendent, et un seul avion argentin va rentrer, non sans avoir coulé la barge qui transportait les équipements de transmission de l’état-major de la brigade…

Evacuation du Sir Galahad, en feu à l’arrière plan (source : http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205064262)

A bord du Sir Galahad en feu, l’horreur est à son comble : les gardes gallois, entassés dans les cabines, ont toutes les peines à rejoindre le pont dans la fournaise et la fumée acre, au milieu des explosions en chaînes qui continuent à secouer le navire… Beaucoup n’y parviendront pas. Une fois l’évacuation terminée, on dénombre 48 morts (dont 7 civils de l’équipage) et plus de 150 blessés, pour la plupart gravement brûlés. Au final, 2 compagnies de gardes gallois sont hors de combat. Les Argentins sont persuadés que l’ensemble du bataillon gallois est anéanti, et pensent donc que l’offensive britannique venant du sud sera reportée, sinon annulée. L’état-major à Londres décide alors de ne pas communiquer pour le moment sur la réalité de pertes, afin de les entretenir dans cette idée. En effet, ce revers, bien que cuisant, n’est pas de nature à retarder l’offensive plus de 2 jours, le temps que 2 compagnies du 40e Commando montant la garde à San Carlos soient héliportées pour venir remplacer les effectifs perdus. Parallèlement, le dernier bataillon de la 5th Brigade (Gurkhas), commence à être acheminé en hélicoptère par petits paquets, et est gardé en réserve pour l’attaque finale.

Pendant ce temps, sur le terrain diplomatique, les états d’Amérique du Sud supportent de moins en moins l’intervention d’une puissance européenne dans leur région : le 29 mai, l’Organisation des Etats Américains, à l’exception du Chili, de la Colombie et de Trinidad et Tobago, condamne l’intervention britannique et somme les Etats-Unis de stopper leur soutien. Le 10 juin, le Pérou cède officiellement 10 Mirage III à l’Argentine. Pour le cabinet de guerre à Londres, le message est clair : il va falloir terminer cette campagne au plus vite.

A l’assaut de la ligne de défense principale


Le général Moore prévoit l’attaque simultanée des deux lignes de défense principales argentines par le Nord et le Sud : Les monts Two Sisters, Longdon (pince Nord) et Harriet (pince Sud) seront attaqués dans la nuit du 11 juin. Une fois les sommets occupés, les deux pinces se rejoindront pour forcer les dernières défenses et déboucher sur la capitale.

Au sommet du mont Longdon, à l’aube du 12 juin (vue d’artiste, source : http://4chanarchive.net//threads/k/Falklands-War/21535189)

Attaquer le Mont Longdon n’est pas une mince affaire : protégé au Sud par les positions du Mont Tumbledown et de vastes champs de mines, il ne peut être tourné par l’Est car le passage est sous le feu des Argentins installés sur Wireless Ridge. L’accès Nord étant abrupt et peu praticable, il ne reste comme solution qu’un assaut frontal par l’Ouest, là ou les défenses sont les plus denses. Pour tenter de réduire les pertes, le 3rd Para prévoit une progression silencieuse de nuit de deux compagnies d’assaut à travers des couloirs déminés, jusqu’à toucher les positions argentines. Puis celles-ci, avec le soutien de 6 canons de 105 et du canon de 114 de la frégate HMS Avenger, se rueront à l’intérieur... Les parachutistes parviennent effectivement près des défenses argentines sans avoir été détectés. Mais l’un d’entre eux saute sur une mine, et l’alerte est donnée. Les Anglais se préparent donc au corps à corps. Les soldats argentins entendent alors avec angoisse le cliquetis de centaines de baïonnettes mises au canon simultanément à quelques mètres d’eux, mais se reprennent vite : un feu nourri de mortiers et de mitrailleuses venant des fortins cloue au sol les Anglais surpris, bloqués en contrebas. Ils se réorganisent et font se déplacer les deux pelotons les moins exposés, qui, profitant de l’attention des Argentins portée sur leurs infortunés collègues, déterminent un nouvel axe d’attaque et atteignent rapidement la partie Nord-Est de la crête. Ils enlèvent un à un les retranchements ennemis à la baïonnette et à la grenade. Les parachutistes bloqués, victimes en plus de tireurs d’élite dotés de systèmes de vision nocturne, peuvent alors reprendre leur progression et, bénéficiant d’un tir d’artillerie très précis, repoussent leurs adversaires. Ces derniers ne veulent toujours pas lâcher le sommet et lancent même une contre-attaque d’infanterie, en vain. Le jour se lève après 10 heures de combat intense et les positions maintenant aux mains des Anglais sont prises sous le feu de l’artillerie ennemie, guidée par des observateurs postés sur le mont Tumbledown. C’est la bataille la plus coûteuse de la guerre pour les britanniques : 23 morts et 65 blessés de leur côté, 31 morts, 50 blessés et 420 prisonniers chez les Argentins[14], dont quasiment autant est parvenu à se replier.

