« Dieu les fera tous
s'enfuir/Ainsi qu'on voit s'évanouir/Un amas de fumée.1 »
La guerre des camisards.
1702.
Des protestants, paysans, tisseurs, se soulèvent dans les Cévennes
pour réclamer la liberté de conscience. Le soulèvement dépasse la
simple révolte locale pour enflammer les gazettes des pays
protestants d'Europe et inquiéter Versailles. Pendant deux ans,
jusqu'en 1704, quelques milliers de combattants improvisés résistent
à 20 000 soldats royaux et à deux maréchaux. Vaincus, les
camisards tentent de relancer la guerre jusqu'en 17102.
C'est en 1703 que le mot « camisard » apparaît
pour les désigner : l'un d'entre eux, Abraham Mazel, qui rédige
ses mémoires cinq ans plus tard, ne peut pas trancher entre deux
origines, celle de l'attaque nocturne (camisade) ou du
vêtement de la chemise3,
ou camisole. C'est en tout cas le mot qui est resté pour désigner
cette guerre hors norme4,
ni révolte traditionnelle, ni guerre de religion classique, à la
fois événement historique important mais aussi formidable objet
d'étude pour les historiens.
Stéphane Mantoux.
La
« Religion Prétendue Réformée »
Dès
1520, les idées de Luther ont commencé à circuler dans le royaume
de France. La répression exercée par le pouvoir royal ralentit mais
n'élimine pas cette influence. A partir de la décennie 1540,
Genève, sous la houlette de Jean Calvin, devient le centre majeur de
la propagande réformée. Les premières églises calvinistes, sur le
modèle de Genève, se constituent dès 1555 et un synode national
adopte une confession de foi commune en 1559. En 1560, les huguenots
(terme qui vient probablement du mot « eidgenossen »,
désignant les confédérés réformés suisses) sont présents non
seulement à Paris mais dans d'autres villes et même dans certaines
zones rurales.
Jean Calvin.-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/44/Jean_Calvin.png |
Les
Cévennes sont devenues protestantes dans la première moitié du
XVIème siècle, entre 1530 et 1560. Les idées luthériennes puis
calvinistes pénètrent la région à partir des villes -Nîmes,
Montpellier, Orange. Transportées par les élites locales, nobles et
bourgeois, elles ont imprégné les paysans et les artisans. Des
consistoires dominés par les notables encadrent la population. Les
protestants s'emparent aussi du pouvoir consulaire (municipal). A
certains endroits, ils sont majoritaires, alors qu'ils sont
minoritaires dans l'ensemble du royaume5.
Ils forment 90% de la population cévenole, 85% de la population
autour de Nîmes et les deux tiers de la ville elle-même6.
Le
poids de la noblesse dans la Réforme et la mort d'Henri II (1559),
qui ouvre une période de faiblesse de la monarchie, entraînent les
protestants sur la voie de l'action au grand jour. La conspiration
d'Amboise cherche à enlever le souverain (mars 1560) pour le
soustraire à l'influence des Guise catholiques. La régente,
Catherine de Médicis, recherche d'abord l'apaisement. L'édit de
janvier 1562 accorde aux réformés la liberté de culte hors des
villes. Mais il est déjà en contradiction avec le concile de Trente
(1545-1563) qui a anathémisé Luther et Calvin. Il déclenche, par
réaction des catholiques, une série de guerres de religion7.
Le Massacre de la Saint-Barthélémy, par François Dubois.-Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/52/Francois_Dubois_001.jpg/800px-Francois_Dubois_001.jpg |
Ces
guerres durent quarante ans. Protestants et catholiques, encadrés
par la noblesse, s'affrontent pour le contrôle de l'Etat et le
statut de la religion réformée dans le royaume. Les opérations
militaires sont accompagnées d'épisodes de violences comme
l'iconoclasme protestant de 1562 ou le massacre catholique de la
Saint-Barthélémy en 1572. C'est en 1573 qu'un traité évoque pour
la première fois la « Religion Prétendue Réformée ».
Henri IV, protestant devenu catholique, met fin aux guerres de
religion et signe l'édit de Nantes en 1598. Celui-ci n'est pas remis
en cause à l'assassinat du roi en 1610, ni après les guerres de
Rohan qui se terminent en 1629, même si les places de sûreté
accordées aux protestants ont été supprimées.
La
révocation de l'édit de Nantes par l'édit de Fontainebleau, en
1685, est l'aboutissement d'un processus enclenché par Louis XIV dès
sa prise du pouvoir en 1661 et qui s'accélère après la paix de
Nimègue en 1679. Les dispositions de l'édit de Nantes sont
démantelées, les pressions s'exercent de plusieurs façons :
maisons de conversion (fondées par les Compagnies de Propagation de
la Foi), aides financières, dragonnades (logement forcé de
compagnies de dragons chez les protestants, testé pour la première
fois dans le Poitou en 1681). L'assemblée du clergé obtient l'appui
du roi en 1682 pour forcer les protestants à revenir à l'Eglise
catholique. De nouvelles dragonnades ont lieu en Béarn (mars-juillet
1685), puis en Poitou, Languedoc, Guyenne, Cévennes, Dauphiné
(septembre-octobre). Des villages entiers, apeurés, se convertissent
en masse. L'édit de Fontainebleau est là pour parachever le
processus. Les temples survivants sont rasés, les pasteurs restants,
chassés (620 s'exilent, 160 abjurent, sur les 780). Des centaines de
milliers de réformés deviennent « nouveaux
catholiques ».
Ceux-ci sont surveillés : on leur distribue des textes en
français pour les ramener dans le droit chemin, on pointe leur
assistance à la messe ou à la communion pascale. Les enfants de 5 à
16 ans doivent être élevés dans la religion catholique, faute de
quoi ils peuvent être soustraits à leurs parents.
Fameuse gravure protestante représentant les dragonnades : "qui peut me résister est bien fort".-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4d/Dragonnades430.jpg |
Les
réformés plient, mais ne cèdent pas complètement. Des milliers
choisissent l'exil, pourtant interdit par le pouvoir royal et
sévèrement réprimé. Il est massif de 1685 à 1688 mais se
maintient jusqu'au milieu du XVIIIème siècle. 200 000 personnes
choisissent les pays du « Refuge » jusqu'en 1715.
La résistance de ceux qui sont restés est passive mais parfois
active, violente. Des générations vivent clandestinement leur foi
au « Désert », particulièrement dans les
Cévennes et dans la plaine du Bas-Languedoc, d'Uzès à Montpellier,
une région de maquis et où le peuplement protestant est très
dense. C'est le prédicant Claude Brousson qui diffuse, à partir de
1689, cette métaphore du Désert, en comparaison avec le peuple
d'Israël de l'Ancien Testament. En 1698, dans ce territoire qui
recouvre les diocèses de Mende, Alès, Nîmes, Uzès, et
Montpellier, on compte 133 000 nouveaux catholiques contre 300 000
anciens catholiques. Les premiers sont majoritaires dans les villages
et hameaux des Hautes et Basses-Cévennes, où ils travaillent la
terre et la laine. Peu d'entre eux ont pu s'exiler. L'intendant de la
province du Languedoc depuis 1685, Lamoignon de Bâville, a fait
percer des routes dans les montagnes, a fait construire des forts
pour les garnisons à Nîmes, Alès, Saint-Hippolyte ; tous les
gros bourgs ont leurs milices d'anciens catholiques encadrés par les
nobles ou d'anciens officiers.
Claude Brousson, le prédicant du "Désert".-Source : http://www.tourdeconstance.com/wp-content/uploads/2012/09/C%C3%A9vennes-34.jpg |
Dès
la fin octobre 1685, on signale les premières assemblées
clandestines à Vauvert, Anduze, Montpellier, Ganges. La pratique en
reprend une qui s'était installée avant la révocation, et qui
avait été violemment réprimée en 1683 dans les Cévennes
-Brousson, qui avait appelé à des rassemblements sur les sites des
temples abattus, avait réussi à s'enfuir. Mais cette fois-ci, les
assemblées se font sans pasteur, avec des prédicants improvisés,
comme François Vivent, un maître d'école de Valleraugue, et avec
des participants en armes pour se protéger. La déclaration royale
du 1er juillet 1686 prévoit la peine de mort pour ceux pris dans ces
assemblées, les galères pour les hommes qui les auront soutenues,
et l'enfermement pour les femmes8.
