La campagne terrestre des Malouines
Fin
mai 1982. La tête de pont de la baie de San Carlos maintenant sécurisée et la
première position argentine de Goose Green prise, les troupes britanniques font
mouvement vers la capitale Port Stanley. Pour la plupart à pieds et lourdement
chargés, Les Royal Marines et les parachutistes s’enfoncent dans un paysage de
tourbe baigné par l’hiver austral. Les Argentins ont eu tout le temps de
préparer des positions défensives bien équipées, et de nombreux officiers
brûlent de faire leurs preuves afin se faire remarquer par la junte au pouvoir…
(Cet
article fait suite à celui concernant le débarquement britannique aux
Malouines)
Par
Jérôme Percheron
Direction
Port Stanley ! (source :
http://www.militariarg.com/task-force.html)
|
Le dispositif Argentin et l’approche de la 3rd Commando Brigade
Situation
au 30 Mai 1982 (source :
l’auteur)
|
Comme le montre la carte,
les moyens Argentins sont resserrés autour de Port Stanley sur plusieurs lignes
de défense, s’appuyant sur les petits monts et les collines étagées à l’Ouest
de la capitale :
-
Une première ligne d’avant-postes,
s’appuyant sur le mont Kent (point culminant de l’île à 333 m) et le mont
Challenger, est en cours d’évacuation. En effet, ponctionnées au profit des
renforts engloutis à Goose Green, ces positions sont trop faibles et les restes
du 2ème Régiment d’Infanterie
qui les occupaient viennent renforcer
les lignes principales.
-
Deux lignes de défenses
principales appuyées sur les monts Two Sisters et Harriet pour la première,
ainsi que les monts Longdon, et William pour le seconde. Elles sont garnies
principalement par les 4ème et
7ème Régiments d’Infanterie, épaulés par une partie du 5ème bataillon d’infanterie de
Marine, ainsi que de quelques unités
de forces spéciales.
-
Enfin une dernière ligne de hauteurs,
appuyés sur le mont Tumbledown et les collines de Wireless Ridge et Sapper Hill,
est solidement tenue par la majeure partie du 5ème bataillon d’infanterie de Marine et garde l’accès
direct à Port Stanley.
Les positions s’appuient sur
un réseau de fortins et de bunkers à flanc de montagne, construits en tourbe et
en pierres, garnies de mitrailleuses de 12.7mm, mortiers de 81 et 120mm et
canons sans recul de 106. Les approches sont copieusement minées[1]. Des lanceurs de missiles
anti-aériens portables soviétiques SA-7
ont été récemment acquis... Pour parer aux attaques de nuit, réputées être la
spécialité des soldats anglais, quelques radars de surveillance du champ de
bataille RASIT[2]
ont été installés et des systèmes individuels de vision nocturne ont été
distribués.
Aux abords mêmes de Port
Stanley, est regroupé l’essentiel de l’artillerie des régiments déployés sur
les monts : 32 canons de 105mm et 4 de 155mm, ces derniers étant destinés
à compenser le déficit de portée des 105mm
argentins par rapport à leurs homologues britanniques. 3 régiments stationnent
en réserve autour de la capitale : les 3ème
et 6ème Régiments d’Infanterie mécanisée ainsi qu’une unité
d’élite : le 25ème Régiment
indépendant d’Infanterie mécanisée, qui garde l’aéroport. 12 blindés légers
à roues AML Panhard, de fabrication
française, armés d’un puissant canon de 90mm, sont destinés à se porter rapidement
sur tout « point chaud »…
Un effectif d’environ 9000
hommes, dont 5000 combattants[3] en première ligne, commandés
par le général Jofre (subordonné au général Menendez) s’apprête ainsi à
recevoir le choc d’environ 3700 hommes de la 3rd Commando Brigade, qui s’approche en tenaille, afin de
contourner les lignes adverses par le sud et le nord, tandis qu’un bataillon de
Royal Marines est resté garder la
baie de San Carlos, face à un éventuel retour offensif des troupes argentines
restées sur l’île de Malouine Ouest (environ 1700 hommes[4]). La pince sud de la
tenaille est constituée du 2nd
bataillon du Parachute Regiment,
qui vient de remporter la victoire de Goose Green. La pince nord, forte de 2
bataillons de Royal Marines et du 3e Parachute bataillon, accompagnés
des 8 chars légers Scorpion et Scimitar[5],
a déjà dépassé le hameau de Teal Ilnet, depuis lequel sont visibles les
contreforts du Mont Kent.