Dans la même nuit, peu après le début de l’attaque du mont Longdon, l’assaut des monts Two Sisters et Harriet est lancé, respectivement par les 45th et 42nd Commando bataillons des Royal Marines, toujours selon la tactique de l’approche de nuit. Les missiles Milan sont utilisés intensivement pour faire taire les fortins[15], en se guidant sur les points de départ des balles traçantes adverses. Les positions du mont Harriet sont prises à revers après une audacieuse approche de contournement effectuée auprès des lignes ennemies. Avec un soutien précis de leur artillerie (y compris navale), les Britanniques enlèvent les dernières positions à la grenade au phosphore et à la baïonnette. A l’aube, ils essuient, comme sur le mont Longdon, le feu de l’artillerie argentine, mais restent maîtres de ces hauteurs. La conquête de ces dernières a coûté  6 morts et 28 blessés aux Anglais, qui font plus de 340 prisonniers.

Le chemin jusqu’au somment du Mont Longdon a été pavé de victimes (source : http://1982militariaforum.forumcommunity.net/?t=47987414)

Le destroyer HMS Glamoran, qui s’était approché pendant la nuit pour soutenir de ses feux l’attaque du mont Two Sisters, est atteint par un Exocet tiré depuis la batterie terrestre improvisée installée près de Port Stanley. Le missile touche le hangar à hélicoptère, et met feu au carburant, soufflant l’hélicoptère et les hommes se trouvant à proximité. L’incendie se propage jusqu’à la cuisine et au local des turbines à gaz mais est finalement maîtrisé avant l’aube. Cette attaque coûte la vie à 13 marins et en blesse 14 autres, mais le navire ne sera finalement indisponible que 36 heures.

Au cours de cette « nuit la plus longue » de la campagne terrestre, les soldats de la 3rd Commando Brigade on montré leur supériorité sur les Argentins : capables de faire preuve d’initiative sous le feu de l’ennemi afin de s’adapter aux aléas de la bataille, sachant gérer avec précision les appuis feux terrestres comme venant des navires, ils n’ont pas hésité à prendre les positions argentines au corps à corps quand il le fallait. Leurs adversaires, capables d’une résistance sérieuse sur des positons bien préparées, se sont avérés désemparés dès qu’ils devaient manœuvrer.

Les hauteurs de la dernière chance


Une dernière ligne de crêtes contrôle l’accès à Port Stanley : les monts Tumbledown, William et la colline de Wireless Ridge, dont les défenseurs ont reçu en renfort les restes des unités battues la nuit précédente. La 5th Brigade, qui fait maintenant pencher les effectifs en faveur des Britanniques, va enfin participer directement aux combats : les Scot Guards doivent prendre le mont Tumbledown par le Sud, occupé par la solide infanterie de marine argentine, et ouvrir la voie aux Gurkhas qui devront exploiter en se saisissant du mont William dans la foulée. Le 2nd Para, celui de la bataille de Goose Green, doit quant à lui conquérir Wireless Ridge par le Nord. La route de la capitale sera ainsi ouverte. L’attaque est prévue pour la nuit du 13 juin. Le général Jofre, n’ignorant pas que la prochaine attaque se déroulera aussi de nuit, compte tenir jusqu’à l’aube pour faire jouer à ce moment sa nombreuse artillerie, plus facile à coordonner de jour, et obliger ainsi les Britanniques à se retirer.