Pierre Jurieu, un pasteur exilé à Rotterdam, encourage la
résistance, dans une tonalité eschatologique. En 1686-1687, il y a
déjà 24 exécutions, une cinquantaine de condamnations aux galères
et plus de 300 déportations en Amérique. En février-juin 1688, le
Dauphiné est secoué par les inspirations prophétiques de bergères,
puis c'est le Vivarais. La politique de la contrainte a échoué :
dans les Cévennes, le clergé constate qu'à peine 10% des nouveaux
catholiques suivent le culte. A l'été 1689, Bâville est informé
du retour de Vivent et Brousson, qui auraient des liens avec les
puissances ennemies (Angleterre, Provinces-Unies) qui affrontent
alors Louis XIV durant la guerre de la ligue d'Augsbourg. En
septembre, il fait surprendre une assemblée où prêchent les deux
personnages : 6 personnes sont pendues et 8 envoyées aux
galères. En 1690-1691, les prédicants, pourchassés, n'hésitent
plus à faire exécuter les dénonciateurs ou les apostats.
Vivens
tombe les armes à la main en février 1692. Brousson organise alors
les prédicants en réseau, et se veut désormais pacifique. Mais les
espoirs nés de la guerre de la Ligue d'Augsbourg s'évanouissent
avec la paix de Ryswick (1697). Bâville relance les dragonnades dans
le Bas-Languedoc (novembre 1697-février 1698) puis dans les Cévennes
(mars-avril 1698). Les prédicants sont décimés, arrêtés ou
exécutés, comme Brousson en 1698. En décembre, le roi semble
changer d'orientation en insistant plus sur la persuasion, avec
l'instruction religieuse des enfants, que sur la contrainte. En 1700,
une génération d'enfants nés avec la révocation arrive à l'âge
adulte : ils ont connu les dragonnades, la catéchisation de
force, tout en étant instruits dans la religion réformée en
cachette, par leurs parents. C'est cette génération qui donne
naissance au prophétisme, qui apparaît dans la région d'Uzès en
1701, puis gagne les Cévennes. Des femmes, des enfants, sont pris de
tremblements, de larmes, les nouveaux catholiques y voient un miracle
de l'Esprit saint. Les assemblées reprennent. Les notables nouveaux
catholiques, eux, se méfient de ces « inspirés ».
Anduze,
dimanche 23 novembre 1692
Anduze
a été l'une des premières villes frappées par la Réforme, en
1530-1540. L'église calviniste est « dressée »
officiellement en 1560. La population devient majoritairement
protestante mais un noyau catholique demeure. On parle d'Anduze comme
de la « Genève des Cévennes ». Pendant les
guerres de religion, elle devient une véritable place forte avec
fortifications développées, bastion des Provinces de l'Union,
confédération protestante fondée à Anduze en février 1573. En
1598, c'est l'une des places de sûreté accordées aux protestants
par l'édit de Nantes. La ville participe aux guerres de Rohan, entre
1621 et 1629. L'assemblée provinciale chargée de négocier la paix
se réunit à Anduze. La paix d'Alès, signée en juin 1629, conduit
au démantèlement des fortifications et des fossés : seules la
tour de l'horloge et les portes subsistent. Les habitants assistent
avec grand déplaisir à la contre-offensive catholique : retour
et développement des frères mineurs, tentatives du clergé pour
s'emparer des institutions locales, installation de familles
catholiques pour rééquilibrer la population, etc. Les modérés
dominent néanmoins parmi les protestants : les notables
refusent, en 1683, la désobéissance civile de Brousson. Les dragons
s'installent pour dix mois à Anduze à partir d'octobre 1683. Ce
n'est qu'après une deuxième vague de dragonnades que la population
abjure en masse le 7 octobre 1685. Les deux pasteurs sont contraints
à l'exil après la révocation de l'édit de Nantes. Le temple est
abattu, l'église Saint-Etienne le remplace, achevée en 1688.
Certains notables nouveaux catholiques collaborent étroitement avec
le pouvoir9.
20
heures. Antoine Lambert, lieutenant de la milice, second consul
d'Anduze, n'a plus que quelques minutes à vivre. Ancien protestant,
il est devenu un nouveau converti zélé persécutant férocement ses
anciens coreligionnaires. Deux heures plus tôt, François Coste,
premier consul et capitaine de la milice, décachète une lettre du
gouverneur d'Alès, M. de Chanterenne. Celui-ci l'informe que deux
prisonnières se sont échappées d'Alès : Marie Vignes et une
autre surnommée la Grandesse. Il les soupçonne d'être à Anduze
car Marie Vignes est originaire de Générargues, un village à 4 km
au nord de la ville, et elle a logé chez une Anduzienne, la veuve
Lissorgues. Coste, chargé des opérations de police, fait surveiller
par quelques hommes de la milice les entrées dans la ville. Il
prévient Lambert, qui est bien décidé à fouiller la maison de la
veuve Lissorgues, mais discrètement ; il fait donc semblant de
rentrer chez lui. Le valet des consuls, Jacques, ferme ensuite les
portes de la ville. 19H00. Lambert se rend sur la place centrale où
se tiennent les halles, et la fameuse fontaine-pagode. Il se dirige
vers sa maison mais ouvre la porte de l'escalier de la grande maison
voisine de la sienne, la maison Borne. C'est là que loge la veuve
Lissorgues. Lambert est à l'affût du moindre bruit suspect. Borne a
loué la maison à Pierre Bourguet, un charbonnier qui y a installé
une boutique, et à la veuve Lissorgues. Lambert ouvre la porte de la
veuve Lissorgues : il surprend une assemblée religieuse privée
où se trouve La Vérune, alias Antoine Gavanon, un prédicant
suiveur de François Vivens, qui s'est arrêté dans la maison en
chemin vers Saint-Jean-du-Gard. Une dizaine de personnes est là,
dont un autre prédicant, Julien, plusieurs dames et demoiselles. La
Vérune a posé son pistolet et son épée sur le lit mais garde sur
lui un couteau à gaine. Tout se passe alors très vite. Pour se
dégager, La Vérune poignarde Lambert au bas-ventre avec son
couteau. Mais celui-ci le retient et les deux corps dégringolent
dans l'escalier extérieur, alertant les voisins. La Vérune parvient
à s'enfuir en frappant plusieurs fois Lambert à la main qui s'est
agrippé à lui, tandis qu'une jeune demoiselle retient le lieutenant
en arrière. Le Cadet Lambert, qui se trouve sur la place -c'est le
fils du lieutenant- fonce vers les deux hommes qu'il a vus tomber. Il
ne sait pas encore que c'est son père qui est frappé à mort. Il
poursuit La Vérune qui se heurte à plusieurs badauds catholiques,
tombe à leurs pieds après avoir reçu une pierre de Lambert, mais
les badauds le laissent passer et il parvient à s'enfuir10.
L'enquête
est menée par le juge Pierre Pascal, du marquizat d'Anduze. Coste a
fait fouiller la maison de la veuve Lissorgues. Les notables
comprennent vite que Lambert est tombé sur une assemblée privée
clandestine où se trouvaient un ou plusieurs prédicants. Anduze est
alors l'une des villes les plus industrieuses de la région, avec ses
5 000 habitants, contre 8 000 à Alès et 30 000 à Nîmes. C'est
l'une des portes des Cévennes où se croisent deux grands axes :
la route Saint-Flour-Nîmes et la route Montpellier-Alès. C'est
aussi une ville active malgré une conjoncture économique déprimée.
Chef lieu d'une viguerie, elle fournit des emplois mais se distingue
surtout par les échanges de la petite draperie et le développement
de la sériciculture, l'élevage des vers à soie. La
fontaine-pagode, sur la place centrale, rappelle l'ancienneté de
l'activité : on dit qu'elle a été dessinée avec les plans et
l'argent d'un Anduzien parti chercher des « graines de vers
à soie » en Extrême-Orient. Les prédicants Julien et La
Vérune sont d'ailleurs employés dans ce milieu. Il y a aussi une
quinzaine de tanneries et des commerces très diversifiés. Jean
Cavalier, l'un des grands chefs camisards, a été mitron à Anduze.
La ville est donc ouverte aux échanges : colporteurs,
négociants et muletiers sont nombreux, de même que les errants et
les miséreux11.
Bâville,
l'intendant du Languedoc, prévenu du meurtre dès le lendemain,
envoie sur place le juge Daudé, un homme d'expérience qui a
multiplié les procès contre les protestants depuis 1686. Il a
souvent prononcé de sévères condamnations. C'est tout près
d'Anduze que sont apparus les premiers prédicants. François Vivens
commence sa carrière en janvier 1686 à Carnoulès. En juin 1686, le
prédicant Fulcrand Rey est capturé par les dragons rouges dans le
faubourg d'Anduze, après avoir essayé de s'échapper par les toits.
