Depuis plus
d’un demi-siècle, l’hélicoptère constitue un élément majeur dans l’arsenal des
armées. A ce titre, sa place fut prépondérante dans les différentes opérations
contre-insurrectionnelles menées par les armées en étant équipées. Voici une
brève description des tactiques adoptées par deux forces confrontées à un usage
massif de l’hélicoptère, le Viet Cong et l’armée nord-vietnamienne dans le Sud
du Vietnam, et les Moudjahidines en Afghanistan.
Adrien Fontanellaz
Contrairement à l’image d’Epinal encore régulièrement véhiculée, l’armée sud-vietnamienne et les troupes américaines affrontèrent un adversaire hybride, alliant guérilla traditionnelle et forces semi-conventionnelles. Schématiquement, l’appareil militaire Viet Cong s’articulait entre des unités de milices locales dont la mission première était le contrôle de la population, le recrutement, le renseignement et le soutien logistique, des unités territoriales ou régionales, et un corps de bataille construit à partir de ces dernières. La dernière catégorie, et dans une moindre mesure, la seconde, étaient assimilables à des forces régulières, soit enrégimentées et pourvues d’uniformes.
Des forces nord-vietnamiennes alimentèrent constamment ce
corps de bataille, lui donnant une puissance bien supérieure à ce que lui
aurait permis sa propre base de recrutement. L’ensemble de ce système faisait
partie d’une chaîne de commandement unique permettant un processus de retour
d’expérience efficace. Le corps de bataille était constitué d’infanterie légère
dépourvue d’appuis conséquents, du moins comparé à ceux dont disposait
l’adversaire. Ce manque de puissance de feu permettait à ses unités de
manœuvrer dans zones dépourvues d’infrastructure, contrairement à un ennemi
dépendant des routes pour acheminer son matériel lourd. Cette mobilité
supérieure permettait aux forces régulières communistes de n’engager le combat
que dans des circonstances favorables et face à un ennemi inférieur.
L’introduction massive de formations aéromobiles par les Américains leur permit
de reprendre l’initiative en accroissant énormément leur mobilité. Ce
changement de paradigme contraignit le Viet Cong à s’adapter.
Mitrailleuse DShK manipulée
par une milicienne dans Nord du Vietnam. De par leur taille limitée, ces armes
furent également utilisée par les troupes de Hanoi dans le Sud du pays (via http://teakdoor.com/arts-and-entertainment/76812-photos-the-female-soldiers-vietnam-war.html)
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La première réponse était offensive, et passait par l’attaque des bases
nécessaires au déploiement de la puissance aéromobile ennemie. Des attaques à
distance au moyen de mortiers et de roquettes prirent régulièrement celles-ci
pour cibles. Elles avaient l’avantage d’être peu couteuses en hommes, puisque
les équipes chargées du tir pouvaient disparaître rapidement après avoir lâché
une salve de projectiles. L’usage de mortiers était cependant plus risqué, car
leur portée réduite, de l’ordre de trois kilomètres pour une pièce de 82mm, imposait
à leurs opérateurs de s’infiltrer près de l’objectif. Les roquettes de 122mm
permettaient de tirer depuis une distance plus grande, mais manquaient de
précision, et ce d’autant plus que la superficie des objectifs attaqués pouvait
être importante. Ce procédé pouvait s’avérer à l’occasion très efficace, comme
le 9 septembre 1967, où une salve de trois roquettes endommagea un F-4 et un
A-1 sur l’aéroport de Danang, infligeant en sus un tué et trois blessés aux
Américains. Outre ces attaques à distance, de petites unités de sapeurs,
spécialement entraînées à l’usage des explosifs et aux tactiques
d’infiltration, s’en prenaient régulièrement aux bases ennemies. Cette méthode,
plus couteuse en hommes, pouvait s’avérer particulièrement payante. Ainsi, dans
la nuit du 27 au 28 octobre 1965, deux bases des marines furent attaquées
simultanément à Chu Lai et dans la péninsule de Tiensha. Les sapeurs, équipés
de grenades, de bengalores, d’armes automatiques et de RPG parvinrent à
franchir les périmètres défensifs et à détruire un total de 19 hélicoptères et
deux avions appartenant aux MAG (Marine Air Groups) 12 et 16.