Assaut sur Wireless Ridge. Au premier plan, lanceurs de missiles Milan (vue d’artiste, source : http://www.naval-history.net/FxDBMissiles.htm)
Tous les moyens sont engagés côté britannique pour littéralement écraser ces derniers points de résistance avec un minimum de pertes. Les 24 obusiers de 105 disponibles et l’artillerie de la flotte tirent  sans discontinuer en avant de l’infanterie. Les quelques blindés légers Scorpion et Scimitar appuient les fantassins au plus près, avec leurs canons de respectivement 76 et 30mm ainsi que leur systèmes de vision nocturne, se comportant finalement très bien sur le sol instable des Malouines, bien qu’ils soient pour la plupart immobilisés par des champs de mines. Les missiles Milan, les lance-roquettes et les canons légers sans recul Karl Gustav vont être intensivement employés. Malgré cela les Argentins vont s’accrocher à leurs positions et même tenter des contre-attaques d’infanterie vite enrayées avec de lourdes pertes. Les sommets ne seront finalement complètement conquis qu’à l’aube au corps à corps et à la grenade, au bout de 11 heures de combat, au prix de 10 morts et d’une cinquantaine de blessés côté anglais, et de plus de 50 morts et 200 blessés argentins. L’exploitation vers le mont William n’est plus possible de jour. Mais ce ne sera pas nécessaire, car, en ce matin du 14 juin, des files de soldats argentins démoralisés abandonnent leurs positions et descendent vers Port Stanley…

Reddition - bilan


3 régiments argentins au complet, stationnés aux abords de Port Stanley, n’ont pas encore été engagés, mais ne peuvent manœuvrer dans le flot des soldats refluant vers la capitale. Une partie des officiers argentins ne s’oppose pas à cette déroute, voyant qu’il ne sert plus à rien de sacrifier de nouvelles vies. L’aéroport est maintenant constamment sous le feu de l’artillerie anglaise, et donc plus aucune liaison avec le continent n’est possible.

oldats argentins sous le feu de l’artillerie britannique près de l’aéroport (source : http://www.mirror.co.uk/news/world-news/falkland-war-30-years-on-886626)
Les parachutistes britanniques abordent les premières maisons de Port Stanley, et reçoivent l’ordre de s’arrêter. En effet, se rendant compte de l’état avancé de décomposition du dispositif argentin, le général Moore espère une reddition, plutôt que de s’engager dans de coûteux combats de rue, qui ne manqueraient pas d’occasionner de nouvelles victimes civiles (3 civils ont déjà été tués par un obus britannique). Des pourparlers sont engagés. Le général Menendez a toutes les peines du monde à obtenir l’accord du général Galtieri, le chef de la junte argentine, sur l’acceptation de la reddition, ce dernier ne semblant pas se rendre compte que la situation est sans issue. Pour ne rien arranger, Londres tient absolument à ce que figurent les termes « reddition inconditionnelle » sur l’acte final, humiliation dont se seraient bien passés les Argentins. Le document est finalement signé, loin des appareils photos, à 21h15, Menendez biffant le mot « inconditionnel »[16], avec l’accord tacite du général Moore.
Des dispositions sont rapidement prises pour rapatrier les prisonniers argentins, dont les Anglais ne savent que faire : leur logistique déjà tendue à l’extrême et le peu de ressources des îles ne permettent pas de les prendre en charge. Subissant l’opprobre de l’opinion publique dans leur pays, les Argentins rentreront discrètement, et resteront, méprisés, au ban de la société, alors que la plupart, simples conscrits, n’avait rien demandé. Le général Galteri démissionne dans les jours qui suivent, permettant l’avènement de la démocratie dans ce pays. Toutefois, le sort des vétérans ne sera pas pour autant amélioré. Pendant ce temps, le premier ministre Margaret Thatcher savoure sa victoire… et bientôt sa réélection.
Le bilan des pertes est très lourd pour 2 mois et demi de guerre. 225 morts (dont 3 civils) et 777 blessés chez les britanniques, 655 morts et plus de 1500 blessés côté argentin. A cela doit s’ajouter, on le sait maintenant, les vétérans ne pouvant plus supporter les troubles psychologiques dûs au stress post-traumatique résultant de combats d’une rare férocité, et qui vont se suicider dans les années suivantes : 264 en Angleterre (plus que les pertes au combat) et 454 en Argentine[17]. Quel gâchis de vies humaines pour quelques arpents de terre pelée… surtout que cela n’a rien réglé. Malgré une reprise progressive des relations diplomatiques dans les années 90, l’Argentine continue à revendiquer l’archipel, et les Britanniques y ont installé une base militaire, afin d’interdire toute nouvelle invasion surprise.