Il est mis à mort à Beaucaire le 8 juillet. Le 20 janvier 1689, 7
Anduziens sont condamnés aux galères pour avoir assister à des
assemblées interdites. A l'automne 1691, Vivens, revenu de Suisse,
opère dans la région entre Saint-Jean-du-Gard et Tornac. En
décembre, il se cache dans la grotte de Paulhan, au sud d'Anduze ;
il noue des relations avec deux dragons en garnison, Viala et Liron,
qui deviennent ses complices. Un de ses fidèles, Pierre Valdeyron
dit Languedoc, est arrêté le 24 ou le 25 janvier 1692. Retourné
par Daudé, il dénonce Vivens, surpris et tué le 19 février par un
détachement de dragons d'Alès à la grotte de Camoulès12.
Daudé
arrive à Anduze le 28 novembre. Il connaît bien La Vérune qu'il a
interrogé une première fois le 17 juillet précédent, suite à sa
capture, mais celui-ci s'est ensuite évadé. Il s'installe dans la
meilleure auberge de la ville, Le Chapeau Rouge, et reprend
les interrogatoires. A ce moment-là, il établit qu'un prédicant,
Julien, se trouvait dans la maison, mais personne n'a encore
clairement identifié La Vérune. Les autorités suspectent en fait
Brousson, qui dirige le réseau de prédicants depuis la mort de
Vivens. Les interrogatoires, entre les lignes, montrent surtout les
nombreuses complicités dont bénéficient probablement les
prédicants dans Anduze : malgré les risques encourus, ils
circulent assez librement dans la place13.
Lambert,
il est vrai, est pour les nouveaux convertis de façade un apostat.
Ancien membre du consistoire protestant, il a abjuré en octobre
1685, est devenu second consul et lieutenant de la milice et dès le
mois suivant, il traque les clandestins. Début octobre 1689, Lambert
convoie le prédicant Jean Roman de la prison de Saint-Jean-du-Gard à
celle d'Alès : l'homme est injurié et menacé de mort sur tout
le trajet. Le 25 février 1691, il participe avec son fils aîné et
des miliciens à l'arrestation du prédicant Poujol. C'est Lambert
qui le blesse lui-même à la tête pour l'empêcher de s'enfuir.
L'homme de 53 ans est envoyé aux galères où il meurt l'année
suivante. En représailles, Vivens fait assassiner Pierre Gautier, un
prédicant retourné. En mai, c'est le curé Vernède qui est tué.
Le 27 juillet 1691 enfin, Vivens fait exécuter Pierre Bagars,
prédicat renégat devenu consul de Lasalle. L'affaire fait grand
bruit et l'on soupçonne déjà que Lambert figure sur la liste des
cibles de Vivens. Lambert s'attaque seul à La Vérune pour toucher,
probablement, la prime prévue en cas de capture. Or La Vérune n'est
pas le genre d'homme à se laisser faire : il a assisté à la
mort de Vivens, a rejoint Brousson, s'est évadé de manière
spectaculaire du fort Saint-Hippolyte après avoir été capturé le
10 juillet 1692. Claude Brousson ne croit pas à l'évasion et c'est
pour cela qu'il l'éprouve en l'envoyant en mission à
Saint-Jean-du-Gard. Sur le chemin, La Vérune s'est arrêté à
Anduze14...
Faute
de pouvoir trouver les coupables, Bâville, par une ordonnance du 9
février 1693, taxe les habitants d'Anduze de 6 000 livres en faveur
des fils du défunt. Les Anduziens se sont tus, de peur des
représailles des prédicants, mais aussi parce qu'ils constatent
l'échec des modérés -Brousson est pris et exécuté en 1698- face
à la violence du pouvoir royal. Dès le début de la guerre des
camisards, les nouveaux convertis qui collaborent deviennent des
cibles de choix pour les combattants. Etienne Jourdan, l'officier qui
a tué Vivens, est supplicié à Bagard, près d'Anduze, le 5 octobre
1702, par une troupe conduite par Jean Cavalier. L'homme est criblé
de 4 balles, dont un coup de fusil tiré à travers la bouche. Le 15
février 1703, le Cadet Lambert meurt lors d'une embuscade qui vise
une soixantaine de soldats dans le village de Maruéjols. Une
quarantaine de soldats sont tués ainsi que trois officiers :
des témoins jurent que les camisards ont tailladé à coups de dague
le corps de Lambert. Jacques Daudé, enfin, trouve la mort le 5 juin
1704, alors que Cavalier négocie avec Villars : il est
assassiné par trois hommes près de sa maison du Vigan15.
La
guerre des camisards (1702-1710)
Elle
reste cantonnée aux Cévennes et au Bas-Languedoc, malgré des
tentatives d'expansion en Vivarais et dans le Rouergue. Les
opérations militaires durent deux ans, de septembre 1702 à la fin
de 1704. Dès juillet 1702 une première troupe se forme pour le
meurtre de l'abbé Chayla. La guerre connaît des soubresauts
jusqu'en 1710. Elle est contemporaine de la guerre de Succession
d'Espagne (1701-1713) où l'Angleterre, la Hollande, la plupart des
Etats du Saint-Empire et la Savoie combattent Louis XIV, et d'une
certaine façon, elle y est un peu liée, mais elle a surtout une
dynamique propre16.
Le
24 juillet 1702, une soixantaine d'hommes armés de fusils,
pistolets, sabres, faux et bâtons entre dans Le Pont-de-Montvert en
chantant des psaumes et force la maison de l'abbé du Chayla,
inspecteur des missions dans les Cévennes et persécuteur zélé des
protestants, pour libérer des fugitifs capturés alors qu'ils
tentaient de s'exiler. Après avoir libéré les détenus, la troupe
massacre l'abbé. L'événement est considéré comme le déclencheur
de la guerre. Depuis plus d'un an, la tension couvait. La France,
engagée dans une guerre difficile, ne pouvait se permettre de
combattre un « ennemi intérieur » et Bâville
avait accentué la répression. Dès juillet 1701, à Vallérargues,
des jeunes gens dégagent un prophète arrêté par le juge et le
curé, saccagent l'église. Le meneur est rompu sur la roue, un autre
est pendu et un troisième est envoyé aux galères. Des prophètes
comme Abraham Mazel, un cardeur de Saint-Jean-du-Gard, appellent à
la lutte armée au nom de l'imminence de l'Apocalypse. C'est Mazel et
un autre inspiré, Pierre Séguier, dit Esprit, qui mettent en oeuvre
l'expédition contre l'abbé ; après s'être enfuis, ils tuent
aussi le curé de Frutgères, saccagent l'église, renouvellent le
scénario à Saint-André-de-Lancize. Au château de Devèze, où ils
cherchent des armes, ils massacrent toute la famille, coupable
d'avoir persécuté les protestants.
Le meurtre de l'abbé du Chayla, déclencheur de la révolte.-Source : http://www.camisards.net/images/assass-cure.jpg |
Le
commandant militaire de la province du Languedoc, le comte de
Broglie, arrive de Montpellier. Une troupe d'élite sous les ordres
du capitaine Poul capture Esprit Séguier et deux de ses comparses au
plan de Fontmort, le 28 juillet. Séguier, a qui on a tranché le
poing droit, chante un psaume avant d'être brûlé vif (12 août
1702). Le lendemain, le baron de Saint-Côme, nouveau converti qui
s'est rallié aux catholiques, est lapidé à coups de pierre par des
jeunes gens du Cailar et de Vauvert, dont Abdias Maurel, que l'on
surnommera plus tard Catinat. Bâville fait arrêter l'un des jeunes
gens qui est lui aussi rompu sur la roue. Fin août, les rebelles des
Hautes-Cévennes, mobilisés par Gédéon Laporte, ancien soldat,
font la jonction avec ceux de la région d'Uzès, commandés par Jean
Cavalier, un ancien boulanger de Ribaute, près d'Anduze, un inspiré
revenu de Genève. Ce n'est qu'à la fin septembre, sous
l'exhortation de Mazel et de Gédéon Laporte, que le soulèvement
prend de l'ampleur, après les travaux des champs.