Blindé
léger Scimitar
(au premier plan) survolé par un hélicoptère Sea
King
près de San Carlos (source :
http://www.thinkdefence.co.uk/2014/06/story-fres-eighties/)
|
La marche d’approche
britannique s’opère dans des conditions très difficiles, dans le vent, la pluie
et le froid. Le terrain de tourbe est instable, occasionnant de fréquentes
foulures. La nuit, les soldats dorment à la belle étoile dans des sacs de
couchage mouillés, en essayant tant bien que mal de se mettre à l’abri du vent.
Les chaussures réglementaires s’avèrent totalement inadaptées, gardant l’humidité
à l’intérieur depuis le débarquement, et provoquant ainsi de nombreux
« pieds de tranchée[6] ».
La faiblesse des défenses du
mont Kent, dégarni au profit de Goose Green, n’a pas échappé aux SAS. Le géneral Thomson planifie sa
prise en priorité, afin d’y installer une batterie d’artillerie menaçant Port
Stanley. Après avoir nettoyé les environs de la présence de forces spéciales
argentines[7], les premiers éléments du 42e Commando sont héliportés
par 3 Sea King sur le mont dans la
nuit du 30 au 31 mai, le Chinook
survivant de l’Atlantic Conveyor (voir première partie) transportant sous
élingues un canon de 105mm à chaque rotation. A l’aube du 31 mai, le sommet,
évacué par les Argentins, est occupé par 200 Royal Marines et 3 canons de 105 dont les tirs parviennent à
atteindre les abords de la capitale à 18 km de là. La position, faiblement
défendue et dépendante des hélicoptères pour son approvisionnement reste à la
merci d’une contre-offensive argentine, qui ne viendra pas.
Mission Invincible
Les Argentins disposent d’un
dernier missile Exocet dans sa
version Air-Mer (AM39). Obsédés par la destruction des porte-avions ennemis, ils
décident une nouvelle fois d’essayer de couler l’un d’entre eux. Un raid de 2 Super-Etendards est planifié le 30 Mai. L’un
est équipé du missile, l’autre apportant son soutien radar pour la détection de
la cible. La F.A.A[8],
qui ne veut pas laisser l’Armada (dont dépendent les Super-Etendards) se couvrir seule de gloire, exige que 4 SkyHawks suivent le missile pour
parachever le travail à l’aide de bombes classiques... La propagande argentine
ayant laissé s’installer l’idée que l’autre porte-aéronefs, l’Hermes, avait été touché le 25 Mai, l’Invincible est de ce fait l’objectif du
nouveau raid[9].
Les Super-Etendards parviennent à
contourner l’écran de navires anti-aériens qui protège la flotte. L’activité
des radars des 2 avions, qui font immédiatement demi-tour après avoir lancé le
missile, est toutefois détectée et la flotte se met en ordre de défense,
lançant des leurres. Ce sont les 4 SkyHawks
qui suivent qui vont en faire les frais : Deux d’entre eux vont être
pulvérisés par les missiles Sea Dart
du destroyer HMS Exeter. Les deux
autres, encadrés par les tirs de la frégate HMS
Avenger, larguent en catastrophe leur bombes sur ce qui leur semble être l’Invincible, noyé au milieu d’une
importante fumée, et réussissent à se sauver.
Il s’agit là d’un des épisodes les plus controversés du
conflit, encore de nos jours. Le témoignage des deux pilotes argentins
survivants indiquent qu’ils on suivi la trainée de l’Exocet les amenant sur l’Invincible,
qui, émettant beaucoup de fumée, semblait être touché. Ils prétendent avoir
largué leurs bombes et touché une nouvelle fois le porte-avions. Aucun autre
témoignage ne vient corroborer ces affirmations, mais plusieurs indices
semblent les conforter : dans les jours qui suivent, l’activité aérienne
britannique va diminuer
sensiblement. De plus L’Invincible ne vas rentrer en
Grande-Bretagne que 3 mois après la fin de la guerre, avec des réparations
visibles au niveau de l’îlot (peinture neuve)[10]. De leur côté, les
Anglais indiquent que le porte-avions n’a jamais été attaqué, car situé à 30
miles du lieu du combat, et que ce sont les destroyers Exeter et la frégate Avenger
seuls qui ont affronté les SkyHawks
argentins, et s’en sont sortis indemnes. On ne sait pas ce qu’est devenu
l’Exocet, peut-être abattu par les tirs de l’Avenger, comme le prétend son capitaine. Toutefois, si l’Invincible avait bien été touché,
sachant qu’il possède un équipage de plus de 1000 marins, il paraît hautement
improbable qu’aucun d’entre eux n’ai été tenté de parler depuis, ne serait-ce
que pour vendre des livres…
L’arrivée de la 5th
Brigade et le coup de force du 2e
Para
Le 1er juin, la 5th Brigade, partie du
Royaume-Uni le 12 mai, débarque à San Carlos. Elle est précédée du général Jeremy
Moore, qui prend le commandement de toutes les troupes terrestres sur place et
va donc chapeauter les deux brigades. La nouvelle unité est constituée de
bataillons de la Garde (1st
Welsh Guards, 2nd Scot
Guards et les Gurkha Rifles),
unités d’élite de l’armée de terre, plus habitués ces dernières années aux
parades qu’au rude entraînement des troupes d’intervention extérieure comme les
Royal Marines et les parachutistes.