Le 2nd Para entre dans Port Stanley (source : http://www.nam.ac.uk/exhibitions/online-exhibitions/falklands-war-1982)

Analyse


Les enseignements concernant la partie aéronavale et amphibie ont déjà été mentionnés dans la première partie, aussi seront exposés ici les autres aspects de ce conflit très spécifique, où deux armées conventionnelles dotés d’équipements très similaires, voire identiques dans certains cas (fusils FAL par exemple), s’affrontent principalement sur une île (Malouine Est) quasi inhabitée et isolée des grand enjeux territoriaux internationaux. Les Britanniques n’avaient jusque-là projeté aucun corps expéditionnaire de cette ampleur depuis Suez en 1956 et les Argentins n’avaient tout simplement aucune référence en la matière, leur armée étant taillée pour les conflits frontaliers ou la contre-insurrection. La détermination des dirigeants des deux belligérants, qui sont restés sourds à toutes les tentatives diplomatiques de médiation ou de règlement à l’amiable, ne pouvait que conduire inéluctablement à la défaite sans appel de l’un d’eux.

En faisant abstraction des quelques armements les plus récents comme les missiles anti-char Milan, les systèmes de vision nocturne et l’utilisation poussée des hélicoptères en manœuvre et en assaut, les affrontements terrestres, qui semblent d’un autre âge, auraient très bien pu avoir lieu pendant la deuxième guerre mondiale, voire la première. L’infanterie est le fer de lance des offensives, et se retrouve massivement au contact, les moyens d’appui et de mobilité étant très limités. Les pertes sont lourdes et, surtout, assumées, ce qui paraît impensable de nos jours. En effet, les difficultés logistiques et l’éloignement du théâtre d’opérations, les conditions climatiques difficiles et le terrain instable restreignent pour les deux camps les moyens déployés, laissant davantage de place au facteur humain par rapport à un  un conflit conventionnel classique. C’est là que les Britanniques font la différence. Ici, point de grandes chevauchées mécanisées, ni de massive bataille aéroterrestre pour laquelle ils se sont préparés au sein de l’OTAN face au Soviétiques, mais des engagements au corps à corps, menés par des guerriers professionnels bien entraînés et parfaitement encadrés par des officiers capables de s’adapter au déroulement de la bataille, et même de repenser complètement leur tactique sous le feu de l’ennemi (cas de mont Longdon). Les Argentins ont fait preuve d’une grande ténacité en défense, mais les conscrits, qui constituaient la majeure partie des effectifs n’étaient pas préparés à affronter des combats d’une telle intensité, et, de même que leur encadrement, n’avaient pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux aléas de la bataille. Une fois sortis de leurs positions préparées, ils se sont montrés incapables de mener des contre-attaques efficaces. Leurs officiers ont préféré les envoyer à une mort certaine, coincés entre la peur de décevoir la dictature et une obéissance aveugle en leur commandement supérieur, sauf, pour une partie d’entre eux, à l’issue de la chute de la dernière ligne de crêtes, voyant qu’il n’y avait plus aucune issue.

Les 12 blindés légers Panhard n’ont même pas été utilisés, le terrain spongieux n’étant pas du tout adapté à l’utilisation de blindés à roues, au contraire des blindés anglais, dont la répartition du poids est bien plus uniforme grâce aux chenilles. D’un autre côté, ils n’auraient sans doute pas pu tenir longtemps face aux missiles anti-char Milan... Les Britanniques ont montré que leur réputation sur le combat de nuit, héritée de la seconde guerre mondiale, n’était pas surfaite. Ils sont même parvenus à coordonner les feux de leur artillerie terrestre, très mobile grâce aux hélicoptères, et navale sur des objectifs situés quasiment au contact de leur infanterie, et ce en pleine nuit. Ceci s’est avéré totalement hors de portée des Argentins : ils attendaient l’aube pour faire donner leurs canons. Finalement, pour ces derniers, une doctrine et une organisation inadaptées, au service d’un commandement supérieur aveugle aux réalités du terrain, ont entraîné un gaspillage inutile de vies humaines.

Blindés à roues Panhard AML-90 abandonnés par les Argentins à Port Stanley (source : http://www.nam.ac.uk/exhibitions/online-exhibitions/falklands-war-1982)
Ce conflit a prouvé qu’une puissance moyenne, ayant des intérêts éparpillés dans le monde, peut être amenée à déployer une force d’intervention aéronavale et aéromobile conséquente (équivalente ici à 2 brigades renforcées) très loin de ses bases, et ce dans un délai très court. Cet enseignement n’est donc pas étranger à la constitution de forces de déploiement rapide dans les années suivantes, comme par exemple la Force d’Action Rapide (FAR) française 1983. D’une manière générale, durant ces années, tous les pays occidentaux vont regrouper des forces aéromobiles projetables et en cours de professionnalisation dans ce qu’on peut appeler des « fer de lance ». Ceci prouvera son utilité lors de la guerre du Golfe de 1991. Une constante toutefois demeure, réaffirmée lors de ce conflit et par la suite : l’infanterie, seule à même d’occuper le terrain et d’aller au contact, est bien toujours la « reine des batailles ».