Jean Cavalier, chef camisard (1864) par Pierre-Antoine Labouchère.-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c0/Jean_Cavalier_chef_camisard.jpg |
Les
camisards, comme on va commencer à les appeler, se déplacent alors
en groupes de 60 à 100 hommes, 300 quand plusieurs bandes se
rassemblent. Les meneurs sont d'abord ceux de l'expédition du
Pont-de-Montvert : Gédéon Laporte (tué en octobre 1702),
Abraham Mazel, Salomon Couderc, Nicolas Jouany. Et deux hommes qui
vont devenir les chefs emblématiques des camisards, Jean Cavalier,
rejoint en octobre par Pierre Laporte, dit Rolland, un inspiré de
Mialet qui recrute dans le Vaunage. Début 1703 s'ajoutent Castanet,
Catinat et Ravanel, puis La Fleur, Claris, Bonbonnoux. Ce sont des
hommes jeunes (20-25 ans), fils de paysans ou d'artisans du textile
des Cévennes, certains ont servi dans l'armée. A partir de janvier
1703, les effectifs gonflent. Dans la plaine, Cavalier dispose de 200
à 700 hommes avec une cinquantaine de cavaliers commandés par
Catinat. C'est la plus grosse troupe, la mieux organisée aussi.
Cavalier divise son secteur entre ses brigadiers (Rastelet, Catinat,
Ravanel, Bonbonnoux) et les distributeurs de vivres (comme Claris).
Une dizaine d'autres troupes opère dans les montagnes et les
vallées : Roland, dans les Basses-Cévennes, a 300 ou 400
hommes, plus les 50 à 100 hommes de Mazel ; Jouanny aligne le
même nombre ; la bande de Castanet, dans l'Aigoual, est plus
réduite. En juillet 1704, après la soumission de Cavalier et les
défections, Rolland disait pouvoir encore compter sur 1 200 hommes.
On estime qu'entre 1702 et 1705, il y a eu de 7 500 à 10 000
camisards, soit 20 à 30% des nouveaux convertis de plus de 18 ans.
Pierre Rolland a recensé dans son Dictionnaires des camisards
1 638 noms, dont 58 femmes. Sur 19 chefs, 13 sont des inspirés.
La guerre des camisards.-Source : http://www.camisards.net/images/carteGuerrecorrige.jpg |
Il
y a aussi des femmes camisardes, plusieurs dizaines. La présence des
femmes heurte les notables, catholiques ou protestants. Pour eux,
c'est le signe de la débauche des camisards. Les catholiques s'en
servent pour leur propagande. En réalité, les chefs sont très
puritains : Castanet manque d'être fusillé pour avoir eu un
« commerce illicite » avec une veuve de Saumane !
Les femmes sont souvent des épouses ou des parentes. Elles sont soit
vivandières, soit prophétesses, une trentaine au total pour ces
dernières. Leur rôle religieux est important, on écoute leurs
inspirations à la veille du combat. Parmi elles, Marie Combasson,
Marie Mathieu dite la Grande Marie, Marie Planque surnommée
Blondine, l'épouse de Castanet, Lucrèce Gueidon, dite Bombette, qui
achève au poignard les soldats royaux blessés sur le champ de
bataille17.
En
face, Bâville, l'intendant du Languedoc et le commandant militaire,
successivement De Broglie, puis le maréchal de Montrevel, enfin le
maréchal de Villars. Ils disposent à l'automne 1702 des milices
bourgeoises, formées d'anciens catholiques, de 18 compagnies
franches de fusiliers et de dragons. En mars 1703, ils s'appuient sur
21 bataillons de fusiliers (dont les Miquelets, fusiliers
montagnards) et 3 régiments de dragons, soit 20 000 hommes, plus les
milices. Des renforts arrivent jusqu'à l'été 1704. Les régiments
royaux sont souvent composés de troupes médiocres, à l'exception
des Miquelets, soldats pyrénéens du Roussillon, des unités de la
Marine, des dragons de Firmacon et des grenadiers du Hainaut18.
Dès février 1703, l'Angleterre appuie les camisards par sa
propagande et plus discrètement, par un soutien militaire ; de
l'autre côté, des milices catholiques autonomes apparaissent pour
mener une guerre à outrance. Les premiers sont les « florentins »,
en juillet 1702, ou « camisards blancs » :
ils sont originaires du village de Saint-Florent-sur-Auzonnet et de
la vallée de la Cèze. Ils regroupent 200 à 700 hommes et
commettent des massacres contre les nouveaux catholiques. Villars les
place sous son contrôle en mars 1704. Les « compagnies
franches de partisans » en Vaunage comptent 200 à 300
hommes : elles sont organisées et soldées comme les troupes
réglées. Montrevel et Villars les utilisent pour traquer les
camisards et leurs soutiens. L'un des chefs les plus fameux est un
ancien officier devenu ermite, Gabriel La Fayolle. Les « Cadets
de la Croix » (appelés aussi « camisards
blancs »), qui opèrent dans l'Uzège à l'automne 1703,
sont les plus incontrôlables : 1 500 à 2 000 hommes qui se
livrent à des pillages et des exécutions sommaires, et pas
seulement contre les nouveaux catholiques. En mai 1704, alors que les
camisards sont quasiment défaits, Bâville et Villars sévissent
contre ces bandes incontrôlées. La mobilisation catholique se fait
parfois dans un esprit de « croisade », encouragé
par les évêques, comme Esprit Fléchier, de Nîmes19.
Le
11 septembre 1702, un premier engagement oppose la troupe de Gédéon
Laporte, avec Cavalier, à Champdomergue, face au capitaine Poul. Les
camisards s'en sortent sans trop de mal, ce qui n'est pas le cas le
22 octobre, au-dessus de Sainte-Croix, où Laporte est tué. Poul
fait décapiter son corps et exposer la tête à Anduze, sur le pont,
en guise d'avertissement. En décembre, Cavalier et Rolland
incendient des églises, tuent des prêtres et des dénonciateurs. Au
mas de Cauvis, avec 60 hommes, Cavalier met en déroute la milice
bourgeoise d'Alès (700 hommes), le 24 décembre, puis entre à
Sauves trois jours plus tard avec Rolland. Les états du Languedoc
votent la levée de renforts, et la Cour envoie un nouveau chef
militaire, le brigadier Julien, avec des soldats.
En
janvier 1703, affolés par les exactions des camisards, les curés se
réfugient à Alès et à Nîmes. Le 5 janvier, à Belvézet, une
expédition punitive contre les catholiques se termine en massacre
après l'incendie du village. Le 12 janvier, le capitaine Poul, qui
poursuit avec De Broglie et trois détachements de dragons une troupe
qui comprend Catinat et Ravanel, est tué au mas de Gaffarel. En
février, Cavalier veut faire la jonction avec les insurgés du
Vivarais, mais les camisards sont battus par Julien à Vagnas, le 10.
Le 2 février, Jouany a massacré la garnison de Génolhac, avant
d'être repoussé par Julien. Celui-ci parti, Jouany reprend
Génolhac, puis s'attaque aux catholiques de Chamborigaud, le 17
février. Après avoir occupé Vébron, la troupe de Castanet mène
une expédition punitive contre le village catholique de
Fraissinet-de-Fourques et sa milice, le 21 février : une
quarantaine de personnes, surtout des femmes et des enfants, est
massacrée.
Le
14 février 1703, le maréchal de Montrevel remplace de Broglie avec
3 000 soldats « miquelets » des Pyrénées. Le 25
février, le roi donne tout pouvoir à Bâville et Montrevel pour
venir à bout de la rébellion. C'est en février-mars qu'en
Angleterre, des manifestes tentent de relayer l'action des camisards
et appellent au soutien. Le 6 mars, les troupes réunies de Rolland
et Cavalier sont battues à Pompignan. Les 27-29 mars, les nouveaux
convertis de Mialet et Saumane, soupçonnés de soutenir les
camisards, sont déportés à Perpignan ; en avril, c'est le
tour de ceux de Lézan. Le 1er avril, à Nîmes, une assemblée est
dénoncée au moulin de l'Agau : plus de 20 personnes sont
massacrées. Cavalier ravage alors les alentours avec une troupe de
600 hommes, mais sa troupe, attaquée par surprise, est défaite à
la tour de Billot, près d'Alès, le 30 avril, puis à Bruyès le 17
mai. En juin-juillet, David Flottard, un émissaire des ennemis de la
France, rencontre Cavalier et Rolland. Mais les deux frégates
anglaise et hollandaise qui arrivent près de Sète en septembre ne
peuvent pas débarquer. Deux compagnies sont mises hors de combat par
Rolland et Cavalier le 1er septembre. Mi-septembre, Bâville décide
de vider les Hautes-Cévennes, en déportant plus de 13 000
personnes. Les troupes de Julien détruisent d'abord uniquement les
toits et les murs des maisons, puis finissent par les incendier en
octobre. Les Florentins commettent des exactions auxquelles répondent
celles de Rolland et Jouany à Sainte-Cécile d'Andorge. Pour faire
diversion, Catinat tente de soulever le Rouergue en septembre, sans
succès. Cavalier a plus de réussite en courant la plaine : il
brûle Saturargues et Saint-Sériès, le 20 septembre, il attaque
Sommières, le 2 octobre, aux portes de Nîmes.