Elle est envoyée immédiatement renforcer la pince Sud, et doit rejoindre au
plus vite le 2nd Parachute
Bataillon progressant en direction de Fitzroy. Les gardes Gallois sont les
premiers à partir, empruntant la route de Goose Green utilisée quelques jours
plus tôt par leurs collègues parachutistes. Mais leur résistance physique n’est
pas la même et, à mi-chemin, épuisés après 12 heures de marche avec leur lourd
paquetage, renoncent à poursuivre plus avant. L’axe sud de l’offensive est donc
retardé de manière préoccupante…
Les
Gurkhas de la 5th
Brigade
déparquent à San Carlos (source :
http://edition.cnn.com/2013/06/14/world/asia/nepal-gurkha-falklands-war/)
|
Le même jour, un
porte-conteneur, l’Atlantic Causeway,
apporte enfin les éléments d’un aérodrome de campagne pour remplacer ceux
reposant au fond de la mer suite au désastre de l’Atlantic Conveyor le 25 mai (voir 1ère partie). En une
semaine, un terrain est aménagé à San Carlos, permettant aux Harrier de s’y poser régulièrement pour
refaire le plein de carburant, augmentant leur temps de patrouille par trois[11].
Pendant ce temps, le 2nd Para arrive à Swan Inlet
House vide d’Argentins et, utilisant simplement une ligne téléphonique civile
laissée en état, apprend par les habitants de Fitzroy que les Argentins on
également évacué cette localité. Le général Wilson, commandant la 5th Brigade auquel le
bataillon de parachutistes a été rattaché, saisit immédiatement
l’occasion : il réquisitionne l’hélicoptère Chinook venu apporter des
munitions pour transporter en quelques rotations 2 compagnies de parachutistes et
le poste de commandement du bataillon à Fitzroy, lui permettant d’éviter ainsi
5 jours de marche. Le général Moore n’apprécie pas du tout cette initiative
prise sans qu’il en ait été averti, car elle expose des troupes très en avant,
sans soutien d’artillerie, ni défense anti-aérienne, ni lien direct avec le
reste de la brigade autrement que par air. De plus, le retard du gros de la 5th Brigade sur le 2nd Para, qui était déjà
préoccupant, devient maintenant impossible à combler par voie terrestre dans
des délais raisonnables…
Les Welsh Guards
dans la tourmente
Le seul moyen pour permettre
à la 5th Brigade de
rejoindre rapidement Fitzroy est de la transporter par mer à l’aide des
porte-hélicoptères de débarquement (LSD[12]) HMS Fearless et Intrepid. Mais
des SAS infiltrés ont repéré
l’installation près de Port Stanley d’une batterie terrestre improvisée permettant
de tirer des missiles MM38 Exocet (version
mer-mer), pris sur un navire de la flotte argentine. Il faudra donc maintenir
les deux précieux bâtiments hors de portée de ce danger mortel, et faire le
reste du trajet en barge, de nuit. Le transfert des gardes écossais et gallois
débute dans la nuit du 5 Juin, des vents de 70 nœuds secouant violemment les
barges qui mettent 5 heures à rejoindre la côte. La nuit suivante, l’opération
se poursuit, et au matin du 7 Juin il ne reste plus que la moitié des gardes
gallois à acheminer. C’est à ce moment que l’état major de Londres, appuyé par le
contre-amiral Woodward, ordonne que les précieux LSD ne soient plus risqués à
l’Est de San Carlos. Il conseille d’utiliser à la place les navires logistiques
Sir Galahad et Sir Tristam, de la Royal Fleet Auxiliary, donc à équipage civil,
pourtant plus lents et beaucoup moins bien défendus que les LSD.
L’opération a lieu le 8
Juin. Le Sir Tristam débarque le
matériel lourd et les approvisionnements tandis que le Sir Galahad arrive dans la nuit pour débarquer les 470 gardes gallois
restants. Mais les opérations prennent du temps et un jour ensoleillé se lève
alors que les navires sont encore à l’ancre, avec les soldats à l’intérieur.
Ils préfèrent attendre de débarquer directement à Bluff Cove, maintenant
investi par les Anglais, afin d’éviter un trajet 25 km à pieds, alors que la
prudence serait plutôt d’évacuer les navires au plus vite devant le risque
d’une attaque aérienne … Comble de malchance, ce jour là, la couverture
aérienne est réduite au minimum : l’aérodrome de campagne a été endommagé
par un Harrier au décollage, le
rendant indisponible pour la journée, et le porte-avions Hermes s’est éloigné pour effectuer la maintenance de ses
chaudières[13].