Sur le plan défensif, les alentours des camps et autres bases communistes furent systématiquement explorés afin de recenser les sites pouvant être utilisés comme Landing Zone (LZ). Elles étaient surveillées de manière plus ou moins constante selon les cas, et surtout, des zones d’embuscade et des voies de repli étaient établies en fonction de chacune d’entre elles. Ce mélange de surveillance et de planification diminuait considérablement le temps de réaction des unités Viet Cong ou nord-vietnamiennes présentes sur les lieux. Si les forces disponibles étaient suffisantes, les unités communistes avaient pour instruction d’attaquer les soldats américains juste après qu’ils aient débarqué, sans leur laisser le temps d’établir un périmètre défensif, avec l’avantage de rendre leur recours à de l’appui-feu difficile. De plus, des petites équipes, comptant trois ou quatre soldats armés d’AK-47 appuyés par une mitrailleuse légère et un tireur de précision, pouvaient couvrir les LZ considérées comme les plus susceptibles d’être utilisées par l’ennemi. Là aussi, ces hommes avaient pour instruction de n’ouvrir le feu qu’à bout portant.
Les soldats réguliers nord-vietnamiens recevaient une instruction spécifique aux tactiques de lutte anti-hélicoptère. Ils apprenaient au cours de celle-ci à identifier les différents types d’appareils ennemis et leur points vulnérables, puis apprenaient à viser des objets évoluant à grande vitesse afin d’estimer l’angle de déflection nécessaire pour atteindre leur cible. En général, les Bodoi devaient éviter d’ouvrir le feu sur des hélicoptères simplement en transit, réservant leurs tirs pour ceux les attaquant directement ou alors débarquant des troupes.
Aiguillions
contre crocodiles
Les Soviétiques se trouvèrent confrontés en Afghanistan à un adversaire très différent de celui que les Américains combattirent au Vietnam un peu plus d’une décennie plus tôt. Les Moudjahidines afghans opéraient en effet au sein de structures beaucoup plus diffuses que les Bodoi un peu plus d’une décennie plus tôt. Les combattants afghans étaient rattachés à des groupes semi-autonomes dont la taille variait en fonction du prestige de leur commandant. Ces derniers appartenaient à un des sept partis formant à leur tour une coalition représentant l’ensemble de la résistance afghane. Chacun de ces partis restait cependant farouchement indépendant, et les rivalités entre eux étaient fréquentes.
Les Moudjahidines n’opéraient donc pas au sein d’une structure favorisant des méthodes aussi systématiques que leurs prédécesseurs vietnamiens, alors que les Soviétiques et l’armée gouvernementale afghane utilisaient intensément leurs hélicoptères non seulement pour déplacer et ravitailler leurs troupes, mais aussi comme moyen d’appui rapproché et d’escorte des convois terrestres. L’hélicoptère d’assaut Mi-24 était particulièrement craint des Moudjahidines à cause de sa puissance de feu et de son blindage, qui le rendait difficile à abattre. A plusieurs reprises, la ruse permit aux combattants afghans d’abattre des hélicoptères en les attirant au fond de vallées et à portée de poste de tirs les surplombant. Les pilotes afghans et soviétiques ne tardèrent pas apprendre de ce genre d’erreurs et se montrèrent plus difficiles à leurrer par la suite. Comme au Vietnam, un des meilleurs moyens de s’attaquer aux hélicoptères était de les frapper au nid au moyen de roquettes tirées contre leurs bases, généralement avec des projectiles de 107mm d’origine chinoise tirés l’aide de lanceurs à un seul tube aisément transportables. Ces mesures restaient cependant insuffisantes pour limiter les opérations soviétiques.
Durant les premières années suivant l’intervention de l’armée rouge, les armes
livrées par les Etats-Unis et le Pakistan aux Moudjahidines étaient originaires
des pays de l’Est ou de la Chine, afin de masquer l’étendue de leur soutien en
rendant crédible le scénario selon lequel l’armement de la rébellion avait été
pris sur l’ennemi. De ce fait, les seuls missiles anti-aériens portables livrés
par l’ISI, les services secrets pakistanais, étaient des SA-7 d’origine
soviétique. Ce système, évidemment bien connu de ses concepteurs, s’avérait
facile à leurrer, et ce d’autant plus que la simple présence du soleil pouvait
suffire à dévier son système de guidage infrarouge loin de sa cible. Conscients
de l’impact physique et psychologique des hélicoptères russes sur les
combattants afghans, les Etats-Unis livrèrent, toujours via l’ISI qui
contrôlait la répartition des flux d’armements vers les mouvements de
résistance, entre trente et quarante canons anti-aériens Oerlikon de 20mm. De
par leur encombrement et leur poids unitaire de 600 kilos, ces pièces étaient
inadaptées au théâtre d’opérations afghan. Il fallait en effet une vingtaine de
mulets pour déplacer une batterie de trois pièces démontées. Leur cadence de
tir les rendait également coûteuses à cause du prix élevé des obus. In fine, ces canons occupèrent des
emplacements statiques protégeant les bases de la résistance situées près de la
frontière pakistanaise. Plusieurs milliers de missiles Blowpipe d’origine
britannique furent ensuite livrés à partir de la seconde moitié de l’année
1985. Cette arme s’avéra aussi inadaptée au contexte afghan que les canons de
20mm. Une fois le missile lancé, le tireur devait en effet guider le missile,
relié au poste de tir par une liaison radio, au moyen d’une petite manette. La
formation des opérateurs était donc longue, et devait être remise à jour
régulièrement. Déjà retiré du service au sein de l’armée britannique, ce
système d’arme souffrit de surcroit de nombreux incidents de tir, et s’avéra
peu efficace aux mains des Moudjahidines. Au début de 1986, ces derniers
attendaient toujours de posséder une arme susceptible de contester la
suprématie des hélicoptères ennemis.