En
janvier 1704, le brigadier Planque met à feu et à sang la Vallée
Borgne et le pays de Valleraugue, secondé par les Cadets de la
Croix. Roland attaque une centaine de fusiliers le 18 janvier au
Pont-de-Vallongue, prend leurs armes et leurs munitions. En février,
une nouvelle tentative de soulèvement du Vivarais échoue ;
Catinat sème la terreur en Camargue avec un groupe de 80 camisards
qui montent deux à deux les chevaux, jusqu'à Beaucaire. Le 14 mars,
Cavalier, poursuivi par un bataillon de 400 soldats de marine et 60
dragons, livre combat à Martignargues : il remporte une
victoire éclatante, capture des armes, des munitions, des uniformes,
de l'argent. La Cour décide de remplacer Montrevel par Villars. En
avril, à Branoux et Saint-Paul-la-Coste, les milices catholiques
brûlent les maisons et égorgent 150 personnes. Montrevel, avant
d'être remplacé, renverse la situation. Il fait converger 3 000
hommes de Nîmes, Lunel et Sommières, encercle Cavalier, et le
défait à Nages avec son millier d'hommes, le 16 avril. Trois jours
plus tard, la caverne où était stockée la logistique de Cavalier
est découverte. Le 21 avril, à l'arrivée de Villars, Cavalier
semble mûr pour composer. Le 30, il écrit à Villars et demande la
liberté de conscience et la libération des prisonniers et des
galériens.
En
mai, les pourparlers commencent par l'intermédiaire de Lalande,
lieutenant général à Alès. Une entrevue a lieu le 12 mai.
Cavalier demande désormais une lettre de pardon et d'amnistie, la
libération des prisonniers et le droit de quitter le royaume avec
400 hommes. Le lendemain, un autre intermédiaire, le baron
d'Aigaliers, nouveau converti zélé en faveur de la paix, qui
obtient de Cavalier une lettre demandant l'amnistie sans conditions.
Le 16 mai, Cavalier est reçu à Nîmes par Villars, et demande cette
fois l'amnistie et la possibilité de quitter le royaume. Les troupes
de camisards se retirent à Calvisson, où se pressent les nouveaux
convertis, entre les 20 et 29 mai : au chant des psaumes, des
prêches et des assemblées, tous sont persuadés que le roi va
accorder la liberté de conscience, voire de culte. Cavalier n'a pas
prévenu Rolland de ses initiatives, or celui-ci vient de remporter
une grande victoire au plan de Fontmort, le 13 mai. La rencontre des
deux chefs à Thoiras, près d'Anduze, le 24 mai, est orageuse.
Rolland refuse les conditions et exige le rétablissement de l'édit
de Nantes pour mettre bas les armes. Le 27 mai, Cavalier obtient son
amnistie et permission de quitter le royaume. La colère est grande
parmi les nouveaux convertis, d'autant que de nouveaux envoyés des
Alliés pressent les autres chefs de ne pas capituler.
Le
8 juin, Villars suspend la trêve. Cavalier quitte la province, se
dirige vers Neuf-Brisach avec une centaine d'hommes, et gagne
finalement la Suisse en août. Le débarquement dans le golfe du Lion
organisé par le marquis de Guiscard, l'expédition des « tartanes »,
tourne au fiasco. Tobie Rocayrol, l'envoyé des Alliés, pousse
Rolland à continuer la lutte e juillet, mais à cesser les violences
anticatholiques. En août, Villars et Bâville reprennent les
déportations dans la région d'Uzès et d'Alès. Le 13 août,
Rolland est abattu sur dénonciation au château de
Castelnau-Valence. Sa mort accentue la démoralisation des derniers
camisards. La troupe de Ravanel se débande dans les bois de
Saint-Bénézet le 14 septembre, poursuivie par les dragons. Castanet
se rend le 11 septembre, Jouany et Salomon Couderc le 1er octobre. La
plupart gagne la Suisse. En décembre, Villars peut considérer la
guerre comme terminée.
Début
1705, il ne reste plus que deux chefs, Ravanel et Claris. Mazel
continue les assemblées mais est arrêté fin janvier. Castanet et
Catinat, cependant, reviennent de Suisse. Mais les camisards, peu
nombreux, traqués, ont perdu le soutien de la population. Castanet
est pris et rompu vif à Montpellier en mars. En avril 1705, le
complot de la « Ligue
des Enfants de Dieu »
échoue : le plan, monté depuis Genève par Vilas, avec Catinat
et Ravanel, avec des nouveaux convertis de Nîmes et Montpellier,
prévoit de capturer Bâville et le duc de Berwick, successeur de
Villars, et de prendre Sète. Mais une centaine de personnes sont
arrêtées : Vilas, Catinat et Ravanel sont exécutés en avril.
D'autres figures tombent en 1706. Cavalier, au service des Alliés,
commande un régiment composé en partie de camisards et de réfugiés,
qui doit pénétrer en Languedoc par la Catalogne. En avril 1707, le
régiment est anéanti à la bataille de la Salmanza. Cavalier,
sérieusement blessé, s'installe en Angleterre et prend ses
distances. Il est en proie à la controverse depuis qu'il a refusé
de reconnaître son caractère d'inspiré, ce qui énerve au plus
haut point les exilés de Londres comme le prophète Elie Marion.
Mazel, lui, s'échappe de la tour de Constance en juillet 1705,
rejoint Marion à Genève puis à Londres. Rentré en France en avril
1709, il tente de soulever le Vivarais avec l'appui des Anglais. Il
est écrasé à Leyrisse en juillet. Les Anglais ne débarquent à
Sète qu'en juillet 1710 mais sont vite repoussés. Mazel est abattu
près d'Uzès, Claris, qui était avec lui, est rompu vif en octobre
1710. Les derniers chefs survivants, dont Jouany, sont exécutés en
1711.
Un
chef camisard : Jean Cavalier
Jean
Cavalier est né le 28 novembre 1681 au Mas-Roux, hameau de la
paroisse de Ribaute, à 10 km au sud d'Alès, entre Anduze et
Vézénobres. Fils de paysan aisé, baptisé au temple, Jean est
inspiré par sa mère qui refuse, à partir de 1685, l'abjuration. En
1692, celle-ci le fait assister à une assemblée clandestine de
Claude Brousson. Trois ans plus tard, il est valet de ferme
(« goujat »)
chez un parent, le sieur Lacombe. A 17 ans, sans que l'on sache trop
pourquoi, il devient mitron chez le boulanger Duplan, à Anduze. Il
participe toujours aux assemblées secrètes. Sa famille est
divisée : son père et son frère aîné suivent le culte
catholique pour éviter amendes et prison. Jean rencontre le prophète
Daniel Raoux qui est finalement arrêté le 28 août 1701 près de
Tornac, et exécuté. Il prêche à son tour à partir du printemps
1702. Menacé d'arrestation, il quitte en mars les Cévennes pour la
Suisse. A Genève, il devient mitron. Mais il est de retour dans les
Cévennes dès le mois de juillet20.
Après
l'assassinat de l'abbé du Chayla, il envoie fin août dans les
Hautes-Cévennes Jean Soustelle pour entrer en contact avec Laporte
et Mazel, car il désire ardemment se battre. Il prétend avoir 800
hommes avec lui ! Quand Laporte et Mazel le rencontre à l'est
d'Alès, au village des Plans, il n'a que 17 hommes... Mal armée, la
troupe remonte vers les Cévennes. Elle est accrochée le 11
septembre à Champdomergue, au-dessus du Collet-de-Dèze, par le
capitaine Poul. Les rebelles font bonne mine mais doivent plier
devant les royaux. Début octobre, Cavalier fait partie de la troupe
de Rolland dans la région d'Anduze. En décembre, il est autonome :
il s'entoure d'anciens soldats comme Espérandieu et Rastelet.
A
l'approche de Noël, Cavalier se trouve dans la région d'Alès. Dans
la nuit du 23 au 24 décembre 1702, les camisards brûlent l'église
de Saint-Privat-des-Vieux. L'incendie attire la garnison d'Alès.