Bibliographie


Martin Middlebrook, The fight for the Malvinas, London, Viking, 1989
Julian Thompson, 3rd Commando Brigade in the Falklands, No Picnic, Pen & Sword Military, Barnsley, 2008

(contient une description et des cartes détaillées des batailles des monts Longdon, Two Sisters, Harriet, Tumbledown et Wireless Ridge)
Douglas N. Hime, The 1982 Falklands-Malvinas Case Study, The United States Naval war College, Newport, Rhode Island
Gordon Smith, Battle atlas of the Falklands war, Ian Allan, 1989, rev. 2006 by Naval-History.Net.

Colonel Richard D.Hooker Jr., the Wrath of Achilles, Essays on command in the battle, Combat studies institute press, US Army combined arms center, Fort Leavenworth, Kansas.
William Flower, Battle for the Falklands: Land Forces, Men-At-Arms Series 133, London, Osprey, 1983, 2005
Nicholas VAN DER BIJL, Argentine forces in the Falklands, London, Osprey, 1992
Henri Masse, Une guerre pour les Malouines, thèse de doctorat en histoire, Université de Metz

(accessible en pdf à cette adresse : ftp://ftp.scd.univ-metz.fr/pub/Theses/1997/Masse.Henri.LMZ9710.pdf)



[1] On en retrouve régulièrement encore de nos jours
[2] Radar RASIT : développé en France par Thomson-CSF, il permet de détecter et différencier personnels, véhicules et hélicoptères avec une portée de 20km. Finalement, les Argentins ne s’en serviront pas de peur d’être détectés et ciblés par un tir de contre-batterie…
[3] Martin Middlebrook, The fight for the Malvinas, London, Viking, 1989, p.216
[4] Selon http://www.naval-history.net/F26-Falklands-%201982_Argentine_Defences.htm
[5] Scorpions et Scimitar : blindés légers chenillés de reconnaissance, partageant le même châssis et le même train roulant, principalement différenciés par leur armement : un canon de 76 mm pour le premier, un de 30 mm à tir rapide pour le second (90 coups / minute)
[6] Pied de tranchée : infection ulcéro-nécrotique des pieds, résultant de leur exposition prolongée à l’humidité, à l’insalubrité et au froid. Les cas les plus graves peuvent nécessiter une amputation.
[7] Pour plus de détails, voir à ce sujet l’engagement de Top Malo House dans  Henri Masse, Une guerre pour les Malouines, p. 386 (lien vers le pdf dans la biblographie)
[8] Fuerza Aérea Argentina : Force Aérienne Argentine
[9] D'après Rodney A. Burden et al., Falklands, the air war, British association research group, London, 1986, p.36
[10] Middlebrook, The fight for the Malvinas, London, Viking, 1989, p.273-279
[11] 3. Ethel et Price, Air War South Atlantic, London, Sidgwick and Jackson, 1983, p. 185.
[12] Landing Ship Dock
[13] Southby Tailyour,Reasons in Writing, London, Leo Cooper, 1993, p. 300
[14] Douglas N. Hime, The 1982 Falklands-Malvinas Case Study, The United States Naval war College, Newport, Rhode Island, p. 45.
[15] Gordon Smith, Battles of the Falklands, Shepperton,Ian Allan, 1989, p.103
[16] Henri Masse, Une guerre pour les Malouines, Thèse de doctorat en histoire, Université de Metz, p. 427
[17] Chiffres de 2002 : Raphaël Schneider, La guerre des Malouines, in : Champs de Bataille n°33, Avril-Mai 2010, p. 39

1 commentaire:

  1. Guerre oublié, au bout du monde mais très intéressante à étudier pour sa stratégie, sa tactique et son impressionnante logistique militaire.

    A noter, sur la dernière photo, le positionnement des chars AML90 sur la droite de la chaussée, les argentins avaient rétablis la circulation à droite au lieu de la gauche anglaise !

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