L’armée pakistanaise et la CIA refusaient en effet de livrer des missiles plus récents par crainte de compromettre leur déni de tout soutien à la résistance afghane. La situation changea en avril 1986, moment où une série d’opérations lancées par les troupes soviétiques et gouvernementales afghanes contre les bases rebelles situées à cheval sur la frontière pakistano-afghane convainquirent les Américains d’intensifier leur soutien aux Moudjahidines, faisant fi de leur crainte de voir des armes dernier-cri êtres capturées par les Soviétiques. Un accord prévoyant la livraison annuelle de 250 lanceurs et 1250 missiles Stinger fut donc conclu. Ce modèle de missile antiaérien portable à guidage infrarouge était entré en service dans l’armée américaine quelques années plus tôt. Dix instructeurs pakistanais furent envoyés aux Etats-Unis en juin 1986 pour suivre un stage de huit semaines sur l’usage du Stinger. L’ISI mit également en place un centre d’instructions muni d’un simulateur dans son camp d’Ojhiri, où se succédèrent des volées de douze stagiaires afghans qui suivaient des classes de deux à trois semaines. Le programme favorisait la sélection de Moudjahidines ayant une expérience préalable sur SA-7.
La nouvelle arme fut utilisée pour la première fois le 25 septembre 1986. Une trentaine de combattants s’infiltrèrent à un kilomètre et demi de la piste de l’aéroport de Jalalabad, puis mirent en batterie trois lanceurs, chacun servis par un tireur et deux pourvoyeurs munis d’un tube de recharge. Les Moudjahidines tirèrent cinq Stinger en succession rapide sur une formation de huit hélicoptères en phase d’atterrissage avant de se replier. Ils revendiquèrent trois coups au but à cette occasion. Le même jour, une autre équipe tira trois missiles en limite de portée contre un jet dans la région de Kaboul, sans toucher la cible. Ces deux actions marquèrent le début d’une campagne d’attaques similaires visant les principaux aéroports du pays. L’usage du Stinger se répandit ensuite dans la majorité du pays au rythme du nombre de tireurs formés par l’ISI. Les Moudjahidines ne se contentèrent pas d’utiliser ces missiles comme arme d’opportunité dans un contexte défensif, mais tendaient au contraire des embuscades soigneusement préparées, le plus souvent, en attaquant délibérément un poste isolé afin d’attirer des hélicoptères. Cet usage offensif d’un système d’arme à vocation défensive accrût énormément les dommages portés à l’ennemi. A titre de comparaison, l’armée pakistanaise lança 28 Stinger depuis des positions défensives en réaction au viol de l’espace aérien national par des avions soviétiques sans mettre un seul coup au but, alors que les Moudjahidines tirèrent un total de 187 missiles jusqu’au mois d’août 1987 et revendiquèrent un taux de réussite de 75 %. L’ISI encourageait ces pratiques en fournissant deux nouveaux missiles pour chaque succès obtenu, les commandants devant ramener les tubes vides pour prouver qu’ils ne les avaient pas vendus.
Les craintes à l’origine des réticences américaines quant à la livraison de matériels aussi sophistiqués finirent cependant par se réaliser. Au début de 1987, des Spetsnaz parvinrent à tendre une embuscade à une colonne de Moudjahidines transportant des Stinger et à s’emparer de ceux-ci. A la même période, un autre groupe de combattants, transportant quatre lanceurs et seize missiles, transita par l’Iran et se fit intercepter par des garde-frontières qui s’empressèrent de saisir ces armes. Malgré ces déconvenues, l’introduction du Stinger compliqua beaucoup la tâche des pilotes afghans et soviétiques. Outre les pertes subies, elle imposa l’adoption de tactiques bien plus contraignantes, comme le vol à très basse ou à haute altitude, ainsi que des largages massifs de leurres infrarouges à titre préventif à chaque décollage ou atterrissage d’avions de transport sur les bases aériennes du pays.