Cavalier franchit le Gardon et va camper dans une plaine près du mas
de Cauvi. Il veut y tenir une assemblée. Prévenu par des espions,
le gouverneur de la ville mobilise la milice bourgeoise, avec un
détachement de dragons : 500 hommes, commandés par le
gouverneur, d'Aiguines. Une cinquantaine de gentilshommes à cheval,
pressés d'en découdre, le précèdent. Cavalier fait disperser
l'assemblée : une inspiration lui révélant la victoire, il
décide de combattre avec seulement 60 hommes ! Avec son
lieutenant Espérandieu, il les divise en quatre groupes abrités
derrière un retranchement naturel. Les gentilshommes, plein de
confiance, chargent les camisards et tirent les premiers, sans trop
d'effet. Quand les camisards ouvrent le feu, c'est le chaos :
l'aide de camp du gouverneur est tué, le cheval du commandant de la
cavalerie s'effondre. Les gentilshommes refluent et sèment le
désordre parmi les fantassins, alors que les camisards chargent au
son des psaumes. C'est la débandade. Les miliciens, abandonnés,
tirent même sur les cavaliers ! Une quinzaine de fantassins et
quelques cavaliers sont tués. Les camisards n'ont perdu que deux ou
trois hommes. Le butin est considérable21.
Dans
ses mémoires, écrits bien plus tard (en 1726), Cavalier explique
qu'il a mené une guerre quasiment régulière. En garnison en
Irlande, il est alors à la recherche d'une promotion et veut prouver
qu'il est un chef de guerre compétent. C'est pourquoi il ne parle
pas des inspirations ni des massacres de catholiques. Ses mémoires
en apprennent plus sur le personnage que sur la réalité du conflit.
Cavalier a opéré sur trois théâtres d'opérations distincts :
sa région natale, deux secteurs de 15 km autour du Mas-Roux ;
et la Vaunage, à l'ouest de Nîmes. Le lien avec les camisards de la
Montagne se fait via Rolland, à la jonction des deux groupes. Le
territoire de Cavalier est le plus vaste, c'est pourquoi il est
réparti entre ses lieutenants : Pierre Claris et Jacques
Bonbonnoux autour de Quissac ; Catinat en petite Camargue ;
Ravanel en Uzège. La bande est plus nombreuse et mieux structurée
mais ne diffère pas des autres pour le reste : déplacements
incessants, rapides, sauf en hiver22.
Jusqu'à
l'automne 1702, c'est la vengeance qui motive d'abord Cavalier.
Assassinats ciblés, coups de main, embuscades se multiplient. Dans
la lignée du prédicant François Vivens, les exécutions visent les
curés trop zélés, les nouveaux convertis trop compromis, les
dénonciateurs, les espions royaux. Les coups de main sont souvent
nocturnes : ils frappent en particulier les églises rurales,
incendiées, mais aussi les châteaux champêtres, Mandajors, Servas,
Ribaute... dans les villages, les camisards s'en prennent aux
casernes, mais n'arrivent jamais à déloger les soldats retranchés.
Des raids ciblent parfois les bourgs fortifiés : Cavalier et
Rolland prennent Sauves pendant quelques heures en décembre 1702 ;
Cavalier échoue devant Sommières de nuit, en octobre 1703. Le chef
camisard fait, par dépit, détruire les palissades en bois édifiées
à la hâte pour protéger les villages. Les embuscades sont dressées
sur les routes, pour intercepter les courriers ou les détachements
de soldats. Les rivières et leurs gués sont aussi le théâtre de
fréquentes escarmouches.
La
guerre comprend aussi les représailles. Ainsi, le 1er avril 1703,
une assemblée se tient au moulin d'Agau, près de Nîmes. Montrevel
envoie des dragons pour disperser l'assemblée, arrivant sur les
lieux ensuite. C'est un carnage : une centaine de personnes sont
tuées ou brûlées dans l'incendie des bâtisses. Le lendemain,
Cavalier incendie le village catholique de Moulézan et exécute 8
personnes. Cavalier intervient aussi contre les villages qui
fournissent les milices catholiques plus ou moins contrôlées par
l'armée royale. Il essaie d'étendre la révolte à d'autres
régions. En février 1703, il tente de rejoindre le Vivarais.
Attaqué le 10 à Vagnas, son lieutenant Espérandieu est tué. Les
royaux sont cependant repoussés. Mais renforcés le lendemain, ils
reviennent et traquent Cavalier, qui laisse en tout 200 morts sur le
terrain. Une deuxième tentative d'extension du soulèvement a lieu
en Rouergue, en liaison avec l'abbé de la Bourlie, marquis de
Guiscard. Défroqué, ce noble catholique, aventurier et intrigant,
espère soulever la province en proclamant la liberté de conscience
et la suppression des impôts. A l'automne 1703, il veut pousser les
catholiques mécontents à rejoindre les protestants... Mi-septembre,
5 officiers de Cavalier, dont Catinat, avec une trentaine d'hommes,
partent sur place. Leur maladresse et leur précipitation les font
rapidement battre par les royaux.
Cavalier
n'est pas présent lors de toutes les batailles rangées, qui sont
assez nombreuses. Mais sur le plan tactique, il montre des qualités :
il dispose judicieusement les tireurs et la cavalerie, laisse avancer
les soldats, fait tirer au bon moment, les enveloppe quand ils
rechargent (ce qui prend encore du temps, à l'époque). Surtout,
Cavalier exploite en fait sa bonne connaissance du terrain, la
détermination des camisards faisant le reste. Il a compris que face
à des troupes royales promptes à rester dans leurs casernes
(lointain précédent de la « bunkerisation »...),
il faut être mobile, ruser, s'organiser pour durer. Des
distributeurs de vivres répartissent le butin ou l'argent pris à
l'ennemi, les denrées récupérées chez les paysans. Bois et
grottes deviennent des refuges. Impitoyable, Cavalier fait aussi
fusiller une vingtaine d'hommes de sa troupe, entre 1702 et 1704,
notamment pour avoir pillé.
En
janvier-février 1704, les camisards multiplient les attaques sur les
fermes catholiques après l'incendie des Hautes-Cévennes. Le 29
février et le 1er mars, une quarantaine de catholiques sont
massacrés près de Beaucaire. A l'ouest d'Uzès, les Cadets de la
Croix se livrent à de sanglantes représailles. Le 13 mars, le
maréchal de Montrevel est à Uzès, pour tenter de contenir les
débordements des miliciens. Il apprend la présence de Cavalier non
loin, par ses informateurs. Il ordonne alors aux troupes royales de
se lancer à sa poursuite. Le 14 mars, le colonel de La Jonquière,
avec 400 soldats et une cinquantaine de cavaliers, part de Moussac
vers Vézénobres, avec des dragons, des grenadiers, des soldats de
Marine. Le terrain est détrempé. Le village de Cruviers est pillé
en chemin, quelques habitants tués. Les camisards sont repérés à
9h00 près du village de Martignargues. Cavalier dispose de 290
hommes, dont quelques dizaines de cavaliers. Il cache sa cavalerie
dans les bosquets et une soixantaine de tireurs, allongés dans les
broussailles. La Jonquière place les dragons au centre, derrière
les grenadiers et sur les côtés l'infanterie de Marine. Les dragons
tirent trop tôt ; les camisards répliquent de tous les côtés
tandis que la cavalerie charge par le flanc. Les soldats tombent. La
Jonquière, blessé à la joue, perd son cheval et doit prendre celui
d'un dragon. Les dragons entraînent dans leur retraite les
grenadiers ; les fantassins de Marine se débandent. Ceux qui
tentent de franchir les deux rivières en crue proches se noient.
Lucrèce la Vivaraise, une des prophétesses de la troupe de
Cavalier, achève les blessés à coups de sabre. La Jonquière et
les officiers traversent le Gardon et se réfugient à Boucoiran. Ils
luttent en carré mais sont tous massacrés à coups de baïonnnettes,
de faux, de bâtons, de pierres. Les cadavres sont mutilés,
dépouillés des uniformes et des armes. 300 soldats et une vingtaine
d'officiers restent sur le terrain, contre une dizaine côté
camisard23.