Les deux navires à l’ancre ont
été repérés par les Argentins situés sur le Mont Harriet. Un raid aérien est
lancé : des Mirage III attirent
les Harrier, permettant aux Dagger et SkyHawks de bombarder les navires. 3 bombes touchent de plein fouet
le Sir Galahad. Leur explosion met
feu au réservoir de gas-oil et à la cale. Le Sir Tristam est touché à son tour, déclenchant un incendie, qui par
chance, n’atteint pas d’organe vital et pourra être maîtrisé. Le navire devra
tout de même être remorqué jusqu’en Grande-Bretagne pour être réparé, ses
superstructures ayant fondu. Les avions argentins, endommagés par les tirs
d’armes légères, rentrent tous à leur base. Une deuxième vague de SkyHawks vient parachever le travail,
mais cette fois les Rapier et les Sea Harrier les attendent, et un seul avion
argentin va rentrer, non sans avoir coulé la barge qui transportait les
équipements de transmission de l’état-major de la brigade…
Evacuation
du Sir
Galahad,
en feu à l’arrière plan (source :
http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205064262)
|
A bord du Sir Galahad en feu, l’horreur est à son
comble : les gardes gallois, entassés dans les cabines, ont toutes les
peines à rejoindre le pont dans la fournaise et la fumée acre, au milieu des
explosions en chaînes qui continuent à secouer le navire… Beaucoup n’y
parviendront pas. Une fois l’évacuation terminée, on dénombre 48 morts (dont 7
civils de l’équipage) et plus de 150 blessés, pour la plupart gravement brûlés.
Au final, 2 compagnies de gardes gallois sont hors de combat. Les Argentins
sont persuadés que l’ensemble du bataillon gallois est anéanti, et pensent donc
que l’offensive britannique venant du sud sera reportée, sinon annulée. L’état-major
à Londres décide alors de ne pas communiquer pour le moment sur la réalité de
pertes, afin de les entretenir dans cette idée. En effet, ce revers, bien que
cuisant, n’est pas de nature à retarder l’offensive plus de 2 jours, le temps
que 2 compagnies du 40e
Commando montant la garde à San Carlos soient héliportées pour venir
remplacer les effectifs perdus. Parallèlement, le dernier bataillon de la 5th Brigade (Gurkhas), commence à être acheminé en hélicoptère par petits
paquets, et est gardé en réserve pour l’attaque finale.
Pendant ce temps, sur le
terrain diplomatique, les états d’Amérique du Sud supportent de moins en moins
l’intervention d’une puissance européenne dans leur région : le 29 mai,
l’Organisation des Etats Américains, à l’exception du Chili, de la Colombie et
de Trinidad et Tobago, condamne l’intervention britannique et somme les
Etats-Unis de stopper leur soutien. Le 10 juin, le Pérou cède officiellement 10
Mirage III à l’Argentine. Pour le
cabinet de guerre à Londres, le message est clair : il va falloir terminer
cette campagne au plus vite.
A l’assaut de la ligne de défense principale
Le général Moore prévoit
l’attaque simultanée des deux lignes de défense principales argentines par le Nord
et le Sud : Les monts Two Sisters, Longdon (pince Nord) et Harriet (pince
Sud) seront attaqués dans la nuit du 11 juin. Une fois les sommets occupés, les
deux pinces se rejoindront pour forcer les dernières défenses et déboucher sur
la capitale.
Au
sommet du mont Longdon, à l’aube du 12 juin (vue d’artiste,
source :
http://4chanarchive.net//threads/k/Falklands-War/21535189)
|
Attaquer le Mont Longdon
n’est pas une mince affaire : protégé au Sud par les positions du Mont
Tumbledown et de vastes champs de mines, il ne peut être tourné par l’Est car
le passage est sous le feu des Argentins installés sur Wireless Ridge. L’accès
Nord étant abrupt et peu praticable, il ne reste comme solution qu’un assaut
frontal par l’Ouest, là ou les défenses sont les plus denses. Pour tenter de
réduire les pertes, le 3rd
Para prévoit une progression silencieuse de nuit de deux compagnies
d’assaut à travers des couloirs déminés, jusqu’à toucher les positions
argentines. Puis celles-ci, avec le soutien de 6 canons de 105 et du canon de
114 de la frégate HMS Avenger, se
rueront à l’intérieur... Les parachutistes parviennent effectivement près des
défenses argentines sans avoir été détectés. Mais l’un d’entre eux saute sur
une mine, et l’alerte est donnée. Les Anglais se préparent donc au corps à
corps. Les soldats argentins entendent alors avec angoisse le cliquetis de
centaines de baïonnettes mises au canon simultanément à quelques mètres d’eux,
mais se reprennent vite : un feu nourri de mortiers et de mitrailleuses
venant des fortins cloue au sol les Anglais surpris, bloqués en contrebas. Ils se
réorganisent et font se déplacer les deux pelotons les moins exposés, qui, profitant
de l’attention des Argentins portée sur leurs infortunés collègues, déterminent
un nouvel axe d’attaque et atteignent rapidement la partie Nord-Est de la crête.