En conclusion,
l’approche vietnamienne reposa sur une approche coordonnée et systématique,
rendue possible par l’existence d’une organisation très structurée.
Inversement, celle des Moudjahidines, divisés entre plusieurs partis
chapeautant des commandants très autonomes, vit son efficacité dépendre en
partie des caractéristiques de l’armement dont ils disposaient, comme le
démontre l’augmentation des pertes soviétiques concomitantes avec
l’introduction des Stinger.
De nos jours,
l’hélicoptère continue à être un élément essentiel pour des forces engagées
contre des adversaires irréguliers. Par ailleurs, la supériorité
conventionnelle et informationnelle des armées occidentales, pour peu qu’elles
soient coalisées, incluent une présence américaine et opèrent dans un
environnement géographique n’interférant pas trop avec leurs atouts,
contraindra à priori leurs adversaires à continuer à opérer de manière très
décentralisée dans les années qui viennent. Bref, ces derniers auront un modus operandi plus proche de celui des
Talibans que de l’armée nord-vietnamienne, sous peine de créer des structures
visibles pour un ennemi suréquipé en moyens de recueil de renseignements.
Contrairement aux
Soviétiques, les troupes occidentales engagées dans des conflits asymétriques
depuis la fin de la guerre froide n’ont jamais été confrontées à des
adversaires disposant d’armement à la fois sophistiqués et de taille réduite
représentant une menace similaire à celle que pouvait incarner le Stinger pour
les pilotes russes dans les années 80. Au mieux un groupe irakien a-t-il-pu
utiliser des SA-7 désuets pour endommager un avion-cargo civil en approche dans
la région de Bagdad. Preuve de cette chance relative, l’usage de RPG-7 comme
armes anti-aériennes improvisées en Somalie, puis en Afghanistan, fut à
l’origine de vastes discussions sur cette «nouvelle» menace tandis que l’emploi
massifs de missiles anti-char récents par le Hezbollah en 2006 fut presque
perçu comme une révolution.
Pourtant, cette
configuration avantageuse où l’adversaire n’est doté que d’armements au mieux
limités et au pire archaïques, si l’on pense aux fusils Lee-Enfield utilisés
comme armes de précision par les Talibans, ne peut se reproduire indéfiniment.
Si, jusqu’à maintenant, la puissance américaine a efficacement dissuadé des
pays tiers de livrer des armes avancées à des mouvements ouvertement en lutte
contre les pays occidentaux, il est vrai aussi que, développement économique
oblige, le nombre de pays disposant des savoir-faire technologiques et
industriels leur permettant de se lancer dans la production de missiles
anti-char et anti-aériens portables performants augmente, et avec elle, la
possibilité que de telles armes ne soient livrées à des organisations amenées à
combattre des troupes otaniennes ou affiliées.
Cette catégorie d’armement ne représente bien sûr en aucun cas une
nouvelle forme de Wunderwaffen, mais,
ajoutées aux méthodes insurrectionnelles classiques, elles accroîtraient le
répertoire tactique à disposition de combattants irréguliers, et augmenteraient
leurs chances d’infliger des pertes très rapidement considérées comme lourdes
ou injustifiables pour un monde occidental maintenant accoutumé à considérer la
mort de soldats en missions comme une forme d’anomalie scandaleuse. Par
ailleurs, leur simple existence peut suffire à contraindre l’adversaire à
mettre en place toute une série de mesures préventives qui a pour effet de
limiter sa flexibilité. Ainsi, non seulement l’introduction des Stinger
causa-t-elle de lourdes pertes aux Soviétiques, mais elle fit aussi baisser
l’efficacité globale de sa flotte d’hélicoptères à cause des mesures de
sécurité contraignantes qu’ils durent implémenter.
Bibliographie
Warren Wilkins, Grab Their Belts to Fight Them: The Viet Cong's Big-Unit War Against the U.S., 1965-1966, Naval Institute Press, 2011
Gordon Rottman, North Vietnamese Army Soldier 1958-75, Osprey Publishing, 2009
M. Yousaf et M. Adkin, L’ours piégé, Alerion, 1996
Stéphane
Mantoux, numéro 13 (janvier-mars 2013) du magazine Histoire & Stratégie
consacré à l’histoire des operations aéromobiles.
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