Début
avril 1704, Cavalier opère en Vaunage. Il sait que Montrevel a été
remplacé par Villars. Mais Montrevel est bien décidé à partir sur
un coup d'éclat. A partir de Sommières, il organise le quadrillage
de la région. Les bourgs sont pourvus de garnison. Il veut
surprendre Cavalier et sa troupe de 800 fantassins et 200 cavaliers
(pas tous armés) qui ne peut passer inaperçue. Un informateur lui
annonce que Cavalier doit gagner le village de Caveirac, à l'ouest
de Nîmes. La nuit du 15 avril, la bande dort effectivement dans
cette localité. Le lendemain, elle repart sur les hauteurs dominant
Nages, où l'on peut voir arriver l'adversaire. Fatiguée, la troupe
se repose dans l'après-midi. Montrevel, lui, a quitté Sommières
avec 1 500 hommes, en plusieurs corps. Les garnisons autour de Nages
ont été mises en alerte le matin. Des régiments suisses sont prêts
à intervenir depuis Nîmes. Cavalier n'a pas été prévenu,
bizarrement, de ces mouvements. Le détachement du commandant
Grandval, qui arrive à Caveirac, monte sur le plateau et découvre
la troupe de Cavalier assoupie. Il est 13 heures : Cavalier
fonce avec une cinquantaine de cavaliers pour protéger ses
compagnons. Une dizaine de dragons est tuée. Grandval fait reculer
ses hommes en tiraillant vers le village de Boissières, pour attirer
la cavalerie camisarde et la séparer de l'infanterie. Cavalier se
heurte alors à un bataillon en carré protégé par de la cavalerie
sur les ailes. Il recule et forme une ligne de bataille avec ses
fantassins. Les prophètes sont en transe, les camisards chantent des
psaumes, les royaux crient « Vive
le Roi !. » Les
camisards avancent, tirent une première décharge qui couche une
vingtaine de soldats ; ceux-ci répliquent et chargent à la
baïonnette. L'objectif est de les repousser dans la plaine vers
Solorgues et Nages. Sur les pentes de la montagne qui dominent les
deux villages, d'autres royaux sont en position. Les coups de feu ont
alerté Montrevel, qui fait converger pas moins de 2 000 hommes vers
les lieux du combat. Les camisards, pour s'échapper, doivent
traverser Nages et gagner les bois de Lens, à 15 km au nord-est !
A Nages, ils sont assaillis par les grenadiers et les dragons
embuqués derrière les murets. Il faut passer au corps-à-corps, à
la baïonnette, à la pierre, à mains nues. Cavalier perd 200 tués
ou blessés ! Les camisards commencent à se débander. Cavalier
atterrit sur la route Calvisson-Saint-Dionizy. Il couvre le passage
du Rhosny sur le pont avec ses cavaliers. Les survivants, dispersés,
font le coup de feu tout en gagnant les bois24.
Le
18 avril, un gentilhomme informe Lalande, lieutenant-général
subordonné à Montrevel, de la présence de camisards à Euzet.
Lalande, à Alès, rentre d'une expédition autour de Branoux :
avec des florentins, ils ont massacré plusieurs centaines de
nouveaux convertis sous prétexte qu'ils soutenaient la bande de
Jouany, qui opère plus au nord. Le lendemain, Lalande se met en
route avec 2 000 hommes vers Euzet, où se restaurent 250 camisards.
Cavalier et sa troupe ont tout juste le temps de se cacher dans les
bois alentours. Au village de Le Chabian, des miquelets tombent sur
les camisards. Certains, dont Jacques Bonbonnoux, font face. Le
combat est sauvage : Lalande relève sur le terrain 150 cadavres
de camisards, dont une douzaine de femmes. Parmi elles, Suzanne
Delorme, identifiée grâce à son bracelet, peut-être une
prophétesse. Les royaux récupèrent armes et uniformes de la Marine
pris à Martignargues, des mulets chargés de vivres, des chevaux
blessés. Ils trouvent aussi le justaucorps de Cavalier. Lalande
revient vers Euzet pour punir les habitants : le village est
pillé, plusieurs habitants, dont des impotents, sont exécutés par
les dragons. Les survivants dénoncent une vieille femme soupçonnée
de ravitailler les camisards. Pour éviter la pendaison, elle conduit
les dragons vers trois grottes environnées de cabanes de fortune. Ce
sont les « arsenaux »
et « hôpitaux »
de Cavalier. Les blessés et les malades des combats précédents,
parfois à l'agonie, sont achevés. Au fond des grottes, les soldats
découvrent des armes, des barils de poudre, des balles, un butin
considérable. Le lendemain, les royaux entrent triomphalement dans
Alès. Certains soldats ont enfilé les oreilles tranchées des
camisards sur leurs baïonnettes. Le coup est décisif pour Cavalier,
qui perd sa base arrière. La population est lasse, les camisards se
découragent, les notables, protestants ou catholiques, sont
exaspérés par une situation qui nuit à l'agriculture et au
commerce au moment de la « soudure »25.
Une
guerre différente ?
Assez
rapidement, l'intendant Bâville et l'évêque de Nîmes, Esprit
Fléchier, ont jugé que la révolte était assez différente de
celles jusque là connues par la monarchie. D'où le soupçon et les
rumeurs d'instrumentalisation : une « école
de prophètes »
dresserait des simulateurs chargés d'exalter les protestants pour
créer un front intérieur, ce qui est complètement faux. En
réalité, la guerre des camisards rappelle par certains côtés les
révoltes populaires du XVIIème siècle. Mais les camisards ne se
recrutent pas parmi les gens les plus pauvres : en outre, il n'y
a aucune revendication fiscale dans le soulèvement. La révolte
s'inscrit très vite dans la durée et préfigure la guérilla
moderne : guerre de harcèlement, menée par des gens du peuple,
avec des chefs issus du peuple, des armes de récupération,
exploitation du terrain, complicité de la population, exécution des
traîtres ou des mouchards. Les camisards utilisent le renseignement
et la ruse pour agir en petits groupes, menant des embuscades, une
guerre psychologique mais aussi parfois de véritables batailles
rangées. Pour durer, les chefs ont créé toute une logistique
clandestine, dans des caches, des grottes, des cavernes26.
Les
camisards ont souvent prétendu qu'ils n'avaient aucune expérience
militaire pour mieux mettre en avant le rôle de l'Esprit saint.
Contrairement à ce qu'ont affirmé les catholiques, ils ne
bénéficient pas de l'aide de conseillers étrangers. En revanche,
dès l'assassinat de l'abbé du Cayla, en juillet 1702, on compte
déjà trois anciens soldats dans la première bande. Pour des
raisons assez obscures, des déserteurs de l'armée royale ont aussi
rejoint les camisards. Ceux-ci ont profité de leur expérience mais
les anciens soldats restent minoritaires. Essentiellement fantassins,
les camisards n'ont qu'une petite cavalerie, les chefs se déplacent
à cheval. Seules les bandes de Cavalier et Rolland ont une petite
troupe montée. Les camisards combattent en chemise et arborent
parfois un signe de reconnaissance (ruban de couleur). Ils n'hésitent
pas à dépouiller les morts ennemis de leurs vêtements. Sur le
champ de bataille, les camisards montrent une détermination
incroyable. Ils prient avant le combat, consultent les prophètes,
montent à l'assaut en chantant les psaumes, dont le fameux psaume
68. En ce qui concerne les armes, de nombreux fusils et escopettes
sont présents pour la chasse, bien avant la révolte. Avant 1701,
les prédicants sont souvent armés de pistolets. Des arsenaux
clandestins sont constitués dès 1689-1692. Les armes sont ensuite
récupérées dans les châteaux, les presbytères (les curés sont
souvent armés), puis sur le champ de bataille. Les balles sont
fondues avec le plomb des croisées d'églises, des fenêtres des
cures, avec de la vaisselle en étain. La poudre est achetée ou
produite. Epées, hallebardes et baïonnettes complètent l'ensemble,
ce qui n'empêchent pas les armes de fortune, coutelas, faux, bâtons
ferrés, gourdins, frondes27.
Les camisards ne visent pas à former une armée de saints à la
façon de la New Model Army
de Cromwell, mais ils se
flattent de la discipline de leurs troupes. La discipline religieuse
est sévère. Il est interdit de prendre aux paysans, de s'ennivrer.
Le butin est proscrit. Cela n'empêche pas l'existence de soudards
sans foi ni loi, comme le montre le meurtre de Madame de Mirman, une
jeune aristocrate catholique assassinée en novembre 1703 par une
bande incontrôlée. Cavalier a publiquement désapprouvé les
auteurs du meurtre et fait fusiller trois d'entre eux28.