Ils enlèvent un à un les retranchements ennemis à la baïonnette et à la
grenade. Les parachutistes bloqués, victimes en plus de tireurs d’élite dotés
de systèmes de vision nocturne, peuvent alors reprendre leur progression et,
bénéficiant d’un tir d’artillerie très précis, repoussent leurs adversaires.
Ces derniers ne veulent toujours pas lâcher le sommet et lancent même une
contre-attaque d’infanterie, en vain. Le jour se lève après 10 heures de combat
intense et les positions maintenant aux mains des Anglais sont prises sous le
feu de l’artillerie ennemie, guidée par des observateurs postés sur le mont
Tumbledown. C’est la bataille la plus coûteuse de la guerre pour les britanniques
: 23 morts et 65 blessés de leur côté, 31 morts, 50 blessés et 420 prisonniers
chez les Argentins[14], dont quasiment autant
est parvenu à se replier.
Dans la même nuit, peu après
le début de l’attaque du mont Longdon, l’assaut des monts Two Sisters et Harriet
est lancé, respectivement par les 45th
et 42nd Commando bataillons
des Royal Marines, toujours selon la
tactique de l’approche de nuit. Les missiles Milan sont utilisés intensivement pour faire taire les fortins[15], en se guidant sur les
points de départ des balles traçantes adverses. Les positions du mont Harriet sont
prises à revers après une audacieuse approche de contournement effectuée auprès
des lignes ennemies. Avec un soutien précis de leur artillerie (y compris
navale), les Britanniques enlèvent les dernières positions à la grenade au
phosphore et à la baïonnette. A l’aube, ils essuient, comme sur le mont
Longdon, le feu de l’artillerie argentine, mais restent maîtres de ces
hauteurs. La conquête de ces dernières a coûté
6 morts et 28 blessés aux Anglais, qui font plus de 340 prisonniers.
Le
chemin jusqu’au somment du Mont Longdon a été pavé de victimes
(source :
http://1982militariaforum.forumcommunity.net/?t=47987414)
|
Le destroyer HMS Glamoran, qui s’était approché
pendant la nuit pour soutenir de ses feux l’attaque du mont Two Sisters, est atteint
par un Exocet tiré depuis la batterie
terrestre improvisée installée près de Port Stanley. Le missile touche le
hangar à hélicoptère, et met feu au carburant, soufflant l’hélicoptère et les
hommes se trouvant à proximité. L’incendie se propage jusqu’à la cuisine et au
local des turbines à gaz mais est finalement maîtrisé avant l’aube. Cette
attaque coûte la vie à 13 marins et en blesse 14 autres, mais le navire ne sera
finalement indisponible que 36 heures.
Au cours de cette
« nuit la plus longue » de la campagne terrestre, les soldats de la 3rd Commando Brigade on
montré leur supériorité sur les Argentins : capables de faire preuve
d’initiative sous le feu de l’ennemi afin de s’adapter aux aléas de la
bataille, sachant gérer avec précision les appuis feux terrestres comme venant
des navires, ils n’ont pas hésité à prendre les positions argentines au corps à
corps quand il le fallait. Leurs adversaires, capables d’une résistance
sérieuse sur des positons bien préparées, se sont avérés désemparés dès qu’ils
devaient manœuvrer.
Les hauteurs de la dernière chance
Une dernière ligne de crêtes
contrôle l’accès à Port Stanley : les monts Tumbledown, William et la
colline de Wireless Ridge, dont les défenseurs ont reçu en renfort les restes
des unités battues la nuit précédente. La 5th
Brigade, qui fait maintenant pencher les effectifs en faveur des Britanniques, va enfin participer directement aux
combats : les Scot Guards
doivent prendre le mont Tumbledown par le Sud, occupé par la solide infanterie
de marine argentine, et ouvrir la voie aux Gurkhas
qui devront exploiter en se saisissant du mont William dans la foulée. Le 2nd Para, celui de la
bataille de Goose Green, doit quant à lui conquérir Wireless Ridge par le Nord.
La route de la capitale sera ainsi ouverte. L’attaque est prévue pour la nuit du
13 juin. Le général Jofre, n’ignorant pas que la prochaine attaque se déroulera
aussi de nuit, compte tenir jusqu’à l’aube pour faire jouer à ce moment sa
nombreuse artillerie, plus facile à coordonner de jour, et obliger ainsi les
Britanniques à se retirer.
Assaut
sur Wireless Ridge. Au premier plan, lanceurs de missiles Milan
(vue d’artiste, source :
http://www.naval-history.net/FxDBMissiles.htm)
|
Tous les moyens sont
engagés côté britannique pour littéralement écraser ces derniers points de
résistance avec un minimum de pertes. Les 24 obusiers de 105 disponibles et l’artillerie
de la flotte tirent sans discontinuer en
avant de l’infanterie. Les quelques blindés légers Scorpion et Scimitar appuient
les fantassins au plus près, avec leurs canons de respectivement 76 et 30mm
ainsi que leur systèmes de vision nocturne, se comportant finalement très bien
sur le sol instable des Malouines, bien qu’ils soient pour la plupart
immobilisés par des champs de mines. Les missiles Milan, les lance-roquettes et les canons légers sans recul Karl Gustav vont être intensivement
employés. Malgré cela les Argentins vont s’accrocher à leurs positions et même
tenter des contre-attaques d’infanterie vite enrayées avec de lourdes pertes. Les
sommets ne seront finalement complètement conquis qu’à l’aube au corps à corps
et à la grenade, au bout de 11 heures de combat, au prix de 10 morts et d’une
cinquantaine de blessés côté anglais, et de plus de 50 morts et 200 blessés
argentins. L’exploitation vers le mont William n’est plus possible de jour.
Mais ce ne sera pas nécessaire, car, en ce matin du 14 juin, des files de
soldats argentins démoralisés abandonnent leurs positions et descendent vers
Port Stanley…
Reddition - bilan
3 régiments argentins au
complet, stationnés aux abords de Port Stanley, n’ont pas encore été engagés,
mais ne peuvent manœuvrer dans le flot des soldats refluant vers la capitale.
Une partie des officiers argentins ne s’oppose pas à cette déroute, voyant
qu’il ne sert plus à rien de sacrifier de nouvelles vies. L’aéroport est
maintenant constamment sous le feu de l’artillerie anglaise, et donc plus
aucune liaison avec le continent n’est possible.
oldats
argentins sous le feu de l’artillerie britannique près de
l’aéroport (source :
http://www.mirror.co.uk/news/world-news/falkland-war-30-years-on-886626)
|
Les parachutistes
britanniques abordent les premières maisons de Port Stanley, et reçoivent l’ordre
de s’arrêter. En effet, se rendant compte de l’état avancé de décomposition du
dispositif argentin, le général Moore espère une reddition, plutôt que de
s’engager dans de coûteux combats de rue, qui ne manqueraient pas d’occasionner
de nouvelles victimes civiles (3 civils ont déjà été tués par un obus
britannique). Des pourparlers sont engagés. Le général Menendez a toutes les
peines du monde à obtenir l’accord du général Galtieri, le chef de la junte
argentine, sur l’acceptation de la reddition, ce dernier ne semblant pas se
rendre compte que la situation est sans issue. Pour ne rien arranger, Londres
tient absolument à ce que figurent les termes « reddition
inconditionnelle » sur l’acte final, humiliation dont se seraient bien
passés les Argentins. Le document est finalement signé, loin des appareils
photos, à 21h15, Menendez biffant le mot « inconditionnel »[16], avec l’accord tacite du
général Moore.
Des dispositions sont
rapidement prises pour rapatrier les prisonniers argentins, dont les Anglais ne
savent que faire : leur logistique déjà tendue à l’extrême et le peu de
ressources des îles ne permettent pas de les prendre en charge. Subissant
l’opprobre de l’opinion publique dans leur pays, les Argentins rentreront
discrètement, et resteront, méprisés, au ban de la société, alors que la
plupart, simples conscrits, n’avait rien demandé. Le général Galteri
démissionne dans les jours qui suivent, permettant l’avènement de la démocratie
dans ce pays. Toutefois, le sort des vétérans ne sera pas pour autant amélioré.
Pendant ce temps, le premier ministre Margaret Thatcher savoure sa victoire… et
bientôt sa réélection.
Le bilan des pertes est très
lourd pour 2 mois et demi de guerre. 225 morts (dont 3 civils) et 777 blessés
chez les britanniques, 655 morts et plus de 1500 blessés côté argentin. A cela
doit s’ajouter, on le sait maintenant, les vétérans ne pouvant plus supporter
les troubles psychologiques dûs au stress post-traumatique résultant de combats
d’une rare férocité, et qui vont se suicider dans les années suivantes : 264
en Angleterre (plus que les pertes au combat) et 454 en Argentine[17]. Quel gâchis de vies
humaines pour quelques arpents de terre pelée… surtout que cela n’a rien réglé.