En termes de guérilla, les camisards ont été sans doute des pionniers. De même que Bâville et Montrevel ont été des pionniers de la contre-guérilla : politique de la terre brûlée, déplacements forcés de population, prise d'otages, exécutions sommaires, exécutions publiques. On compare souvent les camisards aux Vendéens de 1793. Mais ces derniers étaient encadrés par la noblesse, et combattaient pour la restauration de l'ordre ancien. La propagande alliée a souvent rapproché la guerre des camisards des anciennes guerres de religion, et en particulier de celle menée par le duc de Rohan contre Louis XIII en 1620-1629, pour le libre exercice de la religion protestante. On retrouve certaines violences des guerres de religion dans le combat des camisards. L'iconoclasme de ceux-ci semble plus manifester une soif de destruction, radicalisée par le prophétisme des inspirés. Les prophètes ont inscrit le soulèvement dans une dimension eschatologique, biblique. L'inspiration sert d'ailleurs aussi à dicter la conduite de la guerre. L'objectif des camisards reste d'obtenir la liberté de conscience : c'est ce que réclame Gédéon Laporte en septembre 1702, puis Cavalier et les autres chefs. Chaque fois que les camisards ont voulu lier revendication religieuse et antifiscale, comme dans le Vivarais ou dans le Rouergue, l'échec a été au rendez-vous29. C'est cette revendication si particulière et l'amorce d'une guérilla qui font l'originalité de la guerre des camisards, voire sa modernité.
La
légende des camisards
Les
récits des événements sont faits dès l'époque de la guerre
elle-même, comme celui du père L'Ouvreleul, témoin horrifié des
exactions des camisards. Misson, en face, écrit le Théâtre
sacré des Cévennes
(1707). Les catholiques dominent ensuite la production pendant
cinquante ans avec l'abbé Brueys, un nouveau converti, et son
Histoire du fanatisme de
notre temps (1709). C'est
Antoine Court, le réorganisateur du protestantisme après l'épisode
camisard, qui contre-attaque avec l'Histoire
des troubles des Cévennes ou de la guerre des camisards sous Louis
le Grand (1760), où il
essaye de bâtir un récit impartial, en recueillant le plus de
témoignages et en croisant les sources. Court ne cache rien des
violences commises par les camisards, mais les explique, et souligne
leur objectif : la liberté de conscience. C'est un plaidoyer
pour la tolérance des protestants. Néanmoins, le jugement de
Voltaire domine au XVIIIème siècle : les camisards sont des
fanatiques qui n'auraient pas existé sans la révocation de l'édit
de Nantes30.
Antoine Court, l'historien protestant de la guerre des camisards.-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/28/Antoine_Court_Gebelin.jpg |
Le
renouveau vient d'abord des Allemands romantiques, qui utilisent les
camisards au moment de la Révolution puis de la lutte contre
Napoléon. La tragédie d'Isaak von Sinclair (1806) exalte les
combattants des Cévennes. Walter Scott fait aussi plusieurs émules
en France, qui reprennent le thème des camisards. Surtout, Eugène
Sue, avec Jean Cavalier ou les fanatiques des Cévennes
(1840), gagne le grand public. Mais c'est le travail de Napoléon
Peyrat, Histoire des pasteurs du Désert (1842), qui modifie
le regard des historiens libéraux ou protestants. Peyrat fait des
camisards des précurseurs de la Révolution. Henri Martin et surtout
Michelet, dans son Histoire de France (1862), évoquent les
camisards. La Société d'Histoire du Protestantisme Français
multiplie alors les publications, les articles, les artistes
peignent, aussi, notamment Jean Cavalier. La conscience cévénole,
qui par la tradition orale n'avait jamais oublié les camisards, se
sédimente, à partir de là, autour de cet épisode. Les catholiques
contre-attaquent, et notamment lors de l'affrontement entre la IIIème
République et l'Eglise, au début du XXème siècle.
Le Musée du Désert.-Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/47/Mialet-Mas_Soubeyran-Mus%C3%A9e_du_d%C3%A9sert-20120901.jpg |
Alors
que légende noire et légende dorée battent leur plein, le musée
du Désert est créé, en 1911. Avec la Première Guerre mondiale,
l'engouement pour l'histoire des camisards s'essouffle. Le retour ne
se fait que dans la décennie 1970, notamment via l'expérience de la
Résistance qui a associé maquisards et camisards. Passant d'abord
par la littérature, puis par le cinéma (le film Les
camisards de René Allio,
1970), les historiens reprennent leurs travaux, alors que le public,
sur fond de communisme d'après mai 1968, s'exalte. La thèse d'Henri
Bosc et surtout celle de Philippe Joutard, en 1974, devenue La
légende des camisards
(1977), consacrent la découverte de la mémoire du combat. Le repli
sur soi, dans un temps de crise, le retour aux racines, à
l'identité, favorisent paradoxalement l'engouement pour le sujet.
Les « lieux de
mémoire » des
camisards, ce sont d'abord la maison de Rolland, rachetée par la
Société d'Histoire du Protestantisme Français en 1880. En 1859, à
l'occasion du tricentenaire de la fondation des églises réformées
de France, a lieu une fête commémorative en plein air, bientôt
baptisée assemblée du Désert. En 1910, le nouveau secrétaire de
la SHPF, Franck Puaux, et Edmond Hugues, historien d'Antoine Court et
des pasteurs du Désert, transforment la maison de Rolland en nouveau
lieu de mémoire. C'est le musée du Désert, ouvert le 24 septembre
1911, en présence d'une assemblée de plus de 2 500 personnes.
Progressivement, d'une vision centrée sur les victimes, les martyrs,
la vocation internationale du protestantisme français, on passe à
une histoire plus large, englobée dans la Réforme du XVIème siècle
et ses suites.
Le film de René Allio Les camisards (1970) se concentre sur le début de la guerre, jusqu'à la mort de Gédéon Laporte. Lecture incomplète du soulèvement mais avec quelques belles scènes, même s'il y a peu de moyens.
Bibliographie :
Marianne
CARBONNIER-BURKARD, La révolte des Camisards, Poche Histoire,
Editions Ouest-France, 2012.
Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010.
Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010.
Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011.
Philippe
JOUTARD, Les Camisards, Folio Histoire, Paris, Gallimard,
1994.
1Extrait
du fameux psaume 68, plus tard appelé le psaume des batailles,
notamment en l'honneur des camisards.
2Marianne
CARBONNIER-BURKARD, La révolte des Camisards, Poche
Histoire, Editions Ouest-France, 2012, p.5-7.
3Pour
Jean-Paul Chabrol, les historiens adoptent désormais l'hypothèse
du vêtement. Jean-Paul CHABROL, La guerre des camisards en 40
questions, Nîmes, Alcide, 2010, p.12.
4L'expression
guerre des camisards est adoptée par les historiens de la seconde
moitié du XVIIIème siècle. Elle s'est imposée depuis. Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.10.
5Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.18-19.
6Philippe
JOUTARD, Les Camisards, Folio Histoire, Paris, Gallimard,
1994, p.17.
7Marianne
CARBONNIER-BURKARD, La révolte des Camisards, Poche
Histoire, Editions Ouest-France, 2012, p.9-45.
8La
plus célèbre de ces prisons est la Tour Constance à
Aigues-Mortes, devenu un véritable symbole de la mémoire
collective protestante. Jean-Paul CHABROL, La guerre des
camisards en 40 questions, Nîmes, Alcide, 2010, p.27.
9Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.20-26.
10Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.17-43.
11Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.47-71.
12Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.71-74.
13Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.74-92.
14Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.95-103.
15Jean-Paul
CHABROL, Anduze, dimanche 23 novembre 1692. La foi, le sang et
l'oubli, Nîmes, Alcide, 2011, p.110-117.
16Marianne
CARBONNIER-BURKARD, La révolte des Camisards, Poche
Histoire, Editions Ouest-France, 2012, p.47-96.
17Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.43-44.
18Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.65-66.
19Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.50-52.
20Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010, p.36-47.
21Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010, p.17-19.
22Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010, p.45-58.
23Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010, p.21-25.
24Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010, p.25-31.
25Jean-Paul
CHABROL, Jean Cavalier (1681-1740). Une mémoire lacérée,
Nîmes, Alcide, 2010, p.79-82.
26Marianne
CARBONNIER-BURKARD, La révolte des Camisards, Poche
Histoire, Editions Ouest-France, 2012, p.96-114.
27Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.66-71.
28Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.81-83.
29Jean-Paul
CHABROL, La guerre des camisards en 40 questions, Nîmes,
Alcide, 2010, p.48-50.
30Marianne
CARBONNIER-BURKARD, La révolte des Camisards, Poche
Histoire, Editions Ouest-France, 2012, p.115-140.
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