Malgré une reprise progressive des relations diplomatiques dans les années 90,
l’Argentine continue à revendiquer l’archipel, et les Britanniques y ont
installé une base militaire, afin d’interdire toute nouvelle invasion surprise.
Le
2nd
Para
entre dans Port Stanley (source :
http://www.nam.ac.uk/exhibitions/online-exhibitions/falklands-war-1982)
|
Analyse
Les enseignements concernant
la partie aéronavale et amphibie ont déjà été mentionnés dans la première
partie, aussi seront exposés ici les autres aspects de ce conflit très
spécifique, où deux armées conventionnelles dotés d’équipements très
similaires, voire identiques dans certains cas (fusils FAL par exemple),
s’affrontent principalement sur une île (Malouine Est) quasi inhabitée et isolée
des grand enjeux territoriaux internationaux. Les Britanniques n’avaient
jusque-là projeté aucun corps expéditionnaire de cette ampleur depuis Suez en
1956 et les Argentins n’avaient tout simplement aucune référence en la matière,
leur armée étant taillée pour les conflits frontaliers ou la contre-insurrection.
La détermination des dirigeants des deux belligérants, qui sont restés sourds à
toutes les tentatives diplomatiques de médiation ou de règlement à l’amiable,
ne pouvait que conduire inéluctablement à la défaite sans appel de l’un d’eux.
En faisant abstraction des
quelques armements les plus récents comme les missiles anti-char Milan, les systèmes de vision nocturne
et l’utilisation poussée des hélicoptères en manœuvre et en assaut, les
affrontements terrestres, qui semblent d’un autre âge, auraient très bien pu
avoir lieu pendant la deuxième guerre mondiale, voire la première. L’infanterie
est le fer de lance des offensives, et se retrouve massivement au contact, les
moyens d’appui et de mobilité étant très limités. Les pertes sont lourdes et,
surtout, assumées, ce qui paraît impensable de nos jours. En effet, les
difficultés logistiques et l’éloignement du théâtre d’opérations, les
conditions climatiques difficiles et le terrain instable restreignent pour les
deux camps les moyens déployés, laissant davantage de place au facteur humain par
rapport à un un conflit conventionnel
classique. C’est là que les Britanniques font la différence. Ici, point de
grandes chevauchées mécanisées, ni de massive bataille aéroterrestre pour
laquelle ils se sont préparés au sein de l’OTAN face au Soviétiques, mais des
engagements au corps à corps, menés par des guerriers professionnels bien entraînés
et parfaitement encadrés par des officiers capables de s’adapter au déroulement
de la bataille, et même de repenser complètement leur tactique sous le feu de
l’ennemi (cas de mont Longdon). Les Argentins ont fait preuve d’une grande ténacité
en défense, mais les conscrits, qui constituaient la majeure partie des
effectifs n’étaient pas préparés à affronter des combats d’une telle intensité,
et, de même que leur encadrement, n’avaient pas la flexibilité nécessaire pour
s’adapter aux aléas de la bataille. Une fois sortis de leurs positions
préparées, ils se sont montrés incapables de mener des contre-attaques
efficaces. Leurs officiers ont préféré les envoyer à une mort certaine, coincés
entre la peur de décevoir la dictature et une obéissance aveugle en leur
commandement supérieur, sauf, pour une partie d’entre eux, à l’issue de la
chute de la dernière ligne de crêtes, voyant qu’il n’y avait plus aucune issue.
Les 12 blindés légers
Panhard n’ont même pas été utilisés, le terrain spongieux n’étant pas du tout
adapté à l’utilisation de blindés à roues, au contraire des blindés anglais,
dont la répartition du poids est bien plus uniforme grâce aux chenilles. D’un
autre côté, ils n’auraient sans doute pas pu tenir longtemps face aux missiles
anti-char Milan... Les Britanniques
ont montré que leur réputation sur le combat de nuit, héritée de la seconde
guerre mondiale, n’était pas surfaite. Ils sont même parvenus à coordonner les
feux de leur artillerie terrestre, très mobile grâce aux hélicoptères, et
navale sur des objectifs situés quasiment au contact de leur infanterie, et ce
en pleine nuit. Ceci s’est avéré totalement hors de portée des Argentins :
ils attendaient l’aube pour faire donner leurs canons. Finalement, pour ces
derniers, une doctrine et une organisation inadaptées, au service d’un
commandement supérieur aveugle aux réalités du terrain, ont entraîné un
gaspillage inutile de vies humaines.
Blindés
à roues Panhard
AML-90
abandonnés par les Argentins à Port Stanley (source :
http://www.nam.ac.uk/exhibitions/online-exhibitions/falklands-war-1982)
|
Ce conflit a prouvé qu’une
puissance moyenne, ayant des intérêts éparpillés dans le monde, peut être
amenée à déployer une force d’intervention aéronavale et aéromobile conséquente
(équivalente ici à 2 brigades renforcées) très loin de ses bases, et ce dans un
délai très court. Cet enseignement n’est donc pas étranger à la constitution de
forces de déploiement rapide dans les années suivantes, comme par exemple la Force d’Action Rapide (FAR) française
1983. D’une manière générale, durant ces années, tous les pays occidentaux vont
regrouper des forces aéromobiles projetables et en cours de professionnalisation
dans ce qu’on peut appeler des « fer de lance ». Ceci prouvera son
utilité lors de la guerre du Golfe de 1991. Une constante toutefois demeure, réaffirmée
lors de ce conflit et par la suite : l’infanterie, seule à même d’occuper le
terrain et d’aller au contact, est bien toujours la « reine des
batailles ».
Bibliographie
Martin Middlebrook, The fight for the Malvinas, London, Viking, 1989
Julian Thompson, 3rd Commando Brigade in the
Falklands, No Picnic, Pen & Sword Military, Barnsley, 2008
(contient
une description et des cartes détaillées des batailles des monts Longdon, Two Sisters,
Harriet, Tumbledown et Wireless Ridge)
Douglas N. Hime, The
1982 Falklands-Malvinas Case Study, The United States Naval war College,
Newport, Rhode Island
Gordon Smith, Battle
atlas of the Falklands war, Ian Allan, 1989, rev. 2006 by
Naval-History.Net.
(accessible
librement en pdf sur le site http://www.radarmalvinas.com.ar/informes/libro%20g%20smith%20ct.pdf)
Colonel Richard D.Hooker Jr., the Wrath of Achilles, Essays on command in the battle, Combat
studies institute press, US Army combined arms center, Fort Leavenworth,
Kansas.
William Flower, Battle
for the Falklands: Land Forces, Men-At-Arms Series 133, London, Osprey, 1983, 2005
Nicholas VAN DER BIJL, Argentine forces in the Falklands, London, Osprey, 1992
Henri
Masse, Une guerre pour les Malouines,
thèse de doctorat en histoire, Université de Metz
(accessible
en pdf à cette adresse :
ftp://ftp.scd.univ-metz.fr/pub/Theses/1997/Masse.Henri.LMZ9710.pdf)
[2] Radar RASIT :
développé en France par Thomson-CSF, il permet de détecter et différencier
personnels, véhicules et hélicoptères avec une portée de 20km. Finalement, les
Argentins ne s’en serviront pas de peur d’être détectés et ciblés par un tir de
contre-batterie…
[4] Selon
http://www.naval-history.net/F26-Falklands-%201982_Argentine_Defences.htm
[5] Scorpions et Scimitar : blindés légers chenillés de
reconnaissance, partageant le même châssis et le même train roulant,
principalement différenciés par leur armement : un canon de 76 mm pour le
premier, un de 30 mm à tir rapide pour le second (90 coups / minute)
[6] Pied de
tranchée : infection ulcéro-nécrotique des pieds, résultant de leur
exposition prolongée à l’humidité, à l’insalubrité et au froid. Les cas les
plus graves peuvent nécessiter une amputation.
[7] Pour plus de
détails, voir à ce sujet l’engagement de Top Malo House dans Henri Masse, Une guerre pour les Malouines, p. 386 (lien vers le pdf dans la
biblographie)
[8] Fuerza Aérea Argentina : Force Aérienne Argentine
[9] D'après Rodney A. Burden et al., Falklands,
the air war, British association research group, London, 1986, p.36
[11] 3. Ethel et Price, Air War South
Atlantic, London, Sidgwick and Jackson, 1983, p. 185.
[12] Landing Ship Dock
[13] Southby Tailyour,Reasons in
Writing, London, Leo Cooper, 1993, p. 300
[14] Douglas N. Hime, The 1982
Falklands-Malvinas Case Study, The United States Naval war College,
Newport, Rhode Island, p. 45.
[15] Gordon Smith, Battles of the
Falklands, Shepperton,Ian Allan, 1989, p.103
[16] Henri
Masse, Une guerre pour les Malouines,
Thèse de doctorat en histoire, Université de Metz, p. 427
[17] Chiffres de
2002 : Raphaël Schneider, La guerre
des Malouines, in : Champs de Bataille n°33, Avril-Mai 2010, p. 39
Guerre oublié, au bout du monde mais très intéressante à étudier pour sa stratégie, sa tactique et son impressionnante logistique militaire.
RépondreSupprimerA noter, sur la dernière photo, le positionnement des chars AML90 sur la droite de la chaussée, les argentins avaient rétablis la circulation à droite au lieu de la gauche anglaise !